Du calme à l’effervescence

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1706
Le soulèvement général des esclaves ordonné par Boukman, la fulgurante effervescence de la nuit du 21 au 22 août 1791.

Saint-Domingue, au temps où sévissait l’esclavage. Les bateaux négriers arrivaient, déchargeaient leur marchandise – le bétail humain venu d’Afrique – et repartaient pour ramener d’autres cargaisons de bêtes de somme. La colonie assurait la richesse de la métropole qui menait belle vie et jouissait de vaisseaux bien gréés. L’esclavage pouvait bien durer mille ans pourvu que le calme régnât, pourvu que la négraille acceptât, sans broncher, le fouet, les privations de toutes sortes, les punitions corporelles les plus inhumaines ; un travail exténuant, dans les champs, du matin au soir, et un état permanent d’humiliations plurielles.

Pour le colon, c’était bien compter mal calculer. Le calme n’était qu’apparent. Toute bête acculée finit par mordre. Et ce fut l’effervescence de la cérémonie du Bois Caïman dans la nuit du 14 août 1791, l’acte fondateur de la révolution et de la guerre d’indépendance. Et ce fut Fatiman. Et ce fut Boukman. Et ce fut le sang du cochon qui gicla pour que chacun en bût et fît le serment de vivre libre ou mourir. Et ce fut l’effervescence insurrectionnelle, ravageuse, destructrice, dévastatrice portée par une vague ignée tout en œil pour œil, dent pour dent, violence pour violence.

Et ce fut le soulèvement général des esclaves ordonné par Boukman, la fulgurante effervescence de la nuit du 21 au 22 août 1791 ; nuit de feu, nuit d’habitations en flammes, nuit de cris de haine, d’assouvissement de colère trop longtemps retenue où les esclaves de cinq habitations brûlèrent celles-ci et massacrèrent les Blancs, femmes et enfants compris. Boukman s’avança jusqu’au Cap-Français, où les autorités coloniales ripostèrent avec des moyens supérieurs,  et périt au combat.

En 1802, Napoléon Bonaparte avide de rétablir à Saint-Domingue le calme esclavagiste, terrorisant d’avant la révolte du 21 au 22 août 1791, envoya son beau-frère, le général Leclerc à la tête d’une armée de 20 000 hommes pour « donner une leçon » à la négraille trop hardie, frekan, et qui, à son goût, te depase l.

C’était sans compter avec la ferveur de l’effervescence bois-caïmane qui n’avait jamais déserté « l’âme » des opprimés de Saint-Domingue, une lwa Boukman qui dansait encore dans la tête des esclaves ; c’était sans compter avec la fougue, le génie du stratège Jean Jacques Dessalines, la bravoure d’un Capois-la-Mort, le savoir d’artilleur de généraux servant la cause sacrée de l’indépendance et, surtout, l’électrisant grenadye-alaso-sa ki-mouri-zafè-a-yo animant la masse des esclaves. Et ce fut l’effervescence guerrière finale du 18 novembre 1803 tout en mitrailles, en boulets de feu, en prise victorieuse de la butte Charriers et en reddition des Français, qui consacra l’apothéose d’une geste inoubliable et unique dans l’histoire de l’humanité.

Boukman, la fulgurante effervescence de la nuit du 21 au 22 août 1791

Mais la France revancharde, rancunière, battue, humiliée, militairement lilliputisée, n’avait pas oublié. Elle prit son temps, le temps pour les traîtres au fondateur de la nation de s’installer au pouvoir, de jouir du confort du pouvoir, des agréments du pouvoir ; le temps de ramollissement sinon de dissolution de l’esprit dessalinien ; le temps de former des membres d’une élite acquise à la France et de les retourner au pays avec « kanson boufan nan janm et veste en martingale »; le temps de former une clique accapareuse de terres, le temps de refouler les nouveaux libres dans « le pays en dehors ».

La France voulait ramener le calme dans les esprits de ceux qui avaient été « victimes » de la « barbarie » de la nuit du 21 au 2 août 1791 et du koupe-tèt-boule-kay. Elle voulait que le calme règne aussi au sein de cette élite qu’elle tenait à former dans une perspective d’esclavage mental, de pleine adhésion linguistique, culturelle au pays de « nos ancêtres les Gaulois aux yeux bleus ».

Arriva le 17 avril 1825. Selon une ordonnance du roi Charles X, le peuple haïtien fut sommé de verser à la France, pendant cinq ans, la somme de 30 millions de francs-or (150 millions au total), à titre de dédommagement (sic) des anciens colons. La somme fut ramenée par la suite à 90 millions. Haiti prise au piège (il y avait 14 navires de guerre français en rade de Port-au-Prince) fut obligée d’emprunter la somme du premier versement à des banques françaises qui en fixèrent anormalement le montant des intérêts à 6 millions de francs.

Cette « dette de l’indépendance » absorba toutes les richesses du pays. Les recettes de la production de café dont Haïti était un très grand producteur et exportateur étaient consacrées au remboursement. Un code rural impitoyable fut mis en place, exigeant un redoublement d’efforts de la part de la paysannerie. Le montant principal de la dette fut remboursé. Néanmoins les intérêts ont été perçus par la France jusqu’en 1947.

Le calme de la « dette de l’indépendance » demeura jusqu’en 2003. Personne, aucun chef d’État haïtien n’avait osé braver l’Élysée ou le Quay d’Orsay quant à l’immoralité de tant d’argent extorqué au pays : 21 685 135 571,48 dollars (valeur actualisée). Mais près de 200 ans après la déroute humiliante de l’armée française, peu avant les célébrations du bicentenaire du 1er janvier, c’est l’effervescence avec l’ancien président Jean-Bertrand Aristide qui engage une bataille post-indépendance avec la France. La première salve est sans ambiguïté : la France doit restituer l’argent, au centime.

Déjà, l’exigence de restitution était une gifle à la France mise sur la sellette d’une immoralité sans précédent dans l’histoire. Humiliée jusqu’au croupion, la « fille aînée de l’Église »  déclenche une vague d’effervescence contraire, politicienne, revancharde, mesquine, méchante, à l’encontre de toute éthique morale internationale. Elle dépêche auprès d’Aristide un commando politico-diplomatico-intellectuel dont faisaient partie un éminent philosophe, Régis Debray, et l’intrigante Véronique Albanel (Galouzeau de Villepin), sœur de Dominique Marie François René Galouzeau de Villepin, Premier ministre de Jacques Chirac. Les jours d’Aristide étaient comptés.

L’effervescence politique avait déjà été mise en chantier par les 184 bâtards de la bande grennnanboudate d’Apaid Junior. Elle fut amplifiée par un groupuscule signataire d’une Déclaration de principe sur le Bicentenaire qui affichait des intellectuels-elles, artistes et éducateurs -trices haïtiens-ennes déclassés qui sans nul doute avaient été mis au parfum par les officiels du Quai d’Orsay et de l’Élysée avec promesses de « récompenses ». Les charognards de Guy Philippe encouragés par les graines-au-cul et le laboratoire donnèrent le ton militaire à l’aventure vengeancielle de la France soutenue par les États-Unis. Celle-ci aboutit à l’effervesent feu d’artifice du kidnapping du 29 février 2004.

À en croire les intellos, les artistos et les éducatos dans leur Déclaration de principe, « les démarches de réparation et de restitution ne constituent aujourd’hui qu’une tentative désespérée du pouvoir pour trouver un bouc émissaire en couverture à son échec ». Les crétins aux basques du blan poban franse y allaient de toute leur rage anti-un seul homme, Aristide : « La dérive totalitaire, l’incompétence et la corruption qui caractérisent l’actuel gouvernement le disqualifient en ce qui a trait à la conduite de cette procédure [la restitution] ».

En récompense à leur antirestitutionalisme avorton, il y en a eu qui ont bénéficié de bourses, quelques-uns ont reçu par la suite des prix littéraires, d’autres sur des plateaux complices dans l’Hexagone ont scintillé de leurs feux (follets) anti-yon sèl moun : Aristide. Et comme les néocolonialistes ne se font pas prier pour délier les cordons de leur bourse, les négrillons domestiques au service du Blanc furent assurément bien servis.

Le calme politico-franco-états-unien revenu, on aurait cru que la « nécessité d’une réflexion, d’un dialogue voire d’une action à venir [pour la restitution] » serait le grand souci de nos nationalistes françhaïtiens pour relancer l’effervescence à forcer la main à la France. Hélas ! Jusqu’à ce jour, pas un coucou, pas un doudou, pas un foudou, pas un sousou, pas un toutou n’a repris le flambeau restitutionnel allumé par Aristide.

Pas un faiseur de lois, pas un faiseur de roi, pas un fèzè, pas un législateur, pas une législateuse, pas un sénateur, pas une sénateuse, pas un parlementeur, pas une parlementeuse, pas un auteur, pas une auteuse, pas un éditorialiste, pas un analyste, pas un synthésiste, pas un constitutionaliste, pas un intellectuel, pas un komokyèl, pas un sanpwèl, pas un matchopwèl, pas un candidat, pas une candidate, pas un malfrat, pas une malfrate, personne n’a osé parlé de restitution. Le Blanc après s’être servi d’eux leur a demandé de fermer leur dyòl et de rester, manigatement, « en réserve de la république », en réserve d’autres kidnappances.

Jaloux de son initiative hardie, les grennnanbounda et leur relève PHTKiste, ne font que rêver de leur avidité à se pourlécher les babines si jamais les 21 685 135 571,48 tombaient dans leur escarcelle. Mais le Blanc leur a dit : bann ti visye sou pòtay, allez tous vous faire foutre.

Certes, il y a eu depuis le 29 février 2004 pas mal de boulvès politiques au pays. Mais, pour l’essentiel le calme garant de la poursuite des mesures néo-libérales est resté tennfas avec les deux élus PHTK oints par l’impérialisme et ses suppôts de la bourgeoisie. L’opposition crétine comme elle seule a fait tant et si bien que les manifestations de rue contre Jovenel ont eu fini par s’étioler, à se dissiper même. L’arrivée de COVID-19 a été le dernier coup qui tua le coucou des manifestations.

L’ancien sénateur Moise Jean Charles

Mais, alors qu’on ne s’y attendait pas du tout, Moïse Jean Charles muré dans un silence depuis quelques mois fait son apparition, créant l’effervescence à la surprise de plus d’un, prédisant l’apocalypse, presque. Il en appelle à une gigantesque manifestation pour dire halte-là aux banquiers, aux élites, au secteur privé, au pouvoir, bref, à la malveillance en faux-col gouvernant le pays. Il fait aussi appel à « ceux qui se disent des intellectuels » leur demandant de prendre la tête de la gigantesquerie (sic). À renverser Jovenel ? Il ne l’a pas dit. On ne sait pourquoi.

Ce que sent Jean-Charles, je ne sais qui le boucane. Il a fait un signe de détresse aux ‘‘intellectuels-elles, artistes et éducateurs -trices’’ de la Déclaration de principe, tout ce beau monde qui a l’oreille de Paris et de Washington, mais qui a reçu les ordres de se taire, de se tenir coi, parce que le temps n’est plus aux nuages « menaçants » d’Aristide mais bien au beau ciel jovenellien qu’éclaire le soleil de Washington, de l’OEA, du Core group. Allons donc, Jean Charles ! Tekitizi !

En réalité, le leader de Pitit Desalin a voulu seulement créer l’effervescence ; de tout temps il a toujours aimé effervescer, déblatérer, tempêter, écumer, fulminer. Mais il sait trop bien que l’opposition est en brisure, en déconfiture, en débâclure, qu’elle ne peut mobiliser personne, surtout dans un contexte de COVID-19, et que ce ne sont pas ces intellectuels komokyèl san fyèl, sans cran, sans dents qui vont pouvoir former un leadership conséquent, mobilisateur.

Ce n’est pas seulement l’ancien sénateur Jean Charles qui effervesce. Le président Jovenel ne veut pas lui en laisser le monopole. Sans doute ennuyé par le calme causé par la confinance covide en cours, il a décidé d’effervescer, de faire du tapage médiatique, du tape-à-l’œil. Bride sur le cou, il se rend à Jérémie, le vendredi 10 juillet 2020, pour inaugurer l’aéroport de Jérémie, nouvellement réhabilité, en quatre mois à peine.

Il s’agirait d’un chantier de moins de 1 million de dollars, à entendre le président Jovenel Moïse qui a promis de transformer l’aérodrome en aéroport de standard international.  Des instructions formelles ont été passées à   l’Office national de l’aviation civile (OFNAC) à cet effet. Grosse affaire. Grosse effervescence. Mais on peut se rappeler que Martelly et son PM Lamothe avaient été aussi effervescents avec la construction d’un grand aéroport à l’Ile-à-Vache. Devinez.

En avril 2019, le journal en ligne Challenges déplorait que « six ans après, le site qui avait été choisi pour la réalisation de cet ambitieux projet reste consacré uniquement à l’élevage libre. En lieu et place des avions, [ce sont] des moutons (entre autres animaux) qui débarquent à longueur de journée sur la piste en terre battue. Selon des habitants de la zone, ce terrain abandonné reçoit assez souvent de petits appareils volants non identifiés transportant des marchandises suspectes. » Bonne chance, Jérémie !

L’effervescence de l’écriture dénonciatrice passée, revenons au calme de notre état habituel : une calme présence, sans effervescence aucune, aux côtés des luttes des masses haïtiennes appelées à vaincre les forces de la malveillance pour accéder à un autre monde, meilleur.

19 juillet 2020

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