
(7ème partie)
En apprenant la nouvelle de la formation d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) incomplet, toute la presse a cherché à en savoir davantage et surtout si le pouvoir comptait en rester là. Mais, une source du quotidien Le Nouvelliste à la présidence devait indiquer : « Les discussions vont se poursuivre pour le choix des secteurs des droits humains et de la femme. Ces sept membres sont nommés en attendant le choix des deux autres membres pour compléter l’institution électorale. Nous publierons par la suite un arrêté complémentaire en ce sens. » Le 19 septembre 2024, un arrêté présidentiel publié dans le journal officiel Le Moniteur a confirmé la nomination de ces 7 personnalités pour prendre en charge le processus électoral. Mais, malgré les explications du Conseil Présidentiel de Transition, ce CEP 9 moins 2 allait provoquer un tollé dans le milieu politique et associatif haïtien.
Les contestataires accusent les autorités de ne pas respecter d’une part leur engagement vis-à-vis des secteurs et d’autre part de vouloir passer en force pour organiser des élections contestées avec un CEP incomplet et contesté dès l’origine. Toutefois, ce sont surtout les partisans de Me Gédéon Jean du secteur des droits humains qui ne buvaient pas vraiment ce vin un peu trop fort pour leur papille. Ils ne digèrent pas l’éviction de leur ami au profit de quelqu’un d’autre. Une décision qui les désespère et les accable profondément. Parmi ces organisations figurent Sant Karl Lévêque (SKL), l’Ordre des défenseurs des droits humains (ORDEDH), l’Initiative départementale contre la traite et le trafic des enfants (IDETTE), la Vision Haïtienne des Droits Humains (VHDH). Elles disaient toutes s’opposer au rejet de leur élu. Selon elles et certaines autres : « Le Conseil Présidentiel ne peut en aucun cas décider autrement, nous exigeons le respect des votes du secteur des droits humains qui a choisi sans contestation régulière son représentant, Me Gédéon Jean.
Sur les 107 organisations éligibles, 86 ont participé au scrutin. Gédéon Jean a obtenu quatre-vingt-une (81) voix, Freud Jean deux (2) et Jaccillon Barthelemy trois (3). Les documents y relatifs ont été acheminés au Conseil Présidentiel le même jour. Le processus pour le CEP a été mené selon le guide publié conjointement par l’OCNH et la POHDH, contenant les mêmes critères d’éligibilité que ceux ayant conduit à l’élection pour le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Les élections pour élire les représentants du secteur des droits humains au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (coordonnées par la CE-JILAP) et au Conseil Électoral Provisoire (coordonnées par l’OCNH, la POHDH et le SKL) sont des processus démocratiques et transparents, mais surtout innovants pour le secteur » indiquaient ces organisations des droits humains le 19 septembre 2024. Le 24 septembre 2024, le Coordonnateur du Sant Karl Lévêque, Gary Maisonneuve, était invité de l’émission Panel Magik sur la mise de côté de son élu. Pour lui, c’est une question de principe et du respect des votes des électeurs. Et il s’en explique en ces termes : « Dans le secteur, on a fait le choix de Gédéon Jean. Le problème ce n’est pas la non-désignation de Me Jean, mais les prémices. Le Conseil Présidentiel de Transition doit se rendre à l’évidence qu’on a fait un choix. Le Conseil ne devrait pas céder aux pressions ni de l’international ni des acteurs locaux pour ne pas tenir compte de notre choix. C’est un mauvais précédent pour la réalisation des élections. On ne va pas lâcher prise. On entend nous battre de toutes nos forces pour faire respecter notre choix. Ce n’est pas Gédéon Jean qui est en cause, mais c’est un problème de principe. Il ne faut pas tenir compte des groupes influents puisqu’on est tous sur un pied d’égalité. » Quant à l’intéressé, Me Gédéon Jean, dans une lettre adressée au Conseil Présidentiel de Transition, il disait s’étonner que son nom ne figure pas dans l’arrêté publié le 19 septembre 2024.
Par conséquent, il réclame son intégration immédiate en tant que membre du CEP représentant le secteur des droits humains tout en soulignant que : « Cette élection, diffusée en direct par plusieurs médias, a été organisée de manière publique, transparente et inclusive. Avec une participation de 86 organisations respectant les critères établis dans un « Guide » pour le choix du représentant du secteur des droits humains ». Pendant la polémique entre le gouvernement et les secteurs, l’administration du CEP revient à la vie. En effet, une fois la nouvelle devenait officielle annonçant que le Conseil Électoral Provisoire, même incomplet, a enfin été formé, les « zombies » du CEP qui se cachaient dans les placards un peu partout dans le pays se sont réveillés, tout au moins ont commencé à bouger. L’institution moribonde qui est en passe de reprendre vie après l’ouverture du processus de nomination de ses 9 membres recommença à faire parler d’elle. Tous les dossiers qui étaient en hibernation depuis près d’une dizaine d’années refont surface.
Les employés des différents Bureaux électoraux communaux (BEC), regroupés dans des syndicats, pour certains de circonstance, vont aussitôt monter au créneau en réclamant, selon eux, leur dû au gouvernement. Le 22 septembre 2024, David Wilde, le Président du Syndicat des employés des Bureaux électoraux d’Haïti (BEC-d’Haïti), a accordé une longue interview au quotidien Le National pour déplorer la situation des employés de ces entités de l’organisme électoral. Il s’en prenait directement à Max Délice, le Directeur exécutif du CEP qui, selon lui, serait resté passif devant une situation devenue insupportable pour les adhérents de sa centrale syndicale. David Wilde expliquait au journal le désengagement d’un organisme des Nations-Unies, PNUD (Programme des Nations-Unies pour le Développement) chargé habituellement du financement des opérations électorales en Haïti à travers ce qu’on appelle un « Basket Fonds », un organisme mixe dans lequel l’État haïtien et la Communauté internationale versent des fonds en prévision à des élections à venir.

Au cours de son interview à Le National dans son édition du 22 septembre 2024, le responsable syndical explique : « Cela fait 41 mois que nous sommes privés de nos salaires, malgré nos multiples tentatives auprès des autorités compétentes. Jusqu’à présent, elles n’ont rien fait. Nous avons entamé toutes les démarches nécessaires, tant auprès de l’ancien que de l’actuel ministre des Finances, ainsi qu’auprès du Premier ministre Garry Conille et du Conseil Présidentiel de Transition pour faire passer nos revendications, mais jusqu’à présent, on est toujours dans cette situation. Nous avons déjà organisé un sit-in devant le PNUD et un autre était planifié. Cependant, les responsables du PNUD ont demandé une rencontre, mais 24 heures plus tard, nous restons insatisfaits. Les responsables du PNUD se sont désengagés de cette situation, affirmant que c’est au Directeur de faire le suivi. Les Bureaux électoraux communaux qui devaient recevoir un fonds de roulement de 50 000 gourdes, ce depuis plus de 30 mois, aucun bureau n’a perçu cette allocation. Les demandes de clarification auprès du Directeur exécutif du CEP, Max Délice, sont restées sans réponse. »
Les samedi 21 et dimanche 22 septembre 2024, la presse et les observateurs politiques étaient invités à observer les travaux que le gouvernement de Garry Conille, notamment son ministre de la justice Me Carlos Hercule, appelait les « Premières assises autour de la révision de la loi portant formation, fonctionnement et financement des partis politiques » ou « journées de dialogue autour du cadre légal des partis politiques. » Cette initiative du ministère de la Justice et de la Sécurité publique était organisée en partenariat avec plusieurs institutions ou organisations internationales, entre autres, NDI, PNUD et le BINUH dont Maria Isabel Salvador, la Représentante du Secrétaire générale de l’ONU en Haïti, est la cheffe. D’après les organisateurs, ces journées de dialogues visaient notamment à recueillir les propositions des partis politique aux fins d’améliorer la loi portant, comme il est indiqué dans l’intitulé, la formation, le fonctionnement et le financement des partis politiques. Mais, la cheffe du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) va encore plus loin.
Elle croit, en effet, que ces premières assises répondent à une demande de révision des règles de gouvernance en Haïti et s’était réjouie de sa participation à ces deux journées de réflexion. « Je suis extrêmement honorée de participer à cette importante initiative du ministère de la Justice et de la Sécurité publique qui fournit une première opportunité aux différentes parties de réfléchir ensemble sur une thématique cruciale en matière de réforme du cadre normatif concernant la formation, le fonctionnement et le financement des partis politiques. Le peuple haïtien peut se rassurer que les discussions et les propositions qui en découleront tiendront compte de la pluralité des perspectives. Cette approche va renforcer la confiance du public dans les institutions politiques et dans la gouvernance électorale, traduisant la crédibilité du processus électoral. La réussite de la transition politique exige un dialogue ouvert, respectueux, inclusif et participatif. Que les élections se tiennent dans un cadre juridique qui réponde aux défis actuels du pays et qui reflète les nombreuses évolutions politiques et sociales en Haïti, c’est donc indispensable. »
Quant aux autorités haïtiennes, notamment pour les premiers concernés, Garry Conille et Carlos Hercules en tête, ces assises revêtent une importance capitale dans la mesure où tous les acteurs sont impliqués d’une façon ou d’une autre dans le processus électoral à travers l’Accord du 3 avril 2024 dont ils en sont les géniteurs. Lors de son intervention de circonstance, le ministre de la Justice devait placer ces journées de dialogues dans le contexte de la résilience du peuple haïtien et du gouvernement de la Transition face aux défis qu’il aura à affronter pour réussir la Transition par le biais des élections au cours de l’année 2025. « Il s’agit pour nous d’évaluer la Loi portant formation, fonctionnement et financement des partis politiques au regard de l’évolution de la société haïtienne au cours des dernières années, du triple point de vue politique, économique et social et, le cas échéant, d’envisager la possibilité de sa révision ou de son adaptation aux nouvelles exigences de l’État de droit et de la gouvernance démocratique. Cet exercice de dialogue et de concertation présente une importance capitale pour le gouvernement de Transition.
Puisqu’il participe du processus de maturation de l’expérience démocratique initiée chez nous, en Haïti, depuis environ trente-sept ans sous l’égide de la Constitution de 1987. C’est également une étape cruciale du processus politique mis en route par l’Accord du 3 avril 2024 fondant le pouvoir de transition dont l’une des principales missions consiste en la création des conditions nécessaires à l’organisation d’élections générales devant aboutir au renouvellement des institutions démocratiques et du personnel politique ainsi qu’à l’installation, le 7 février 2026, d’un Président élu » déclaration de Me Carlos Hercule. Le 26 septembre 2024, c’est au G7, Groupe des 7 pays les plus riches du monde, d’apporter son soutien au processus électoral entamé en Haïti par les autorités de la Transition. Lors d’une réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies organisée durant la dernière semaine du mois de septembre 2024, à New-York, le ministre italien des affaires Étrangères, Antonio Tajani, en sa qualité de Président de la réunion des ministres des affaires Étrangères du G7, au nom du G7, a réaffirmé l’appui et l’engagement de la Communauté internationale à Haïti.
Dans une note de presse à l’issue de la réunion, on a appris que : « Les membres du G7 ont également exprimé leur détermination à continuer de soutenir les institutions haïtiennes y compris le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le gouvernement du Premier ministre Conille dans leur engagement à créer les conditions de sécurité et de stabilité générales nécessaires à la tenue des élections libres et équitables d’ici février 2026. L’expression de la volonté populaire jetterait les bases d’une restauration complète de la démocratie et de l’État de droit en Haïti. » Par ailleurs, en Haïti, les autorités essayent d’avancer à petit pas vers la mise en place du CEP, même avec l’absence des représentants des secteurs Femmes et des droits humains incapables de s’entendre chacun de son côté. Encouragées par certains bailleurs de fonds de la Communauté internationale, elles annonçaient l’installation du CEP pour le vendredi 18 octobre.
Le 14 octobre 2024, depuis New-York où Mme Maria Isabel Salvador, la Représentante en Haïti de Antonio Guterres et cheffe du BINUH, est en réunion, la nouvelle lui parvint à l’oreille. Immédiatement, elle se coiffa de sa casquette de donneuse d’ordres aux dirigeants haïtiens. Devant le Groupe Consultatif AD Hoc du Conseil Économique et Social des Nations-Unions (ECOSOC), elle appelle à : « l’installation complète du Conseil Électoral Provisoire (CEP). C’est une condition sine qua non pour la tenue d’élections crédibles, participatives et inclusives dans le pays. » Mais cette fois, le CPT et Conille tiennent tête et maintiennent la date du 18 octobre pour l’installation dans leurs fonctions des 7 membres du CEP.
Ainsi, réunis à l’École de la Magistrature (EMA) le vendredi 18 octobre 2024, en présence des dignitaires du régime, des membres du Corps diplomatique (Core Group), des hauts responsables de la police et des Forces Armées d’Haïti, du ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Carlos Hercule, du Premier ministre Garry Conille et du Président du Conseil Présidentiel de Transition, Leslie Voltaire, et de plus de cinq autres Conseillers-Présidentiel, les 7 membres du CEP : Madame Schnaida Adély, (Vodou) ; Patrick Saint-Hilaire, (Conférence Épiscopale d’Haïti) ; Peterson Pierre-Louis, (Cultes Réformés) ; Marie Florence Mathieu, (Conseil de l’Université) ; Jacques Desrosiers, (Associations de Journalistes) ; Jaccéus Joseph, (Associations de Paysans) et Nemrod Sanon, (Syndicats) ont fini par prêter serment, après deux heures de retard, pour devenir membres du Conseil Électoral Provisoire (CEP) version Conseil Présidentiel de Transition (CPT). (A suivre)
C.C