Expulser ou régulariser ? Le dilemme dominicain face à l’immigration massive haïtienne !

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Photographie d'Haïtiens à côté d'un camion de la Direction générale de l'immigration dominicaine. EFE/ Orlando Barría

Il est nécessaire de créer un mécanisme de régularisation du travail sélectif et temporaire, ciblant les secteurs productifs qui dépendent actuellement, ouvertement ou non, de l’embauche de travailleurs haïtiens.

Il est de notoriété publique que la migration haïtienne vers la République dominicaine a atteint un seuil critique, nécessitant la mise en œuvre de mesures stratégiques pour la contrôler. Et je dis bien contrôler, car l’éradiquer est impossible. Bien que la migration haïtienne représente un grave problème pour le pays, nous ne pouvons occulter ses effets, car elle génère certains avantages économiques et sociaux.

Concernant l’impact de la présence non réglementée de citoyens haïtiens sur notre économie, les chiffres sont révélateurs : en 2019, le Système national de santé (SNS) a mené une étude qui a confirmé qu’environ 78 % des Haïtiens, tant nés en Haïti que de parents haïtiens, fréquentaient les hôpitaux publics dominicains. Avec une population haïtienne estimée à 1,5 million d’habitants, on estime qu’au moins 1 170 000 personnes ont régulièrement recours à ces services de santé publics.

Cet article n’a cependant pas pour but de se plonger dans des calculs ou des statistiques – je dois admettre que les chiffres ne sont pas mon fort – mais plutôt de démêler un véritable problème migratoire, qui impacte la vie quotidienne de chaque Dominicain. Et en cela, modestement, je crois avoir un peu plus d’expérience.

Pour entrer dans le vif du sujet, il faut d’abord garder à l’esprit que pour parler de migration haïtienne, il faut aussi parler de croissance économique, c’est-à-dire du Produit Intérieur Brut (PIB). On ne peut ignorer une réalité majeure : les immigrants haïtiens contribuent au PIB national grâce à leur participation dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et des services. Il est frappant de constater que ce gouvernement – ​​attention, cet article n’est pas une critique de l’administration actuelle, mais plutôt un moyen juridique et social de s’exprimer – a recours aux expulsions massives pour contrôler la migration haïtienne.

Steven Aristil/Anadolu Agency via Getty Images VIA AFP

Bien qu’il soit bien connu que ce problème n’est pas nouveau, mais qu’il se complexifie depuis plusieurs décennies, les quatre derniers présidents se réunissant même récemment pour discuter de solutions possibles, l’administration actuelle a malheureusement dû faire face à des circonstances critiques qui ont placé le gouvernement à un carrefour politique et social sans précédent.

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Cela a incité le président Luis Abinader à mettre en œuvre diverses mesures, notamment la construction d’une clôture d’enceinte, dont la première phase a débuté début 2022 avec un investissement de 1,75 milliard de pesos. Cette même année a également été marquée par un événement très important, voire crucial : face à l’insécurité causée par la prévalence des gangs en Haïti, Abinader a rompu toutes les relations diplomatiques avec le pays voisin en fermant ambassades et consulats.

Puis, en 2023, l’incident de la rivière Massacre a exacerbé les tensions entre Haïti et la République dominicaine, entraînant la mise en œuvre de mesures sévères. Parmi ces mesures figurent l’interdiction permanente d’entrée sur le territoire pour toutes les personnes impliquées dans le conflit, ainsi que la suspension de la délivrance de visas aux citoyens haïtiens. Cette dernière mesure mérite une attention particulière, car elle est essentielle pour comprendre l’orientation et les implications de la crise migratoire qui se développe depuis lors.

L’année 2024 s’est écoulée sans aucune mesure particulièrement controversée, mais un changement majeur est intervenu : en septembre, le vice-amiral Luis Rafael Lee Ballester a été nommé directeur de la Direction générale des migrations (DGM).

Avec ce changement à la DGM, 2025 a marqué un tournant. En février, Abinader avait déjà signé le décret 104-25, qui qualifie les gangs criminels haïtiens d’organisations terroristes. Il a également annoncé plusieurs mesures pour lutter contre l’immigration haïtienne. Ces changements à la DGM ont été fortement ressentis. Lee Ballester a indiqué qu’en mars, cette institution avait redirigé 114 884 personnes vers Haïti jusqu’à présent en 2025. Il prévoit donc que cette année pourrait être celle avec le plus grand nombre d’expulsions de la dernière décennie.

Mais puisque nous avons abordé superficiellement le fossé créé par le problème haïtien dans l’économie nationale et les mesures d’immigration mises en œuvre ces dernières années, il est temps de revenir sur la question du PIB sous un autre angle crucial pour le pays : le tourisme.

Un groupe de femmes haïtiennes en République dominicaine, sur une photo d’archive. EFE/Orlando Barría

Dans un pays tourné vers le tourisme, le ministre David Collado a souligné d’importantes avancées lors de FITUR 2025 : l’ouverture de complexes hôteliers à Punta Cana, avec des investissements d’environ 125 millions de dollars, et des projets dans la région du Cibao, comprenant quatre à six hôtels cinq étoiles, 1 500 unités de vacances et 2 500 unités à usage mixte. Des groupes d’investissement étrangers, alliés à des banques locales, ont officialisé des accords avec deux chaînes hôtelières internationales de renom, pour un investissement de plus de 200 millions de dollars. D’autres projets hôteliers prestigieux dans l’est du pays sont déjà en construction, la première phase devant être achevée d’ici la fin de l’année. Attention, si les expulsions massives le permettent, nous reviendrons sur ce sujet ultérieurement.

Quel est le point commun entre tous ces projets ? D’importants investissements étrangers, un essor du secteur touristique et une forte dépendance à la main-d’œuvre haïtienne. Alors que la République dominicaine se positionne de plus en plus comme un leader mondial du tourisme, elle semble oublier qu’un secteur entier subsiste grâce à une migration si férocement combattue. Le secteur de la construction est non seulement étroitement lié au tourisme, mais tous deux dépendent d’une réalité inconfortable que nous préférons ignorer.

Il est également important de noter que, parmi les mesures mises en œuvre ces dernières années, aucune ne visait à régulariser les Haïtiens. Et lorsque je parle de régularisation, je n’entends pas par là récompenser l’illégalité, ni par un acte de bienveillance, mais plutôt par l’octroi de permis temporaires qui légitiment l’embauche de main-d’œuvre haïtienne déjà présente sur place, travaillant dans l’ombre.

Il est fascinant de voir l’ouverture de projets touristiques renommés à la une des journaux et sur les réseaux sociaux, avec les visages et les noms des entrepreneurs qui les lancent, salués et célébrés par tous, alors que ce sont ces mêmes entrepreneurs qui embauchent et promeuvent systématiquement cette main-d’œuvre haïtienne. Le paradoxe est révélateur : pourquoi ne pas cibler ces raids contre les entrepreneurs qui facilitent l’arrivée irrégulière de ces travailleurs ? Il est surprenant de constater l’incongruité que ces mêmes personnes qui saluent le développement touristique du pays soient souvent les premières à soutenir les expulsions massives.

La réalité est complexe et va au-delà de la construction, car nous savons qu’il ne s’agit pas seulement de main-d’œuvre dans ce secteur. De nombreux Haïtiens maintiennent également à flot le secteur des services, dans ces hôtels de luxe, contribuant silencieusement au tourisme que nous célébrons tant. C’est pourquoi nous devons envisager la mise en œuvre d’alternatives viables, car il est évident que, du moins pour l’instant, cette situation ne va pas s’arrêter. Il est nécessaire de créer un mécanisme de régularisation du travail sélectif et temporaire, destiné aux secteurs productifs qui dépendent actuellement, ouvertement ou non, de l’embauche de travailleurs haïtiens.

Un programme pourrait être mis en place pour permettre aux entreprises d’enregistrer ces travailleurs étrangers, leur permettant ainsi de s’enregistrer ultérieurement et d’obtenir un permis de séjour temporaire leur permettant de travailler légalement dans le pays, renouvelable tant qu’ils maintiennent une relation de travail formelle avec l’entreprise qui les enregistre.

Avec la suspension de la délivrance de visas aux Haïtiens, toutes les voies d’immigration disponibles pour demander un permis de séjour temporaire de travailleur ou un permis de séjour temporaire de travail ont été fermées. Cette mesure rend impossible pour les immigrants haïtiens travaillant déjà dans le pays de régulariser leur statut d’immigration, quel que soit leur secteur d’activité. Il est évident que de nombreux projets ont été interrompus ou ont vu leur progression considérablement ralentie en raison de cette situation.

Par conséquent, il est impératif de se poser la question suivante : les expulsions massives sont-elles vraiment la solution à ce problème complexe ? Cette voix, qui préfère observer plutôt qu’imposer, estime que, tout comme tous les efforts ont été dirigés vers l’expulsion des immigrants sans papiers – dont nous savons pertinemment qu’ils sont majoritairement haïtiens, non pas exclusivement, mais certainement majoritaires –, il faudrait également établir des canaux migratoires permettant au pays d’exercer un véritable contrôle sur les Haïtiens déjà présents, en créant un mécanisme leur permettant de contribuer légitimement à l’État et de transformer leur situation d’illégalité en situation de légalité.

Comment y parviendra-t-on ? Honnêtement, je l’ignore, et je ne suis pas ici pour élaborer la formule magique. Eh bien, ce sont ces mêmes fonctionnaires qui procèdent aux expulsions massives, ceux qui, en sous-main, acceptent quelques ou trois « escrocs » pour libérer ces migrants haïtiens ou faciliter leur entrée dans le pays. Cette information est de notoriété publique, mais beaucoup n’osent pas la dénoncer.

Ce que je veux dire, c’est que nous ne pouvons pas continuer à nous poignarder dans le dos, car il est clair qu’une coordination interinstitutionnelle entre la Direction générale de l’immigration, le ministère du Travail, le ministère du Tourisme et le secteur des entreprises est nécessaire pour trouver des solutions réelles et viables.

 

Jorgelina Martínez Castillo, Avocate spécialisée en droit immobilier, droit de l’immigration et droit transactionnel, elle possède une expérience en due diligence, en droit immobilier et en conseil en immigration. Elle est titulaire d’une licence en droit, mention très bien, de l’Université ibéro-américaine (UNIBE) avec une spécialisation en droit des sociétés. Elle poursuit actuellement un master en droit immobilier à la Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra (PUCMM).

 

Acento 21 Juin 2025

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