(5ème partie)
Pour retourner sur la visite éclair du Secrétaire d’État américain à Port-au-Prince, Antony Blinken, on peut dire que tous les acteurs étaient au garde-à-vous devant celui-ci, sans doute amusé de faire déplacer tout ce que compte la République, même les plus hautes autorités politiques qui étaient dans leurs petits souliers. Bien que, selon Edgard Leblanc Fils qui s’exprimait juste avant que l’hôte d’un moment s’envole pour la République dominicaine en vue de participer à l’investiture du Président Luis Abinader, le chef n’avait rien demandé de particulier. « La mise à l’écart des membres du CPT indexés pour des allégations de corruption n’a pas fait l’objet des discussions avec le Secrétaire d’État. Mais nous avons porté à la connaissance du Secrétaire d’État américain que ces allégations de corruption affectent le CPT. Car la structure éprouve des difficultés à avancer bien comme cela a été le cas dès le départ. Nous leur avons parlé de la situation générale.
Des actions de l’ULCC qui s’est saisi du dossier et de la décision que les trois Conseillers-Présidentiel visés ont prise volontairement, pour rencontrer l’ULCC. Nous encourageons l’ULCC à continuer à faire son travail en toute indépendance et à soumettre son rapport qui est appelé à éclairer tout le monde, en particulier le Conseil. Pour le CPT, personne n’est au-dessus de la loi, personne n’est condamnée à l’avance non plus » disait le Président du CPT. Pourtant, le son de cloche est nettement différent quand on entend Antony Blinken dans sa conférence de presse à l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince avant de quitter le territoire haïtien ce 5 septembre 2024. Certes, le patron du Département d’Etat n’a point demandé formellement la tête des 3 Conseillers, puisque la CARICOM l’avait déjà fait, mais son langage de diplomate ne peut pas être plus clair lors de son point de presse. Il avait, en effet, réitéré la position des Etats-Unis à propos des sanctions contre des dirigeants haïtiens – politiques et acteurs économiques – qui seraient impliqués dans des activités de corruption.
Pour Blinken, Washington ne transigera pas sur ces cas. Il a même fait allusion aux sanctions concernant l’ex-chef d’Etat haïtien, Michel Joseph Martelly, prises par son pays qui poursuivra avec fermeté sa politique répressive contre tous ceux impliqués dans la corruption en Haïti. Si cela n’est pas un message ! Ces propos rentrent bien dans ce qu’avait déclaré le Secrétaire-adjoint aux Affaires hémisphériques, Brian A. Nichols, au sujet du scandale de corruption visant Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin la veille de l’arrivée du chef de la diplomation américaine. Nichols répondant aux questions des journalistes sur la visite de Blinken en plein scandale de corruption touchant les 3 membres du CPT n’avait pas employé la langue de bois pour envoyer un message clair aux dirigeants haïtiens de la Transition dont cette affaire de corruption ternit l’image et celle du pays.
« Je pense que le Secrétaire d’État soulignera certainement l’importance de la transparence et de l’État de droit dans le traitement des allégations de corruption qui ont été révélées dans l’affaire de la BNC. Nous pensons que les autorités haïtiennes devraient enquêter sur cette affaire et demander des comptes aux responsables, et je suis sûr que le Secrétaire d’État soulèvera cette question lorsqu’il sera sur place. Nous pensons certainement que les autorités haïtiennes devraient enquêter sur ces allégations, déterminer la substance de ce qui s’est passé et prendre les mesures appropriées pour que toute personne responsable d’actes de corruption rende compte de ses actes. Le peuple haïtien mérite la transparence et la bonne gouvernance, et la Communauté internationale, qui fournit tant d’aide, a également besoin de voir cela pour avoir la confiance que les fonds qui transitent par le gouvernement haïtien sont utilisés de manière appropriée et transparente » paroles de Brian A. Nichols le vendredi 4 septembre 2024. Pendant ce temps, la CARICOM poursuit ses pressions sur les parties prenantes pour trouver une issue. Elle presse les dirigeants des plateformes à pousser vers la sortie leurs représentants mis en cause.
C’est ainsi que les rencontres s’enchaînent, certes en distanciel, et l’une a même coïncidé avec la brève visite d’Antony Blinken en Haïti. C’est celle du 5 septembre 2024, laquelle, déjà évoquée plus haut, avec la participation du chef du Secteur Démocratique et Populaire (SPD) qui avait confirmé que la CARICOM a bien sollicité le départ des 3 Conseillers soupçonnés de corruption. Invité le jeudi 5 septembre 2024 à l’émission panel Magik à donner son avis sur l’affaire dite BNC, Me André Michel a été catégorique et franc: les trois Conseillers du CPT doivent quitter leur poste. L’ancien soutien d’Ariel Henry et signataire de l’Accord du 21 décembre juge qu’il s’agit de la responsabilité des Parties prenantes d’exiger la démission de leurs représentants en attendant que l’ULCC statue sur leur sort.
« La présence de ces trois Conseillers-Présidentiel représente un handicap pour le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et une trop grande menace pour l’ensemble du processus transitionnel. Un mois après la révélation de cette affaire, aucune avancée significative n’a été faite au sein du CPT. Le CPT fait face à une situation de blocage occasionnée par les trois Conseillers mis en cause. Dans la logique du consensus du 11 mars 2024 de la Jamaïque, les sièges au CPT reviennent aux neuf Parties prenantes et non aux membres désignés. Le siège n’appartient pas à Louis Gérald Gilles mais à l’Accord du 21 décembre. Il faut une décision politique pour débloquer la situation.
Il n’y aura pas de sérénité au sein du CPT tant que ce problème n’est pas évacué. Il faut avoir le courage de prendre la décision politique qu’il faut. Il faut une décision politique pour débloquer la situation. Les trois secteurs concernés ont la responsabilité d’intervenir, du moins de jouer leur rôle. L’option qui a été proposée par la CARICOM c’est de les écarter, d’une part et d’autre part, de les remplacer en attendant l’aboutissement de l’enquête. Cette logique est plus politique et plus proche du consensus du 11 mars » soutient l’ex-chef de l’opposition radicale sous la présidence de Jovenel Moïse. Même point de vue pour le parti du feu Professeur Leslie Manigat, le RDNP.
Dans une note de presse en date du 5 septembre, les dirigeants de cette formation politique réclament eux aussi la démission immédiate des 3 Conseillers-Président de la structure collégiale. Les responsables du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes estiment que cette démission est cruciale afin d’assurer l’intégrité des institutions et aussi de rétablir la confiance. Le 6 septembre, soit un jour après les rencontres avec le Secrétaire d’État Antony Blinken et la visio-conférence avec les Éminentes Personnalités de la CARICOM, le parti politique EDE de Claude Joseph, revient à la charge pour exiger la démission de son représentant, Smith Augustin au CPT. Dans une lettre datée du 6 septembre 2024 à l’intention dudit Conseiller-Président, le Bureau politique de EDE lui demande au nom du bien commun et de l’intérêt du parti de jeter l’éponge, ce que l’intéressé a refusé.
Pourtant, la teneur de ce courrier devait pousser l’ancien ambassadeur Smith Augustin à comprendre la position délicate des Parties prenantes se trouvant dans un corset les empêchant la moindre manœuvre vis-à-vis des partenaires de la Communauté internationale et de l’opinion publique nationale devant lesquelles, en tant qu’accusés dans un scandale de corruption, lui et ses collègues n’ont plus aucune crédibilité même si la justice n’a pas encore tranché. « Nous sommes très préoccupés par l’impact négatif et regrettable du scandale de la Banque Nationale de Crédit (BNC) sur l’harmonisation et le fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition. Les rencontres entre les Conseillers-Président, jadis très fréquentes pour statuer sur des dossiers de la nation et discuter de l’avenir du pays, sont de plus en plus rares au sein du Conseil. Nous avons donc le sentiment que les choses risquent de s’aggraver si les secteurs dont les représentants impliqués dans ce scandale ne se mettent pas à la hauteur de la responsabilité historique qui leur incombe. Soucieux de la réussite de cette nouvelle formule de gouvernance accouchée au prix de grands sacrifices consentis par des secteurs d’horizons divers, nous pensons qu’il faut agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard.
Ainsi, en notre qualité de membres du BPN, la plus haute instance politique du Parti, selon les dispositions des articles 30, 31 et 32 de nos Statuts, nous vous demandons de prendre une décision de sagesse en démissionnant de votre poste de Conseiller-Président au sein du Conseil Présidentiel. Le Bureau politique précise que votre démission ne sera en aucun cas un aveu de culpabilité. Car, on ne saurait faire fi du principe de présomption d’innocence. Cependant, nous croyons que cette décision de sagesse facilitera le bon déroulement de l’enquête, empêchera la dislocation du Conseil Présidentiel et, plus généralement, garantira le déblocage de la situation dans un processus politique transitionnel déjà trop fragile » écrivent les signataires du Bureau politique de ce parti politique le 6 septembre 2024. Le 9 septembre 2024, nouvelle rencontre cette fois de la quasi-totalité des plateformes concernées : Accord de Montana, EDE, Collectif 30 janvier, Accord du 21 décembre, notamment avec les représentants de la Communauté internationale, Maria Isabel Salvador, cheffe de la BINUH (Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti) et Miroslav Jenca Sous-Secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques en visite en Haïti. Là aussi, la discussion tournait autour du scandale de la corruption et la démission des accusés le temps que l’ULCC donne la conclusion de son enquête.
Lors de cette rencontre, le sort de deux Conseillers a été clairement scellé par leurs organisations respectives, s’agissant de Louis Gérald Gilles et de Smith Augustin puisque, le troisième accusé, Emmanuel Vertilaire, jusqu’à ce moment-là, continuait de bénéficier de la confiance de Jean-Charles Moïse, chef du parti Pitit Dessalines. A la suite de cette réunion avec les deux diplomates étrangers et une autre avec la CARICOM, le porte-parole de l’Accord du 21 décembre, Me André Michel, avait fait un topo de la situation pour le quotidien Le Nouvelliste en ces termes « Nous avons eu ce lundi 9 septembre une réunion avec la CARICOM au sujet du remplacement des Conseillers-Présidentiel mis à l’écart. Nous avons jusqu’à 72 heures pour communiquer le nom du remplacement de Louis Gérald Gilles au CPT. J’ai personnellement parlé hier soir à mon ami, Louis Gérald Gilles. Nous ne sommes pas dans le même état d’esprit. Cela peut se comprendre !
Nous allons travailler avec les différentes fractions du 21 Décembre pour respecter le délai de 72 heures. Je suis sûr qu’on va y arriver. Je fais confiance à tous les amis du 21 décembre. Gilles pourra compter sur l’amitié et la solidarité de tous les signataires du 21 décembre. » Pour sa part, les dirigeants du parti EDE devaient confirmer, suite à leur rencontre avec Miroslav Jenca et Maria Isabel Salvador, le processus engagé pour le remplacement de leur représentant. « Avec la cheffe du BINUH et le Sous-Secrétaire général nous avons discuté du dysfonctionnement du Conseil Présidentiel et du remplacement des Conseillers-Présidentiel impliqués dans le scandale de corruption à la BNC » indiquait un dirigeant du parti de Claude Joseph. Mais, le problème, comme nous le disons précédemment, Smith Augustin est le plus combatif de la bande des trois. Il ne se laisse pas influencer par les nombreux appels à la démission. Après cette rencontre avec la Communauté internationale et la lettre qu’il a reçue lui demandant d’abandonner son siège au CPT, il contre-attaqua par voix de presse.
Dans un entretien accordé au journal Le Nouvelliste pour son édition du 9 septembre 2024, Augustin crie au loup et estime que certains convoitent sa place. Il rejette d’un hochement de tête la légitimité de ceux ayant sollicité sa démission dans la lettre qu’il a reçue du Bureau politique de son parti. Pour le Conseiller-Président, à part EDE, il continue de bénéficier de la confiance de tous les autres membres de la plateforme qui l’avait choisi, notamment RED (Résistance Démocratique) de Renald Lubérice. De ce fait, il était hors de question de rendre son tablier. Combatif mais non téméraire, donc réaliste, il disait attendre la conclusion de l’enquête de l’ULCC, après et en fonction du résultat, il prendrait sa décision. Il n’est pas sans intérêt de lire un court extrait de cet entretien qu’il avait accordé au quotidien de la rue du Centre.
« Le nouveau Secrétaire général est le seul dirigeant à avoir paraphé cette lettre. Mais il n’a pas la légitimité pour le faire car il vient à peine d’être nommé. Je fais partie du Conseil stratégique qui n’a pas réagi. Cela dit, ce n’est pas la position du parti en soi. Cette lettre est l’initiative d’un petit groupe qui se laisse téléguider afin de légitimer la position d’une minorité qui veut s’imposer. Il s’agit de la quatrième position exprimée par des structures du parti et par le PM Claude Joseph. Je ne comprends pas pourquoi les positions changent du jour au lendemain. Jusqu’à présent, seuls des membres du parti EDE, qui ne sont pas des dirigeants représentatifs, ont contesté ma présence au CPT. Jusqu’à présent, je bénéficie toujours de la confiance des autres partis de la coalition. Je suis prêt à aller jusqu’au bout pour laver mon honneur. Je comprends que certains convoitent ma place. Mais je ne vais pas démissionner. Ce n’est même pas une question de Conseil Présidentiel.
Il s’agit de mon honneur. Il y a eu des accusations et des allégations, je ne suis ni condamné ni inculpé. Le moment est venu pour que je sois blanchi de tout soupçon si l’enquête est objective. Après, je prendrai ma décision ». En clair, Smith Augustin n’a pas dit son dernier mot. Entre-temps, les trois Conseillers-Président étaient invités une nouvelle fois par ULCC le jeudi 12 septembre 2024 pour de nouvelles dépositions. En dépit de l’absence annoncée de l’accusateur principal, Raoul Pierre Louis, refugié à l’étranger en attendant peut-être que sa sécurité soit garantie en Haïti pour qu’il vienne dire sa vérité non seulement aux enquêteurs de l’ULCC mais sans doute devant un juge d’instruction à propos de tentative de corruption de ces trois Conseillers-Président, alors qu’il est celui qui avait alerté le gouvernement, les trois accusés devaient tous faire le déplacement au siège de l’institution à Delmas 83 pour répondre aux questions des enquêteurs.
Emmanuel Vertilaire, toujours soutenu par son parti, avait confirmé qu’il allait affronter les fonctionnaires pour laver son honneur. « Oui je serai à ULCC. Je me battrai jusqu’au bout pour mon honneur » s’insurgeait-il. Tout comme Smith Augustin qui, lui n’ayant plus le soutien de son parti EDE, se montre néanmoins plus courageux que jamais. Il n’attendait que ce jour pour aller expliquer, une fois encore, qu’il n’a jamais sollicité le moindre sou au Président du Conseil d’administration de la BNC. D’ailleurs, Raoul Pierre Louis, lui aussi, était convoqué pour cette confrontation. Un courrier libellé à son intention et daté du 5 septembre 2024, lui avait été destiné à cet effet.
« La Direction générale de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) vous présente ses compliments et vous notifie par la présente que vous êtes attendu au local de l’ULCC sis au # 20, Delmas 83 dès 9h00 heures du matin pour une séance de confrontation avec les Conseillers Présidentiels Emmanuel Vertilaire, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles ainsi que le Coordonnateur de la Sécurité de ce dernier, monsieur Onad Fontaine autour des allégations de sollicitation de la somme de cent millions (100,000,000.00) de gourdes pour votre reconduction à la tête du Conseil d’Administration de la BNC. Cette séance de confrontation résulte des contradictions observées par la Commission d’enquête entre vos dépositions dûment consignées dans le procès-verbal de votre audition et celles des Conseillers Présidentiels susmentionnés. »
(A suivre)
C.C
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