En attendant l’Assemblée constituante d’Ariel Henry

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Le Premier ministre de facto Ariel Henry

Douze mois après l’assassinat du Président Jovenel Moïse, difficile de dire que les choses évoluent différemment d’avant. Pire, la situation sociopolitique du pays s’aggrave. Les oppositions qui ont accaparé le pouvoir par l’entremise du Premier ministre Ariel Henry se trouvent empêtrées avec les deux grands dossiers très politiques et clivants qui étaient en cours avant le magnicide : le Conseil Electoral Provisoire (CEP) et l’Assemblée Nationale Constituante (ANC). Devant l’hostilité de la quasi-totalité de la classe politique, le feu Président avait dû passer en force en formant d’une part, l’organisme électoral et d’autre part, la fameuse Assemblée Constituante qu’il avait appelée : Comité Consultatif Indépendant (CCI). On sait ce qu’il est advenu de ces deux organismes contestés par les opposants de l’époque. Arrivé à la tête du pays dans des conditions plus que discutables pour assurer dans un premier temps l’intérim en attendant de définir un cadre de gouvernabilité avec les autres forces sociopolitiques sur la nouvelle Transition politique, Ariel Henry a finalement pris le chemin inverse.

Quelques jours après son installation à la Primature, il s’est brouillé avec le premier groupe qui le soutenait dans cette aventure politique puisqu’il entend rester le seul chef du pouvoir exécutif. En s’emparant de la totalité du pouvoir, ses premiers soutiens le lâchent tout en lui demandant de corriger le tir. Il refuse. Pour mener un front contre sa tentative de s’accaparer tout le pouvoir, plusieurs groupes se mettent à monter des Accords politiques un peu partout à Port-au-Prince et veulent lui imposer un agenda de partage du pouvoir. Rien n’y fait. Pire, pour contrecarrer les velléités de ses anciens amis et d’autres prétendants, le Premier ministre allait lui aussi forger son propre groupe et le plus surprenant avec une bonne partie de l’ancienne opposition, surtout avec les plus radicaux. En deux temps trois mouvements, ces derniers vont prendre la situation en main et passent pour être plus royalistes que le roi. Ils vont allumer rapidement un contre feu en montant, eux aussi, sous l’autorité du Premier ministre, un Accord le 11 septembre 2021, soit une semaine après celui datant du 30 août constitué en grande partie par le Secteur de la Société civile.

Pour mener un front contre sa tentative de s’accaparer tout le pouvoir, plusieurs groupes se mettent à monter des Accords politiques un peu partout à Port-au-Prince.

Depuis, en dépit de la création d’autres groupes et sous-groupes, ce sont ces deux mastodontes politiques qui portent la Transition post-Jovenel Moïse à leur manière et font l’actualité politique en Haïti. Mais, si ces deux groupes opposés tentent chacun de son  côté de prendre le dessus, celui d’Ariel Henry qui a effectivement en main les clés du pays fait face à de pires difficultés pour donner satisfaction à la population. Et pour cause. L’Accord du 30 août dit de Montana et les autres indépendants ne lâchent pas prise. Sans compter les maints et maints problèmes que rencontrent le gouvernement et ses alliés avec une insécurité galopante qui paralyse quasiment toute la vie de la Cité. De fait, malgré la volonté qu’on prête au Premier ministre de vouloir avancer avec certains dossiers récurrents comme celui du CEP auquel on a déjà fait allusion dans une précédente chronique, il peine à aller de l’avant.

Il est comme statufié devant les obstacles institutionnels et les difficultés politiques à mettre en œuvres les projets prévus dans l’Accord du 11 septembre dit de Musseau. Or, parmi plein de sujets qui fâchent, notamment, celui du CEP qui est synonyme d’élections générales, il y a aussi la question de l’Assemblée Nationale Constituante qui doit être impérativement mise en place en vue de proposer un nouveau texte constitutionnel ou de travailler sur le projet déjà existant du défunt chef de l’Etat ou enfin sur l’amendement de la Constitution de 1987. Comme pour le Conseil Electoral Provisoire, prévu dans l’Accord du 11 septembre, mais restant toujours à l’état de bonne intention, l’Assemblée Nationale Constituante quant à elle demeure donc une alésienne. Impossible, en effet, pour le Premier ministre de trouver un consensus avec les autres acteurs et d’ouvrir ce chantier éminemment politique.

Dossier sensible s’il en est au même titre que le CEP, sinon plus. Aborder un projet de nouvelle Constitution aujourd’hui en Haïti demeure, non pas un pari risqué, mais relève de mission impossible pour ne pas dire de suicide politique pour un Pouvoir exécutif qui, en réalité, n’en est pas un. Dans la mesure où c’est un pouvoir plus que contesté qui est en place compte tenu de sa non constitutionnalité, son illégitimité et sa non représentativité dans la société. Le feu Président Jovenel Moïse lui-même avait éprouvé toute sorte de difficultés politiques pour seulement mettre en place le Comité Consultatif Indépendant (CCI) alors même qu’il avait été élu au suffrage universel direct, certes, avec très peu de voix, néanmoins constitutionnel cet organisme. Contesté dès son élection, jamais il n’est parvenu à monter de manière consensuelle ni un CEP ni encore moins cette Assemblée Nationale Constituante. Le problème, on ne peut même pas comparer les deux situations, même si la problématique reste inchangée : celle de la constitutionnalité d’un tel acte politique.

Il se trouve que le Premier ministre a.i, Ariel Henry, pensait qu’il pourrait y arriver là où le défunt Président Jovenel Moïse, malgré son audace et sa témérité, a tout naturellement échoué. Certes, le chef de l’actuelle Transition bénéficie d’un climat social plus apaisé malgré toute sorte de difficultés que rencontre la population. Certes, Ariel Henry est moins contesté politiquement, tout au moins la contestation est pour le moment contenue par le fait que les principaux opposants de l’ancien pouvoir appartiennent tous ou presque à l’actuel régime intérimaire. Les radicaux du SDP (Secteur Démocratique et Populaire), en dépit de leur animosité historique envers le PHTK et son chef Michel Martelly n’ont pas l’intention de lâcher la poule aux œufs d’or qu’est le pouvoir. Maitre André Michel non plus malgré quelques déclarations de façade sur la lenteur du chef du gouvernement à mettre en application la totalité de l’Accord de Musseau. Le locataire de la Villa d’Accueil garde jusqu’à maintenant le soutien de ces encombrants alliés et d’une majorité des signataires dudit Accord.

Sauf que, même en ayant les mains libres, Ariel Henry ne peut progresser sur aucun dossier. C’est pratiquement impossible d’avancer dans l’inconnu. Et le dossier du CEP et celui de l’Assemblée Nationale Constituante constituent pour le pouvoir des questions quasi insolubles puisque ces deux dossiers ne peuvent être concrétisés dans le contexte où nous sommes. On l’a vu, comme pour le CEP qui demeure toujours dans les cartons mais continuellement annoncée pour le lendemain, l’Assemblée Nationale Constituante fait elle aussi partie des dossiers que Ariel Henry annonce de temps en temps mais dont l’issue demeure inchangée. L’on se souvient que le 25 janvier 2022 déjà, suite à une rencontre qui a eu lieu avec 8 des 10 sénateurs encore en fonction, le Premier ministre avait annoncé tout confiant que ces deux organismes publics seraient mis sur pied au plus tard le 7 février 2022. Ce jour-là, le chef du gouvernement de Transition disait : « C’est pratiquement certain que d’ici au 7 février nous aurons une Assemblée Constituante et un Conseil Electoral Provisoire. Pour moi, avant l’été on aura une nouvelle Constitution qui nous permettra d’organiser les élections afin d’avoir de nouveaux élus qui prennent en charge l’Etat haïtien.

Trois mois après la mise en place de l’Assemblée Constituante, il devrait y avoir les élections pour adopter ou rejeter cette nouvelle Constitution proposée par l’Assemblée Constituante ». Or, cela fait déjà une année depuis que le pays attend ces deux institutions éphémères, néanmoins cruciales pour la crédibilité des autorités de la Transition post-Jovenel Moïse. Sauf que, après avoir dit tout cela, il reste une question encore plus pertinente : comment y parvenir ? Sans vouloir jouer à madame soleil ni prendre la place des enquêteurs qui planchent sur le dossier de l’assassinat du Président de la République, on n’est pas le seul à penser que ces deux dossiers : le CEP du 22 septembre et le CCI qui ont été d’ailleurs, rapidement dissous par les nouveaux maitres du pays, aient joué un rôle important dans la motivation des acteurs politiques qui ont contribué au meurtre du chef de l’Etat. Alors, répondre à cette question demande aujourd’hui beaucoup de lucidité et même du bon sens.

Heureux ceux qui croient pouvoir avoir une réponse. Car, même en s’entourant de la totalité des pouvoirs, jamais Jovenel Moïse n’y était arrivé. Que dire d’un Premier ministre de facto qui n’a ni les pouvoirs ni les audaces de Jovenel Moïse malgré qu’il ait été victime d’un excès de confiance de la part de ses protecteurs américains dont on soupçonne, d’ailleurs, qu’ils auraient été, tout au moins, au courant du complot. Devant un tel danger, certains disent comprendre la prudence du neurochirurgien devenu homme politique, pour ne pas tomber dans le piège de ses alliés qui le pressent d’agir et le poussent à imiter Jovenel Moïse pour  former sans consensus l’Assemblée Nationale Constituante. La plupart des signataires de l’Accord du 11 septembre veulent que la Primature applique à la lettre ledit Accord en lançant tout de suite le processus électoral et dans la foulée l’Assemblée Nationale Constituante qui devrait être constituée de 33 membres.

plusieurs de ces organisations sociopolitiques pressenties pour faire partie de cette Assemblée Nationale Constituante ont tout bonnement décliné l’offre.

En effet, il est stipulé dans l’article 17 de l’Accord de Musseau qu’: « Il est formé une Assemblée Nationale Constituante de trente-trois membres composée de la façon suivante : la  Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH) désignera trois membres, dont au moins une femme ; la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur d’Haïti (CORPUHA) trois membres aussi, dont au moins une femme ; la Chaire Louis-Joseph Janvier  désignera un membre ; la Représentation départementale désignera 10 membres, dont au moins trois femmes ;  la Diaspora deux membres, dont au moins une femme ; le Secteur jeunes un membre ; le Secteur femmes un membre ; le Secteur culturel un membre ; le Comité Olympique Haïti (COH) un membre ; le Secteur paysans un membre ; Personnes en situation de handicap un membre ; le Pouvoir exécutif quatre membres, dont au moins deux femmes  et Partis politiques signataires de l’Accord quatre membres, dont au moins deux femmes ».

Entretemps, et vu que l’affaire devient de plus compliquée politiquement dans les mains du Premier ministre a.i, plusieurs de ces organisations sociopolitiques pressenties pour faire partie de cette Assemblée Nationale Constituante ont tout bonnement décliné l’offre. C’est le cas de la Chaire Louis-Joseph de l’Université Quisqueya que dirige Me Bernard Gousse, ancien ministre de la justice de Michel Martelly. Les responsables de cette Chaire universitaire expliquent leur refus dans une note publique datée du 18 février 2022 dans laquelle ils motivent leur choix : « La Chaire Louis-Joseph Janvier a rappelé que des membres de la Chaire se sont déjà exprimés sur l’inconstitutionnalité de la démarche entreprise par l’ancien Président Jovenel Moïse en motivant leur position sur l’illégalité du mandat attribué au CEP d’alors, de la Commission rédactrice du projet et du référendum envisagé. La réintégration d’un processus analogue sous l’égide d’un Premier ministre de fait amène, pour la Chaire, aux mêmes conclusions. 

 La Chaire est résolument engagée dans la réflexion sur la réforme constitutionnelle en vue de doter le pays d’une mécanique institutionnelle cohérente garantissant les droits individuels et collectifs et tenant compte de nos réalités sociologiques, tout autant que de nos ressources. Toutefois, la Chaire, constatant l’existence d’une pluralité d’Accords tendant à la résolution de la crise institutionnelle, ne saurait, d’un point de vue politique, s’engager dans la mise en œuvre de l’un d’entre eux au détriment des autres. Elle y perdrait, par une prise de position partisane, son impartialité et sa crédibilité. D’un point de vue juridique, la publication de l’un des Accords au Moniteur ne le rend pas opposable à ceux qui n’en font pas partie, même si, comme la Chaire, ils y sont mentionnés ». Voilà donc où en est le Premier ministre Ariel Henry depuis pratiquement un an avec le projet de réforme de la Constitution. A signaler que la Chaire Louis-Joseph Janvier n’est pas le seul acteur à ne pas cautionner cette initiative du pouvoir. Ils sont légion dans cette situation.

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