Conseil Présidentiel, de la création au scandale de corruption (11)

(11ème partie)

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Les trois Conseillers Présidentiels concernés : Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin

Dans le dossier relatif à la corruption de la BNC concernant les trois membres du Conseil Présidentiel de Transition, plusieurs options étaient mises sur la table par Leslie Voltaire alors Président du CPT pour obtenir leur mise à l’écart. Il voulait démontrer à Washington qu’il pouvait résoudre cette équation en utilisant des formules très complexes en tant qu’architecte. De guerre lasse !

Ses calculs ne lui ont pas donné satisfaction. Et pour cause. Il a terminé son mandat de Coordonnateur du CPT le 7 mars 2025 sans obtenir la moindre satisfaction.

« Face aux pressions venues d’Haïti et de l’étranger, Leslie Voltaire avait exprimé son embarras aux trois Conseillers concernés leur demandant de prendre eux-mêmes une décision. Le Président du CPT leur avait présenté plusieurs scénarios. D’abord, il leur dit qu’il reste attaché à leur position relative à la présomption d’innocence garantie par les lois haïtiennes. Ensuite, Leslie Voltaire leur a présenté comme option de déléguer leur droit de vote aux trois autres Conseillers Présidentiels. Le troisième scénario serait que les trois Conseillers concernés s’écartent eux-mêmes du Conseil. Les activités ont été paralysées au Conseil Présidentiel pendant plusieurs jours. Le jeudi 28 novembre, nous avons réalisé une rencontre. Les trois Conseillers Présidentiels concernés soutiennent que le CPT n’a aucun mécanisme pour les écarter du Conseil. Leslie Voltaire a demandé aux trois Conseillers concernés de prendre leur responsabilité. Finalement, Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin restent en poste et conservent tous leurs droits et privilèges en attentant la décision du juge d’instruction en charge de l’enquête sur le scandale de corruption à la BNC. Mais, nous avons conclu que le Conseil ne peut écarter aucun de ses membres. Il n’y a pas de provision légale » information circulant dans la presse le 2 décembre 2024.

Pendant ce temps, les Conseillers poursuivent leur combat sur plusieurs fronts. D’un côté, ils tentent de convaincre les autres membres du CPT que cet organe politique n’a pas le pouvoir de les révoquer. De l’autre côté, les mis en cause ne cessent de sortir, à travers leurs avocats, des arguments juridiques, voire constitutionnels prétextant qu’ils sont de vrais Président.

De ce fait, seule une Haute cour de justice pourrait trancher. Après Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire, c’était le tour de Louis Gérard Gilles de récuser le juge Benjamin Félismé. Dans une très longue réquisition, ses deux avocats, Me Mozart Clérisson et Éphésien Joissaint, ont tenté, par des exercices intellectuels et juridiques, de démontrer que leur client est dans son bon droit de décliner l’invitation du juge Benjamin Félismé. Par ailleurs, ils soulignent que leur client, en tant que Président de la République, – rien que ça – ne peut se présenter devant un simple magistrat. Il faudra une Haute cour de justice pour cet exercice.

Prenant les mêmes arguments que ceux d’Emmanuel Vertilaire, Me Mozart Clérisson et Éphésien Joissaint se sont livrés à un Cours magistral de science juridique pour tenter de disculper le Conseiller-Présidentiel dans cette affaire de cent millions de gourdes de la BNC. Pour l’édification des lecteurs, nous publions un large extrait de leur plaidoirie « Cette suspicion légitime est justifiée par les motifs suivants: attendu que suite à la transmission au parquet de ce ressort du rapport en date du 2 octobre 2024 de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) relativement à une affaire dite « affaire la BNC », dans laquelle le nom du requérant, Conseiller-Président de la Transition de son état, ainsi que deux de ses pairs, a été mal à propos cité, le dossier a été déféré au cabinet d’Instruction et distribué par devant le juge et juge d’Instruction Benjamin Félismé aux fins d’instruction et d’information. Attendu qu’après avoir pris connaissance du dossier, le juge d’instruction, devant agir à la lumière de la loi et des principes de droit, est tenu de vérifier la qualité des personnes mises en cause avant de poser tout acte d’instruction. 

Me Samuel Madistin

Attendu que ne l’avait pas fait, le juge d’instruction a commis l’erreur d’inviter dans un premier temps le requérant sous la date du 19 novembre 2024, en l’occurrence le Conseiller-Président de la Transition, Louis Gérald Gilles à se présenter par devant lui en dépit de son statut de Président de la République. Passible seulement par devant la Haute Cour de Justice pour des présumés crimes et délits qu’il aurait commis dans l’exercice de ses fonctions de président, ce, conformément aux prescrits de l’article 185 de la Constitution de 1987 amendée et en vigueur. La Haute Cour de justice n’existe pas pour le moment, seule instance judiciaire capable de se prononcer sur la destitution du Président en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat. L’inexistence de cette Cour ne devrait être nullement une excuse pour le juge, puisque la Constitution n’autorise pas ce dernier à en passer outre en pareille circonstance, les prescriptions constitutionnelles étant d’interprétation stricte et d’ordre public. »

Les fonctions de Président de Louis Gérald Gilles lui sont conférés respectivement par l’arrêté du 15 avril 2024 nommant les membres du Conseil de la Transition, le Décret de 10 avril 2024 portant création du Conseil Présidentiel de la Transition, le Décret du 23 mai 2024 déterminant l’Organisation et le mode de fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) ainsi que la Résolution du 7 mai 2024 relative à la prise des grandes décisions du CPT. Qu’une requête a été adressée au juge d’instruction Félismé le 28 octobre 2024 « pour lui expliquer, ce, avec textes légaux à l’appui, qu’il se doit de s’abstenir d’instruire contre le Conseiller-Président de la Transition, Louis Gérald Gilles et de rendre son ordonnance de refus d’informer en la circonstance, il n’en a fait cas, et préféré de poursuivre cette voie tortueuse lorsqu’il a décidé de transformer le mandat d’invitation en celui de comparution dans lequel il a inculpé le Conseiller-Président Louis Gérald Gilles et lui demande de comparaitre par devant lui le 09 décembre pour tous les faits insérés dans le réquisitoires d’informer du Parquet… De ce qui précède, le Conseiller-Président de la Transition, Louis Gérald Gilles récuse en masse et demande le dessaisissement des cabinets d’instruction de tous les juges d’instruction du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, notamment celui du Juge d’Instruction Benjamin Félismé, pour cause de suspicion légitime. Ce qui équivaut au renvoi des Juges d’Instruction de ce Tribunal au profit des autres Juges d’instruction d’un autre Tribunal Civil de la République » document rendu public le vendredi 6 décembre 2024.

Après ces différentes réquisitions contre la décision du juge Benjamin Félismé de les convoquer les 9, 10 et 11 décembre 2024, personne ne s’attendait à ce que l’un d’entre eux se présente à son cabinet pour y être interrogé. Effectivement, la presse et les observateurs politiques qui avaient fait le déplacement au cours de ces trois jours y ont été pour leur frais. Ni Louis Gérard Gilles ni Emmanuel Augustin ni Smith Augustin ne s’étaient déplacés. Chacun avait donné les raisons pour lesquelles il n’avait pas l’intention de venir le voir. En constatant leur absence, le juge n’avait qu’à prendre à chaque fois acte de leur absence et vu qu’il avait mentionné qu’il lancerait un mandat d’amener s’ils refusaient de répondre à sa convocation, il ne lui restait que cette ultime option contre les trois membres du Conseil Présidentiel de Transition.

quelques jours avant les fêtes de Noël, le juge chargé d’instruire l’affaire, Benjamin Félismé, devait lancer deux mandats d’amener à l’encontre de deux personnages: Pascal Raoul Pierre-Louis et Lornick Léandre…

Une attitude qui a vraiment mis en colère Me Samuel Madistin devant la position commune des trois Conseillers-Président d’ignorer l’invitation du juge en mettant en avant leur statut de Président de la République. En interview sur Magik9 le 11 décembre 2024, Me Samuel Madistin a expliqué que « La récusation est un droit que jouit une partie qui doute de la neutralité d’un juge. La récusation d’un juge n’est pas synonyme de la cessation de l’instruction, c’est à la Cour de cassation que revient le droit de décider du traitement à accorder à une requête de récusation. On ne peut pas être en crise et choisir la solution la plus difficile. Le CPT est un repaire d’hommes et de femmes en quête d’opportunités et de privilèges, qui se sont associés à la Communauté internationale, en vue d’occuper les avenues du pouvoir sans se préoccuper des problèmes réels du pays.

Chaque Conseiller Présidentiel coûte à l’État haïtien 60 000 dollars américains par mois. Pour mettre un terme aux dérives du CPT, il faut faire le choix d’un juge à la Cour de cassation comme Président et d’un gouvernement, sans Premier ministre, avec 10 ou 12 Ministères. Ce gouvernement, devra se pencher sur des problèmes spécifiques dont le rétablissement de la sécurité. »

Comme on peut le voir, la situation demeure inchangée et complexe pour tous les acteurs y compris la Communauté internationale, notamment Washington à travers la CARICOM dont le Conseil Présidentiel de Transition en est le fruit. D’ailleurs, devant l’intransigeance des mis en cause pour démissionner de la structure étatique, le lundi 16 décembre 2024, l’ensemble des acteurs et des Parties prenantes de l’Accord du 3 avril ont eu une énième rencontre en visio-conférence avec le Groupe des Éminentes Personnalités (GEP) de la CARICOM sur la question. Après des heures de discussions, pratiquement tous, notamment les trois plateformes ayant des membres impliqués dans le scandale, ont exprimé leur souhait de voir l’instance caribéenne  limoger les mis en cause.

Ces Parties prenantes ont tout bonnement réclamé de l’organisation interrégionale de démettre les trois Conseillers indexés afin de sauver le CPT d’une autodissolution. Nous publions dans l’ordre les déclarations de ces trois groupes qui n’appuient plus leurs représentants au Conseil Présidentiel de Transition tout en réclamant une refonte totale de cette instance. Me André Michel de l’Accord du 21 décembre, (Louis Gérald Gilles), Claude Joseph du parti EDE, (Smith Augustin) et Liné Balthazar pour le Collectif 30 janvier (Edgard Leblanc Fils). Successivement, ils affirment que « Nous avons expliqué que le processus a perdu sa crédibilité et sa légitimité. D’ailleurs, la majorité des Parties prenantes ont pris leur distance avec le processus et leurs représentants au CPT. Nous avons redit que l’on ne pourra pas sauver le processus avec la présence des trois Conseillers Présidentiels inculpés au Cabinet d’instruction. Toutes les Parties prenantes raisonnables ont partagé le même diagnostic que nous, mis à part quelques fanatiques, nous reviendrons vers la CARICOM avec une proposition de redressement pour la Transition.

Car, nous l’avons tous compris, nous devons sauver le processus sans renverser la table » Me André Michel. Ensuite, l’ancien Premier ministre Claude Joseph « EDE plaide pour le départ des trois Conseillers inculpés. La CARICOM a demandé aux secteurs de lui faire une proposition sur l’avenir du CPT.  Ce que nous avons accepté. » Enfin, la plateforme Compromis historique « La position des partis du Collectif 30 janvier n’a pas changé. Le CPT n’a pas respecté l’Accord du 3 avril et n’a donné aucun résultat. La formule du CPT reste, mais on ne se reconnait pas dans la composition. D’autant plus que nous avions déjà pris notre distance avec notre représentant qui ne nous représente plus. Les secteurs doivent se rencontrer pour travailler sur une proposition de sortie de crise à soumettre à la CARICOM idéalement avant les fêtes de Noël. Ce que les Parties prenantes s’engagent à faire après les consultations entre eux et avec d’autres secteurs qui ne sont pas signataires de l’Accord du 3 avril » devait indiquer Liné Balthazar.

Toutes ces déclarations ont été faites le lundi 16 décembre 2024 à l’issue de la rencontre du Groupe des Eminentes Personnalités de la CARICOM et les Parties prenantes, c’est-à-dire, les regroupements sociopolitiques ayant des représentants au sein du CPT sur le peu de résultats constatés de celui-ci et le non respect de l’Accord du 3 avril mais surtout sur la perte de crédit des dirigeants de la Transition auprès de la population. On doit souligner que ce mois de décembre 2024 a été un mois fertile en informations sur le dossier relatif à la corruption au sein de la Banque Nationale de Crédit (BNC) dans lequel sont impliqués trois membres du Conseil Présidentiel de Transition.

En effet, quelques jours avant les fêtes de Noël, le juge chargé d’instruire l’affaire, Benjamin Félismé, devait lancer deux mandats d’amener à l’encontre de deux personnages clés dudit dossier. Il s’agit bien évidemment de l’ex-Président de la BNC, Pascal Raoul Pierre-Louis et l’ex-Consul Lornick Léandre, chacun pour des motifs différents. Le premier sous l’inculpation de « corruption active et de versement de pot de vin » et le second pour « complicité de versement de pot de vin ». Mais, ces deux personnalités n’étaient pas les seules à intéresser le juge d’instructeur au cours de ce mois de décembre. A un niveau moindre, l’ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, Jonas Coffy, était lui aussi invité à se présenter au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince à titre de témoin pour s’expliquer sur des « faits d’abus de fonction, de corruption active et passive, de sollicitation de pot de vin, de versement de pot de vin » dans cette affaire. Comme il fallait s’y attendre, à la date prévue, c’est-à-dire, le lundi 23 décembre 2024, aucun des mis en cause ne s’était présenté au Cabinet du juge Benjamin Félismé.

D’une part, l’on savait déjà que Pascal Raoul Pierre-Louis ne se trouvait pas en Haïti depuis longtemps et que Lornick Léandre lui aussi, s’était mis à couvert sous d’autres cieux. Entretemps, une majorité des Parties prenantes de l’Accord du 3 avril 2024 cherchaient toujours à faire plier le Conseil Présidentiel de Transition sur les trois Conseillers accusés : Emmanuel Vertillaire, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles qui, par des arguments juridiques présentés dans la presse, clament leur innocence mais surtout mettent en avant leur statut de Conseiller-Président pour récuser leur envoi devant la justice ordinaire.

(À suivre)

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