Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (8)

(8e partie)

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Edgard Leblanc Fils

Deux jours après leur installation et le premier accroc au document relatif à l’élection du Président du CPT, les Conseillers-Président annonçaient dans un document que, suite à une réunion en interne, ils avaient enfin décidé de mettre en place un bureau électoral tout en donnant le mécanisme selon lequel devrait être réalisé ce scrutin.

« Le Bureau Électoral (BE) est composé de trois membres. Les deux membres non-votants du CPT et un troisième, tiré au sort, le jour du scrutin, parmi les membres des secteurs votants n’ayant pas de candidat. La présidence du BE est assurée par l’un des membres non-votant du CPT choisi par consensus le jour du scrutin. Une heure avant le scrutin, le Bureau électoral déclare l’ouverture officielle des candidatures, les prétendants déclarent leur candidature et présentent leur motif et arguments. Aux termes de ce délai, le BE procède à l’organisation du scrutin. Le BE prépare les bulletins dans un format de fiche identique. Le votant écrit lisiblement dans la fiche remise le nom du candidat de son choix.

Le BE prépare une feuille pour le dépouillement du vote. Le BE établit deux urnes transparentes : une pour le vote et une autre pour le dépouillement. Si un candidat obtient la majorité absolue du vote (4/7), il est déclaré vainqueur. Dans l’éventualité d’un second tour, le vote est obligatoirement exprimé pour l’un ou l’autre candidat, conformément à l’article 7 du projet de décret. Le cas échéant, la même procédure de vote s’applique ».

Une procédure somme toute basique et classique qui ne devait causer en théorie aucun malentendu ni contestation parmi les candidats. Par ailleurs, le CPT, installé à la Villa d’Accueil, avait annoncé l’élection du Président pour le mardi 30 avril 2024. Entretemps, les noms des candidats commençaient à sortir dans la presse. Volontairement, les groupes des parties prenantes, c’est-à-dire les partis et Accords politiques ayant contribué à la formation du CPT et qui lorgnaient sur la présidence provisoire de la République et de la Transition, font circuler sur les réseaux sociaux le nom de leur candidat à cette structure.

Le parti de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide, Fanmi Lavalas, poussait son représentant au CPT Leslie Voltaire, tandis que l’Accord du Montana, sans surprise, patronnait celui qui a toujours été leur choix, Fritz Alphonse Jean, alors que Louis Gérard Gilles, un lavalassien dissident, passé au camp du PHTK du temps de Michel Martelly et d’Ariel Henry était soutenu par l’Accord du 21 décembre. Enfin, l’ancien sénateur des Nippes, Edgard Leblanc Fils, était lui parrainé par le Collectif du 30 janvier. Ce sont ces quatre noms qui, dès l’ouverture de la campagne pour l’élection du Coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition, faisaient la « Une » des médias durant toute la campagne. Ces candidats menaient campagne auprès de leurs troupes mais aussi auprès des personnalités influentes de la capitale, voire auprès de certains diplomates en poste à Port-au-Prince.

Fritz Bélizaire

Même si d’autres noms parmi les sept autres Conseillers ayant droit de vote venaient de temps en temps polluer le paysage, les quatre principaux postulants n’ont jamais été inquiétés et le pays savait que c’est parmi ce quarteron de candidats que devrait sortir celui qui devait présider le Conseil Présidentiel de Transition. Une fois les candidats connus et déclarés, le pays et notamment les observateurs politiques se préparaient à voir un scrutin serré pour les départager dans la mesure où ces quatre candidats avaient tous les potentiels pour réussir. Certes, dès l’annonce de leur candidature, Leslie Voltaire ne pesait pas lourd devant les trois autres et Louis Gérard Gilles et Edgard Leblanc Fils marquaient à la culotte Fritz Alphonse Jean qui se préparait depuis plusieurs mois, voire des années, à occuper cette fonction. N’avait-il pas été élu « Président » par l’Accord de Montana dans l’éventualité, justement, où ce cas de figure se présenterait ? Fritz Alphonse Jean était quasiment certain qu’il allait être élu Président du CPT par ses paires au moment de la mise en place de cet organisme devant jouer le rôle de Pouvoir exécutif de la Transition post-Jovenel Moïse.

Mais, la réalité est tout autre dans le monde politique. Il se trouve que ce sont les deux frères ennemis, Edgard Leblanc Fils et Louis Gérard Gilles, qui étaient devenus archi-favoris dans cette compétition. Ainsi arriva le jour-J. Tout le monde attendait à ce que le processus se déroule comme il était prévu. Mais voilà, nous sommes en Haïti où dans le domaine public, notamment politique, les choses ne sont jamais comme cela doit être. Pendant que dans la matinée, certains, sous la responsabilité du Conseiller Frinel Joseph, se préparaient à mettre en place les « urnes » et un « isoloir » pour le déroulé du scrutin, d’autres, en coulisse, s’activaient à monter un « coup » en dehors du processus afin d’éviter de passer par les urnes.

En effet, dans l’après du mardi 30, la Villa d’Accueil avait fait le plein de partisans de tous les candidats venus sans doute pour encourager et féliciter ensuite leur champion fraichement élu Président du CPT. Sauf que, après plusieurs heures d’attente, quelle ne fut leur surprise, et pas qu’eux d’ailleurs, d’apprendre de la bouche du Conseiller Frinel Joseph faisant office de Président du CE que c’est Edgard Leblanc Fils, issu du Collectif 30 janvier, qui vient d’être désigné par consensus comme Président du Conseil Présidentiel de Transition.

C’est une majorité de circonstance formée de quatre parties prenantes à savoir : le Collectif des partis politiques du 30 janvier, (Edgard Leblanc Fils), la Plateforme Résistance Démocratique/Engagés pour le Développement (RED/EDE) (Smith Augustin), le Regroupement politique Compromis historique, Accord du 21 décembre (Louis Gérard Gilles) et le Parti politique Pitit Dessalines (Emmanuel Vertilaire) qui a su monter contre toute attente cette opération par un nouvel Accord dénommé : Bloc Majoritaire Indissoluble (BMI). « Nous membres du Conseil Présidentiel et secteurs parties prenantes de l’Accord du 3 avril 2024 soussignés constituons un bloc majoritaire indissoluble (BMI).

Toutes les décisions au sein du BMI sont prises par consensus, ou à défaut à la majorité de 3 sur 4, notamment celles concernant : l’élection du Président du Conseil Présidentiel, la nomination du Premier ministre de la Transition, la constitution d’un gouvernement d’unité nationale, la mise en place du Conseil Électoral Provisoire, l’assurance de la réussite de la mission de la transition. Les signataires de la présente s’accordent sur une vision politique fondée sur une gouvernance inclusive/participative et articulée autour des cinq grands chantiers inscrits dans l’Accord politique du 3 avril 2024. À cet effet, ils désignent le citoyen Edgard Leblanc Fils, comme porteur de cette vision politique et comme leur candidat unique au poste de Président du Conseil Présidentiel de Transition. Ils proposent le citoyen Fritz Bélizaire comme candidat unique au poste de Premier ministre de la Transition » écrivaient les quatre compères dans l’acte de naissance du BMI. En voulant faire d’une pierre deux coups, les membres du BMI, donc le camp majoritaire, ont profité pour désigner dans la foulée leur Premier ministre en la personne de Fritz Bélizaire, un ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, en dehors de l’Accord du 3 avril.

Le Conseiller présidentiel Frinel Joseph

A l’annonce, un coup de froid s’était emparé de l’assistance. Émoi donc jusqu’au sein des autres membres du CPT, principalement les deux autres candidats – Leslie Voltaire et Fritz Alphonse Jean – qui voient s’écarter non seulement la présidence mais aussi la Primature où ils espéraient partager le gâteau du pouvoir avec leurs partisans et sympathisants. Sur le coup, personne n’a compris ce qui s’était réellement passé. Et de toute évidence, certains Conseillers Présidentiels non plus. A en croire Frinel Joseph qui faisait le S.A.V (service après-vente), il n’était pas dans la confidence. Hébété, surpris, visiblement gêné et agacé, celui-ci a marmotté ces quelques phrases devant la presse qui le couvrait de questions et un public totalement dépassé par cette annonce surprise. « Ce matin on a placé les urnes, l’isoloir pour rien. Mais surtout ce qui est important, c’est que la majorité a été bien dégagée. Ça peut arriver qu’il y ait changement de plan, mais c’est surtout important que le changement de plan donne le même résultat.

Et le résultat c’est que, Mesdames et Messieurs, nous avons aujourd’hui mardi 30 avril un Président bien connu au sein du Conseil Présidentiel, qui va coordonner le Conseil selon l’accord qui a été trouvé entre les différentes entités parties prenantes » avançait Frinel Joseph qui ne trouvait plus les mots pour expliquer ce coup de théâtre qui va avoir des répercussions sur la suite. Somme toute, Edgard Leblanc Fils, ex-sénateur des Nippes, ancien Président du Sénat de la République et de l’Assemblée Nationale, Coordonnateur du parti OPL depuis des années, s’est présenté comme un Président rassembleur. Et le nouveau chef du Pouvoir exécutif a rapidement compris les charges qui l’attendaient avec surtout la problématique de l’insécurité qui met Haïti au banc de la Communauté internationale depuis des années. Dans sa première allocution en tant que Président du Conseil Présidentiel de Transition, il a souligné l’importance de cette responsabilité dans un contexte où la Nation l’attend au tournant. D’emblée, le nouvellement désigné non élu avait reconnu que « Nous sommes dans une situation d’exception. Nous avons foi en le Conseil Présidentiel.

La chose la plus importante pour nous est la cohésion entre les membres, cette volonté et cette détermination à dépasser les chapelles, les conflits et arriver, à travers des consensus, à prendre les grandes décisions importantes et urgentes pour le pays. Des décisions qui iront d’abord dans le sens du rétablissement de la sécurité. On doit libérer le pays de l’action des gangs qui font tellement de torts à la population. Nous sommes confiants que le Conseil va former un gouvernement, organiser la réforme constitutionnelle et réaliser les élections pour remettre le pouvoir à des élus le 7 février 2026. Ce matin, c’est publiquement que nous reconnaissons la souffrance de toutes les victimes de l’insécurité : les victimes de viol, les déplacés internes, les entrepreneurs dont les entreprises ont été vandalisées, incendiées, entre autres. Il y va de la responsabilité du Conseil de chercher des solutions par consensus maximum à chaque fois. L’acceptation de cet exercice du choix du Président du Conseil par consensus prouve que nous pouvons avancer. Nous pouvons discuter, négocier, faire des concessions pour arriver à des résultats.

C’est uniquement sur cette base que nous au CPT nous croyons qu’on peut être efficace et remplir pleinement notre mission ». Si les autres candidats faisaient semblant d’avaler cette couleuvre à quatre têtes s’agissant d’une majorité constituée, même s’il n’a pas eu de vote, le plus insupportable pour eux, c’est la violation flagrante de l’article 6 du projet de décret de l’Accord du 3 avril stipulant les conditions pour la désignation du Premier ministre de la Transition. Certes, le Conseiller Frinel Joseph avait bien pris soin de souligner, suite à la note qui a été transmise au CE annonçant la désignation de Fritz Bélizaire comme Premier ministre, que « L’Accord engage uniquement la majorité qui a fait la désignation », il n’empêche que les trois autres Conseillers avaient du mal à avaler la pilule et que la fronde ne tarderait pas à se soulever contre cette initiative qui, selon un candidat, n’avait aucune chance de se concrétiser.

En effet, si on relit ce fameux article 6, on verra que les concepteurs du document ont été clairs sur ce point et l’on constatera que ce groupe majoritaire avait sciemment foulé aux pieds ledit accord approuvé par l’ensemble des partis prenantes. « Le/la Premier (ère) ministre est nommé (e) par le Conseil Présidentiel de Transition en consultation avec les signataires du présent Accord et d’autres structures politiques et de la Société civile intéressées à adhérer audit Accord sur la base d’une liste d’un (1) nom soumis par chacun des secteurs, ne dépassant pas un total de 15 candidatures, conformément aux mécanismes et critères établis dans le document portant « Organisation et Fonctionnement du Conseil Présidentiel de la Transition » faisant partie intégrante de l’Accord (Art. 6 de l’Accord du 3 avril 2024). Le Conseiller Leslie Voltaire et son parti Fanmi Lavalas ont été les premiers à monter au créneau contre le choix quasi-unilatéral du groupe majoritaire de choisir un Premier ministre tout en le mettant en garde sur son attitude et sa manière de faire ».

Pour Voltaire, le Représentant de Fanmi Lavalas, « Ce qui s’est passé ce mardi 30 avril 2024 avec le choix du Président du Conseil et du Premier ministre est un coup de théâtre.  Il n’y a pas eu de consensus ni sur le choix d’Edgard Leblanc Fils comme Président du Conseil ni sur Fritz Bélizaire comme Premier ministre. Si ce bloc dit majoritaire avait fait choix uniquement de Edgard Leblanc Fils, même s’il ne fait pas consensus au Conseil, cela aurait été acceptable. Mais le choix de Fritz Bélizaire viole l’Accord du 3 avril sur le choix du Premier ministre de la Transition ». avait expliqué le Représentant de Fanmi Lavalas à Le Nouvelliste ce 30 avril 2024. Par ailleurs, le parti de l’ancien Président d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, a dénoncé, dans une longue note de presse datant du 1 er mai 2024, le comportement de ceux qui, selon les responsables du mouvement, avec leurs pratiques anti-démocratiques et pour des intérêts personnels, sapent les fondements mêmes de la société haïtienne. « L’organisation Fanmi Lavalas déplore une série de manœuvres politiques sournoises visant à perpétuer la tradition de corruption et de négligence qui a maintenu le pays dans les chaînes de la misère.

Malheureusement, la mascarade qui a eu lieu le 30 avril 2024 au Conseil Présidentiel est une conspiration visant à garantir le pouvoir au PHTK et à leurs alliés pendant la période de Transition et ainsi perpétuer la tradition de corruption. Une vraie transition de rupture qui veut remettre le pays sur les rails doit reposer sur le principe du respect de l’Accord politique du 3 avril 2024. Fanmi Lavalas reste attaché aux revendications du peuple pour un nouveau modèle de gouvernance, que nous devons préparer ensemble dans une véritable transition de rupture avec la corruption, la violence, l’insécurité et l’exclusion. Une vraie transition de rupture qui exclurait des bandits légaux qui ont ruiné le pays en pillant les ressources de l’État, pourrait redonner au peuple haïtien une lueur d’espoir. Mais les intérêts personnels et les pratiques anti-démocratiques veulent anéantir tous les efforts déployés pour mettre le pays sur la bonne voie, sur la voie du changement. Voilà pourquoi Fanmi Lavalas rejette de toutes ses forces le scandale de trahison survenu le 30 avril 2024 » écrivaient les dirigeants de Fanmi Lavalas. D’ailleurs, ce choix allait ultérieurement plomber définitivement Fritz Bélizaire pour le poste de Premier ministre au moment du processus de désignation par le CPT.

Le malaise était si fort après ce passage en force que la Communauté internationale, si prompte à saluer ou féliciter tout ce que font les acteurs politiques en Haïti depuis la chute d’Ariel Henry, avait gardé un silence qui expliquait automatiquement son désaccord sur le procédé. Ce mardi 30 avril, seule l’Organisation des États Américains (OEA), à travers son Secrétaire général, avait réagi par un message publié sur son compte X. D’ailleurs, son Tweet a été plus qu’un avertissement aux acteurs tout en félicitant le nouveau Président du CPT, Edgard Leblanc Fils. « Nous félicitons la nomination aujourd’hui du Président du Conseil Présidentiel, une étape cruciale dans la mise en œuvre de l’accord politique national D’Haïti. La nomination transparente et conforme d’un Premier ministre, ainsi que la formation rapide d’un nouveau gouvernement, sont essentielles à la stabilité du pays. Il est essentiel de maintenir la dynamique, de soutenir le déploiement de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) par le Conseil de sécurité des Nations-Unies et d’ouvrir une voie crédible vers le renouveau démocratique d’Haïti » avait écrit Luis Almagro. En vérité, ce Tweet était l’ouverture officielle des contestations envers Fritz Bélizaire de la part de la majorité de la classe politique sauf de ceux qui l’avaient désigné.

(A suivre)

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