Celia Sánchez, révolutionnaire cubaine exceptionnelle

(9 mai 1920-11 janvier 1985)

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Celia Sánchez comme «la flor más autóctona de la Revolución cubana », la fleur la plus originelle de la Révolution cubaine.

Journalistes, historiens, écrivains, analystes, critiques ont énormément écrit au sujet de la Révolution cubaine, de Fidel Castro à qui immanquablement s’ajoute, en lumineuses lettres de feu, le  nom de Che Guevara. Sauf exception (le livre du journaliste américain Rich Hancy*) les ouvrages ne mentionnent qu’en passant le nom de Celia Sanchez. Pourtant, cette femme exceptionnelle est devenue «l’alter ego» de Fidel, la plus intime, indispensable collaboratrice et assistante du Comandante depuis leur rencontre, le 16 février 1957, dans la Sierra Maestra. Décédé en 1985, elle est restée profondément ancrée dans la mémoire et le coeur du peuple cubain. A Celia, l’hommage qui suit. [F.L]

Née le 9 mai 1920 à Media Luna, municipalité de la province de Granma, ex-Manzanillo, Celia Sánchez Manduley est l’une des cinq filles du Dr. Manuel Sánchez Silveira (1), qui lors du centenaire de Martí, en Mai 1953, a gravi les pentes de la Sierra, avec Celia, pour aller déposer au Pico Turquino, le plus haut sommet de Cuba, un buste de Martí. Dès son adolescence, Celia est déjà proche d’un cercle d’activistes allant de politiciens progressistes à des paysans politisés de la région. Mince, attrayante, «extrêmement intelligente et efficace», passionnément humaine, elle va, éventuellement se dévouer corps et âme aux idéaux du «Mouvement du 26 Juillet» de Fidel Castro.   Après la sortie de Fidel de prison, suite à l’échec de l’attaque dirigée contre la caserne de Moncada, et pendant l’exil de Castro au Mexique, Celia Sánchez s’est déjà fait de solides contacts avec le «Mouvement». C’est elle qui trouve les cartes de navigation de la région côtière du sud-ouest de la province d’Oriente pour Pedro Miret (2) à la recherche du lieu idéal pour un débarquement de Castro.

Le 2 décembre 1956, Celia dirige et coordonne l’équipe devant accueuilir les rebelles et les transporter jusque dans la Sierra. A la Plage Las Coloradas, elle attendra vainement, pendant 48 heures, le débarquement du contingent castriste à bord du yatch Granma. Quand les guérilleros atteignent enfin leur point de débarquement, l’aviation de Batista les surprend à Alegría del Pío. Il s’ensuit une hécatombe. Des 80 guérilleros, il n’en restera que 12. Plus tard, Fidel Castro retrouvera les siens dispersés, grâce au réseau de paysans, militants, déjà mis en place par Celia dans la Sierra.

Dans la province de Manzanillo, elle organise le premier réseau urbain de soutien à la guérilla à ses débuts extrêmement difficiles, d’autant que le réseau de Frank País (3) dans la province d’Oriente avait été anéanti par les forces de Batista lors d’un soulèvement avorté le 30 novembre. Elle fait parvenir à Fidel approvisionnements, munitions, armes, nourriture et des volontaires. A la barbe de la garnison militaire de la province, du Service de Renseignements Militaires (SIM) et de la police de Batista, elle transforme Manzanillo en un véritable centre de logistique des rebelles.

Première photo de Fidel et Célia faite dans la province d'Oriente en février 1957.
Première photo de Fidel et Célia faite dans la province d’Oriente en février 1957.

C’est Celia qui à Noël, envoie une jeep dans la Sierra chercher Faustino Pérez, un des chefs de colonnes de guérilleros, le premier qui va annoncer au monde que Fidel est vivant alors que la propagande gouvernementale le donne pour mort après Alegría del Pío. Le 16 février, en compagnie de Frank País, après avoir marché de nuit, Celia rencontre Fidel, pour la première fois, face à face. Il était cinq heures du matin. C’était le début d’une indéfectible association qui allait durer vingt-trois ans jusqu’à la mort de cette pasionaria de la Révolution cubaine. Fidel en profite pour faire officiellement de Manzanillo le carrefour de liaison entre la ville et la Sierra, sous la direction de Celia.

Faisant suite à la fameuse interview de Castro à Herbert Matthews du New York Times au mois de février 1957, Celia Sanchez aidée de Haydée Santamaría, au mois d’avril 1957, fait grimper dans la Sierra deux journalistes de la chaîne de télévision américaine CBC, Robert Taylor et Wendell Hoffman. A ce moment-là, Cuba est déjà le «Primer teritorio libre de América». Il vient à Celia l’idée d’un scoop médiatique porteur d’une haute charge symbolique politique et historique: une interview de Fidel au haut du Pico Turquino face à cette statue de Martí installée par son père en mai 1953.

Selon le colonel Arturo Aguilera, premier chauffeur et aide de camp de Fidel: «les déplacements étaient nocturnes pour éviter toute reconnaissance par l’aviation de Batista. Celia ou Fidel portaient un fanal s’il s’évérait nécessaire de s’éclairer». Aguilera note que «Celia ne se séparait jamais de lui [Castro]. Elle était toujours avec lui», sauf lorsque Fidel la chargeait d’aller régler un problème bien spécifique de l’Armée Rebelle. Selon d’autres guerilleros, elle avait les poches de ses jupes et de ses blouses toujours bourrées de papier, de documents, car Fidel dictait des notes et recevait des dépêches n’importe où, n’importe quand. En ce sens, elle était un «bureau ambulant» pour Fidel.

Le 28 mai 1957, à Uvero, Castro livre, sur une période de presque trois heures, sa première et victorieuse bataille contre les soldats de Batista, le plus sanglant des affrontements depuis la débâcle de Alegría del Pío. Castro y perd six de ses hommes, l’armée de Batista laisse sur le terrain quatorze cadavres. Les blessés sont au nombre de neuf et dix-neuf, respectivement. L’Armée Rebelle récupère mitrailleuses, fusils et munitions. Celia fait partie de cette «bataille d’Uvero», la première femme à se battre aux côtés des guerilleros, à la tête d’un escadron..

Celia Sanchez et Che Guevara
Celia Sanchez et Che Guevara

Celia Sánchez retourne à Manzanillo où elle va rester pendant quatre mois pour coordonner le flot d’armes, de munitions et de volontaires vers la Sierra. Le 30 juillet, la police de Batista exécute Frank País, un désastre politico-militaire. Dès le lendemain, Castro mande un émissaire auprès de Celia pour lui dire:« pour le moment, tu devras assumer une bonne partie des tâches de Frank dont tu es mieux informée que personne». Une lourde responsabilité qu’elle assume avec talent, énergie et succès.

Entre temps, la situation évolue tant sur le plan politique que militaire. La troisième semaine du mois d’août, Fidel ordonne à Camilo Cienfuegos à la tête de la «Colonne Antonio Maceo» (4) de faire marche vers la province de Pinar del Río, avec 82 guerilleros. Le Che est chargé de prendre la province centrale de Las Villas, avec ses 148 hommes à la tête de la «Colonne Ciro Redondo» (5). A la mi-septembre, Fidel à la tête de la «Colonne José Martí» et Raúl Castro avec ses forces se préparent à encercler la province d’Oriente.Toutes les correspondances, proclamations, dépêches du front, communiqués, ultimatums, rencontres avec les éventuels collaborateurs de Fidel lors de la victoire sont coordonnés par Celia.

Le 19 décembre, après une série de victorieux affrontements avec l’armée de Batista, Castro établit son poste de commandement à Jiguaní municipalité et ville de la province de Granma située à 25 km (16 mi) de Bayamo la capitale provinciale. C’est là qu’il va recevoir en présence de Celia, de Vilma Espín (6) et de Juan Almeida (7), Manuel Urrutía, un juge que Castro a désigné comme devant succéder à Batista. Le 28 décembre, Fidel déplace son quartier-général vers une sucrerie dans la banlieue de Palma Soriano. Là, en présence encore de Celia, de Vilma Espín, et du major José Quevedo (8), Fidel rencontre le général Eulogio Cantillo commandant en chef des forces de Batista d’Oriente pour une reddition sans condition. Le 2 janvier, les troupes de Guevara et de Cienfuegos entrent triomphalement à La Havane, le même jour où Fidel investit Santiago de Cuba, la capitale de la province d’Oriente.

Le 3 janvier 1959, Fidel Castro amorce sa marche triomphale vers la Havane qui dure cinq jours et cinq nuits. Celia Sanchez fermement en charge des communications s’affaire à faire parvenir des messages de Fidel un peu partout à ceux-là qui à Cuba ou en exil vont faire partie du groupe gouvernemental initial. Une fois les éléments de la machine administrative révolutionnaire mise en place, Celia Sánchez allait rester la plus intime collaboratrice et assistante de Fidel Castro travaillant auprès de celui-ci au Palais de la Révolution et dans le petit appartement qu’elle avait à la Calle 11 (Rue 11), le foyer préféré du Commandant, qui y restait très souvent dormir. Avec énormément de discrétion et de tact, Celia joua le rôle de Première dame jusqu’à sa mort d’un cancer du poumon le 11 janvier 1985.

L’aînée de Castro de cinq ans, Celia Sanchez était adorée et respectée partout à Cuba. Depuis sa mort, elle a été selon l’auteur américain Tad Szulc, «virtuellement canonisée par la Révolution, avec beaucoup d’hôpitaux et d’écoles qui portent son nom. Elle était le symbole très humain, très vivant et très cubain de la Révolution. Elle était aussi la compañera très attentionnée protégeant Castro de trop de pression extérieure. Elle était probablement la seule personne à Cuba pouvant lui dire en face qu’il était en passe de prendre une mauvaise décision».

Malgré qu’elle fît en sorte que les journées et les nuits excessivement chargées de Castro ne tournent au chaos, elle trouvait le temps d’aider de simples Cubains pour des problèmes qui ne pouvaient être réglés qu’au sommet de la hiérarchie gouvernementale. Son raffinement esthétique l’a portée à concevoir des travaux assez spectaculaires comme le Parc Lénine, à encourager la préservation des musées et de tous objets antiques témoins de l’histoire de Cuba. A sa mort, elle était secrétaire du Conseil d’Etat avec rang de ministre et membre du Comité Central du parti.

Lors du 25ème anniversaire de la mort de Celia, le 11 janvier 2005, l’écrivaine Celia Hart, la fille de Armando Hart, écrivait: «En 1957, Celia décida de travailler avec Fidel. Dès lors, l’âme du peuple cubain qu’elle portait en elle, elle l’a confiée à cette force colossale qu’est Fidel, tout en restant présente à chaque moment de décision, manifestant cette même audace, cette même tendresse, ce même engagement dont elle avait fait montre en allant placer le buste de Martí au sommet du PicoTurquino. Ses dons de révolutionnaire, de guerillera et d’organisatrice, elle les avait confiés à Fidel qui, dès lors, ne pouvait plus se passer de cette stratégiste militaire au physique pourtant bien menu. Au triomphe de la Révolution, sa mission est restée la même, celle d’un transducteur: un parfait médiateur entre les tâches de la révolution, son peuple et ses leaders».

Fidel a tout dit en  décrivant Celia Sánchez comme «la flor más autóctona de la Revolución cubana », la fleur la plus originelle de la Révolution cubaine. Les restes de la combattante de la Sierra et de la Plaine (el Llano) reposent au Panthéon des Forces armées révolutionnaires (FAR) au Cementerio Colón, à la Havane.

Notes.

(1) Dr. Manuel Sánchez Pereira: également historien, archéologue et spéléologue. Il inculquera, tôt, à ses enfants les notions les plus élevées de justice et de dignité humaine.

(2) Pedro Miret: l’un des premiers à joindre le «Mouvement». Il était alors étudiant en ingénierie. Responsable de l’entraînement militaire des futurs assaillants de la caserne Moncada à Santiago. Membre du Politburo, l’un des plus proches collaborateurs de Castro.

(3) Frank País: brillant penseur politique, principl leader du «Mouvement» dans le Llano (la plaine par opposition à la Sierra) en Oriente. Assasiné par les sbires de Batista.

(4) Antonio Maceo: «el titán de bronce», l’un des pères de la Patrie avec Martí et Máximo Gómez.

(5) Ciro Redondo: rejoint Castro au Mexique, débarque avec lui à Cuba, survit à Alegría del Pío, et meurt en novembre 57 durant un des nombreux combats auxquels il avait participé.

(6) Vilma Espín; l’une des trois grandes héroïnes de la Révolution avec Celia et Haydée Santamaría. Epouse de Raúl Castro, décédée le 18 juin 2007, d’un cancer. Fut présidente de la Federación de Mujeres Cubanas.

(7) Juan Almeida Bosque: le seul noir qui participa à l’assaut de Moncada; ex-chef d’état-major de l’Armée; responsable du commandement de Santa Clara lors de l’invasion de la Baie des Cochons. Membre du Comité Central et du Bureau Politique du PCC.

(8) José Quevedo: major de l’armée de Batista. Battu par Castro au mois de juillet, il se rallie à l’Armée Rebelle. Dans les années 80, il sera nommé attaché militaire à Moscou.

Principales sources d’information :

* Rich Hancy, journaliste américain, auteur de l’ouvrage Celia Sanchez : the legend of Cuba Revolutionary Heart.

            Tad Szulc. Fidel Castro. A Critical Portrait

 

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