Comment et pourquoi meurt la République d’Haïti ?

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La tragédie nationale haïtienne recèle des substantifs qui évoquent un théâtre angoissant de « misères », qui découvrent un bassin profond de « malheurs » et qui décrivent une situation troublante d’ « exodes »

Pour la première fois – en l’espace de 13 années – depuis la présence  indésirable, insupportable et douloureuse de la Minustah sur le territoire d’Haïti – qui remonte à la fin de février 2004 – nos lèvres se décrispaient pendant un court moment. La nuit tombait lentement sur les cottages noyés sous une pluie verglaçante qui a fait déserter les rues transformées en patinoire. À travers les vitres de la fenêtre embuées, nous avons observé le profil d’un passant qui promenait son chien dans le petit parc situé à côté de notre lieu de résidence. Le capuchon de son manteau lui enveloppait la tête et cachait presqu’entièrement son visage. On aurait dit un personnage sorti tout droit d’une toile de l’un des célèbres peintres impressionnistes : Claude Monnet, Armand Guillaumin, Berthe Morisot, Pierre-Auguste Renoir, Paul Cézanne… L’individu paraissait littéralement flou dans les décors sauvages de la température inhospitalière. Les lampadaires qui assurent l’éclairage électrique peinaient à ouvrir leurs pupilles entravées sous une couche épaisse de revêtement glacial. Quelques éclairs fulgurants zébraient le flanc du ciel grisailleux. L’attente est pénible. Haïti fera-t-elle partie des bourreaux impériaux qui rêvent de pendre le pays de Bolivar et de Chavez à l’arbre de la ruine financière, de l’impotence économique, de l’humiliation sociale et du déclin culturel ? Sera-t-elle capable, cette-fois-ci,  de refuser que l’Organisation des États américains (OEA) dépose sur ses épaules frêles encore couvertes des plaies de l’ignominie et de l’ignobilité une charge encore plus lourde que le fardeau avilissant du « Punta del este »? L’année 2017 ressemblera-t-elle à la « déshonorabilité diplomatique » de « 1962 » où une bande de satrapes  avaient accepté de commettre l’un des pires sacrilèges et forfaits politiques de l’histoire de l’Amérique? Pour avoir résolu de clouer au pilori le pays de José Marti, les « vampires macoutiques » ont pu régner arbitrairement durant 29 ans sur les masses urbaines et rurales, sans être inquiétés par l’outrancisme de l’impérialisme occidental. Les assassins ont rougi les eaux des rivières, engraissé la terre avec la chair des innocentes victimes, agrandi les cimetières avec des tombes anonymes, sans épitaphe. Les disciples de Nessos ont commis ces horreurs indescriptibles avec l’appui aveugle et inconditionnel des puissances dominatrices. Heureusement que Fidel Castro, dans l’étoffe de sa grandeur, de son héroïsme, de sa noblesse et de son intellectualisme, savait admirablement établir la différence entre des dirigeants gouvernementaux goujats et une Nation brave, solidaire et loyale. Car Haïti n’a jamais renié Cuba. Nous l’avons compris nous-mêmes en grandissant et en acquérant quelques gouttes de maturité intellectuelle.  Nous avons cessé de ruminer cette ineptie irritante. François Duvalier, Clovis Désinor, Ulrick Saint-Louis, Édouard Berrouet et les autres molochs en kaki bleu doivent en porter seuls la responsabilité de cet acte de perfidie, de trahison inconcevable,   de félonie gravissime envers la « Révolution cubaine ». Il faut arrêter de confondre « peuple » et « gouvernement ».

Jack Guy Lafontant et ses ministres au Sénat de la République

Au fur et à mesure que l’ombre de la nuit recouvrait le paysage torturé par les gouttes de pluie verglaçante, l’inquiétude et l’angoisse  s’amplifiaient dans mon cerveau troublé. Les médias impériaux prédisent tous les jours la chute prochaine de l’État dirigé par Nicolas Maduro, le camarade sincère et loyal que le flamboyant révolutionnaire Hugo Chavez a choisi – avant de mourir – pour qu’il conduise la destinée des pauvres paysans victimes de l’oligarchie vénézuélienne. Une mesure  d’embargo économique et commercial prise à l’encontre de cette population fragilisée  par la division politique, par une crise de société aigüe ne pourra que provoquer l’engloutissement du « chavisme » qui représente une source d’espoir pour les moins nantis. Certains observateurs déclarent clairement que le père de la « Révolution bolivarienne » a été assassiné de manière classique  par ses « ennemis de l’Occident » qui veulent freiner à tout prix les avancées du Vénézuela sur le terrain du développement durable. C’était aussi, affirment des philosophes socialistes, l’un des moyens sûrs d’empêcher qu’il devienne un pays émergent à l’instar du Brésil, de l’Afrique du Sud… Alors, ils ont décidé de couper la tête principale du mouvement populaire. Comme ils ont fait le 11 septembre  1973 au Chili. Les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Canada, l’Angleterre… refusent jusqu’à présent d’admettre que le monde a subi des changements considérables, des transformations profondes. Que les êtres humains ne sont plus aux temps des corsaires, des pirates, des  flibustiers, des boucaniers et des esclaves. Que « pays petit » n’a pas la même connotation que « petit pays »! Le Christ ne déclarait-il pas lui-même que le « royaume des cieux » est réservé aux petits enfants et à ceux qui leur ressemblent. La guerre ne se fait plus par le nombre, mais par l’intelligence. Grand-mère répétait souvent à la maison, afin de nous inciter à la sagesse : « Se yon ti moun ki te tiye Louis Jean Beaugé (C’est un gamin qui a tué Louis Jean Beaugé).  La légende rapporte que Louis Jean Beaugé fut un militaire qui vécut au XVe siècle dans la Grand-Anse, plus précisément à l’endroit dénommé Roseaux, près de la ville de Jérémie. L’homme était violent et pratiquait la sorcellerie. Les gens le craignaient. Il parait que c’était un enfant téméraire qui aurait eu raison de sa hardiesse. Exactement, peut-être, comme dans le récit biblique impressionnant de David et de Goliath. Éric Laurent écrit dans Bush, l’Iran et la bombe, enquête sur une guerre programmée :

« Je me rappelle une conversation avec l’historien Arthur Schlesinger, qui fut le conseiller spécial du président Kennedy et qui vient de mourir. Sourire ironique, noeud papillon, vêtu avec élégance, il me reçoit dans son appartement new-yorkais. Nous discutons du Viêtnam et je l’interroge sur les erreurs d’évaluation commises par l’Administration à laquelle il appartenait : « Je pense que nous avons fait preuve de suffisance. Nous pensions réellement comme David Halberstam [célèbre journaliste américain] l’a écrit, que nous étions les meilleurs et les plus intelligents. Nous étions arrogants, mais à notre décharge, nous n’avons jamais été des idéologues. »

Les États du centre tourneront leur langue sept fois dans la bouche avant de défier ouvertement King Jong-un. La Corée du Nord est quand même parvenue à se doter des moyens d’offense et de défense qui inquiètent au plus haut point les belligérants de la mondialisation. Dans le monde d’aujourd’hui qui est celui de la nucléarisation, il ne s’agit plus du tout de « vaincre sans péril et de triompher sans gloire ». C’est seulement dans les pays comme Haïti – sans capacité offensive et défensive – que la Minustah de Sandra honoré peut causer tous ces dégâts sans qu’elle soit contrainte de régler ses comptes avant de plier bagages.  L’Inde et le Pakistan qui possèdent la technique de l’enrichissement de l’uranium à des fins de fabrication d’armements nucléaires se comptent aisément parmi les puissances terrestres. Ils font partie des « intouchables ».

Les difficultés de fonctionnement de la République d’Haïti découlent d’une sécheresse intellectuelle. Résultent d’une stérilité créative. Les universités ont échoué. Elles sont incapables de contribuer à l’amélioration de l’indice de développement humain. La cabine et la carlingue de la fonction publique sont prises en otage par des pilotes et des membres d’équipage profanes, quasi analphabètes. La plupart de ces « ostrogoths » qui lisent comme des enfants de la maternelle viennent des coins les plus reculés du pays. Même l’énoncé de politique générale de Jack Guy Lafontant a péché contre les règles syntaxiques élémentaires. Déjà en classe primaire, les Frères de l’instruction chrétienne nous apprenaient à dire « Le chat mange la souris » à la place de « La souris est mangée par le chat ». Le texte du « premier ministre » nommé par l’ « inculpé Jovenel Moïse » et ratifié par les « mercenaires baveux » qui siègent au Palais législatif a été rédigé à la voix passive, ce qui dénote un manque de conviction et de sincérité dans les promesses que le concerné a faites à cette infime catégorie de paysans incultes qui le supportent. La génération de Gérald Bloncourt, Frantz Latour, René Depestre, Anthony Phelps, Gary Klan, etc., restera irremplaçable. Longtemps encore, lorsqu’il faudra se référer à l’excellence des savoirs multidisciplinaires, ce sont les noms de Justin Lhérisson, Fernand Hibbert, Jean Price Mars, Etzer Vilaire, Edmond Laforest, Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, Richard Laforest, Émile Olivier… qui reviendront sans cesse sur toutes les lèvres. En tentant de rallumer le flambeau de la dignité haïtienne, 7 février 1986 n’a-t-il pas aussi assassiné l’ « intelligence » de tout un peuple. L’école nationale ne produit plus des philosophes, des penseurs, des idéologues qui demeurent indispensables au fonctionnement rationnel, méthodique du système sociétal.

Le bolivarisme est le fruit de l’idéologie. Ainsi que le castrisme. Les puissances hégémoniques savent qu’il leur sera difficile de vaincre, de détruire, d’annihiler un système social construit, édifié sur le roc solide des convictions théorico-politiques progressistes. Nicolas Maduro semble disposé à défendre les acquis politiques, économiques et sociaux de l’héritage sacré du « Commandant Chavez » jusqu’à la dernière goutte de son sang. S’il doit pleuvoir sur Caracas, comme il a plu cette nuit-là sur Santiago : « Qu’il pleuve! »  L’anéantissement du « chavisme » sera, –  de toute façon –, la mort des masses rurales vénézuéliennes. Maduro en est  conscient. Fidel Castro disait dans Discours de la révolution, présenté par Christine Gluksmann [1] : « Le capitalisme à Cuba : Jamais. Le socialisme ou la mort! » Il a tenu parole jusqu’à ce que la maladie et l’âge l’eussent contraint de se retirer de la scène politique active. Le « Lider Maximo » ne voyait jamais d’un bon œil le retour officiel des États-Unis à la Havane. La perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev n’a-t-elle pas ressuscité le spectre des inégalités sociales en Russie de manière encore plus criante? Plus choquante? Aujourd’hui, le pays de Lénine est livré à la mafia occidentale, à la prostitution et à la misère. Les familles russes démunies envahissent les sites d’immondices à la recherche des oripeaux pour se protéger du froid, des boites de conserve périmées pour échapper à la faim, des plaques de cuivre et d’argent qu’elles peuvent vendre dans les bric-à-brac afin de retirer quelques Roubles. Le capitalisme « pariatise ». Étonnamment, le Canada de Justin Trudeau s’apprête à légaliser la « marijuana ». Les problèmes de la consommation des drogues douces et dures sont également à la base des comportements violents qui génèrent l’« aliénation mentale » et qui déstabilisent la paix publique. Partout sur la planète, le néolibéralisme ferme les établissements scolaires, ouvre des usines de sous-traitance et aménage des centres pénitentiaires.

Dehors, la nuit avait fini de s’installer. Les branches des arbres pliaient sous la charge glacière. La voix que nous attendions impatiemment cassait le fil de notre anxiété : « Monsieur le Président, le moment est grave. Il dépasse de loin la question du Venezuela. Les agissements du Secrétaire général fragilisent notre Organisation. Ses actes ne nous rassurent pas du tout pour ce qui concerne la paix et la stabilité dans la région. Si nous laissons le Secrétaire général, comme il le fait, s’immiscer sans réserve dans les affaires internes d’un pays et au détriment du principe du respect de la souveraineté des États, bientôt Haïti et d’autres pays de la région, seront eux aussi victimes de cette même dérive de l’Organisation. »

L’ambassadeur d’Haïti auprès de l’OEA, Harvel Jean-Baptiste, venait d’enfoncer héroïquement le couteau dans la poitrine de l’Uruguayen Luis Almagro et de l’effronté Cubain Marco Rubio. La soirée du mardi 28 mars 2017 a donc  renforcé les liens fraternels et politiques entre la République d’Haïti et le Vénézuela. Plus de peur que de mal! On ne trahit pas ses amis. On choisit de lutter, de vivre ou de mourir avec eux.

Une certaine frange de la presse haïtienne a carrément émis des réserves sur la démocratie bolivarienne. Elle pense que Nicolas Maduro se conduit en dictateur. Bafoue les droits du peuple. Comment peut-on associer les masses paysannes protégées et défendues par le chavisme à cette racaille vociférante – soutenue par la CIA – qui envahit les rues de Caracas dans l’intention criminelle de provoquer l’effondrement du « système révolutionnaire chavézien »? Les responsabilités de la rareté des produits de première nécessité peuvent-elles être incombées directement aux autorités gouvernementales persécutées par la Maison Blanche, le Département d’État et le Pentagone ?

L’équipe de l’Investig Action dirigée par le conférencier et analyste Michel Collon a compilé des dossiers sensibles sur le complot international qui devrait conduire le pays de Simon Bolivar à une intersection ruineuse de déliquescence. Des historiens, des essayistes altermondialistes, des écrivains anti-néolibéralistes organisent souvent des soirées d’information dans le but de signifier  les contributions utiles d’Hugo Chavez à l’avancement du processus de la lutte sociale, politique et économique pour libérer les « pauvres » de l’asservissement du « capital ».

Pour avoir grandi dans la jungle broussailleuse d’une dictature féroce, notre vie demeure aussi tourmentée que celle de François-René de Chateaubriand qui naquit le soir où une violente tempête préhivernale saccagea Saint-Malo. Les biographes y voient dans l’avènement un signe de prémonition néfaste. Effectivement,  l’auteur de Le Génie du ChristianismeMémoires d’outre-tombe, René ou les effets des passions a roulé sa bosse entre la gloire et la déchéance, entre la réussite et l’échec, entre les rires et les pleurs, entre l’amour et la haine, entre ici et ailleurs… L’existence du  peuple haïtien semble étonnamment suivre une trajectoire similaire. Tous les ouvrages écrits sur la tragédie nationale recèlent des substantifs qui évoquent un théâtre angoissant de « misères », qui découvrent un bassin profond de « malheurs » et qui décrivent une situation troublante d’ « exodes ». Les descendants des esclaves africains auraient-ils hérité de la « Création » les persécutions inventées par Eurysthée pour éprouver Héraclès? Beaucoup de compatriotes sont fatigués d’attendre des nouvelles d’espoir qui n’arrivent toujours pas. Haïti fait penser au personnage de Lennie dans l’œuvre romanesque de John Steinbeck, Des souris et des hommes, publiée en 1937, adaptée au cinéma en 1984 par Horton Foote et réalisée par Gary Sinise. Cet homme, qui pourtant rassemblait une force physique extraordinaire, avait perdu le sens de l’observation et de l’orientation. Il lui fallait l’assistance, le soutien incessant, continu de son fidèle ami George. Le pauvre Lennie détruisait tout ce qui lui passait sous les doigts : souris, chien, homme ou femme. Ses mains puissantes ne savaient pas caresser, mais  étrangler. Et son protecteur calme et patient sera obligé de le tuer d’une balle dans la tête, – comme Carlson abattit le chien presque impotent du vieux Candy –, après que l’écervelé eut assassiné sans en être conscient la femme du fils du propriétaire du ranch où les deux compères avaient finalement trouvé du travail. Le cerveau handicapé de Lennie causa sa mort brutale. Incapable de réfléchir, il lui était difficile de distinguer le « bien » du « mal ».

La République d’Haïti réunit en elle-même toutes les contradictions psychopathologiques relevées dans la vie du personnage steinbeckien. Jean-Jacques Dessalines, assassiné lâchement, n’eut pas le temps de tracer un plan d’avenir pour l’État qu’il créa grâce à la sacrificialité de la loyauté obtenue  de ses camarades de guerre. Nous sommes une Nation en dérive. Des « handicapés intellectuels ». Abandonnés aux aléas de l’assistance étrangère. Chaque Haïtien est un « Lennie » entre les mains des « George » qui représentent les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne… N’oublions surtout pas que ces puissances maléfiques sont aussi des « Carlson » qui se sont  attribué le rôle et le pouvoir de décimer les populations qu’elles traitent comme des chiens galeux, sous prétexte que celles-là sont devenues avec le temps une charge excessive pour la haute finance internationale. Le vieux Candy avait déjà prévu que bientôt, devenu faible et inutile, le patron allait le mettre à la porte, le jeter à la rue après avoir exploité sa jeunesse et son énergie. Le système capitaliste lui réservait donc le sort de son chien, son fidèle compagnon de lutte contre la misère, l’insécurité sociale et économique. Candy savait ce qui l’attendait : « Vous avez vu ce qu’ils ont fait à mon chien, ce soir? Ils disaient qu’il n’était bon pour personne même pas pour lui-même. Quand on m’foutra dehors, je voudrais que quelqu’un m’envoie un coup de fusil. Mais ils ne feront point ça. J’aurai nulle part où aller, et j’pourrai plus trouver du travail… »

Après le départ de la Minustah, la République d’Haïti continuera d’aller naïvement au-devant de l’incertain. Contrairement à Candy, elle ignore ce qui l’attend durant les prochaines années. Le retrait de Sandra Honoré et de ses « casques rouges » a été planifié dans le cadre d’un projet de mise sous tutelle complète de l’État haïtien par les puissances occidentales dominantes.  Et croyez-nous, les forces occupantes ne mettront pas du temps à revenir. Le terrain sociétal est miné, piégé par la situation des gangs criminels qui prolifèrent dans tous les quartiers de la capitale et des villes de province. Ce sont les mains occultes de certaines ambassades étrangères et de quelques Organisations non gouvernementales (ONG) qui les systématisent. Qui les financent. Et même qui les dirigent. Les bandits qui moisissent dans les prisons ne sont pas déférés par devant leurs juges naturels. La police nationale corrompue et vassalisée redoute tout simplement que ces énergumènes délinquants brisent « l’omertà », qu’ils fassent des révélations compromettantes, susceptibles d’assombrir et de nuire à la réputation de certaines personnalités très influentes dans la société haïtienne,  qui utilisent – comme Clifford Brandt – les filières nationales et internationales du crime organisé pour se « multimillionnariser ».

Les « cas de suicide » provoqués par le « mal vivre » ne se comptent plus dans le monde. Pour certains, « mourir » devient donc la « solution ultime » aux difficultés insurmontables générées par la misérabilité. Quand la mort tarde elle-même à arriver, les individus qui craquent sous le fardeau de leurs souffrances morales et physiques passent carrément à l’acte. Ils mettent fin à leur existence. Sans regret. Beaucoup de citoyens désespérés, incapables de subvenir aux besoins de leurs proches choisissent de s’immoler par le feu devant les palais, les châteaux, les ministères, les églises, les temples, les mosquées… Ils se sont transformés en une torche vivante dans l’espoir de conscientiser les riches comme les Bill Gates, les Donald Trump, et tous les autres multimilliardaires qui se bouchent les oreilles et qui se détournent à la vue d’un malheureux mendiant. Ces martyrs de la surexploitation globalisée ont aussi espéré susciter la colère et l’indignation des autres victimes. Ils ont posé un geste de « désespérance extrême » pour forcer leurs camarades de la planète à se réveiller et à se battre. « Get up, stand up. Stand up for your Rights », chantait le défunt Bob Marley. Les richesses communes sont mal distribuées. Mais « lutter » contre les truands de l’oligarchie planétaire, qui sont eux-mêmes bien organisés, exigent l’émergence des Leaders patriotes, intrépides, francs et sincères comme les frères Castro, Hilda Gadea, Celia Sanchez, Nelson et Winnie Mandela : des femmes et des hommes qui  acceptent de sacrifier leurs intérêts personnels au nom de la « Justice » sociale et de l’« Équité » économique.

La lutte pour rétablir l’équilibre financier et politique passe nécessairement par une formation idéologique des masses rurales prolétarisées. Les classes ouvrières et paysannes, les petits employés et les fonctionnaires doivent atteindre un stade de  conscientisation politique avancée  afin qu’ils soient effectivement en mesure de s’investir en tout état de cause dans un mouvement méthodique, systémique qui plaide en faveur de l’instauration d’une « société mondiale révolutionnaire » : la seule alternative qui est capable de résoudre les équations posées par les inégalités matérielles et intellectuelles. Nous avons sciemment transgressé les courants philosophiques qui conseillent de ne pas imposer ses pensées et ses réflexions en termes de « vérité absolue ». Néanmoins, nous restons convaincus que – devant les impératifs de la situation héritée du mode de fonctionnement dichotomique de la planète – il n’y a qu’une seule voie qui mènera les masses populaires à Rome : une révolte généralisée, organisée par des militants avant-gardistes, par des théoriciens et des praticiens d’une « Révolution globalisée » ingénieusement planifiée.

Les meilleurs essayistes de la haute finance, dont Joseph E. Stiglitz, Suzan George, John Perkins, ont  pris le temps d’expliciter les causes et les conséquences qui restent liées au phénomène de la disette et de la famine observé dans les « pays en développement (PD)» et les « pays les moins avancés (PMA) » que l’on appelait autrefois les « pays sous-développés (PSD)» ou les « pays du tiers-monde (PTM) ». Par là même, les économistes, comme Walt Whitman Rostow,  ont donc trouvé les moyens d’embellir l’expression « pays sous-développés », qui conceptualise la souffrance, l’exploitation et la laideur, utilisée pour la première fois au milieu du 20e siècle par le président Harry Truman. Mais les « locutions nominales », même astucieusement  déguisées, maquillées, traduisent les mêmes réalités brutales. Joseph E. Stiglitz rappelle : « Le monde est devenu économiquement interdépendant. Ce n’est que par des accords internationaux équitables que nous parviendrons à stabiliser les marchés mondiaux. Il y faudra un esprit de coopération qui ne se gagne pas par la force, ne s’obtient pas en dictant des conditions inadaptées au beau milieu d’une crise, en intimidant, en imposant par diverses pressions des traités inégaux, en pratiquant une politique commerciale hypocrite – autant de traits de l’attitude hégémonique déjà adoptée par les États-Unis dans les années 1990, mais qui s’est manifestement aggravée sous la nouvelle administration [2]. »

Toutes les études macro-économiques ont prouvé que la planète ne souffre pas de déficit de nourriture ou, si vous préférez, de pénurie alimentaire. Les ressources vivrières disponibles suffisent amplement à nourrir tous ses habitants. L’essayiste Jean Ziegler en  fait mention dans tous ses ouvrages. L’inconvénient se situe de préférence au pallier de la distribution. Les puissances impériales conservent pour elles les 4/5 des richesses du globe, sans se  soucier des conditions économiques et financières dans lesquelles vivotent les peuples des États appauvris, comme la République d’Haïti. Elles imposent des barrières de contraintes infranchissables qui empêchent  les petits planteurs du Sud de produire des aliments en quantité suffisante pour approvisionner leurs régions d’origine. La « faim » est donc considérée et dénoncée comme étant un « scandale criminel ». Elle est la plus importante de toutes les pièces qui font fonctionner la machine hégémonique et néolibérale. Les habitants des États-Unis représentent moins de 5% de la population terrienne. Pourtant, ils consomment à eux seuls 25% de la production mondiale [3].

Dans le monde  d’aujourd’hui,  « Affamer », c’est « Dominer ». Les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Angleterre provoquent des raretés alimentaires en Afrique, en Asie, en Amérique latine et même en Europe dans l’intention de régner sur la planète et sur la conscience humaine. Nous sommes en présence d’une « stratégie honteuse et d’une pratique scandaleuse  de domination par le ventre vide ». C’est pour cela que ces États impériaux s’opposent toujours à tous les sentiments de velléité d’autodétermination politique, économique et financière qu’ils observent chez les populations périphériques. Ils n’ont pas aidé Cuba à se relever des ruines et des cendres de la présidence vassale de Batista. Au contraire, les États-Unis, l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisations des États américains (OEA), ont déployé tous leurs arsenaux militaires et psychologiques pour saboter les efforts entrepris par la « Révolution » en vue de sortir le pays de José Marti des ornières du sous-développement, de la corruption mafieuse, de l’analphabétisme et de la prostitution mâle et femelle. Ils n’encouragent pas, ne supportent pas le « progrès »; ils soutiennent le « déclin ». Où des millions d’êtres vivants décèdent de maladies liées à la malnutrition, ils applaudissent. La vulnérabilité des peuples leur ouvre la voie au pillage des ressources naturelles. Du pain rassis et de l’eau en échange de l’or, des diamants, des émeraudes, du pétrole, de l’uranium, de la bauxite,  de l’iridium

Les multinationales exploitent les mines, sans se soucier de la protection de l’environnement. La société d’exploitation et de développement économique et naturel (Sedren), une filière de la canadienne Consolidated Halliwell, a  extrait le cuivre de Mémé (Gonaïves) durant 12 ans (1960-1972), sans construire une seule école rurale dans la région pour les enfants des paysans qu’elle avait contraints à délaisser leurs petites fermes agricoles pour les convertir en travailleurs miniers sous-payés. À Miragoâne, ville située aujourd’hui dans le Département de Nippes,  La Reynolds, compagnie basée au Canada, spécialisée dans l’exploitation de la bauxite  a laissé derrière elle des traces de ruines et de désolation. Les dégâts y sont encore décelables. Très visibles à l’œil nu. Quand il n’y a plus rien à prendre, les « mastodontes du capital » plient silencieusement bagages, s’en vont discrètement, en sortant par la fenêtre comme des « voleurs ». Et c’est bien ce qu’ils sont. Deux cinéastes québécois progressistes, Jacques Godbout  et Florian Sauvageau, ont réalisé un superbe documentaire cinématographique sur les relations catastrophiques entre États dominants et États dominés, en se servant de l’exemple flagrant et loquace du Canada et de la République d’Haïti. Ces sociologues et « communicatologues » ont apporté des éléments de réponse dynamique aux différents problèmes observés dans les rapports incorrects et abusifs que le centre a développés lui-même et maintenus avec la périphérie.

Lorsque le président en exil aux États-Unis, M. Jean Bertrand Aristide avait accepté que les puissances étrangères soumettaient la République d’Haïti à un régime sévère d’embargo, il avait appuyé, – sans le savoir peut-être –, la politique de destruction des économies locales pilotées, conduites par le G7 pour anémier et faire reculer les régions pauvres sur le chemin du développement durable. Entre 1991 et 1994, les masses haïtiennes ont vécu comme des bêtes sauvages et faméliques. Le pays était entièrement livré à l’importation des produits vivriers et pétroliers en provenance de la République voisine.

Ce Jovenel Moïse et ses extraterrestres du palais national qui parlent de relever la production agricole de la République d’Haïti ignorent qu’au Brésil, des paysans étaient arrêtés et gardés en prison pour le seul « crime » d’avoir travaillé la terre. Dans plusieurs contrées africaines, les multinationales avec l’appui des dirigeants locaux confisquent les terres fertiles et chassent les agriculteurs vers des régions sèches et arides, où les fruits, les légumes, le maïs, le petit-mil, le riz ne peuvent pas pousser. Il s’agit presque d’un vœu pieu de penser que le paysage de la République d’Haïti redeviendra facilement celui qu’il fut avant l’occupation américaine de 1915. Même avec l’éclosion d’une « Révolution », cela prendra du temps. L’histoire du déclin économique des pays du Sud est complexe. Difficile à comprendre et à cerner par des néophytes comme Jovenel Moïse et Jack Guy Lafontant qui n’ont lu ni Marx, ni Engels, ni Lénine, ni Stiglitz, ni Garaudy, ni Weber, ni Taylor, ni Durkheim, ni Revel… et les autres.

Alvin Toffler nous apprend : « Durant les trois derniers siècles au moins, le terrain par excellence du combat politique dans les pays industrialisés a été celui de la distribution de la richesse, en termes de « Qui reçoit Quoi? »; et c’est à partir de cette question fondamentale que se sont définies des explosions telles que droite ou gauche, capitalisme ou socialisme… Dans la lutte pour le pouvoir à l’échelle mondiale, telle qu’elle se déroulera bientôt au sein de toutes les institutions humaines, la maîtrise du savoir sera l’élément décisif [4].»

Sur le plan idéologique, l’État haïtien, tel qu’il est humainement configuré et traditionnellement constitué,  n’est pas outillé pour surmonter les obstacles politiques, sauter les haies des difficultés économiques et passer au travers des problèmes sociaux qui se dressent devant lui. L’ère de la mondialisation sonne depuis quelque temps le glas de la République.

Mais que faut-il vraiment faire pour éviter que le pays meure comme le « pauvre chien » moribond du vieux berger « Candy » ?

Robert Lodimus

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Références

[1] Christine Gluksmann, politologue française spécialisée en philosophie politique et en esthétique.

[2] Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, p.85.

[3] Philippe Diaz, La fin de la pauvreté dans le monde, documentaire cinématographique, 2010.

[4] Alvin Toffler, Les nouveaux pouvoirs : savoir, richesse et violence à la veille du XXIe siècle, p.39.

 

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