Par Gérard Le Puill
L’appel lancé le 25 avril à Genève par le secrétaire général de l’ONU pour trouver des fonds afin de venir en aide aux millions de personnes victimes de la famine en Afrique n’a guère trouvé d’écho cette semaine dans les médias français. Alors que des millions de tonnes de céréales dorment dans les silos, seuls 15% des fonds attendus par l’ONU depuis son appel de février dernier ont été collectés pour venir en aide à 30 millions d’Africains dont la vie est mise en danger par le manque de nourriture.
Les débats qui se déroulent en France dans le cadre de l’élection présidentielle ont relégué au second plan des questions comme la chute des cours pour les principaux produits agricoles dans le cadre du marché mondial d’une part et la famine qui sévit dans la Corne de l’Afrique d’autre part. Le 25 avril, le secrétaire général de l’ONU a lancé un cri d’alarme à propos d’une famine qui frappe désormais 17 millions de personnes au Yémen, soit environ 3 millions de plus qu’au mois de février dernier. « La famine peut être évitée, si nous agissons rapidement. Nous voyons une génération entière qui est affamée. Un enfant de moins de cinq ans meurt au Yémen toutes les dix minutes de causes évitables. Nous devons agir maintenant pour sauver des vies », a déclaré Antonio Guterres depuis le siège de l’ONU à Genève.
Son appel n’a guère été relayé. En février déjà il avait lancé un appel pour collecter 2,1 milliards de dollars, soit l’équivalent de 2 milliards d’euros. Mais cet appel de fonds n’a été financé qu’à hauteur de 15% a indiqué le secrétaire général de l’ONU mardi dernier. Or, si le Yémen est le pays qui compte le plus grand nombre d’habitants souffrant de la faim en Afrique actuellement, la famine frappe aussi près de 5 millions de personnes au Soudan du Sud, environ 4,5 millions au Nigeria, plus de 6 millions en Somalie où le bétail a été décimé ; la mort frappant même des dizaines de milliers de dromadaires pourtant adaptés aux zones semi-désertiques.
Pendant que les populations sont victimes de la faim, d’importants stocks de céréales dorment dans les silos des principaux pays exportateurs. Cette offre supérieure de quelques points à la demande solvable est utilisée dans les salles de marché pour spéculer à la baisse. En France, mi avril, le prix de la tonne de blé rendue au port de Rouen valait seulement 157€. Les cabinets de courtage observent au jour le jour l’évolution des stocks et celle du climat printanier trop sec en Europe de l’ouest. Ils veulent voir à partir de quand il conviendra de spéculer à la hausse, faute d’une pluviométrie opportune pour assurer de bons rendements en juillet prochain. La France est le premier pays exportateur de céréales de l’Union européenne et le blé en herbe manque d’eau depuis des semaines. Même si quelques averses sont annoncées dans les prochains jours, la FNSEA indique dans un communiqué que « des régions entières sont menacées par un déficit de pluviométrie, le plus bas enregistré depuis de nombreuses années, rappelant la situation de 1976 ». Ce qui inquiète beaucoup les paysans français confrontés à des prix trop bas pour les céréales, la viande et le lait. Arvalis, l’Institut du végétal, indiquait hier que « si les conditions sèches et/ou particulièrement froides persistaient, la situation deviendrait plus délicate, y compris dans les zones irrigables avec des disponibilités en eau réduites ou incertaines »
Beaucoup de blé dans les silos, mais rien dans les assiettes
Dans une étude qui va de 2009 à 20216, le magasine Chambres d’agriculture N° 1060 » nous montre que la tonne de blé en France ne valait que 130€ en moyenne entre le début de 2009 et juin 2010. Elle est montée à plus de 200€ au cours du second semestre 2010 pour dépasser 250€ au cours du premier semestre 2011. Ce prix de la tonne de blé est redescendu sous les 200€ en 2012 pour remonter à plus de 260€ en 2013. Comme la récolte mondiale de blé a été bonne en 2014, en 2015 et en 2016, le prix de la tonne de blé en France a oscillé autour de 200€ en moyenne pour 2014, de 170€ en 2015 et de 155€ en 2016.
Comme le blé est une céréale qui se conserve bien en silo, rien n’est plus facile que d’en gérer les flux de mise en marché. Il suffit pour chaque pays producteur de mettre en place un stock de sécurité permettant de couvrir les besoins sur quelques mois. La Chine et l’Inde, pays peuplés de près de 3 milliards d’habitants à eux deux pratiquent de la sorte. Quitte à importer de quoi maintenir ces stocks au niveau nécessaire en cas de mauvaise récolte au plan local. Les pays pauvres n’ont pas les moyens de stocker et les pays exportateurs nets considèrent généralement qu’ils n’ont pas besoin de le faire. L’Europe n’a plus aucune politique de gestion de marchés et préfère favoriser la spéculation. Les organismes stockeurs ont beaucoup de blé dans les silos alors qu’il n’y a rien à mettre dans les assiettes des populations qui meurent de faim dès lors qu’elles ne peuvent payer.
Du coup, les bonnes récoltes mondiales obtenues ces trois dernières années ont handicapé les céréaliers français. En 2015, déjà, les prix étaient trop bas ; mais les rendements étaient bons. Vendre plus de volumes permettait de s’en sortir à peu près. En 2016, une fin de printemps humide et sombre a fait chuter les rendements de 30% en France et a détérioré la qualité du grain ; tandis que les prix sont restés bas. Ils le resteront si la récolte mondiale de 2017 est aussi abondante que celles des trois années précédentes. Si les rendements devaient chuter fortement pour cause de sécheresse, le prix de la tonne de blé pourrait doubler en quelques mois, comme se fut le cas en 2007-2008 provoquant des émeutes de la faim dans de nombreux pays importateurs de céréales.
En attendant, les enfants du Yémen et d’ailleurs continuent de mourir dans l’indifférence générale des décideurs politiques dans monde comme il va, piloté par les spéculateurs.
Gérard Le Puill
L’Humanité 28 AVRIL 2017