De fusillade en fusillade: hommes et armes en folie

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Ce ne sont pas les armes à feu qui tuent, ce sont les balles.

C‘est encore arrivé, à Las Vegas. Une fusillade de trop. Le commun des mortels, en toute naïveté et crédulité ne s’y attendait peut-être pas, mais je parie que les esprits avertis n’ont pas été surpris de la tuerie de Las Vegas survenue le 1er octobre écoulé: la fusillade la plus meurtrière de l’histoire moderne des Etats-Unis avec 58 morts et plus de 500 blessés. En ce sens, les États-Unis sont “le pays développé le plus meurtrier au monde”, selon BFMTV. Las Vegas, ville de rutilants casinos, de jeux d’argent, de divertissements coûteux et de plaisirs exotiques, en est sortie assurément meurtrie, désemparée, déboussolée, désaxée, ravagée, autant par le bilan de la fusillade que par sa sauvagerie et le cynisme froid et méthodique de son auteur.

Une comptabilisation exhaustive de ces massacres prendrait bien plus que cette seule rubrique, et là n’est pas notre propos. Toutefois, un rappel des dix plus grandes tueries passées s’avère nécessaire pour bien mettre en contexte l’affreux carnage de Las Vegas. Le 16 octobre 1991, George Hennard, 35 ans, fonce dans un restaurant de Killeen au Texas avec sa voiture. Méthodiquement, il tue ses victimes d’une balle dans la tête: 22 morts, 27 blessés. Le 20 avril 1999, dans une école secondaire de Columbine, au Colorado, deux jeunes, Eric Harris et Dylan Klebold, tuent 12 de leurs camarades ainsi qu’un professeur avant de se donner la mort. Le 16 avril 2007, un étudiant d’origine sud-coréenne âgé de 23 ans tue 32 personnes avant de s’enlever la vie à l’institut universitaire Virginia Tech.

Le fou des armes, Stephen Paddock

Un psychiatre militaire d’origine palestinienne déclenche une grave fusillade sur une base militaire, à Fort Hood, au Texas, le 5 novembre 2009. Il tue 13 personnes et en blesse 42, avant d’être blessé et maîtrisé. À Binghamton, New York, le 3 avril 2009, Jiverly Wong tue 13 personnes et en blesse 4 autres dans un centre d’aide aux immigrants, alors que ces derniers se trouvaient dans une salle de classe. Le tireur s’est ensuite enlevé la vie. Au préalable, il avait ouvert le feu sur les deux réceptionnistes dont l’une avait survécu et appelé la police. Dans un cinéma d’Aurora, en banlieue de Denver, au Colorado, le 20 juillet 2012, James Holmes ouvre le feu sur les spectateurs. Il en abat 12 et en blesse 58.

Le 14 décembre 2012, Adam Lanza, âgé de 20 ans, abat 12 fillettes, 8 garçons et 6 adultes dans une école primaire de Newton, Connecticut, avant de s’enlever la vie. Préalablement, le tireur avait également tué sa mère. Le 2 décembre 2015, à San Bernardino, Californie, lors d’un déjeuner de Noël pour personnes mentalement handicapées, Tashfeen Malik, 27 ans, et Syed Rizwan Farook, 28 ans, sont abattus par la police après avoir tué 14 personnes et blessé 21 autres. Le 12 juin 2016, Omar Mateen, 29 ans, un citoyen américain d’origine afghane, ouvre le feu dans une discothèque fréquentée par la communauté LGBT d’Orlando. Bilan: 50 morts, 53 blessés. Il est finalement tué par les policiers.

Armes à feu au service du prochain cinglé qui voudra s’essayer à une énième tuerie.

On aura remarqué que ces attaques ont toutes été commises par des hommes. Tel a été le cas pour les multiples autres tueries avant 1991 et celles moins spectaculaires qui ont eu lieu entre 1991 et le tout récent carnage à Las Vegas. Pas une seule femme, à notre connaissance, pourquoi? Est-ce que dans l’imaginaire un peu détraqué de beaucoup d’hommes l’arme à feu pourrait être un prolongement ou un équivalent de leur petit zizi ? Auraient-ils quelque problème zizitique qui les porteraient à trouver une compensation, une satisfaction zizite dans l’utilisation violente d’armes à feu? Autant dire: hommes et armes en folie. Au secours les psys!

On n’aura jamais fini de déplorer ces attentats insensés, ces morts inutiles, tant de deuils et de désolation au sein d’innombrables familles. On ne trouvera jamais les mots suffisamment forts, justes pour partager la douleur des proches de ces victimes enlevées brutalement à leur affection et à leur amitié. Mais là où le bât blesse vraiment, c’est de savoir que les autorités concernées, pouvoirs législatif et exécutif confondus refusent de prendre quelque disposition que ce soit pour aller à la source du mal qui est l’accès illimité, débridé, effréné, insensé, intempestif, impulsif, itératif, répétitif, frénétique, hystérique à n’importe quel type d’armes, y compris et particulièrement les fusils semi-automatiques de type AK-47 ou M16 munis d’un chargeur à haute capacité en munitions.

Je pleure les miens tombés sous les balles d’un tueur fou, mais touche pas à mon deuxième amendement!

À la base de ce refus il y a la sacralité du second amendement de la Constitution, fondement de la défense du port d’armes. Démocrates, Républicains, tous y croient fermement. Le port d’armes est inscrit dans leur ADN. L’arme à feu est célébrée comme un objet culte. L’argument massue des “pro gun”, des Républicains, est le suivant: c’est parce qu’il n’y a pas assez d’armes qu’il y a de la violence. Un des slogans favori de la National Rifle Association (NRA), puissant lobby pro-armes à feu l’illustre bien: «Comment arrêter un sale mec armé d’un flingue? Avec un bon mec armé d’un flingue». D’après les partisans des armes à feu, si tout individu était armé, il n’y aurait pas de tueries. Vraiment? Si les 22 000 personnes présentes au festival de musique country étaient armées, le fou Stephen Paddock n’aurait pas abattu autant de monde! Ha! Ha! Ha! Mais à part les slogans, très percutants du reste, il y a la défense d’intérêts juteux, car ce sont 8,5 milliards de dollars de recettes par an qui profitent au lobby pro-armes à feu. Ainsi, on comprend mieux ce zèle “pro-gun”.

Du côté des “anti-gun”, du côté des Démocrates, on ne remet pas en cause le droit sacro-saint de porter des armes, mais on s’inquiète de leur prolifération: 88 armes pour 100 habitants aux États-Unis, le taux le plus élevé au monde. Alors, on voudrait mettre en place un contrôle et une régulation plus juste. Dans cette optique, l’opinion publique est favorable à un contrôle plus strict des armes: 58% selon un sondage au lendemain de la tuerie de Newton.

Le slogan des “anti-gun” prône que «On ne peut pas faire un massacre à coups de couteau». Selon les “antigunnards” il y a une corrélation entre la prolifération des armes à feu et le nombre élevé des meurtres par balles aux États-Unis. Ainsi, en 2012, 8855 homicides par armes à feu ont eu lieu aux Etats-Unis. La même année, en France, on n’en a compté que 430. Malgré ces arguments pleins de bon sens, l’ancien président Barack Obama a échoué face aux lobbies «pro-gun» à mettre en œuvre une quelconque régulation.

Après chaque tuerie, on relance le débat sur la prolifération des armes dans le pays. L’après-Las Vegas n’est pas une exception à la règle. C’est du déjà vu, déjà entendu. Sous-tendant l’émotion à l’échelle du pays, il y a le bon sens des Démocrates qui réclament un renforcement de la législation sur les armes tandis que les Républicains, la NRA, les lobbiespro-gunet leurs asòs expliquent que “l’heure est au deuil, et non pas à débattre du sujet”. Si hier, en 2013, le massacre de 20 enfants n’a pu faire évoluer l’argumentaire des Républicains, aujourd’hui il y a sûrement peu de chances que le débat évolue, surtout que Donald Trump est un farouche défenseur du port d’armes.

Considérations débatiques, éthiques, déontologiques, philosophiques mises à part, c’est l’aspect médiatique du carnage de Las Vegas qui a le plus retenu mon attention. J’opine à partir des reportages, analyses, interviews, commentaires sur les chaînes de télévision CNN, Fox et MSNBC. Les présentateurs portent énormément d’intérêt sur le mobile du tueur Stephen Paddock. À première vue c’est compréhensible, légitime, normal. Mais ce qui frappe c’est le caractère presque obsessionnel de la démarche médiatique. Mille experts de toute catégorie professionnelle, civils et militaires, sont appelés à opiner, commenter, se prononcer sur le mobile du tueur.

Après chaque tuerie, on relance le débat sur la prolifération des armes dans le pays. L’après-Las Vegas n’est pas une exception à la règle. C’est du déjà vu, déjà entendu.

Six jours après le carnage, l’ardeur à débusquer les intentions, le “mobile” du tueur fou ne s’est pas encore apaisée. Le rituel m’est devenu familier. Le présentateur/la présentatrice commence par rappeler comment Paddock le fou a accumulé dans la plus grande discrétion un arsenal de 49 fusils et armes de poing dont 23 armes dans la chambre d’hôtel, des explosifs et des milliers de munitions; que le père du tueur était un braqueur de banques, que le mec homicidaire avait une bouboute du nom de Marilou Danley, une Australienne d’origine philippine, ancienne employée de casinos sur qui ne pèse encore aucun soupçon; que jusqu’à présent le shériff de Las Vegas, les agents du FBI, les politologues, les psychologues, les interprétatologues, les explosifologues s’arrachent les cheveux pour mettre la main sur “le mobile” et ne pas le laisser s’échapper. Puis, il/elle s’en remet à l’opinion de l’expert, à la sibylle de Cumes des temps modernes.

L’expert qui sait bien que de sa bouche ne sortira aucune écume de vérité se rapportant au “mobile” se lance dans son petit discours technique sur les armes à feu utilisées par le fou furieux Paddock qui avait modifié au moins un de ses fusils d’assaut semi-automatiques en y incorporant un “bump stock” pour qu’il fonctionne comme une arme automatique, capable de tirer des centaines de rafales en une minute sans avoir à actionner constamment la détente avec le doigt. Et après avoir offert ses “pensées et prières” aux familles éplorées, l’expert déplore le mystère, “l’énigme nationale” que représente le “mobile” qui a pu pousser le tueur à un massacre aussi “horrifiant”.

Il est bien clair que Stephen Paddock n’avait aucun lien avec quelque groupe terroriste que ce soit. Il n’avait non plus aucun ressentiment contre quiconque en particulier qu’on ait pu déceler. Il a pu avoir une expérience malheureuse, traumatisante dans son adolescence, mais on n’en sait rien. Mais voilà, Stephen Paddock a grandi dans une société faite de violence quotidienne manifestée de façon diverse. C’est un cinglé comme beaucoup de cinglés dans un pays où «plus de la moitié des tueries de masse au monde ont eu lieu pendant les cinquante dernières années, où les fusillades représentent autant de morts que les accidents de la route en Europe».

C’est un pays où le vice-président exécutif de la NRA, juste après le massacre à Las Vegas, a eu le culot de déclarer que “les tueries de masse sont l’inévitable et regrettable prix à payer pour protéger le droit des Américains à commettre de telles tueries de masse” (The Onion, 2 octobre 2017). C’est dans une telle atmosphère d’inéluctabilité des tueries de masse que Paddock a grandi. Il en est imprégné. Alors, pourquoi s’entêter, s’acharner, s’accrocher à trouver un “motif” particulier à ce fou des armes? La vérité est pourtant là à portée de main: Paddock est un cinglé dans une société regorgeant de cinglés bien compensés pendant un certain temps jusqu’au moment où la coupe de compensation déborde. Et voilà une tuerie de masse. Cinglante réalité.

Qu’on ne s’illusionne point! Dans l’inconscient masculin américain sommeille un animal dont l’ego est tissé de masculinité, pouvoir et armes à feu. Quand ça s’éveille, ça ne peut cracher que de la violence. De fusillade en fusillade, ce sera toujours le même spectre d’hommes et d’armes en folie.

8 Octobre 2017

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