Carlos Bastidas Argüello, journaliste équatorien au cœur des Cubains 21 janvier 1935 – 13 mai 1958

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Carlos Bastisdas dans la Sierra Maestra avec Fidel Castro

Le nom de Carlos Bastidas Argüello peut ne pas être familier à plus d’un. Pourtant, ce journaliste progressiste, sinon révolutionnaire, est bien connu des Cubains qui se souviennent de lui non seulement parce qu’il a été un fervent partisan et un admirateur de la Révolution cubaine dès ses premiers moments dans la Sierra Maestra, mais aussi parce qu’il a été le dernier journaliste mort à Cuba, peu de temps avant l’entrée des guérilleros à la Havane conduits par Che Guevara, Camilo Cienfuegos et Fidel Castro en janver 1959.

Carlos Bastidas Argüello est né le 21 janvier 1935 à San Francisco de Milagro, ville d’Équateur communément appelée Milagro, située à 46 km au sud-est de Guayaquil, elle-même surnommée la «Perle du Pacifique», la première ville de la République d’Équateur, sa capitale économique et le plus important port de la côte ouest de l’Amérique latine. Fondée en 1786, Milagro chef- lieu du canton de Milagro est le principal centre de production de canne à sucre du pays.

Carlos Argüello a étudié le journalisme aux États-Unis. Il a couvert les événements en Hongrie en 1956 et, en tant qu’employé spécial de plusieurs journaux d’Équateur, il a assisté à la chute des dictateurs Gustavo Rojas Pinillas (1957), en Colombie, et Marcos Pérez Jiménez (1958), au Venezuela.

Lié aux mouvements démocratiques et progressistes en Équateur, Argüello défendait la population indigène, les pauvres et les exclus dans ses articles parus dans les journaux de Guayaquil et de Quito. S’intéressant à la guérilla castriste, il est arrivé à La Havane en 1958. Il a établi des contacts avec le mouvement clandestin “26 juillet” qui a facilité sa venue dans la Sierra Maestra où il a interviewé Fidel Castro. Bastidas avait pris le même chemin que d’autres journalistes latino-américains avaint pris, ainsi l’argentin Jorge Ricardo Masetti. À cette époque, Bastidas préparait en fait un livre sur la chute des dictatures militaires en Amérique latine, et il prévoyait la fin imminente de Fulgencio Batista.

Le jeune journaliste s’est fait entendre sur les ondes de la station à ondes courtes des guérilleros, Radio Rebelde, alors qu’il était sur le territoire libéré par la guérilla, primer territorio libre de América. Il se présentait aux auditeurs de la station rebelle comme «Atahualpa Recio», le chef Inca qui résista aux colons espagnols. Masetti, qui avait fraternisé avec Bastidas dans la Sierra Maestra, a écrit dans son livre Ceux qui se battent et ceux qui pleurent que le journaliste équatorien avait été captivé par la magie de la Révolution cubaine, s’impliquant avec les rebelle à titre de combattant, pareil au journaliste américain Ernest Hemingway, lorsque ce dernier, deux décennies plus tôt, avait mis de côté l’impartialité du correspondant de guerre et l’«objectivité journalistique» pour collaborer avec les forces républicaines pendant la guerre civile espagnole.

En venant à Cuba, Argüello ne courait pas après un scoop, l’annonce de la chute jugée imminente de celui qui était alors le dictateur Fulgencio Batista; encore moins pour se faire un nom qui lui aurait ouvert davantage les portes du journalisme sur le continent. Il était venu plutôt à la rencontre d’une vraie Révolution, d’un idéal qui s’identifiait avec la cause des plus humbles, des opprimés, des exploités et de ceux qui étaient victimes de discrimination. Il fut totalement conquis par les réalisations des guérilleros auprès de la paysannerie pendant le mois et demi où il vécut dans la Sierra Maestra comme un révolutionnaire de plus.

Argüello rentra à La Havane le 11 mai 1958 dans le but de se rendre trois jours plus tard aux Etats-Unis où il pensait dénoncer les crimes de l’aviation de Batista contre les communautés rurales. Il logeait dans un hôtel près de la Promenade du Prado. Il alla  rendre visite au Collège Provincial du Journalisme de La Havane et se rendit aussi à l’ambassade équatorienne dans la capitale où il remit à celui qui était alors l’ambassadeur de son pays, Virgilio Chiriboga, les rouleaux de pellicules et photos qu’il avait faites dans la Sierra Maestra, entre autres documents.

Dans la nuit du 13 mai, la veille de son départ, il se rendit dans un bar situé sur la Promenade du Prado, entre les rues Virtudes et Neptuno, où il allait chercher quelques lettres de militants du 26 Juillet pour les apporter à des exilés cubains aux Etats-Unis. Pendant qu’il attendait, assis dans le bar, un agent secret de Batista, au service de Pilar Garcia, chef de la Police Nationale, commença à injurier le journaliste équatorien, se mit ensuite à le frapper, pour enfin sortir son revolver et lui tirer plusieurs balles dans la tête.

De ce brutal assassinat, on ne publia pas une ligne dans la presse cubaine de l’époque, soumise à la plus féroce censure. Le corps sans vie de Carlos Bastidas fut transporté à la morgue d’ordre de la police. Le Collège des Journalistes de La Havane (CJH) mis au courant parvint, trois jours plus tard, après maintes péripéties, à entrer en possession du cadavre qui fut remis à des pompes funèbres pour les suites nécessaires. On signalera en passant que les pressions internationales ont été favorables au CJH pour récupérer le corps de Bastidas à qui furent faites des funérailles dignes. Les assassins n’ont pas été jugés, voire punis. Il y a eu une   parodie de procès  où au moins il a été établi que le tueur exécutait les ordres de Pilar García, l’un des plus sanglants chefs militaires de la tyrannie. Les auteurs du crime réussirent à s’échapper de Cuba et trouvèrent un refuge sûr aux Etats-Unis, comme plusieurs autres sbires du régime de Batista

L’UPEC (Union de Periodistas de Cuba / Union des Journalistes de Cuba), fondée en 1963, a fait en sorte, en 1997, que les restes de Bastidas soient transferrés au Panthéon des Martyrs pour l’Indépendance, à la Nécropole de Colón, où se trouvent également les restes de combattants internationalistes tombés en Angola.

Le 13 mai 2008, à l’occasion du 50ème anniversaire de l’assassinat de Carlos Bastidas  qui coïncidait avec le demi-siècle d’existence de Radio Rebelde, un bel hommage a été rendu à la Havane par L’Union des Journalistes de Cuba: «L’UPEC a conçu ce programme d’activités, inspiré par le profond respect pour l’intégrité physique et morale des journalistes professionnels, afin que les nouvelles générations de journalistes connaissent et améliorent leurs connaissances concernant les idées et les actions de cet homme latino-américain qui a vécu en faveur de l’indépendance et de la liberté de notre peuple», a eu à déclarer Tubal Páez, président de l’UPEC.

Bastidas fut le dernier journaliste tué dans l’exercice de sa profession, à Cuba; c’était avant le triomphe de la Révolution. Mais cette mort atroce n’a jamais été condamnée par des organisations telles que Reporters sans frontières ou la Sociedad Interamericana de Prensa (SIP), ou par les grands médias à la solde des oligarchies latino-américaines et de l’empire. Le triomphe de la Révolution cubaine a mis fin à ces actes de barbarie. Pendant ses cinquante-huit années d’existence, aucun journaliste, ni cubain ni d’aucun autre pays n’est mort de mort violente à Cuba en raison de ses opinions. L’intégrité physique des journalistes y est pleinement garantie, à la différence de ce qui arrive dans beaucoup d’autres pays.

Hommage est ici rendu à Carlos Bastidas Argüello, journaliste équatorien au grand courage, de conviction révolutionnaire certaine et dont le nom ne devra pas se perdre dans nos mémoires comme les fleuves dans la mer.

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