Conseil Présidentiel, de la création au scandale de corruption (3)

(3ème partie)

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Face à l’absence d’alternative crédible, la délégation s’est retrouvée à encourager les acteurs de respecter leur engagement pris pour le bien commun même si tout le monde était très gêné y compris les membres de la délégation par ce scandale de corruption.

Dans leur courrier, les deux Conseillers-Présidentiel de Transition qui n’ont pas droit de vote, par conséquent pas les pouvoirs de leur pairs, soulignent que « Depuis plusieurs semaines, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) fait l’objet de vives critiques en raison de certaines allégations portées par-devant l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), relayées par les médias et reprises par certaines parties prenantes de l’Accord du 3 avril dans une correspondance publique adressée à notre Président.  A cet égard, les Conseillers-Président signataires de la présente (Frinel Joseph et Régine Abraham) estiment nécessaire de faire les propositions suivantes : l’adoption d’un code de déontologie applicable aux membres du CPT et dont un projet est joint à la présente ; la mise en place illico d’une Commission d’enquête sur les allégations en question dont les travaux peuvent être dirigés par les deux membres non votants du CPT, assistés d’un appui technique. »

Au moment d’écrire cette chronique, compte tenu de la majorité qualifiée (5/7) existant au sein du CPT, il s’est avéré impossible de mettre en place cette Commission d’enquête par la présidence. Toutes les initiatives venant d’Edgard Leblanc Fils ont été vite récusées par les trois Conseillers. Même la venue des dirigeants de la CARICOM n’a pas fait évoluer dans l’immédiat la situation puisqu’aucune sanction n’a été annoncée et les trois Conseillers Présidents poursuivent leur parcours au sein du CPT comme si de rien n’était, allant même à signer en compagnie de leurs six collègues la « Résolution » mettant fin aux fonctions du Premier ministre Garry Conille.

En effet, comme il a été annoncé par la présidence du CPT, quelques jours après, le Groupe des Éminentes Personnalités (GEP) de la CARICOM avait atterri dans la capitale haïtienne, soit le dimanche 11 août 2024. Durant cinq jours, la délégation caribéenne a rencontré comme d’habitude la quasi-totalité des acteurs et secteurs impliqués dans la Transition. Tout a été passé en revue. L’ordre du jour a été on ne peut plus chargé. De la difficulté du CPT à appliquer la feuille de route que lui avait remise la CARICOM quatre mois avant aux questions des relations exécrables existant entre certains membres du Conseil et la présidence, sans oublier bien sûr l’accusation de corruption portée contre les trois Conseillers en question.

Pendant cette semaine passée dans le pays, c’est à la queue leu-leu et parfois par groupe entier que la délégation recevait les protagonistes. Du Premier ministre, Garry Conille, au Président du CPT, Edgard Leblanc Fils, sans oublier les chefs des partis politiques et les plateformes dites Parties prenantes qui ont accouché l’Accord du 3 avril 2024 donnant naissance au Conseil Présidentiel de Transition en passant par les organisations de la Société civile, tout le monde était reçu par la CARICOM. Certains leaders politiques se sont plaints auprès des Éminentes Personnalités, tandis que d’autres se félicitent de l’avancement du Cahier de charges. Mais, selon tous les participants et les témoins, la CARICOM portait un intérêt particulier à s’enquérir sur la crise de confiance qui s’abat sur le CPT due aux accusations contre la plupart de ses membres.

Les Conseillers-Présidentiel impliqués dans le dossier de la BNC Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire.

En tout cas, c’est ce qu’a rapporté Le Nouvelliste daté du 13 août 2024 citant ses propres sources. « Le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM lors de la rencontre du lundi 12 août a voulu aussi avoir des explications sur l’épineux dossier d’accusations de corruption contre les Conseillers-Présidentiel Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire. Notre source au CPT a soutenu que le dossier est pour le moment devant l’Unité de lutte contre la corruption, tout en soulignant que l’ULCC n’a pas de juridiction sur le CPT. Seule une Résolution du Conseil Présidentiel pourrait autoriser l’ULCC à auditionner les Conseillers-présidentiel accusés », avait rapporté le quotidien de la rue du Centre. Frappées d’immobilisme par cette affaire, les Eminentes Personnalités de la CARICOM avaient fait le constat que le Conseil Présidentiel de Transition n’avance pas.

Mais, face à l’absence d’alternative crédible, la délégation s’est retrouvée à encourager les acteurs de respecter leur engagement pris pour le bien commun même si tout le monde était très gêné y compris les membres de la délégation par ce scandale de corruption. Le quotidien Le Nouvelliste révélait dans son édition du 26 août 2024, c’est-à-dire, le jour du départ de la délégation d’Haïti ce même vendredi 26, que « Le scandale de corruption présumée est gênant tant pour nous Haïtiens que pour ces Eminentes Personnalités de la CARICOM. Alors que c’est au nom d’un consensus large que le CPT a été ouvert aux représentants de Pitit Dessalines, de EDE de Claude Joseph et l’Accord du 21 décembre. Tout le monde est très embarrassé par ce scandale. J’ai eu l’impression que certains membres de cette délégation de la CARICOM étaient tristes ».

Les sources du journal semblent dire la vérité quand on sait que plusieurs intervenants sont revenus à plusieurs reprises sur la question et ont même demandé la tête des accusés refusant de se mettre en disponibilité du pouvoir le temps que la lumière se fasse sur leur compte alors qu’ils font tout pour empêcher la présidence de prendre une Résolution autorisant l’ULCC à les interroger comme le souhaitent la population et leurs deux collègues du CPT.

Selon l’agronome Jean André Victor qui a conduit la délégation du Collectif des partis du 30 janvier, les discussions autour de cette affaire étaient intenses. Invité le mardi 20 août 2024 à s’exprimer sur radio Magik9, l’homme politique dit ses craintes sur le devenir de la Transition si les acteurs et Parties prenantes ne parviennent pas à trouver une porte de sortie pour celle-ci « Cette réunion a été marquée par des discussions intenses autour du scandale de corruption présumé impliquant des membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dans l’affaire de la Banque nationale de crédit (BNC). Les discussions ont démontré que ce scandale a plusieurs dimensions : politique, sociale, juridique et même géopolitique. À ce stade, ce qui nous intéresse, ce n’est pas de savoir qui est coupable, complice et qui ne l’est pas. Il revient à la justice de faire la lumière sur cette question. Cependant, nous sommes grandement intéressés par l’aspect politique de l’affaire. On pense que ce scandale peut mettre en péril l’avenir de la Transition. Il faut éviter toute perte de confiance de la population en ses dirigeants. On a clairement dit aux Éminentes Personnalités que notre position est d’écarter les Conseillers-Présidentiel qui sont accusés de corruption. »

Si l’agronome Jean André Victor est si pessimiste, c’est qu’au cours des rencontres ayant eu lieu avec le Groupe des  Éminentes Personnalités, (GEP) de la CARICOM, de très nombreux acteurs et membres des Parties prenantes de l’Accord du 3 avril 2024, ont non seulement réclamé le départ de ces trois Conseillers mais ils pressent même la CARICOM à faire une première évaluation des activités du CPT tout en exigeant que la CARICOM intervienne directement dans le dossier pour procéder à la révocation des impétrants et de les remplacer illico selon la procédure prévue dans l’Accord du 3 avril. Une posture qui va pousser les membres de la délégation à aborder clairement avec les parties concernées la question du remplacement de Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire au sein du CP.

D’ailleurs, l’évolution ou le retournement de l’attitude des coalitions ayant cautionné ces trois Conseillers après le départ des Éminentes Personnalités de la CARICOM s’explique par la prise de position ouverte et franche de l’organisation régionale allant dans le sens qu’il faut les remplacer par d’autres personnalités plus crédibles si l’on veut sauver le CPT quitte à sacrifier les trois accusés. C’est ainsi que, quelques jours après le départ de la délégation, le parti EDE de l’ancien Premier ministre a.i Claude Joseph avait clairement changé d’avis et venait même à proposer le nom de Claude Edouard à la CARICOM dans la perspective de remplacer Smith Augustin à qui il avait demandé de démissionner même s’il bénéficie de la présomption d’innocence.

Dans son Rapport d’évaluation ou de compte rendu de voyage, le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM ne se prive pas de dire sa propre préoccupation vu la tournure d’une situation alimentée chaque jour par d’autres révélations dans la presse. Le mardi 20 août 2024, les envoyés spéciaux de la Communauté caribéenne, avaient, en effet, rendu public le fameux Rapport dans lequel ils ont fait un compte rendu détaillé des rencontres qu’ils ont tenues avec tous les protagonistes haïtiens y compris des acteurs internationaux très impliqués dans la recherche de solution à la crise durant leur séjour dans la capitale haïtienne.

Voici un résumé de ce long Rapport qui a été envoyé en Haïti, à l’ensemble des secteurs parties prenantes. « En réponse à une invitation du Président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et aux appels des parties prenantes, le Groupe de Personnalités Éminentes de la CARICOM (EPG) a effectué une visite en personne en Haïti du 11 au 16 août 2024, afin de vérifier et d’évaluer les progrès accomplis dans le processus de transition pour être en mesure de rendre compte aux chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ; la visite a permis un échange de vues et un dialogue avec des représentants d’un large éventail de la société haïtienne : l’exécutif bicéphale ; le Directeur Général de la Police Nationale d’Haïti ; le Ministre chargé des affaires féminines, les dirigeants du secteur de nomination. Les dirigeants des partis politiques non représentés au CPT ni au gouvernement ; le secteur de la Société civile, y compris les associations de femmes et de défense des droits humains ; les représentants des secteurs religieux et privé, des syndicats et d’un groupe de la diaspora en visite.

Des agents de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC)

L’EPG a également rencontré des représentants les principaux partenaires internationaux d’Haïti (Canada, France, États-Unis) ainsi que des représentants du Bureau des Nations Unies en Haïti (BINUH), de l’Organisation des États américains (OEA) et du Commandant de la Force de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS). La visite au CPT et au Premier Ministre a permis de faire le point sur la situation générale, leurs activités et leurs plans ainsi que leurs préoccupations. L’EPG a été encouragé par le fait que le CPT semble faire des efforts pour surmonter les retards dans la mise en place d’un certain nombre d’institutions et d’entités clés requises par l’Accord du 3 avril entre les parties prenantes, telles que le Conseil Électoral Provisoire (CEP), l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), le Conseil National de Sécurité et la Conférence nationale. La question de l’éloignement entre certains secteurs et leurs représentants au Conseil et des frictions qui en résultent a été soulevée. L’EPG a également discuté du malaise des parties prenantes résultant de la non-publication de l’Accord du 3 avril, de l’absence des institutions critiques proposées, de l’inaction du Conseil et de l’impact négatif sur le Conseil, de son inaction face aux allégations de corruption contre trois de ses membres. Les allégations de corruption n’auraient pu survenir à un pire moment et devront être résolues rapidement afin de préserver l’intégrité de l’institution et la confiance du public dans le processus de transition. À cet égard, l’enquête de l’agence d’investigation anti-corruption sera d’une importance cruciale. Il faut revenir à l’éthique de l’accord conclu à la Jamaïque le 11 mars 2024, qui reposait sur l’inclusion, le consensus et la responsabilité » extrait du Rapport du GPE en date du 20 août 2024.

Dans la foulée, on a appris que les trois Conseillers en question ont bien répondu à l’invitation du ULCC et ont été auditionnés le mardi 27 août par les enquêteurs de l’organisme anti-corruption dans le cadre de l’enquête dite « sollicitation de pot-de-vin ». Auditionnés dans la plus grande discrétion, un privilège sans doute dû à leur rang de Conseillers-Président, en clair, chef du Pouvoir exécutif provisoire, Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin continuent de clamer leur innocence et crient au complot politique. En tout cas, selon le journal Le Nouvelliste, édition du 27 août 2024, les trois accusés avaient bien répondu aux questions de l’ULCC et continuent de démentir avec insistance l’accusation de l’ancien Président du Conseil d’administration de la BNC, Raoul Pierre-Louis.

Smith Augustin, le plus combatif des trois, s’est livré à la presse, notamment au journaliste Roberson Alphonse, dans une interview qu’il a réalisée pour Le Nouvelliste publiée dans son édition du 28 août 2024. « Oui, je me suis présenté volontairement ce mardi 27 août 2024 au local de l’ULCC, seul, sans avocat. Très cordialement reçu par le Directeur général, j’ai été ensuite auditionné par une Commission d’enquête de deux membres assistés d’un clerc. L’audition a duré entre 11h a.m. et 2h p.m., portée sur mon parcours professionnel, mon patrimoine personnel, le fonctionnement du CPT et les allégations de corruption proprement dites. Le scandale est un produit politique qui a été intentionnellement fabriqué. L’affaire est politique et sans fondement juridique. C’est un dossier vide qui est volontairement mis au service d’une lutte pour le pouvoir dans le but de nuire à la réputation des adversaires politiques que nous sommes » extrait de l’interview.

A en croire une source du journal auprès de l’institution, expliquant quelle était l’attitude de l’ULCC vis-à-vis des trois membres du CPT, elle a déclaré « Je confirme l’audition aujourd’hui des trois Conseillers concernés par le dossier de sollicitation de pot-de-vin. C’est le motif de départ qui peut évoluer. D’autres infractions peuvent émerger comme abus de fonction, corruption active, trafic d’influence. Sur le statut des membres du CPT, l’ULCC a une position contraire de celle de certains juristes. La situation des membres doit être traitée conformément aux deux décrets portant création et fonctionnement du CPT. Il y a effectivement un renvoi sur des attributions présidentielles mais les textes restent muets sur le privilège de juridiction. L’ULCC ne peut pas distinguer là où les décrets ne le font pas. » Mais, en dépit des auditions des trois accusés et de l’accusateur quelques semaines plus tôt, la CARICOM ne semblait pas satisfaite et s’inquiétait surtout de la lenteur de l’ULCC à rendre son verdict concernant les membres du CPT impliqués dans ce scandale de corruption.

(A suivre)

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