
(11e partie)
Lors de la présentation de l’équipe ayant pour mission de faire des propositions pour la nouvelle Constitution, Jerry Tardieu assurait que : « Le Groupe de travail sur la Constitution jouit d’une autonomie totale et s’acquittera de sa tâche patriotique dans l’intérêt d’Haïti et qu’il est nécessaire d’apporter des changements dans la Constitution de 1987, vieille de 38 ans. Il faut avoir le courage de changer ce qui mérite d’être changé et d’ajouter ce qui doit être ajouté. Trop de confusions dans plusieurs articles de la Constitution en ce qui concerne les relations entre le Président et le Premier ministre, les déséquilibres entre l’Exécutif et le Parlement, les difficultés d’interprétation dans plusieurs articles de la Constitution, entres autres ». Le 13 novembre, le doyen de la presse haïtienne, Le Nouvelliste, devait avoir l’honneur d’accueillir dans ses locaux une délégation du Groupe de travail venue lui rendre visite, composée du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Patrick Pierre-Louis, du doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques, Me Eugène Pierre-Louis, et du Coordonnateur Jerry Tardieu.
Cette visite n’avait qu’un but: démarrer une campagne de communication auprès de la population en vue de faire connaître l’existence de cette structure dans le cadre du processus de la réforme constitutionnelle et des nouvelles élections en perspectives. Les trois hommes, dans un large entretien accordé au journal, ont avancé quelques pistes sur l’importance et la méthodologie que ce groupe de travail entend utiliser pour parvenir à un document qui soit le résultat d’un travail collectif avec une forte participation citoyenne avant de le soumettre au Comité de pilotage de la Conférence Nationale pour validation. Dans l’ordre, ils ont répondu chacun à une thématique. Jerry Tardieu, à la question : est-ce que le groupe constitue une Assemblée constituante ? Il a répondu : « On ne part pas de rien. Il y a eu des consultations sur les trois exercices d’Etat sur la Constitution. Les secteurs de la vie nationale ont été consultés. Nous allons procéder d’une manière différente sauf que c’est une manière comme une autre de consulter les forces vives du pays.
En 1987, l’Assemblée constituante était formée d’élus, de personnalités nommées par le gouvernement et des représentants de secteurs et de régions. Aujourd’hui, on est dans une autre période qui requiert un autre exercice. On est un groupe d’experts qui travaille sur un document qui sera soumis à une consultation nationale. » Quant à Me Eugène Pierre-Louis, le doyen de la Faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti, il devait expliquer le rôle que les juristes, mais pas seulement, devraient jouer au cours des travaux. Il a fait remarquer que d’autres compétences devraient aussi contribuer à la production du document final. « Ce n’est pas faux de voir en premier les juristes quand on parle de Constitution. Toutefois, ce chantier charrie globalement un projet de société et requiert des compétences comme la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, la psychologie, l’économie, etc. L’Université dispose de toutes ces ressources et spécialités. »
Pour sa part, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Patrick Pierre-Louis, interrogé sur la participation de la basoche dans ce travail intellectuel, voit avant tout un hommage à la mémoire de l’éminent avocat sauvagement assassiné en août 2020, Me Monferrier Dorval, bâtonnier de l’ordre des avocats de la capitale. Il a néanmoins indiqué que : « Le Barreau est interpellé par la question de la nouvelle Constitution. Nous allons impliquer l’ordre de Port-au-Prince et la Fédération des barreaux. Ce qui va conférer au projet une légitimité parmi les juristes. » Les trois extraits sont tirés du quotidien Le Nouvelliste daté du 13 novembre 2024. Si le lancement a été laborieux pour l’équipe de la Conférence Nationale après son installation, on ne peut dire autant pour les Groupes de travail, en tout cas pour celui travaillant sur l’amendement de la Constitution de 1987.
Comme prévu, le jour de sa présentation au grand public, trois mois plus tard, ce groupe de travail allait rendre son Rapport au Comité de pilotage de la Conférence Nationale. En effet, travaillant d’arrache-pied depuis son lancement à l’hôtel Karibe, le 3 janvier 2025, on a appris dans un communiqué que le Secrétariat exécutif de la Conférence Nationale avait reçu le Rapport final produit par le Groupe de travail sur la Constitution piloté par l’ancien député Jerry Tardieu. C’est le professeur Louis Naud Pierre, le Secrétaire exécutif de ladite Conférence qui en a fait l’annonce étant celui a qui le document a été adressé. A la lumière de ce Rapport qui était la principale tâche du Groupe de travail sur la Constitution et qui devait conclure aussi sa mission auprès du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, on a compris les difficultés rencontrées par cette équipe pour arriver à produire ce travail qui devait être les prémices des travaux sur la réforme constitutionnelle. Certes, ces citoyens ont pu produire un document dans lequel ils ont fait un certain nombre de recommandations aux membres du Comité de pilotage.
Néanmoins, ils soulignent aussi qu’il ne serait pas opportun d’organiser le moindre scrutin avant de se mettre autour d’une table afin de trouver un consensus national sur les maux qui rongent la société à travers des crises sectorielles endémiques. D’entrée de jeu, dans le long communiqué de presse émis par le Secrétariat exécutif à la réception du Rapport, il est souligné que : « Cette mission consistait à recueillir les propositions des acteurs politiques et des secteurs organisés de la société civile pour jeter les bases d’une révision constitutionnelle inclusive et légitime. Mais la crise multidimensionnelle que traverse Haïti a lourdement impacté les travaux du groupe. La fermeture de l’aéroport de Port-au-Prince, l’isolement de la capitale et la dégradation continue de la sécurité ont empêché les déplacements vers les provinces pour des consultations départementales, limitant ainsi la participation des régions éloignées et de la diaspora. La situation politique et sécuritaire du pays a également compliqué les efforts de consultation. Bien que plusieurs acteurs aient reconnu la nécessité d’une révision constitutionnelle avant la tenue des prochaines élections, une majorité a insisté sur l’urgence de résoudre la crise sécuritaire et politique actuelles.
Certains ont même refusé d’y participer, invoquant un climat politique délétère et des griefs envers les autorités de la Transition », extrait du communiqué daté du 3 janvier 2025. Signalons entre autres que parmi les nombreuses recommandations du GTC, c’est important de le dire, il y a la mise en place d’une « Assemblée constituante » en vue de travailler sur le projet de la nouvelle Constitution avant son approbation par référendum. Le Rapport préconise la transparence tout en faisant une analyse globale de la conjoncture particulière du pays. Jerry Tardieu et les autres membres du groupe conseillent au Comité de pilotage d’organiser des rencontres publiques à travers le pays pour une meilleure compréhension du projet. Devenu expert en la matière, Jerry Tardieu tenait à enlever certains doutes. Le Coordonnateur du GTC confirme que le Rapport qu’ils ont rendu au Comité de pilotage ne «Contient aucun texte constitutionnel comme certains l’auraient souhaité. Ceci pour de multiples raisons, telles que le respect de sa mission ainsi que les obstacles évoqués par les protagonistes, tels que : un climat défavorable, la crise sécuritaire et politique et leurs griefs contre les autorités en place » propos rapportés par le quotidien Le National en date du 8 janvier 2025.

Mais, en dépit du dire même du GTC, selon le Rapport, ces membres demeurent persuadés qu’avec le soutien et la collaboration de tous les secteurs, particulièrement ceux des organisations sociopolitiques, de la Société civile et bien entendu des membres du Conseil Présidentiel de Transition, le Comité de pilotage de la Conférence Nationale finira par élaborer un document constitutionnel qui prendra en compte les vœux de toute la population. Quelques semaines après la livraison du Rapport et selon les recommandations du GTC, les responsables du Comité de pilotage devaient lancer, à travers la région du Grand-Nord, diverses activités dans le cadre de sa mission.
Ce sont des journées d’assises ou d’information qui ont été organisées dans plusieurs villes, notamment dans les chefs-lieux des départements du Nord, de l’Artibonite et du Centre durant le week-end du 24, 25 janvier 2025. Au Cap-Haïtien, durant deux jours, un nombre assez important de citoyens a pris part à des débats et conférences autour du thème : « Yon pèp, yon Konstitisyon, yon nasyon » (Un peuple, une Constitution, une Nation). Plusieurs hautes pointures de la Cité christophienne sont intervenues dans les discussions et ont mis en exergue l’importance de ces débats au sein de la société sur la réforme constitutionnelle. C’est le cas du Recteur de l’Université publique du Nord du Cap-Haïtien (UPNCH), le Dr Joram Vixamar, une sommité locale, par ailleurs membre du Comité de pilotage de la Conférence Nationale.
C’est lui qui représentait l’organisme lors de ces deux journées d’assise dans le département du Nord et au nom du Comité apportait ces précisions lors de la clôture : « l’objectif de ces assises est de collecter des données et de prendre les propositions de tous les groupes sociaux sans distinction aucune en vue de réaliser les trois grands chantiers qui constituent la mission du Comité de pilotage, comme : la révision de la Constitution en vigueur ; l’élaboration d’un nouveau projet de société pour Haïti, et l’établissement de nouvelles relations entre l’État et la société, notamment la société civile et les partis politiques, de même que les principales réformes dans le système juridico-politique.
Le Comité de pilotage a planifié un agenda de travail selon lequel des assises seront organisées dans chaque département d’Haïti et dans les pays ayant une grande représentativité de la diaspora haïtienne pour, enfin, terminer avec des assises générales à Port-au-Prince, question de statuer sur toutes les propositions qui sortiront de toutes les assises départementales et celles organisées au niveau de la diaspora haïtienne. Les assises ont actuellement débuté dans le grand Nord, à savoir : le Nord, le Nord-Ouest, le Nord-Est, l’Artibonite et le Centre. La période du 5 au 6 février 2025 est réservée aux départements du grand Sud du pays pour le déroulement des assises. » Avant Dr Joram Vixamar, c’est Me Sadrack Ordena, qui, dès le premier jour, avait partagé avec l’assistance l’objectif de ces rencontres. Dans le Plateau central, à Hinche, la même opération s’est répétée au cours de la même semaine. Là aussi plusieurs têtes d’affiche régionales se sont exprimées lors de ces journées d’assise organisées par le Comité de pilotage.
L’ex-député Franck Lauture, également membre du Comité de pilotage de la Conférence nationale, s’est émerveillé pour ces initiatives pouvant permettre, selon lui, aux citoyens de s’emparer du projet de la réforme constitutionnelle sous la houlette du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). En grand défenseur du projet, il intervenait à la clôture en tant qu’organisateur de ces journées dans le département du Centre. Franck Lauture s’extasie quand il prenait la parole en déclarant : « La Conférence nationale sur la réforme constitutionnelle est une nécessité. Nous avons pris plus de trente ans pour arriver à cela. C’est une bonne chose parce que certains articles tombent en désuétude. Sur certaines évolutions, nos lois sont inexistantes, révolues ou inappropriées. Deux cents ans après l’indépendance, nos lois sont muettes sur des infractions même de simple police.
C’est pourquoi il est grand temps que les grands commis de l’État et de la Société civile se mettent en synergie pour réviser non seulement la Constitution de 1987, mais aussi les différents codes et les traités, y compris les accords avec d’autres pays. Ces assises pour la révision de la loi mère vont permettre aux paysans des zones les plus reculées du pays de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux et d’avoir accès à une justice plus saine et équilibrée ». D’autres intervenants, tout aussi imprégnés de ce projet, se projettent dans le futur comme c’est le cas de Me Peterson Mauricette, professeur de droit constitutionnel à l’École de droit de la ville de Charlemagne Péralte (Hinche), déclarant lors de sa plaidoirie pour le concept : « Cette révision s’avère aujourd’hui essentielle dans le développement de nos mœurs et coutumes, car l’actuelle Constitution, en raison de sa faiblesse, représente un danger sur le plan du développement et pour la protection des droits des citoyens ». Il est suivi et appuyé par son confrère et collègue, Me Lérès Jean-Baptiste, qui cloue au pilori la Charte fondamentale de 1987 qui, selon lui, n’est plus d’usage. Pour cet avocat : « Ce projet de révision constitutionnelle doit répondre à une école de formation politique pour briguer un poste électif, déterminer un nouveau régime politique (régime présidentialiste) pour le pays en passant par l’adoption d’un Parlement monocaméral avec une diminution des représentants au niveau local. Ces changements vont contribuer à corriger certaines dérives dans la société, et le pays sera plus armé pour contrer les délinquants. Ce n’est pas uniquement la Constitution qui est dépassée. Ce sont aussi nos institutions. Nos codes sont eux-mêmes très controversés. Il nous faut les renouveler pour qu’ils soient en conformité avec nos mœurs, nos coutumes et les nouvelles technologies de communication. » (A suivre)
CC