Du monde politique au monde agricole: quête de légitimité de Jovenel Moise !

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Jovenel Moïse et Guy Lafontant incapables de sortir les milliers de leurs compatriotes des temps sombres de la disette et de la boue dans la Grande Anse identifie tout à coup les moyens d’accomplir une petite « révolution » dans l’Artibonite.

Au cœur de l’arène politique troublante marquée par une campagne électorale au goût d’inachevé sans cesse actualisée par une frénésie velléitaire de rupture avec le régime mickiste précédent, Jovenel Moïse, prolongement de l’expérience politique de Michel Martelly, tente de prendre à témoin l’opinion publique d’une kyrielle de mesures, servies à dose homéopathique, les unes plus farfelues que les autres. Sans pouvoir montrer la preuve de la rupture annoncée avec son prédécesseur, Moïse a le goût des symboles et des promesses non encore tenues. Après avoir déçu les milliers de citoyens de la Grande Anse et du Sud, appelés à diluer l’amertume de leur misère post- cyclonique dans l’ivresse du carnaval, ce mauvais ferment de la désinvolture, de l’inconscience, de la bestialité, de cette mare puante, où  prolifère et prospère le mensonge, ce marigot pourri où se côtoient des affairistes sans scrupule, des opportunistes tarés et des combinards sans honneur. Trois jours de raillerie aux Cayes  sont scénarisés en face d’une population qui troque sa dignité contre les bols de riz des organisations non gouvernementales, vivant dans des grottes, faute d’abris, encore en 2017. Et c’est au cœur de ce désarroi, que vivent des milliers d’haïtiens humiliés et déshumanisés (auxquels on ne pense qu’en période électorale) que surgit le cri de Moïse dans la Vallée de l’Artibonite, rempart à la grogne du Sud, comme à la veille de l’assassinat de l’Empereur le 17 0ctobre 1806.

Loin de montrer sa capacité à affronter les défis des haïtiens périphériques, Jovenel Moïse ne s’est pas révélé un homme d’action qui révolutionne les esprits, les pratiques, par le volontarisme et des talents de panser les plaies d’une tragédie. Puisque le cas de la Grande Anse signifie l’effondrement des valeurs de partage, de solidarité des haïtiens les uns envers les autres. Et la présidence inaugurale de Jovenel Moïse- trois mois déjà au pouvoir- renvoie les sous-citoyens des départements sinistrés à leur état précédent, où se conjuguent l’atrophie des institutions locales, la confiscation des ressources par les autorités de Port-au-Prince. Le contrôle de ces ressources, leur mode d’allocation réinvestissent le président de la République dans ses fonctions de souverain, décideur solitaire, monarque qui donne l’impression d’être capable de transformer la vie et la société des haïtiens. C’est par ce biais qu’il est intéressant de comprendre comment se construisent de nouvelles pratiques politiques dans un lien permanent avec la rhétorique de la rareté des ressources. C’est sous cet angle d’analyse qu’il faut saisir l’initiative de Jovenel Moïse d’annoncer ce qu’il appelle pompeusement « la caravane du changement ».

Sans se montrer exigeant du contenu de ce slogan, puisque le changement ne se décrète pas, il est le résultat d’un compromis entre les principaux acteurs de la société aux termes d’un diagnostic, et de la nécessité de codifier de nouveaux comportements dans un « contrat social », un art de concilier les irréconciliables. Le changement ne signifie pas la négation d’un agenda, d’une méthode et de la définition de résultats. Et sans qu’on ne puisse définir ce qu’est cette « caravane du changement », les citoyens apprennent que les ressources dont dispose Haïti, à partir du 1er mai en cours, sont désormais affectées à la vallée de l’Artibonite : «197 330.000 gourdes pour les activités agricoles et 100 millions de gourdes pour le renseignement et la sécurité du chef de l’Etat, 200 équipements lourds du TPTC et du CNE sont déjà placés dans l’Artibonite » en vue de réhabiliter «  197 kilomètres de canaux d’irrigation, 87 canaux de drainage et 100 kilomètres de routes agricoles. »Que peut-on comprendre de cette nouvelle dynamique introduite par les relations entre le champ agricole et le champ politique ? Quelques observations :

La première observation est l’intensification des moyens de communication mobilisés par l’exécutif haïtien et les représentations auxquelles leur usage renvoie. C’est un président qui agit parce qu’il s’investit, se met en scène  au cœur de la Vallée de l’Artibonite, terre rebelle aux opérations de confiscation des terres des plus faibles, lieu de consécration de la pègre mafieuse des agents de l’ODVA (Organisation du Développement de la Vallée de l’Artibonite). Au milieu des paysans réunis pour la circonstance, le président par un verbe performatif, met à la portée des « pauvres » comme il le dit sans les opposer aux « riches », le rêve qu’il porte depuis deux mois de nourrir ses compatriotes.

Quelques équipements et matériels flambant neufs de l’Etat à la disposition de la Caravane

Moïse incapable de sortir les milliers de ses compatriotes des temps sombres de la disette et de la boue dans la Grande Anse identifie tout à coup les moyens d’accomplir une petite « révolution » dans l’Artibonite. L’opinion est placée ainsi devant une opération de falsification du réel, une illustration menteuse de la responsabilité d’un président de la République qui ne profite qu’à la désaffection des haïtiens pour la politique, eux  qui ne croient plus en l’homme providentiel, ayant la volonté de changer leurs conditions et capable de rompre avec les alliances, le poids et l’influence de l’oligarchie. La convocation de l’opinion publique, associée à la charge symbolique du premier mai pour le lancement de « la caravane du changement » témoigne de l’enjeu politique que porte la question du contrôle et d’allocation des ressources dans un processus de redéfinition des relations de la politique avec le champ agricole.

Les fonctions du « machin »

C’est la deuxième observation : l’initiative de la « caravane du changement » a une double fonction : d’abord, la pénétration de l’exécutif haïtien dans un champ nouveau de construction des rapports d’intégration des acteurs présents au sein des communautés rurales haïtiennes. Ils sont sommés de se faire connaitre auprès du président de la République qui dispose de la capacité de désigner, d’exclure ses interlocuteurs du champ agricole. Ensuite, les nouvelles règles d’accès aux ressources, le choix des structures de contrôle de ces ressources naturelles   rares, puisqu’elles sont en quantité limitée (eau, terre,…) et d’autres ressources matérielles (engins lourds, mécaniques…) relèvent des attributs désormais du président de la  république. Lui seul dispose de la capacité d’édicter de nouvelles règles qui n’excluent pas la privatisation des ressources, la formalisation des règles d’accès, la reconfiguration de cadastrage des droits fonciers. Ces réformes ne font pas l’objet de consensus entre les acteurs, elles ne sont pas soumises jusqu’à présent au parlement, elles excluent même le premier ministre qui est pourtant le chef du gouvernement ; c’est-à-dire, celui qui gouverne face à un président qui préside. C’est le président qui décide de l’allocation des ressources rares, de l’articulation des ministères : « Sous mon leadership, j’ai mis la caravane de changement impliquant les ministères des travaux publics de l’agriculture, de l’environnement, de la défense, le CNE et l’ODVA » a expliqué Jovenel Moïse.

La signification politique est double : d’abord, montrer à ceux qui en doutent que c’est lui , le président qui décide, qui définit désormais une nouvelle implication des autorités ministérielles. La construction d’une autorité exécutive ascendante ne souffre d’aucune ambigüité. La communauté politique est désormais associée à des champs de construction de nouvelles autorités dépendantes de l’exécutif haïtien.

La deuxième signification : le fait d’être dispensé de toute loi d’origine parlementaire, rend Moïse libre de ses mouvements, et la non production de toute loi le met à l’abri d’une légitimité à partager avec le Premier ministre, non plus avec le parlement. Il est privé de ses droits de s’exprimer : le pays est mis devant le fait accompli. Il s’agit d’une idée portée par un homme en quête de légitimité, élu , soulignons le avec 500.000 voix sur un corps électoral de plus de 4 millions d’habitants. La quête de légitimité oblige Jovenel Moïse à court-circuiter les formes transactionnelles avec les figures qui dominent le Parlement et qui ont une influence suzeraine sur le département de l’Artibonite. L’économie d’un débat au parlement, sur une question de si grande importance, est une anomalie démocratique.

S’agirait-il d’un démantèlement des formes de propriété dans l’Artibonite ? S’agirait-il d’un modèle où les communautés agricoles auront leur mot à dire sur la politique agricole, sur l’accès aux intrants agricoles, aux crédits financiers ? Assisterait-on à l’émergence d’une citoyenneté rurale, qui serait partie prenante de la « politique agricole » à l’ère de Jovenel Moïse ? Les paysans auraient-ils de nouveaux droits de propriété privée ? L’Etat prendrait-il ses responsabilités pour l’arrêt graduel  des millions de tonnes de riz d’origine nord-américaine déversés sur le marché haïtien ? Quel est le rôle de l’environnement dans l’organisation des espaces agricoles ? Les externalités négatives représentées par l’usage des pesticides, des polluants du sol seront-elles prises en compte dans cette nouvelle politique agricole ? Autant de questions auxquelles la « caravane du changement » ne répond pas ; mais il s’agit autant de questions auxquelles Jovenel Moïse a des réponses. Dans une démocratie, une telle pratique qui rend éloge à la non-transparence, l’ambigüité, le sous-entendu est une sottise qu’il convient de corriger au plus vite. La construction d’un président en mal de stature, qui souffre d’un déficit  d’image positive dans l’opinion publique ne peut être un handicap aux jeux institutionnels, à l’institutionnalisation de l’Etat. La reconfiguration des rapports de Jovenel Moïse avec les espaces ruraux, dans un processus de légitimation, de  renforcement , d’élargissement de sa base des popularités , dans la perspective d’une rupture avec le PHTK et le clan mickiste, peut faire l’objet d’interprétations dans les milieux politiques où certains risquent de s’opposer de façon ouverte ou dissimulée, à l’idée de l’ancien entrepreneur .

Cette opposition est sans doute existante ou dans les limbes. Le discours provocateur de Jovenel Moïse renseigne alors sur cette constante fondamentale de l’histoire politique haïtienne. Sur un ton peu courtois, Moïse s’emporte:

« Je demande au petit groupe qui ne veut pas voir les choses avancées de me suivre. Pa kanpe anfas mwen (traduction française : Ne vous tenez pas au travers de mon chemin) parce que c’est moi qui suis le président) »….. Lorsque je dis quelque chose, je le fais ! Je veux que tout le monde sache que je ne suis là pour me battre avec personne. Mais je viens me battre contre la misère, le sous-développement, la division et la médisance –  je vous demande avant de frapper encore plus fort de vous rendre dans la vallée de l’Artibonite qui se trouve à 1h10 minutes de Port-au-Prince. Vous qui tous les jours parlez en mal, aller dans la vallée écouter les témoignages des gens et au retour, faites une prise de conscience pour voir que ceux qui vivent dans les sections communales ne peuvent plus attendre… » -(Le Nouvelliste, 2 mai 2017)

La forte exposition du président de la République, en première ligne, qui ne le met pas à l’abri des critiques de ses erreurs participe alors des processus contrastés des réformes portées en catimini, sans méthode et sans contenu explicite. Elles suscitent des reconfigurations sournoises domination/ affaiblissement/ stagnation que l’opposition au sein même des communautés rurales risque de mettre en œuvre. Le fait pour Jovenel Moïse de ne pas adopter la méthode participative des acteurs de la communauté agricole à son projet, pardon ! son idée ! réactualiserait les logiques de blocage, de résistance, « d’appropriation » et de « réinterprétation » au niveau local des actions mises en œuvre par le président de la République. Des acteurs sont prêts à s’impliquer non pas dans une espèce de fourre-tout incompréhensible, mais dans une dynamique forte pensée qui s’ouvre aux mutations concomitantes des divers champs anthropologique, économique, sociaux, politiques où des acteurs (ONG, entrepreneurs de la diaspora, organisations bancaires, institutions internationales..) pour une redéfinition d’une politique agricole globale et stratégique, dans un environnement géopolitique en recompositions permanentes.

Jacques NESI

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