Comprendre le discours du 9 juillet 2003 de Brian Dean Curran dans un contexte de crise politique actuelle

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1986
L'ambassadeur des États-Unis en Haïti d’alors, Brian Dean Curran, prend la parole lors d'une conférence de presse à Port-au-Prince, le 10 juin 2003

Naturellement, quand un diplomate américain fait des commentaires sur la problématique des crises politiques, surtout dans l’Haïti post Duvalier, il faut regarder ou penser beaucoup plus loin que la valeur de vérité de sa déclaration.  Car cette dernière pourrait, à court et à long terme, avoir des conséquences sérieuses sur la gestion politique du pays. Mais, quand un ambassadeur américain dit une chose et que ses successeurs font le contraire, il y a donc lieu de comprendre que, en tant qu’acteurs influents dans les élections en Haïti, les intérêts de Washington dans le choix des dirigeants du pays de Dessalines, reflètent toujours le contraire du jeu démocratique. Tout en faisant une analyse du passé récent de la politique haïtienne de façon à mieux comprendre le discours sortant de cet ancien ambassadeur américain en Haïti, ce texte a pour objectif de faire le plaidoyer pour qu’il y ait des hommes et des femmes bien formés, mais surtout avec de grandes valeurs morales au sein de l’appareil d’État en Haïti.

Dans son discours d’adieu d’une cérémonie spéciale organisée par l’HAMCHAM le 9 juillet 2003, l’ambassadeur sortant des États-Unis en Haïti à l’époque, Brian Dean Curran, d’une analyse très profonde des réalités politiques, économiques et sociales du pays, eut à déclarer que: « J’espère que les têtes froides prévaudront. Et j’espère que l’ultime incohérence, la nostalgie de l’ère duvaliérienne, n’induise personne à appuyer financièrement ou autrement, aucun rôle politique pour Jean Claude Duvalier. Le passage du temps ne devrait pas effacer les crimes. Les pages de l’histoire ne peuvent pas être retournées. L’Ambassadeur continua pour dire: Cherchez de préférence parmi vos incroyablement talentueux jeunes professionnels éduqués à Harvard, Columbia, Stanford, Georgetown et autres universités américaines, à la Sorbonne ou l’HEC, à McGill ou Laval, pour une nouvelle génération de leadership politique, éprouvés dans le creuset des idées modernes, mais maintenant en Haïti, préparant un meilleur avenir pour Haïti et non la pérennité, la nostalgie ou la revanche. »

Peut-être que certains se demandent à quoi ça sert, plus de quinze ans après, de revenir avec cet extrait du discours de cet ancien ambassadeur américain qui était en fin de mission en Haïti? D’autres pourraient objecter que le contexte politique a évolué et une telle analyse, par conséquent, n’est plus appropriée pour aider à comprendre la conjoncture de crise à laquelle le pays fait face actuellement.  Quelle que soit la préoccupation soulevée, cet exercice est important dans la mesure où l’analyse ou le décryptage d’un discours, surtout d’un ambassadeur américain, peut aider à cerner, dans un sens ou un autre, le projet politique de l’Oncle Sam pour le pays.

Il est important et même nécessaire de s’interroger, d’une part du lieu, des circonstances que l’ambassadeur a choisis pour tenir de tels propos, et, d’autre part de l’audience qui était présente à cette cérémonie. Sans entrer dans les détails d’une discussion qui serait définitivement trop longue, mais quand on fait un discours d’adieu à la HAMCHAM en présence d’une frange de l’élite intellectuelle, économique et politique du pays, il y a lieu de penser que le diplomate voulait lancer, avant son départ, un message fort, mais surtout cordé, aux dirigeants et dirigés d’Haïti.  Car, « tout discours s’inscrit dans un certain cadre actionnel où sont déterminés les identités sociales, les buts et les rôles sociaux des partenaires de l’échange langagier. »

Patrick Charaudeau dans son texte, À quoi sert d’analyser le discours politique, pense que : « discours et action sont deux composantes de l’échange social qui ont une autonomie propre. C’est de leur combinaison que naît le sens de l’échange langagier. Ainsi, on considérera que les faits de langage sont essentiellement des faits de communication qui ont une double dimension. Une dimension dite “externe” en ce que les acteurs qui y sont impliqués ont des attributs psychologiques et sociaux à priori indépendants de leur comportement langagier : leur identité et leur intentionnalité sont liées à une expérience de l’enchaînement des faits et des événements du monde qui les place dans une logique des actions (détermination d’une quête, recherche d’un résultat, évaluation positive ou négative des conséquences), non dépendante du langage. »  (3) Tout ceci, c’est pour expliquer et positionner le discours dans un contexte réel du paysage de la politique du pays, mettant en relief les échantillons de la classe politique contre laquelle s’exerçait le discours critique de l’ambassadeur.

Le positionnement du sujet communiquant

Pour mieux comprendre le discours de l’ambassadeur Brian Dean Curran, il faut le placer dans un contexte sociopolitique de l’après des élections de mai et de novembre 2000.

Les turbulences politiques ayant marqué les élections de mai et novembre 2000 avaient conduit Haïti à une situation économique désastreuse ainsi qu’un climat politique hautement volatile et polarisé. Les manœuvres dilatoires et de manipulations pour boycotter les résultats des élections par des acteurs politiques de l’opposition et de la société civile visaient, dès les premiers jours de la prise de fonction de l’équipe Lavalas, d’affaibli le pouvoir d’Aristide. L’idée était de discrédité la nouvelle administration aux yeux des acteurs et bailleurs de fonds internationaux. Tout en cherchant, effectivement, le boycottage du pouvoir Lavalas par une classe politique sur le terrain, et son isolement par la communauté internationale surtout des bailleurs de fonds, donc les détracteurs d’Aristide voulaient rendre l’État dans ses services de bases à la population, beaucoup plus défaillant. Ainsi, par ces actions, ils voulaient que les institutions soient dépassées par l’ordre des choses et incapables de redresser la fracture sociale, rétablir la confiance nationale et réveiller la conscience citoyenne afin de pouvoir créer les conditions de sécurité et de stabilité en Haïti.

Ce qui fut, dès sa prise de pouvoir le 7 février 2001, Aristide était non seulement isolé par des amis d’hier de l’international, mais aussi affaibli sur le terrain par une frange de la classe politique rapace et assoiffée de pouvoir. N’en parlons pas de la classe oligarchique des affaires qui était toujours farouche non seulement à sa personne, mais aussi à son programme de changements sociaux pour les masses défavorisées qui croupissent dans les quartiers pauvres depuis après l’assassinat du père fondateur de la nation haïtienne en 1806.

Contrairement à 1991, cette fois ci, Aristide était arrivé au pouvoir dans un contexte beaucoup plus difficile que lors de son premier mandat. Il charriait avec lui les conséquences des élections controversées du 21 mai et du 26 novembre 2000.  En dépit de sa large popularité et de son charisme, la classe politique locale et la communauté internationale se montraient non seulement peu enthousiastes à Aristide, elles faisaient montre même d’une indifférence totale à l’égard de son gouvernement.  Dans l’objectif de trouver une tentative de solution, c’était sous l’égide de l’Organisation des États Américains (OEA), le parti Fanmi Lavalas et l’opposition se sont amenés à négocier la crise post-électorale de mai et novembre 2000. De ces négociations, plus d’une dizaine de rencontres s’étaient tenues.

En dépit de larges diffusions et de propagandes médiatiques faites autour de ces rencontres, elles restaient infructueuses et n’avaient pas permis aux protagonistes de vider les contentieux. Malgré, d’une part, l’insistance de la communauté internationale, et d’autre part, la bonne volonté d’Aristide de trouver une issue à la crise, les deux parties, à savoir le pouvoir Lavalas et l’opposition récalcitrante forte dans les jeux du marronnage, ne parvenaient pas à un accord pouvant aider à résoudre cette longue crise.

Donc, c’était dans cette période de grande perturbation politique que l’ambassadeur américain sortant avait choisi de faire cet important discours.  Discours qui avait toute son importance au cas où les élections étaient visées comme une option dans la lutte pour le remplacement du leader Lavalas.  Si c’était le cas, ce discours serait déjà, aux prochaines élections, le cheval de bataille de certains politiciens appartenant à l’élite universitaire.

N’empêche, après ce discours, ils étaient nombreux ceux-là qui se considéraient comme des potentiels candidats au poste de président, députés sénateurs ou autres, surtout des universitaires venant de l’Europe ou d’Amérique du Nord.  Ils pensaient que les États-Unis préparaient la rentrée sur la scène politique, l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes formés à l’étranger dans la politique en Haïti.

Entre-temps, des organisations politiques, économiques et sociales dites société civile, grâce au grand support financier d’une frange de l’international et de la sympathie à leur mouvement de certaines stations de radios locales, gagnaient également du terrain.  En un mot, c’était donc en pleine crise de contestation des élections de mai et de novembre 2000 que, en juillet de 2003, l’ambassadeur sortant, devant une audience composée de l’élite haïtienne très opposé à Aristide, eut à faire ce remarquable discours.

Dans l’intervalle, pour atteindre leur objectif qui était le renversement d’Aristide, mis à part de leurs fréquentes manifestations dans l’aire métropolitaine, l’opposition politique et les membres de la société civile essayaient sur tous les fronts, des manœuvres dilatoires à l’encontre du leader lavalas. Comme il avait de grands moyens économiques et de contactes des ambassades pour des visas de voyages dans des pays nord-américain, ainsi, le Groupe 184, nombre fictif d’une société civile soumise à la cause du statu quo local et international, dans leurs mouvements de protestations et de déstabilisation contre le pouvoir lavalas, il soudoyait certains étudiants, journalistes et hommes politiques sur le terrain.

Ainsi, sur fond de grandes turbulences sociopolitiques, les opposants au gouvernement d’Aristide, spécialement le Groupe 184, à travers son programme de contrat social, ils prônaient un partage équitable des richesses du pays.  Ils voulaient le départ du gouvernement d’Aristide et associés pour l’émergence d’une autre classe politique capable de rendre Haïti plus prospère avec des conditions de vie meilleures et de l’égalité des chances pour tous et toutes.

Mais de cette fausse promesse faite de propagande fallacieuse de contrat social du Groupe 184, le discours de l’ambassadeur en juillet 2003 et les actions de l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince en matière de choix des dirigeants haïtiens, il y a une certaine incohérence. Et c’est cette incohérence d’un ambassadeur qui prônait une nouvelle politique avec des cadres bien formés et l’action de Washington qui faisait choix des médiocres et immoraux pour diriger Haïti. Les élections de 2010-2011, 2015 et 2016 montraient très clairement que le choix de l’ambassade des États-Unis se portait sur les candidats incompétents et immoraux. Donc, où sont passés les universitaires préparés à un exercice efficient et démocratique du pouvoir politique en Haïti dont parlait l’ambassadeur américain lors de son discours en juillet 2003 ? Pour mieux comprendre cette question, un regard rétrospectif sur les leaders politique qui ont succédé Aristide après son départ  le 29 février 2004 aiderait à mieux cerner les paramètres entre un discours et les actions politiques de Washington en Haïti.

A suivre

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