D’un Juillet de douleur nationale à un Juillet d’héroïsme De l’occupation d’Haïti en 1915 à la Moncada cubaine

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Rebelles capturés après l'attaque de la caserne Moncada. Complètement à droite se tient Fidel

Entre le tremblement de terre du 7 mai 1842 qui secoua Haïti d’un bout à l’autre avec entière destruction du Cap-Haïtien et celui du 12 janvier 2010, il y eut en Haïti un séisme d’une autre nature qui aura sapé les fondements d’indépendance et de souveraineté du peuple haïtien, une violente secousse géopolitique causée par les «Blancs» qui débarquaient le 28 juillet 1915. Un Juillet de douleur nationale lorsque «chut le grand mât et s’effondra le chœur / La pierre incorruptible avait quitté sa couche». Et ce fut l’Occupation américaine de 1915 à 1934 : une immense et sanglante déchirure dans le tissu social et mental haïtien. Car en plus d’être venus nous «enseigner avec la honte / la délation et la servilité», les yankees ont impitoyablement liquidé la résistance caco et assassiné ses valeureux chefs, notre glorieux Charlemagne Péralte et son lieutenant Benoit Batraville.

Sans doute  l’occupation stabilisa la monnaie nationale, réduisit temporairement la corruption endémique dans l’administration publique et brisa la série de coups d’État militaires, sanglants à l’occasion, qui marquaient jusque-là les successions présidentielles. Mais par ailleurs, ce fut une vraie catastrophe pour le pays. Des milliers de carreaux de terre furent sacrifiés, concédés à des capitalistes qui s’abattirent sur le pays comme une nuée de sauterelles. La majorité des terres accordées faisaient partie des riches plaines du nord de la vallée de l’Artibonite. «Dans le Nord, écrit Georges Séjourné, on expulsa 50.000 Haïtiens dont un grand nombre émigrant en République dominicaine fut victime des vêpres trujillistes d’octobre 1937».

Pendant les 19 ans d’occupation, plus de 300.000 Haïtiens abandonnèrent le pays pour ne plus revenir. Selon Suzy Castor, «l’émigration clandestine représentait entre le tiers et la moitié de l’émigration légale…pour l’année 1920, on estimait à environ 50.000 hommes les émigrants haïtiens à Cuba». Parallèlement se développa un prolétariat agricole plutôt saisonnier et du reste noyé dans la masse paysanne qui travaillait sans salaire aucun au rythme d’une impitoyable corvée, «la plus grande maladresse que nous ayons commise», confessait un officiel américain.                                                                      À la fin de l’occupation, la majorité de la population se trouvait dans le même état de misère, d’ignorance, de superstition, de délabrement et de retard qu’avant 1915. Les violentes répressions de la population qu’on avait désarmée contribuèrent à éloigner la paysannerie de la scène politique et à la rendre apathique, faisant ainsi d’elle une proie beaucoup plus facile et malléable pour l’élite pourrie détentrice du pouvoir : les féodaux, la bourgeoisie import-export et les politiciens corrompus dokale.

Défilé militaire de marines, en 1915, foulant aux pieds notre souveraineté.

Sous l’occupation, l’économie haïtienne devint complètement dépendante des Etats-Unis, le commerce fondamentalement orienté vers le pays de l’Oncle Sam. Un emprunt en 1922 vint lier solidement le pays. Cette dépendance entraîna la subordination de notre monnaie. Mieux, ou pire, le gouvernement haïtien ne pouvait, sans autorisation expresse de l’occupant, disposer d’un seul centime pour les dépenses publiques. De sorte que dépendant «dans le domaine de la production, du commerce, des finances publiques, Haïti n’était simplement qu’un appendice des Etats-Unis vulnérable à toutes les vicissitudes de l’économie américaine».

L’aspect le plus négatif et le plus pernicieux de l’occupation fut la mise en place d’une armée pour combattre le peuple, le réprimer au moindre signe de rébellion contre le statu quo de l’occupation, contre les intérêts américains. Le renforcement du pouvoir de la police rurale, et la centralisation militaire elle-même étaient telles que le pouvoir politique était concentré à Port-au-Prince. Il ne restait plus rien de l’esprit de la première armée indigène, celle qui pouvait prétendre assumer une mission patriotique, malgré ses dérives et ses excès. Les campagnes pacifiées, l’occupant se tourna vers les villes où certains intellectuels étaient trop remuants à son goût. Et au sein de la classe moyenne,  les marines trouvèrent les gens qu’il fallait pour assurer la répression.

Au final, ce mois de Juillet 1915 a été un mois très sombre, douloureux pour les patriotes haïtiens qui ont vu les yankees, grâce à leur puissance militaire et économique, humilier la souveraineté nationale, pénétrer et vassaliser notre économie, créer un état de complète dépendance, déposséder la paysannerie forcée à l’exil vers les champs de canne à sucre de Cuba et de la République dominicaine, renforcer des conflits historiques, comme le préjugé de couleur, et consolider la centralisation fiscale, marchande et militaire.

«L’occupation n’améliora rien et compliqua presque tout». Ce fut un désastre dont le pays n’arrive pas encore à se relever.

Comparé à ce Juillet de malheur et de douleur pour Haïti, quelle fierté et quelle gloire pour nos sœurs et frères cubains le souvenir de ce 26 Juillet 1953. Juillet d’héroïsme quand un groupe de 150 jeunes révolutionnaires, conduit par Fidel Castro, a mené une opération contre la caserne de la Moncada située à Santiago de Cuba. Cette attaque devait donner le signal d’un soulèvement général contre le dictateur Batista, qui avait pris le pouvoir par la force et avec l’aide des USA, le 10 mars 1952.

Ce coup d’état militaire, avec l’alliance de l’impérialisme yankee, précipita Cuba  dans un retard terrible, une grande crise politique, et instaura une dictature sanglante. Dès le début, il y eut une prise de conscience de la gravité de la situation dans laquelle Batista avait plongé le pays et de l’absence d’une force politique capable de faire face à la tyrannie et de la renverser. Il fallait bouger.

Un noyau initial de lutte se consacra à la création et à l’instruction des premiers groupes de combat, avec l’idée de participer à la lutte commune avec toutes les autres forces d’opposition. Mais ces dernières emmêlées dans des luttes internes pour le pouvoir et les ambitions personnelles n’avaient pas la détermination nécessaire pour lutter et  renverser la dictature de Batista. C’est alors que Fidel, déjà sur le terrain et convaincu qu’il ne pouvait rien attendre de ceux qui, jusqu’ à présent, avaient l’obligation de diriger le peuple dans sa lutte, prit la décision de mener à bien la Révolution.

C’est ainsi qu’un groupe de jeunes, dirigé par Fidel Castro, se donna pour tâche de préparer, comme première étape, l’attaque de la caserne Moncada à Santiago de Cuba et de celle de Carlos Manuel de Céspedes à Bayamo, actions qui ont été menées le 26 juillet 1953. Juillet héroïque car malgré la détermination, le courage et le nationalisme des forces révolutionnaires, les deux attaques se soldèrent par un échec. Mais ce n’était que le début de la lutte de jeunes patriotes, conscients et déterminés pour la libération de leur pays.

Le plus difficile dans l’assaut à la “Moncada” n’était pas d’attaquer la caserne et de la prendre, mais plutôt le gigantesque effort d’organisation, de préparation, d’acquisition de ressources et de mobilisation. Les efforts ont été frustrés à la minute culminante et finale de la prise d’assaut. Des facteurs accidentels désarticulèrent l’action. Beaucoup de ces jeunes, courageux, ont été vilement assassinés et d’autres emprisonnés après une résistance tenace à la soldatesque de Batista.

Comme il a été dit dans le Rapport Central du 1er Congrès du Parti communiste cubain: « L’assaut de la Moncada n’a pas signifié le triomphe de la Révolution à ce moment même, mais a indiqué le chemin et a tracé un programme de libération nationale qui ouvrirait à notre patrie les portes du socialisme. Dans l’Histoire, les revers tactiques ne sont pas toujours synonymes de défaite. »    

En effet les participants à ce mouvement révolutionnaire devenu le Mouvement du 26 Juillet avait élaboré un programme qui entrerait en action une fois acquis le triomphe de la révolution.  C’est celui-là qui a été implanté lors du triomphe définitif le 1er janvier 1959, avec l’entrée à la Havane des guérilleros conduits par le Che et Camilo Cienfuegos.

Juillet héroïque pour une jeunesse cubaine déterminée. Malgré une défaite initiale, le processus révolutionnaire avait juste commencé et allait passer par plusieurs étapes: l’exil au Mexique, le retour à Cuba à bord du Granma le 2 décembre 1956, l’héroïque et glorieuse guérilla dans la Sierra Maestra, la défaite de la puissante armée de la dictature, l’entrée des guérilleros à la Havane avec Che et Camilo (1er janvier 1959) ; l’entrée triomphale de Fidel à la Havane le 8 janvier 1959 ;  l’établissement d’un gouvernement authentiquement révolutionnaire ; la loi de la réforme agraire (mai 1959) ; la nationalisation des banques, raffineries de pétrole et centrales sucrières américaines ; la campagne d’alphabétisation ; surtout, la proclamation du caractère socialiste de la Révolution (16 avril 1961).

Depuis malgré vents et marées contre-révolutionnaires, malgré les mesures criminelles des différentes administrations états-uniennes, Cuba «le premier territoire libre d’Amérique» est devenu le phare avancé des peuples en lutte en Amérique latine et partout ailleurs dans le monde. En matière d’éducation, de santé, de loisirs, de développement artistique et culturel à portée d’une jeunesse enthousiaste, la Révolution cubaine issue de cet héroïque 26 Juillet aux portes de Moncada est un modèle non seulement pour l’Amérique latine mais aussi pour quasiment tous les autres pays du monde s’il faut se rapporter à plusieurs déclarations émanant de l’ONU, de l’OMS, de l’UNICEF et d’autres organisations internationales honnêtes et prestigieuses.

Elle a montré la voie au Nicaragua, au Venezuela, à la Bolivie, à l’Equateur et aux mouvements pacifiques, progressistes, comme le Mouvement des Sans-Terre du Brésil qui sont convaincus qu’un autre monde est possible, un monde d’entraide, d’internationalisme, de fraternité, de bel humanisme, un monde qui se situe à des années-lumière de l’égoïsme, du gaspillage, de l’exploitation, du profit à outrance à l’honneur dans le système capitaliste, dépravé et vorace.

Aujourd’hui, pendant que nous Haïtiens, commémorons un 28 Juillet charriant de douloureux souvenirs, nous célébrons avec nos sœurs et frères cubains leur héroïque 26 Juillet qui a été leur première étape de lutte jusqu’à parvenir à leur glorieuse Révolution, qui les a emmenés à leur deuxième Indépendance. Le 1e janvier 1804 a été la date de notre Indépendance dont les fruits nous ont été ravis par les pouvoirs impériaux français et états-uniens. Nous saurons forger, le temps venu, notre seconde indépendance, un 28 Juillet héroïque qui viendra laver l’opprobre et l’humiliation de 1915.

 

 

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