Cette semaine, nous entamons une nouvelle série à propos du scandale de corruption dans lequel trois Conseillers Présidentiels sont impliqués. Plus que des soupçons. Au fil de cette nouvelle chronique, les lecteurs découvriront que, dès sa création, le CPT donnait déjà le flan à toute sorte de suspicions qui, malheureusement pour certaines, se sont avérées confirmées. C’est un dossier qui, le moins que l’on puisse dire, jette un discrédit certain sur l’ensemble des membres de cet organisme exécutif.
Avec la nomination d’un nouveau Premier ministre par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), les Haïtiens pensaient enfin retrouver une forme de stabilité politique et institutionnelle pour conduire le pays vers la fin de la transition politique. Personne ne s’imaginait que deux mois après sa création, le CPT, à peine installé, allait causer sa propre perte de crédit avec l’éclatement du scandale de corruption, jusqu’à empêcher trois de ses membres de devenir Président de la présidence collégiale.
Certes, depuis leur prise de fonction, les 9 membres du CPT marchaient sur la braise tant les noms de la plupart d’entre eux circulaient dans les médias et sur les réseaux sociaux les accusant d’avoir été mêlés à des combines au sein de l’appareil de l’État. Le plus significatif est le détournement de fonds publics destinés au Service d’Intelligence Nationale (SIN) que certains membres assument et confirment avoir partagé afin de financer leur propre sécurité, etc.
En général, la population haïtienne est peu rancunière sur ces actes de corruption vis-à-vis de ses dirigeants tant c’est entrée dans les mœurs et dans les pratiques. A quelques exceptions près, elle se révolte, manifeste et demande parfois des comptes aux autorités, comme c’est le cas pour le fameux dossier du fonds PetroCaribe sous les présidences de Michel Martelly et de Jovenel Moïse (2011-2021). Et là encore, il y a eu une bonne part de manipulation politique des oppositions pour qu’au sein de la Société civile, il se crée des groupes de pressions contre le gouvernement. Sinon, rien d’inquiétant pour le pouvoir.
La preuve, dès le lendemain de l’assassinat du chef de l’État, le 7 juillet 2021, ces groupes de pression ont tout bonnement disparu dans la nature et le dossier PetroCaribe, comme tous les autres dossiers relatifs à la corruption, est lui aussi vite oublié. Mais, Dieu merci, la mentalité évolue. Elle évolue surtout à propos des dirigeants qui ne bénéficient d’aucune légitimité populaire encore moins constitutionnelle et qui ne semblent pas se préoccuper du sort d’un pays complètement livré aux groupes armés et à la Communauté internationale notamment les Etats-Unis d’Amérique qui le maintiennent en vie grâce à un cordon sécuritaire dirigé par le Kenya.
De ce fait, l’opinion publique commence à ne pas accepter que tout se passe comme une lettre à La Poste et que la corruption devienne la norme de gouvernance. Nous disons donc, deux mois après l’installation du CPT et à quelques jours seulement de la prise de fonction de Garry Conille, la République allait être secouée par un énorme scandale qui fera date, une nouvelle fois, dans l’histoire d’Haïti et dont l’opinion publique ne semble pas se résoudre à accepter l’inacceptable.
Trois membres du Conseil Présidentiel de Transition : Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles sont publiquement accusés de tentative de corruption par Raoul Pascal Pierre-Louis, le Président du Conseil d’administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC), l’une des trois plus grandes banques commerciales du pays. Certes, la rumeur courrait bon train. Les réseaux sociaux et le téléphone arabe faisaient circuler les noms des présumés corrompus. Mais, faute de communication officielle ni de démenti de la part d’aucun des accusés, tout le monde demeure prudent et ne pipe mot, en tout cas publiquement.
Il aura fallu l’intervention le jeudi 25 et le vendredi 26 juillet 2024 de Me Sonet Saint-Louis, défenseur du Président du Conseil d’administration de la BNC, sur deux stations de radio de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, (Vision 2000, et Magik9) dans leurs émissions matinales à très forte écoute pour qu’enfin les langues se délient publiquement. Cet avocat très engagé politiquement a été, en effet, le premier à vendre la mèche dans les médias et par ricochet sur la place publique en citant, sans détour et sans trembler, les noms de ces « Trois Conseillers Présidentiels : Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Smith Augustin qui ont réclamé 100 millions de gourdes à M. Pierre-Louis pour le reconduire à la tête du CA de la BNC. »
En réalité, tout commence par un courrier en date du 24 juillet 2024 adressé au nouveau chef du Gouvernement de transition, Garry Conille. Courrier dans lequel, le dirigeant de la BNC cite nommément les trois Conseils-Président de vouloir lui soutirer 100 millions de gourdes s’il souhaiterait conserver son poste à la tête de cet organisme public.
Dans son courrier au locataire de la Primature, Raoul Pierre-Louis laissait entendre qu’il a peur et exige même du gouvernement de la protection pour lui et sa famille étant donné le rang de ces personnes ayant exigé cette somme faramineuse si vraiment l’envie lui prenait de garder la présidence de cette banque publique. Croyant bien faire, Pierre-Louis souligne pour Garry Conille « J’ai été approché par des Conseillers Présidentiels, Messieurs Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire, qui ont exigé un paiement de 100 millions de gourdes pour conserver mon poste de Président de la Banque Nationale de Crédit. Cette demande, que je perçois comme une forme de corruption, menace non seulement mon intégrité professionnelle mais pose également un risque sécuritaire grave pour ma famille et moi-même. Devenus cible de ces individus, nous sommes exposés à des menaces d’attaques potentielles. Face à cette urgence, je sollicite une intervention rapide de votre part afin de renforcer notre sécurité et de permettre la continuation de mes fonctions dans un environnement sécurisé et sans pression indue. »
Après ce courrier dans lequel il accuse publiquement les Conseillers-Président dont deux futurs Coordonnateurs du CPT de tentative de corruption, Raoul Pierre-Louis ne doute pas un instant que c’est lui, le premier, qui allait payer le pot cassé. En clair être sanctionné pour le silence qu’il venait de briser. C’est en quelque sorte, « l’arroseur-arrosé » dans la mesure où, en guise de réponse à sa lettre du 24 juillet, il apprend dans une correspondance signée du Premier ministre datée du 8 août 2024 qu’il a été révoqué et qu’un Comité de gestion de la BNC est mis en place.
Sans chercher à comprendre si le haut fonctionnaire dit la vérité, Garry Conille écrit « Cher Monsieur Pierre-Louis, je vous informe, par la présente que, par décision du Gouvernement, il a été demandé au régulateur du système financier qui est la Banque Nationale de la République d’Haïti (BRH) de mettre en place à la Banque Nationale de Crédit (BNC) un Comité de gestion, en attendant la nomination et l’installation d’un nouveau Conseil d’administration. Par conséquent, il a été décidé de mettre fin à vos fonctions de Président du Conseil d’Administration de la BNC. »
En recevant cette lettre, l’histoire ne dit pas quelle a été la réaction du désormais ex-Président du Conseil d’administration de la BNC. Mais, on imagine qu’il s’est tombé de son fauteuil. Lui qui croyait bien faire en dénonçant trois présumés corrompus, des dirigeants qui sont censés justement combattre ce genre de malversations au nom de la République et du peuple haïtien. Sitôt dit sitôt fait.
Le mardi 13 août 2024, le public apprend dans un Tweet de la BRH (Banque centrale d’Haïti) que « La ministre de l’Economie et des Finances, Kethleen Florestal, et le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Ronald Gabriel, ont procédé à l’installation officielle des membres du Conseil de gestion de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Ce Conseil, composé de Pierre André Agélus, Pascale Valembrun Désinor et Evens Jérôme, a pour mission d’améliorer la qualité du portefeuille de la BNC. Il s’assurera également de la mise en œuvre des outils de contrôle, ainsi qu’à une gestion rigoureuse des risques, afin de garantir la stabilité de cette institution, la troisième plus grande banque du pays ».
En clair, le dossier de Raoul Pierre-Louis et le scandale de la corruption sont clos, croit-on au sein de l’Exécutif de la Transition. Clos, certes, pour le pouvoir, mais pas pour la presse ne cessant d’alimenter la population d’informations authentiques et véridiques concernant cette affaire.
Avec cette révocation de leur accusateur, Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin pensaient eux-aussi être sortis d’affaire. Surtout, ils étaient tous les trois montés au créneau pour dénoncer à leur tour ce qu’ils appellent « une manipulation politique » de leurs opposants. Le plus combatif des trois, Smith Augustin, qui s’apprêtait à succéder à Edgard Leblanc Fils à la présidence du CPT, a été le premier à vouloir se défendre contre les accusations de Raoul Pierre-Louis.
Dans un long communiqué à la presse, ses services de communication prenaient le contre pied de ce qu’ils ont appelé des « allégations » contre le membre du Conseil Présidentiel de Transition « Le Bureau de Communication du Conseiller-Président Smith Augustin exprime sa stupéfaction et son indignation face aux récentes allégations mensongères et calomnieuses associant le Conseiller Présidentiel à des actes de corruption, et attaquant ainsi sa personnalité et son intégrité. Le Conseiller Smith Augustin rejette les accusations de corruption portées contre lui, il dénonce une démarche politiquement motivée visant la déstabilisation du Conseil de Transition et réitère sa détermination à poursuivre son travail en dépit des tentatives de diffamation, d’intimidation et de sabotage. Il exhorte ses concitoyens à rester vigilants et à ne pas prêter foi aux allégations politiquement motivées qui ne visent que la déstabilisation du CPT (…) »
Par ailleurs, le parti Pitit Dessalines de Jean-Charles Moïse, dès la mise en cause de son représentant au CPT, Emmanuel Vertilaire, avait immédiatement sollicité la révocation du Président de la BNC et avait envisagé de saisir la justice contre lui pour atteinte à l’intégrité du Conseiller-Président. Curieusement, si les avocats-Conseil de Louis Gérald Gilles ont beaucoup fréquenté la presse pour essayer de laver leur client, celui-ci demeura le plus discret possible compte tenu de l’ampleur qu’a pris cette affaire de corruption.
Il faut dire que, à part le Conseiller Emmanuel Vertilaire qui est soutenu publiquement et garde toute la confiance de son parti Pitit Dessalines et de Jean-Charles Moïse, les deux autres accusés ne peuvent en dire autant. En effet, dès l’éclatement du scandale, l’ULCC (Unité de Lutte de Contre la Corruption), avait ouvert une enquête pour « sollicitation de pot-de-vin » à la demande de la Primature et avait convoqué l’accusateur Raoul Pierre-Louis pour le mardi 30 juillet 2024 pour venir s’expliquer devant une Commission d’enquête de cet organisme à 10h. Ce que l’intéressé, dans un premier temps, avait décliné arguant craindre pour sa sécurité tant que les trois Conseillers-Président demeurent à leur poste. Smith Augustin et Louis Gérald Gilles sont les deux accusés qui restent sous les projecteurs et dont les parties prenantes respectives les soutiennent qu’à reculons.
Deux jours après que le courrier accusateur ait été rendu public, dans une lettre datée du 26 juillet 2024, les militants de plusieurs organisations ayant contribué à la nomination de Smith Augustin au CPT, avaient pris clairement position pour que ce secteur remplace celui-ci sans tarder compte tenu de cette grave accusation. Soutenus par les Secrétaires et Secrétaires-adjoint départementaux du parti les Engagés pour le Développement (EDE), ils avaient écrit à la Secrétaire Sterline Civil pour cette requête en plus de la Résistance démocratique (RED), la Coalition historique et tous les autres formant cette plateforme qui se sont soulevés pour évincer Smith Augustin en soulignant avoir « Pris acte de la correspondance du Président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC) au Premier Ministre Garry Conille en date du 24 Juillet 2024, faisant état de comportement assimilable à un acte de corruption qui impliquerait des Conseillers-Président dont notre représentant, M. Smith Augustin.
Saisi du dossier, le Directeur Général de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) adresse une correspondance au Président du Conseil d’Administration de ladite banque lui demandant de se mettre disponible pour une audition relative à l’acte corruptible qui serait posé par trois (3) des Conseillers-Présidents. Cette situation déshonorante pour le Conseil Présidentiel de Transition nous rend inconfortables. Par conséquent, pour éviter toute entrave à l’enquête déjà initiée par l’ULCC et à la justice, pour restaurer un climat de confiance susceptible de faciliter la réussite de la période intérimaire, nous exigeons illico le retrait de M. Smith Augustin et son remplacement immédiat suivant les dispositions de l’Accord du 3 avril 2024. Les intérêts supérieurs de la Nation doivent être au-dessus des intérêts de groupes. Nous nous désolidarisons du Conseiller-Président Augustin pour cause de suspicions légitimes. »
Ces militants voulaient que cet ancien ambassadeur d’Haïti en République dominicaine soit remplacé selon les dispositions de l’Accord signé le 3 avril 2024. Pourtant, malgré cette fronde à l’intérieur du parti de Claude Joseph, celui-ci avait continué à soutenir le représentant de la coalition qui avait nommé l’ancien diplomate au CPT. L’ancien ministre des Affaires Étrangères et ex-chef de gouvernement a.i sous Jovenel Moïse, faisait même état d’une manipulation politique, voire d’une tentative de coup d’État pour empêcher son protégé d’alors d’accéder à la présidence du CPT le 7 octobre 2024 suivant ce qui avait été défini par l’ensemble des parties prenantes. A ce moment, Jean-Claude Joseph expliquait même que « Lors de ma rencontre avec la délégation de la CARICOM, les Éminentes Personnalités n’avaient pas suggéré d’écarter les membres du CPT accusés. La CARICOM est claire qu’elle n’a pas de prérogatives pour demander le changement des membres au Conseil Présidentiel de Transition. La délégation voulait savoir s’il y a un malaise entre les membres du CPT et les Secteurs et notre compréhension sur les allégations. Les mêmes Secteurs qui voulaient empêcher aux secteurs EDE-RED, Pitit Desalin et l’Accord du 21 décembre d’avoir des représentants au CPT sont les mêmes qui, aujourd’hui, veulent empêcher Smith Augustin de devenir Président du CPT le 7 octobre. L’enjeu est la présidence du CPT le 7 octobre. »
Depuis, l’opinion du patron de EDE a beaucoup évolué sur la question. Ce qu’on verra plus loin.
(A suivre)