Le vendredi 3 mars, peu de minutes après midi, l’ancien président René Garcia Préval a été annoncé mort à l’âge de 74 ans. Sur tous les réseaux sociaux une photo de son cadavre circulait déjà depuis quelques temps après l’annonce ; une façon juste de confirmer ou d’enlever le doute qui régnait chez certaines personnes.
Qui a pris la responsabilité d’agir de la sorte à l’égard d’un ancien chef d’Etat ; même quand il n’a jamais été un dirigeant visant le progrès du pays et du peuple haïtien ? Il ne se souciait que de lui seul et de sa petite clique, profitant des richesses du pays pour aller vivre éventuellement en prince à Marmelade, tandis qu’il recommandait aux masses de «nager pour s’en sortir ». Préval au cours de ses deux mandats n’a fait que plaire aux puissances tutrices. Pour louanger l’occupation du pays, il était arrivé même à dire, bien avant Michel Martelly, que sans les forces occupantes de la Minustah, il serait déjà victime de coup d’Etat.
Malgré tout, nous ne tolérerons pas que sa mort soit un coup monté par n’importe quel secteur, quel qu’il soit. En effet, la majorité des organes de presse du pays avait relayé la nouvelle de sa mort ; malheureusement sans poser la moindre question. Le devoir de la presse ce n’est pas simplement de rapporter mais de questionner même une quelconque vérité ; vu qu’il y a toujours quelque chose qu’on essaie de cacher. Personne n’est exempt d’une crise cardiaque, mais bien qu’on le sache, il faut toujours mettre en question le diagnostic et en avoir la preuve médicale.
Le bruit a couru à la vitesse de l’éclair, chargé de confusion à savoir : qu’il est mort chez lui en sa résidence à Laboule d’une crise cardiaque, selon certaines sources, alors que d’autres rapportent qu’il a été transporté à l’hôpital DASH de Laboule et que c’est là qu’il a rendu l’âme. Déjà on pouvait constater, que quelque chose clochait, et qu’il pouvait planer un certain mystère sur ce décès. Pourtant, dans un communiqué, le centre DASH Ste-Claire de Laboule confirme que c’est bien la dépouille du président qui est arrivée à midi 10 dans ses locaux. « L’équipe médicale en place n’a pu que constater le décès ».
En fait, qui avait droit de distribuer des informations sur le cas ?
Cependant dans une profession de foi faite par le député de Pétion-Ville, Jerry Tardieu, il a apporté des informations qu’on ne pouvait pas ignorer ni prendre à la légère. Elles serviraient quand bien même pour essayer de comprendre comment l’ancien président a trépassé ? « Je venais de le laisser en excellente santé, j’étais en route pour rentrer à l’hôtel Oasis quand on m’a annoncé sa mort; que je ne pouvais y croire, qu’après m’être rendu à l’évidence » a fait savoir M. Tardieu.
Déjà on annonçait les funérailles nationales pour le samedi 11 mars ; et le gouvernement sans questionner les faits déclarent 6 jours de deuil pour honorer l’homme de Marmelade. Et déjà une pluie de condoléances venue partout des personnalités politiques étrangères et locales pour saluer le départ de Préval ; alors que personne ne sait encore ou ne se soucie de savoir, la cause exacte du décès.
La mort subite d’un ancien président dans n’importe quelle circonstance exige qu’on le veuille ou non une autopsie. C’est difficile de savoir qu’il n’a pas même été prévu par l’Etat Haïtien, qu’un tel procédé est de mise quand les circonstances du décès ne sont pas tout à fait claires.
Mais le pays possède encore quelques hommes et femmes qui ne vivent pas dans les nuages. Ainsi, le président de la Commission justice sécurité et défense nationale du sénat, le sénateur Jean Renel Sénatus dans une correspondance adressée au ministre de la Justice Monsieur Camille Edouard, exige l’autopsie médico-légale de l’ex-président avant ses funérailles. «La commission vous serait gré, Monsieur le ministre, d’instruire le commissaire du Gouvernement, près le tribunal de première instance Port-au-Prince de diligenter une enquête dans l’espèce», a déclaré Edouard.
Il est également bruit que le matin du lundi 6 mars, une plainte aurait été déposée par la femme du défunt, Elizabeth Préval, au Parquet de Port-au Prince. Il est certain, comme l’a si bien dit l’avocat Claudy Gassant « que toute mort subite est suspecte, et mérite qu’une enquête sérieuse soit ouverte et que les gens qui l’ont [Préval] côtoyé aux dernières heures de sa vie soient questionnés ».
Pour l’histoire et l’édification de nos lecteurs, voici l’intégralité du récit de la visite du député de Pétionville Jerry Tardieu chez l’ex-président René Gracia Préval, publié par le quotidien le Nouvelliste.
Avec René Préval, durant ses dernières heures sur terre
Ce vendredi 3 mars 2017, à 9 a.m. pile, j’arrive chez l’ex-président René Préval à Laboule, ponctuel pour le petit-déjeuner auquel il m’avait invité avec insistance la veille. Pendant deux heures, autour des expressos que nous servait à répétition la sympathique Rose, nous allons échanger dans la bonne humeur et la plus parfaite convivialité. Serein, calme, détendu, l’ex-président Préval pétait la grande forme. Fidèle à son côté blagueur, de temps à autre, il refilait des calembours trempés d’humour dont lui seul a le secret. Absolument rien ne laissait imaginer qu’il allait rendre l’âme cinq minutes après m’avoir raccompagné à mon véhicule vers 11 heures du matin.
A l’heure où j’écris ces quelques lignes, je sens encore résonner en moi les ultimes paroles du président durant ces dernières heures sur terre. S’il avait demandé à me voir, c’était surtout pour discuter du dernier livre de l’agro-économiste Alex Bellande intitulé : « Haïti déforestée, paysages remodelés ». Dès mon arrivée, il m’en offre une copie en me recommandant sa lecture qui m’aiderait, me dit-il avec un large sourire, à mieux comprendre l’importance de légiférer au bénéfice de la production agricole nationale. Il me confia alors fièrement avoir lui même financé la réimpression de deux cent cinquante exemplaires pour sensibiliser les décideurs, tant au niveau de l’exécutif qu’à celui du législatif, à la justesse des analyses et des recommandations de Bellande.
D’un ton ferme, le président Préval m’explique que pour Haïti, la bataille de demain n’est pas politique, mais économique. Elle passe, me dit-il, par le développement agricole qui peut se faire de façon intelligente à travers une politique de reboisement audacieuse et différente. Grosso modo, pendant plus d’une heure, le président Préval va tenter de me convaincre du bien-fondé des thèses de l’auteur qui propose des solutions qui capitalisent sur l’expérience et le savoir-faire séculaire de la paysannerie haïtienne. Aucun reboisement n’est possible, me dit-il, sans y associer intelligemment et opportunément la paysannerie en les encourageant à planter des arbres fruitiers qui deviendront des sources de revenus. Pour René Préval, confier des projets de reboisement aux “scouts” ou aux écoliers comme on le fait depuis des lustres rime avec “ showbiz”. Lorsque l’on plante un arbre, qui de mieux que le paysan pour en assurer l’entretien et l’arrosage ? Personne, ajoute-t-il !
De ce point de vue, renchérit-il plus loin, la culture du bambou peut être une filière porteuse de développement économique. Le président Préval en veut pour preuve que sa production à Marmelade de milliers de bancs et bureaux scolaires a facilement trouvé preneurs. Il me dit alors que cette expérience devrait être répétée à volonté dans tous les départements du pays. Il me fait voir quelques échantillons de la dernière production de son atelier dont il me vante alors la dextérité des ouvriers.
En conclusion de notre conversation, le président Préval se réjouit que les nations en reviennent aujourd’hui à des politiques protectionnistes. La tendance est mondiale. Nous ne devrons pas y échapper. A ce propos, et pour épouser l’ère du temps, il m’invite à proposer une loi pouvant favoriser la production nationale de certains biens. Il m’en dessine les contours. Nous en discutons longuement. Il insiste. Je prends note.
Notre conversation animée est alors interrompue par l’arrivée de l’architecte Daniel Elie qui ne restera que quelques minutes. L’ex -président renchérit de plus belle sur le thème du développement endogène qui n’est possible que par le biais de la production agricole, la reforestation intelligente et la mise en capacité de la classe paysanne.
Durant ses dernières heures sur terre, le plaidoyer de René Préval a donc été pour les paysans haïtiens et la relance de la production nationale. Il l’a fait avec passion et conviction. Tout un symbole connaissant la trajectoire politique de cet homme qui s’est toujours voulu du côté des paysans opprimés qu’il a défendus inlassablement dans toutes leurs revendications.
Jusqu’à son dernier souffle, le président Préval n’a donc pas arrêté de parler de son rêve de modernisation pour l’agriculture haïtienne. C’est le dernier message qu’il me laisse, qu’il nous laisse. Pour avoir été le dernier à le voir, le dernier à lui parler, je me sentais dans l’obligation de partager ce dernier moment, ce dernier échange, ces dernières paroles.
On aime ou on n’aime pas René Préval. L’homme ne laisse pas indifférent. Certains lui reprochent un côté anarchiste, insouciant, anti-institutionnel même. D’autres lui reprochent son manque de poigne à certains moments où des décisions fermes s’imposaient. Mais personne ne peut remettre en question les qualités d’honnêteté d’un serviteur public qui n’a jamais accepté de goûter au miel empoisonné de la corruption, la simplicité de l’homme refusant avec intransigeance toutes les prébendes et les apparats du pouvoir, l’humilité du citoyen qui jusqu’au dernier jour vivait dans la simplicité.
Avant de prendre congé du président Préval ce matin, je lui ai demandé une faveur, celle de répondre positivement à mon invitation de participer à une soirée commémorative des trente années de notre Constitution le 29 mars prochain. Ce soir-là, je compte lancer les travaux officiels de la commission spéciale de la Chambre des députés pour la réforme de la Constitution.
Il a gentiment décliné mon invitation en me disant qu’il ne participerait plus aux efforts de réflexions sur la Constitution. J’ai déjà tout donné. J’ai déjà joué ma partition. L’heure de la relève est arrivée, me dit-il.
J’ai laissé le président sur cette fin de non-recevoir. Je suis quand même parti le sourire aux lèvres, satisfait d’une matinée agréable et riche en échanges instructifs. Moins d’une demi-heure plus tard, je reçois un appel du journaliste Gary Pierre Paul Charles m’annonçant la mort de René Préval. A priori, je n’y crois pas. Je remonte vers Laboule pour me heurter à la cruelle vérité. René Préval est bel et bien mort.
Je salue la mémoire d’un aîné qui m’a beaucoup appris des dures réalités de la vie politique haïtienne, d’un homme intègre et profondément humain, rempli de tendresse et de fidélité, à la fois stoïque et fourbi aux rudes épreuves du combat politique ; mais également sensible lorsque ce combat se transporte sur le terrain du cœur.
Adieu Président! Que le miséricordieux t’accueille dans sa grâce infinie. Je lui suis reconnaissant de m’avoir permis de passer avec toi tes dernières heures sur terre.