Pèp kanpe sou de pye
desten w se nan men w li ye
ouvè je w klè pou veye sanzave
ke depi w tande l bezwen afè l regle
sou ou l apiye.
Manno Charlemagne
En partie du moins, je dois à ma défunte grand-mère paternelle l’intérêt que je porte à la vie politique de mon pays. Granmè avec qui on s’exprimait toujours en créole était originaire de Fort-Liberté, de ce septentrion bouillant, bouillon de culture de maintes révoltes contre le pouvoir central, berceau d’une glorieuse guerre d’indépendance, théâtre des grandes turbulences cacoïstes pré et post-péraltistes.
A la maison, j’ai donc grandi dans une atmosphère riche en récits épiques, comiques et tragiques des tan lontan; riche en succulentes chansons politiques créoles parfumées au kirsch de mots français utilisés tels quels. Ainsi celle-ci: « la plupart des autorités yo pa bon pou genyen konfyans; se yo menm ki kriye viv, se yo menm ki kriye aba».
L’occasion aidant, on entendait grand-mère dire: « se pa anyen, se Chapizèt k ap pase». Sans doute, des lecteurs originaires du Nord peuvent avoir déjà entendu cette formule chapizettante. Peut-être que d’aucuns la connaissent sans en avoir jamais soupçonné son dekiprevyen, encore moins la guerrière pétillance de sa petite histoire. Alors, je m’en vais vous servir dans de bonnes petites marmites avec degi en plus.
Mais avant d’en arriver au personnage Chapizèt lui-même, je voudrais rappeler que lors des bourrasques «révolutionnaires» dans le grand ciel politique du Nord, ces nordés politico-météorologiques n’étaient que le fait de lourds nuages cacos poussés par les vents contraires de généraux, peu généreux avec des paysans qu’ils armaient, envoyaient à la boucherie pour régler leurs cotes mal taillées, s’emparer de terres, magouiller jusqu’à occuper le plus d’espace politique possible, fût-il même symboliquement réduit au siège du fauteuil présidentiel. Ces cacos-là étaient plutôt des mercenaires, contrairement aux cacos de l’époque péraltiste. Ces derniers marchaient sous la bannière d’un patriote, d’un vrai leader nationaliste, et se battaient pour une cause nationale, noble.
Chapizèt était du premier groupe caco, un de ces chefs cacos dèyè pòt, kako anba kabann qui ont piteusement capitulé devant l’occupant en septembre 1915. Il s’appelait en fait Chapuset, et pour tous les cacos de son entourage il était jal Chapizèt. Son «armée», comme d’autres lame kako, se déplaçait au gré du tumulte des événements, d’un territoire à l’autre. Fort Liberté et Ouanaminthe comptaient parmi les kanton préférés de Chapizèt.
Il y arrivait toujours avec grand fracas, escorté de sa cavalerie, créant une atmosphère de deblozay ak kantite tray dans la cité, car Chapizèt était une sorte de terreur ambulante, dévalisant, fouillant, krazébrizant presque tout sur son passage. Les gens se barricadaient derrière des matelas. Ils cachaient leur argent au fond de barik taso. Gare aux chaloupantes donzelles traînant leurs ailes de toutrèl et jouant aux ingénues demoiselles! Chapizèt vous croquait ça avec une graine de sel.
Les types arrivaient, forçaient les gens à leur donner à boire et à manger, avec du tafia par-dessus le marché. Ils tiraient en l’air juste pour effrayer la population, avant d’attaquer la garnison locale. Il fallait se protéger des balles mawon, enfin, des balles mawonnes. Il fallait mettre son épargne à l’abri, surtout il fallait faire se terrer les pétillantes manmzèl de la maison. Bref, une atmosphère macoute avant la lettre. Du reste, lors de ses fracassantes et apocalypsantes traversées d’une région à une autre, Chapizèt se targuait qu’il n’allait laisser que «yon kòk ak yon poulèt».
Les flux et reflux jacques-fourcando-himmalayants à répétition de Chapizèt avaient fini par emmerder tout le monde. Et comme nan pwen lèt ki monte ki pa desann, les gens commençaient à s’arranger. Tel type était un cousin par alliance de Chapizèt-la-peste. Tel autre avait l’habitude d’aller prendre un gwòg avec lui. Un commerçant de Fort-Liberté était l’ami intime d’un kòmandan laplas au Cap-Haïtien, lui-même très proche du sanmanman. Un ferblantier de Ouanaminthe servait le même lwa que Chapizèt. Surtout, il y avait à Ouanaminthe une plantureuse, pétulante, pétillante et endiablante commère, maîtresse de Chapizèt qui accula l’animal à mettre une sourdine à ses extravagances, autrement il n’allait plus avoir accès au fruit défendu. Elle s’appelait Viergéla Matourmente.
Chapizèt menacé de ne plus se régaler du kachiman pendsuk de Viergéla finit par battre bas, calbinda, se calma et aux injonctions de sa juteuse, viergélante et actionnaire bouboute se plia. Depuis, Fort-Liberté et Ouanaminthe reprirent souffle, grâce la matourmentante intervention de Viergéla qui avait subjugué l’animal par le bas. Aussi, quand Chapizèt passait en trombe par une localité proche de Fort-Liberté, les gens ne faisaient plus attention à l’ancien pacha à qui Viergéla avait donné une sévère «brigade». Et si d’aventure on entendait un tintamarre pseudo-guerrier alentour déclenché par les fanfaronnades du général caco, les gens haussaient les épaules, ricanaient, continuaient à vaquer à leurs occupations tout en disant sur un ton moqueur: se pa anyen se Chapizèt k ap pase.
Je suis passé par cette chapizettante histoire pour en arriver à la fameuse, trompeuse, dupeuse, bluffeuse, fallacieuse, emberlificoteuse « Caravane du changement» du mal élu Jovenel Moïse. Je ne m’étendrai pas là-dessus, d’autant que la duperie est cousue de fil rose mickyste. De caravane on en a déjà entendu parler. Il y a eu celle, mémorable, inoubliable de André Apaid Junior et de sa bande grennnanboudatiste. Il y a eu bien des gogos qui ont mordu à l’hameçon, enfin, qui se sont accrochés aux roues de la caravane croyant qu’ils allaient arriver au bon port d’un «changement», à destination. Il est arrivé qu’il y a eu beaucoup de bruit gueulard pour rien. C’est la bourgeoisie tilolit qui réglait ses affaires, et ses comptes avec une équipe qui entendait manger davantage du gâteau national. On en arriva au 29 février 2004 et à tout le gâchis politique que l’on sait. Ce n’était rien, se Chapizèt ki t ap pase.
Il en est de même pour la caravane de l’inculpé Jovenel, le mal élu. Il n’en sortira rien du tout. Il y a eu un étalage de chiffres et de termes techniques pour impressionner les crédules, les petits niais, les badauds, les nigauds, les gogos, les sots, les nonos, les bobos, les godiches, les godichons, les couillons, les pigeons, les bêtas, les bêtasses, les gobe-mouches, les gobe-mensonges, les gobe-tenten, les gobe-pawòl tafya, les gobe-pawòl-prezidan-restavèk boujwa, les gobe-bav prezidan. Bref, tous ceux, toutes celles qui n’ont dans la tête que du maïs moulu comme cervelle.
Tout y est passé: 30 pelles excavatrices à bras long, 10 bulldozer, 7 loader, 40 camions, 5 grader, 5 compacteurs, 3 back loader, 2 machines ateliers, 20 motos projecteurs, 12 pick-up de service, 5 camions d’eau et 5 véhicules de fonction, déjà déployés dans l’Artibonite, et dans les limites du grand ”périmètre de l’ODVA”. Du ronflant, du bruyant, du grandiloquent, du retentissant, de l’époustouflant, gwo non k pou touye ti chen. De la poudre de perlimpinpin vendue par un charlatan à titre de recette efficace pour ”relancer l’agriculture” (sic).
De l’argent a été débloqué pour revaloriser l’agriculture et la «sécurité» du président. De l’argent qui va aller dans les poches de zòt. Un an, deux ans passeront. Les fonds vont s’épuiser. L’Artibonite pral anvlope. Personne n’était vraiment concerné. Se manje tout moun t ap manje, se vòlè yo ye. Ne vous en faites pas. Ne prêtez aucune attention au tintamarre caravanant de Jovenel qui règle les affaires de la bourgeoisie qui l’a installé comme un vrai popetwèl. C’est du grand bluff, se Chapizèt k ap pase.
5-15-2017