Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (10)

(10e partie)

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Edgard Leblanc Fils, le premier président de la formule « présidence tournante » au Conseil Présidentiel de Transition

Le 3 mai 2024, une nouvelle formule de présidence avait fait son entrée dans le vocabulaire des Conseillers Présidentiels : il s’agit de la « présidence tournante » et l’on ne parlait plus de « majorité indissoluble » mais de « majorité qualifiée » de 5 sur 7.

A cette date, Edgard Leblanc Fils était carrément sur le point de perdre son fauteuil de chef d’État de la Transition. Selon certains médias de la capitale, un Conseiller présidentiel très en vue aurait déclaré : « Nous allons vers une présidence tournante. Edgard Leblanc Fils devrait lui aussi faire partie de ce processus. La majorité au Conseil Présidentiel de Transition devrait aussi passer de 4 sur 7 à 5 sur 7. Nous allons trouver un dénouement à la situation, mais on doit aussi modifier l’Accord du 3 avril. Pour le moment, rien n’est encore arrêté, les Conseillers Présidentiels sont toujours en discussion ». Entretemps, les débats allaient bon train dans la presse et dans les rues de Port-au-Prince. L’écosystème politico-médiatique est en ébullition.

Les Conseillers Présidentiels, les parties prenantes de l’Accord du 3 avril, tous, tentaient de sauver leur acquis. Tandis que Edgard Leblanc Fils, de son côté, est favorable à un petit chamboulement de l’intérieur dans l’espoir de sauver sa présidence quitte à l’écourter. Surtout, depuis sa désignation par consensus par le Bloc Majoritaire Indissoluble à cause, justement, de mésentente en interne, les membres du BMI n’avaient toujours pas publié le moindre procès-verbal légitimant et consolidant cet Accord. Dans tout ce brouhaha politique, certains qui avaient entendu l’appel de Louis Gérard Gilles leur demandant de venir faire acte de candidature pour le poste de Premier ministre, commençaient à déposer leurs dossiers à la Villa d’Accueil, sans tenir compte des Conseillers Présidentiels qui avaient d’autres chats à fouetter que de s’occuper des candidatures pour le poste de Premier ministre qui viendra certainement après qu’ils aient résolu la division qui paralyse le CPT. Le mardi 7 mai 2024, on apprenait que les neuf membres du CPT se sont réunis à huit clos en vue de trouver une entente et aussi de mettre fin à la crise.

Après de vives discussions et de débats houleux, le bloc dit majoritaire avait accepté, à contre cœur, de passer deux points fondamentaux au vote: la proposition de présidence tournante et la majorité de 5 sur 7. Sans surprise, la balance s’est penchée du côté de la bande menée par Fritz Alphonse Jean et Leslie Voltaire.

En clair, c’est l’option de la présidence tournante qui a obtenu une majorité de six (6) voix pour et un contre. En même temps, les Conseillers ont convenu que, pour toute décision importante, quand il n’y pas de consensus, ce sera la majorité qualifiée de 5 voix sur 7 qui est retenue sans pour autant dissoudre le bloc majoritaire de quatre membres. A la sortie de la réunion, un membre du CPT a voulu donner au journal Le Nouvelliste plus de détails sur le déroulé de la rencontre et précisé ce qui a été réellement acté entre les neuf Conseillers « La présidence tournante va se faire entre Edgard Leblanc Fils, Fritz Alphonse Jean, Louis Gérald Gilles et Leslie Voltaire qui étaient initialement les quatre candidats à la présidence du Conseil. Mais c’est Edgard Leblanc Fils qui va coordonner le Conseil durant les cinq ou six prochains mois. Nous avons décidé de ne pas demander la dissolution du bloc majoritaire de quatre Conseillers. Mais pour avoir de l’équilibre au Conseil, ils doivent avoir une cinquième voix pour trouver les 5/7 lors des votes quand on n’est pas arrivé à trouver un consensus » a rapporté le journal le 7 mai 2024.

Avec cette ultime correction, le pays pensait qu’enfin le CPT allait se mettre au travail, notamment, lancer le processus pour la nomination du successeur d’Ariel Henry. Lors des discussions du 7 mai, il était convenu que la présidence tournante concernerait les quatre Conseillers qui, dès le début du processus, avaient fait acte de candidature pour être Président du CPT. Le document relatif à cette entente devait être signé le lendemain, mercredi 8 mai, avant la publication du procès-verbal au Journal officiel Le Moniteur. Patatras ! La nuit porte conseil, dit-on.

En tout cas, à l’ancien ambassadeur Smith Augustin, le Représentant du bloc Compromis historique et EDE/RED de l’ex-Premier ministre Claude Joseph et à Renald Luberice, ancien Secrétaire général du Conseil des ministres, tous deux sous la présidence de Jovenel Moïse. Dès l’aube, ce Conseiller Présidentiel commençait à mettre la pression sur le Président Edgard Leblanc Fils et les autres membres du CPT, son objectif : faire passer la présidence tournante du nombre de 4 à 5 membres. Smith Augustin veut être le cinquième homme du club présidentiel. Pour rien au monde, il n’entendait céder. C’est une question d’honneur, il veut faire partie de la présidence tournante. Son acharnement menaçait tout bêtement de faire capoter, une nouvelle fois, cette architecture présidentielle déjà fragilisée par des tensions en interne. Alors que pour tous les autres Conseillers, il n’est pas question de revenir en arrière ou d’augmenter le nombre de Président. Ce qui ne laissera que trois à quatre mois à chaque Président durant son mandat. Une gageure ! Devant son insistance, un ex-futur-Président a dû céder sa place à l’ambitieux Smith Augustin.

Nomination de Garry Conille à la Primature le mardi 28 mai 2024

C’est Fritz Alphonse Jean, le Représentant de l’Accord de Montana qui n’a vraiment pas de chance dans cette histoire. Pour sauver l’unité apparente du CPT, il s’est consenti à se donner en sacrifice. Celui qui s’était préparé mentalement et politiquement depuis quatre ans à occuper la fonction de Président provisoire de la République de la Transition, en bon gentleman, s’est retiré au profit de Smith Augustin afin de permettre à la présidence tournante de garder son caractère initial de quatre titulaires. A l’issue de cet arrangement entre collègues, un Conseiller Présidentiel a déclaré dans la presse à propos de ce « Vaudeville » à l’haïtienne « Pressuré par son secteur, Smith Augustin voulait à tout prix être du nombre des Présidents au Conseil Présidentiel. Ne voulant pas que le nombre de Conseillers Présidentiels à la présidence tournante passe à cinq, Fritz Alphonse Jean lui a volontairement cédé sa place. Smith Augustin sera donc le 2e Président après Edgard Leblanc Fils. »

En clair trois Présidents – Edgard Leblanc Fils, Smith Augustin, Leslie Voltaire – feront un mandat de 5 mois chacun, tandis que le quatrième, Louis Gérard Gilles, occupera la présidence de la Transition durant 6 mois si d’ici là aucun obstacle politique et d’autre ambition personnelle ne viennent perturber le rythme de cette présidence collégiale. Enfin, à la suite de toutes ces péripéties partant du début du processus de la formation du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), son installation, le psychodrame de la désignation de son Président jusqu’à cette fameuse présidence tournante, les nouvelles autorités de Transition, de concert avec le Conseil des ministres sortant, avaient fini par publier, le mercredi 27 mai 2024, dans le journal officiel, Le Moniteur, le décret portant sur l’organisation et le mode de fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition. C’est ce texte qui définit la durée de la Transition, l’organisation et le fonctionnement du CPT, et les attributions des Conseillers Présidentiels, notamment. Ce décret devait confirmer, en fait, celui portant la création du CPT en date du 12 avril 2024 publié par l’ex-Premier ministre Ariel Henry dont on peut lire l’essentiel dans l’intitulé de son article 5.

« Le Conseil Présidentiel de Transition :1) participe, en accord avec le Premier ministre, à la formation d’un cabinet ministériel inclusif ; 2) approuve l’ordre du jour du Conseil des ministres, en accord avec le Premier ministre, et cosigne les arrêtés et les décrets ; 3) fixe les critères de sélection des membres d’un Conseil Électoral Provisoire (CEP) impartial et les nomme ; 4) prend toutes dispositions favorisant une transition pacifique ; 5) assure la continuité de la gouvernance et établit un Conseil de Sécurité Nationale ; 6) poursuit la collaboration avec tous les membres de la Communauté internationale pour le déploiement accéléré de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité autorisée par la Résolution 2699/2023 du Conseil de sécurité des Nations-Unies » Art. 5 du décret du 12 avril 2024. Par ailleurs, le nouveau décret datant du 27 mai 2024 conserve aussi la même teneure en matière de pouvoirs des membres du Conseil Présidentiel.

Selon ce décret, les Conseillers Présidentiels disposent de tous les pouvoirs d’un Président de la République, une attribution qui leur confère le droit de « Collaboration avec tous les membres de la Communauté internationale pour le déploiement de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité autorisée par la Résolution 2699/2023 du Conseil de sécurité des Nations-Unies ; de mettre en place un Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG) composé de personnalités représentatives de la diversité géographique et sociale du pays, impartiales, honnêtes et compétentes. » En outre, cette première grande décision du CPT a été l’occasion pour les Conseillers d’indiquer qu’ils vont s’atteler rapidement à la nomination d’un Premier ministre. L’article 8 du décret se lit ainsi « Le CPT nomme le Premier ministre conformément aux mécanismes et critères établis ; participe conjointement avec le Premier ministre à la formation d’un cabinet ministériel inclusif ; s’assure de l’établissement de la feuille de route du gouvernement ; s’assure, de concert avec le gouvernement, du développement et de la mise en œuvre de cinq (5) grands chantiers.

Les cinq grands chantiers de la transition sont : la sécurité publique et nationale ; le redressement économique, la réhabilitation des infrastructures, la sécurité alimentaire et sanitaire ; la Conférence nationale et la question constitutionnelle ; l’État de droit et la justice ; les élections pour le renouvellement du personnel politique » décret publié dans Le Moniteur du 27 mai 2024.

Avec ce décret, le CPT était devenu pleinement opérationnel même s’il avait déjà commencé à prendre des décisions relevant de ses attributions. Et pour cause. Pendant toute la bataille des chiffonniers à laquelle le pays a assisté pour consolider l’appareil présidentiel, les Conseillers avaient déjà entamé le processus d’inscription au poste de Premier ministre. Ce qui avait permis la nomination de Garry Conille à la Primature le mardi 28 mai 2024 dont nous avons déjà raconté les conditions et la manière dont elle a été faite.

(Fin)

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