Casse-tête chinois, casse-tête haïtien

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Tout le beau monde de l’opposition traditionnelle au rendez-vous à l’hôtel Marriott pour trouver une solution (apparemment impossible jusqu’ici) au casse-tête haïtien.

Au sens propre, un casse-tête est une forme de jeu intellectuel en solitaire nécessitant une réflexion logique suivie d’une action manuelle ou non. On pourrait même dire qu’il s’agit d’une récréation mathématique appréciée des esprits doués pour la chose. Dans le cadre de ce présent texte nous avons en tête les problèmes politiques se présentant comme d’inextricables situations, de vrais casse-têtes faisant appel à des manipulations, des manœuvres guidées par le raisonnement et/ou par la chance.

Pris dans un sens figuré, le casse-tête se rapporte à un problème ardu à résoudre en raison de la multiplicité de ses éléments et de leur disparité, un travail très difficile et très fatigant, quelque chose d’inextricablement compliqué. Cette inextricabilité nous intéresse au plus haut point puisqu’elle nous amène à approcher la notion sinon le fait même de l’haïtianité en politique.

Jovenel n’y comprend encore rien au casse-tête haïtien, à ce gâchis qu’il a lui-même créé…

Mais avant, faisons un peu marche arrière, un ti bak dirions-nous en créole. Une légende rapporte qu’un empereur chinois du XVIe siècle du nom de « Tan », fit tomber un carreau de faïence, lequel se brisa en sept morceaux. Peu doué pour les casse-têteries, sa majesté n’arriva jamais à rassembler les morceaux pour reconstituer le carreau. Toutefois ce haut dignitaire chinois s’aperçut qu’avec les sept pièces, il était possible de créer des formes multiples.  C’est sans doute là l’origine du jeu de tangram, casse-tête dit des « sept plaques de l’habileté » très populaire en Chine. En fait, des save font remonter cette chinoiserie au IIIème siècle, en …. Grèce.

À bien observer la situation politique en Haïti, son inextricabilité, la complexité des éléments qui la font et défont au gré du plus pur hasard ou d’une mauvaise volonté tenace des intervenants, comment ne pas évoquer un casse-tête dont personne ne sait si et quand on arrivera à quelque solution que ce soit. Par chance, par la force ou par un raisonnement serein ? C’est à qui saura mieux le deviner.

Qu’importe ! L’important, ce n’est pas seulement la rose, mais aussi l’universalité du casse-tête. Même Haïti, pays « le plus pauvre de l’hémisphère », est tombé dans les zen casse-têtants. On peut parler sans se tromper de casse-tête haïtien. À l’origine de ce casse-tête : l’incompétence crasse, l’incurie massive, la désinvolture agaçante, l’inconduité politique déroutante, l’irresponsabilité révoltante, l’habitude invétérée du mensonge d’un chef d’État qui a laissé tomber, délibérément voudrait-on dire, le carreau de faïence gouvernemental qui s’est cassé en mille morceaux que veulent rassembler, recoller une multitude de carreleurs improvisés, politiciens en mal de présidence ou de Premierministrance.

Soit en groupe, soit individuellement, derrière un micro ou du haut d’une tribune, avec leurs gueules de démagogues, ils viennent avec leurs formules, les meilleures bien sûr, leurs techniques, les plus efficaces bien sûr, pour redonner au carreau de l’État sa forme originelle, son lustre perdu depuis des décennies. L’imagination ne leur fait pas défaut pour accoucher de miraculeuses propositions de recollement des morceaux brisés, que pompeusement ils nomment « propositions de sortie de crise ».

Ils s’agglutinent à l’hôtel Marriott par exemple sous le parapluie de groupements tels Mache Kontre, Alternative Consensuelle pour la Refondation d’Haïti, Passerelle. Dans tel autre hôtel, ils se ramassent à titre d’Organisation du Peuple en Lutte,  d’individus Fusionnants de chaleur démocratique, de Chrétiens en Mouvement pour une Nouvelle Haïti, de patriotes k ap Veye Yo, de citoyens assoiffés de Vérité. On ne sait par quelle alchimie cérébrale ils arrivent encore à propositionner. De temps à autre, ils donnent des conférences de presse pour faire savoir au président Jovenel et à la nation qu’ils sont des carreleurs de profession et qu’ils peuvent faire le boulot. Mais Jovenel n’y comprend encore rien au casse-tête haïtien, à ce gâchis qu’il a lui-même créé, d’autant que certains des carreleurs, fougueux et ‘‘radicaux’’ comme eux seuls, veulent sa tête.

Poussés par l’urgente nécessité de recoller les morceaux du carreau et pressés de gonfler leurs voix  pour montrer à Jovenel qu’ils sont des professionnels de qualité, capables de faire le travail carrelant, ils s’attroupent au Forum patriotique de Papaye pour faire valoir leur compétence de carreleurs expérimentés. Mais Jovenel tantôt fait le dos rond, tantôt fait le dos carré, d’autant que c’est un président à géométrie variable. Triangulaire, hexagonal, équilatéral, isocèle ou scalène, ce président-géomètre-‘ingénieur’-‘agronome’ sait faire aussi la sourde oreille à toutes les propositions qui lui parviennent.

Ne pouvant avoir gain de cause, les carreleurs se sont cherché des intercesseurs et protecteurs de taille. L’un d’entre eux s’est avéré être onusien, l’autre divin. En effet, le mardi 17 décembre, Helen La Lime, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti et cheffe de la nouvelle mission onusienne (BINUH) a entraîné et traîné des leaders de partis et regroupements politiques de l’opposition modérée et proche du pouvoir ; des représentants d’organisations de la Société Civile, des collectivités territoriales, de la présidence, à se tenir plus près de Gran Mèt la. Il n’y  avait pas meilleur endroit que la Nonciature, lieu d’espionnage et de commérages comme d’ailleurs presque toutes les ambassades, pour tenir ce conclave carrelant.

La conclavitude avait eu lieu loin des micros et des caméras. Au nombre des conclavants, il y avait des carreleurs de poids: Déjean Bélizaire, président du MNP28 ; Louis Gonzague Edner Day (Patrayil) ; Liné Balthazar, Président du PHTK ; Rébécaline Ziky Décelmond, Fédération nationale des maires haïtiens (FENAMH) ; le député Rolphe Papillon (Consortium) ; Victor Benoît, Président du Bloc démocratique ; Rosemond Pradel de Mache Kontre) ; Colombe Émilie Jessy Ménos et Rénald Lubérice, Représentants de la présidence ; Rose Anne Auguste, États Généraux Sectoriels de la Nation ; Charles Tardieu et Joseph Domingue Orgella de la Passerelle ; Éric-Jean Baptiste, Secrétaire général du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes, (RDNP) ; le Sénateur Joseph Lambert, coordonnateur de KONA et Paul Denis de INIFOS.

Malgré que ce beau monde fût sous la protection du Saint Esprit, la rencontre à la Nonciature Apostolique entre des partis de l’opposition, la PASSERELLE, alliés et représentants de Jovenel Moise, il n’y eut pas d’avancée, selon une dyòlalèlèz qui ne put tenir sa langue. Y eut-il reculée ? On n’en sait rien. Il y eut, paraît-il, un casse-tête méthodologique à cause de l’absence du docteur en méthodologie, Youri Latortue. Les pro et anti Jovenel campaient sur leur position, ne pouvant méthodologiser les négotiations.

Après des heures de travail ‘‘ éreintant ?’’, les grenouilles se séparèrent bredouilles, gribouilles, gros jean comme devant, ‘‘ti jacques comme derrière’’. Le public eut seulement droit à un communiqué lénifiant, soporifique, dodo-titit : « Les discussions se sont déroulées en toute convivialité autour d’une compréhension de la crise et de la construction d’un agenda (sic) de travail », ont-ils dit, embarrassés.

aucun carreleur n’a encore montré à Jovenel qu’il est capable de remettre les morceaux bien en place et rendre le carreau à sa forme et beauté originelles.

Frustrés de n’avoir pas été éclairés par le Saint-Esprit dont la réserve de chandelles était épuisée, les carreleurs décidèrent de faire appel aux forces terrestres, fòs lakay, nan dlo, anba dlo, sou lanmè, nan Ginen, nan Souvnans, ce qui les porta à se rassembler en un puissant rassemblement de 21 partis et organisations, le Bloc démocratique pour sauver la nation. Le chiffre 21 symbolise les 21 kout kanno devant saluer le gouvernement de transition à venir. La terminologie en usage au sein du Bloc est impressionnante. En voici quelques examples:

1.Rassemblement  des Ansyen Fòd Twa Pedal  de Mèt Ben,

2- Parti des Travailleurs  Chauffés à Blanc pour la Révolution

3- Parti Unir au risque même de désunir, Clarens Renois, Coordonnateur Général

4-Force Louverturienne « Fatras Baton », Emmanuel Ménard, Président

5- Regroupement de la Diaspora Pou Voye Kòb An Ayiti,

6.Association des Vieux sou baton de la Plaine des  Gonaïves

7.  Initiative des Femmes Artibonitiennes pour Crier Bare Violeurs et Voleurs !

8. Les Jeunes de Mitrayèz se Fè, Jovenel se Fatra.

Jusqu’à présent, aucun carreleur n’a encore montré à Jovenel qu’il est capable de remettre les morceaux bien en place et rendre le carreau à sa forme et beauté originelles. Il s’applique à comprendre le casse-tête haïtien, le sien au fond. Il demande aux apprentis carreleurs qu’on lui laisse seulement le temps de finir son mandat. Génie du Pic Macaya, un peu comme cet autre qui se disait être le « Génie des Carpathes », il trouvera la solution du casse-tête et personne n’aura plus à se casser la tête. Point barre.

22 décembre 2019

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