Comme pour l’assassinat du Président Jovenel Moïse, il y a tout juste une année, le 20 juillet 2022 ramenait l’anniversaire de l’avènement du Dr. Ariel Henry à la tête de la Transition politique qui s’en est suivie à titre de Premier ministre a.i.
Arrivé au pouvoir de manière controversée suite à l’éviction par le Core Group de son prédécesseur, Dr Claude Joseph alors chef de gouvernement a.i avant le meurtre du chef de l’Etat, Ariel Henry a le plus grand mal à devenir l’homme de la situation. Plus de 365 jours au sommet d’un Etat paria, livré à lui-même et gangréné par la mafia politico économique, celui qui détient l’essentiel des pouvoirs en Haïti ne peut présenter le moindre bilan de ses actions tant qu’il n’y a rien à présenter. Même son adresse à la Nation le mercredi 20 juillet qui devait être le seul temps fort de ce non évènement a été un échec. Pourtant, ce discours n’a pas été spontané. Et pour cause. C’est un message préenregistré.
Annoncé pour 18 heures, heure de Port-au-Prince, toute la population avait fait l’effort de se mettre devant son petit écran ou de s’accrocher à son poste de radio en vue d’écouter ce que le Premier ministre avait à dire ou à annoncer à un pays qui n’en peut plus. Mais, là aussi, ce fut la déception dans la mesure où il fallait attendre des heures durant avant que les techniciens de la TNH (Télévision Nationale d’Haïti) puissent lancer le magnétoscope, comme on le disait à une époque qui ne nous rajeunit point. Preuve, s’il en était besoin pour comprendre que le pays n’est pas gouverné. Des heures de retard juste pour diffuser un message gouvernemental préenregistré à l’occasion d’une date qu’on attendait depuis longtemps. Bon passons.
Après une année de gouvernance absolue sans contre-pouvoir ni opposition ni manifestation, le Premier ministre est apparu à la télévision égal à lui-même, c’est-à-dire, sans charisme et sans boussole, donc pas de cap. Ou du moins si. Il est pâle, effacé et tourne en rond. Puisque, dans son adresse au peuple d’Haïti, Ariel Henry s’autorise à reprendre les mêmes souhaits qu’il avait formulés pour l’année qui vient de s’écouler.
Après une année de gouvernance absolue sans contre-pouvoir ni opposition ni manifestation, le Premier ministre est apparu à la télévision égal à lui-même, c’est-à-dire, sans charisme et sans boussole
Ce qui est un mauvais signe si l’on considère qu’il n’a tenu aucune des promesses qu’il avait faites à la population au moment où madame Helen La Lime, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres et cheffe du BINUH (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti) lui avait passé les clés de la Primature après avoir chassé Claude Joseph comme un vaurien. Douze mois se sont écoulés depuis que Ariel Henry, seul maitre à bord, tient la barre du navire Haïti pour le porter à saborder. Pourtant, l’homme persiste et insiste à poursuivre dans cette trajectoire sans issue. En refusant de partager le pouvoir qu’il a acquis par procuration grâce à la lâcheté de son prédécesseur et la peur des blancs, Ariel Henry croit toujours qu’il peut y arriver même quand il ne reste que les décombres. Malgré plusieurs tentatives d’autres entités politiques et acteurs de la Société civile convoitant eux aussi le pouvoir et peut-être souhaitant le partager avec lui, le détenteur de la clé de la Villa d’Accueil à Bourdon n’entend pour rien au monde céder une once de cette « pépite » qu’il veut garder jalousement à lui tout seul.
Il croit encore qu’il peut atteindre des objectifs qu’il n’a pu réussir durant cette première année passée à la Primature. Un laps de temps que certains considèrent comme étant une « année blanche ». Qu’importe, le chef des Pouvoirs exécutifs (Présidence et Primature), fort de son CDI (Contrat de travail à Durée Indéterminée), n’hésite pas à rappeler, lors de son adresse à la Nation, ses objectifs qui, somme toute, ne sont qu’un plat réchauffé. Quels sont ces objectifs ? Selon Ariel Henry, « (…) Il s’agit de : lutter contre l’insécurité et rétablir la paix et la libre circulation des personnes et des biens ; combattre la corruption sous toutes ses formes en vue d’augmenter les recettes de l’État ; construire un consensus autour des modifications indispensables à apporter à la Constitution afin de parvenir à un meilleur fonctionnement de nos institutions démocratiques.
Mettre en place un appareil électoral crédible qui rassure tous les secteurs et encourage une forte participation des électeurs, en vue de garantir une légitimité certaine aux prochains élus ; œuvrer pour un meilleur fonctionnement de l’appareil d’Etat ce qui contribuera à assainir l’environnement politique en général et à répondre aux justes revendications de la population » (…) Soutenu dans ce hold-up politique incroyable, invraisemblable, voire, inimaginable avant le magnicide du 7 juillet 2021, par une coalition de groupuscules politiques incapable de gagner le moindre scrutin et qui a même une peur bleue d’aller affronter les suffrages universels, celui qui fait office du chef de la Transition, refuse d’entendre raison. Il persiste à croire qu’il est le seul à pouvoir amener la Transition à bon port quand il déclare : « (…) Je veux rappeler aux uns et aux autres que la mission principale du gouvernement que j’ai l’honneur de diriger est de créer les conditions pour la réalisation d’élections honnêtes transparentes et démocratiques, en vue de transmettre le pouvoir dans les meilleurs délais possibles, à des élus librement choisis par une majorité d’haïtiennes et d’haïtiens (…)».
En vérité, si le Premier ministre Ariel Henry croit vraiment à ce scénario, il n’est pas seulement dans le déni de vérité, mais il a tout simplement perdu la raison. Car il est le seul à croire qu’il peut y arriver tout seul. Même le cercle des anciens combattants de l’ancienne opposition, Me André Michel et consort en tête, qui lui sert de bouclier humain politique le temps de s’engraisser sur le dos de la bête, n’y croit absolument pas. Il faut être le plus naïf de chez Naïf pour croire à un scénario si irréaliste surtout dans cette conjoncture en Haïti. Combatte l’insécurité, stopper l’avancée des gangs qui le barricadent au haut de Bourdon, trouver un accord avec les autres acteurs qui s’impatientent derrière les portes du pouvoir, réécrire ou amender la Constitution de Jovenel Moïse et enfin, organiser des élections générales inclusives avant de passer les clés du Pouvoir exécutif à un Président de la République élu. Tout cela relève de l’utopie. C’était déjà l’objectif du 20 juillet 2021, lorsqu’il avait hérité du Palais national en même temps que de la Primature.
D’ailleurs, même dans les pays où la pratique de la politique se fait avec sérieux et où l’intérêt général prend le dessus sur l’enrichissement personnel, ce qui est différent en Haïti et particulièrement depuis le début de cette Transition d’un nouveau genre, seules les actions collectives et soutenues par une majorité peuvent espérer réussir. Or, depuis un an que constate-t-on en Haïti autour du Premier ministre a.i ? Rien que de la surenchère politique et des déclarations démagogiques de la part de ceux qui soutiennent cette politique absurde qui consiste à confisquer la totalité des prérogatives politiques de la République. Un non-sens et l’on dirait même que c’est de la mauvaise foi. Comment imaginer que tout un pays, plus logiquement, toute une élite politique accepte qu’une minorité, certes de la même filiation, puisse hériter d’un pouvoir sans partage, sans contrôle et surtout sans aucune durée dans le temps décide seule de l’avenir de tout un peuple ?
On ne peut le croire et surtout l’on ne veut le croire. Le pire, ce pouvoir-là qui prétend prendre tout à sa charge n’est issu d’aucun scrutin universel direct ou indirect alors même qu’on parle de démocratie, de bonne gouvernance et tutti quanti. Toute proportion gardée, le pouvoir d’Ariel Henry s’apparente à une présidence à vie et une dictature absolue. Puisque celui-ci préside, gouverne, légifère et décide seul comme un monarque d’une Monarchie absolue mais sans aucune autre institution ni autre autorité pour s’interposer ou faire objection à ses décisions. Un comble pour ce peuple qui a mis fin, il y a plus de trente-six ans, à la dictature et au pouvoir personnel. Pourtant, malgré ce vaste pouvoir étendu et un an après son parachutage au sommet de l’Etat, le moins que l’on puisse dire, Ariel Henry, en dépit d’avoir les mains libres sur tous les rouages des pouvoirs en Haïti, reste dans la prospection politique. Puisqu’il reprend les mêmes mots de son allocution d’il y a un an pour parler de dialogue avec les autres acteurs. « (…) Le dialogue est et demeure l’outil idéal pour résoudre les problèmes politiques.
C’est la voie que j’ai privilégiée jusqu’ici, et j’entends y demeurer. Un dialogue franc et sincère avec tous les secteurs de la vie nationale. Sèlman bandi pa ladan l. J’espère que les uns et les autres le comprendront et y contribueront en toute bonne foi avec une ferme volonté d’aboutir (…) Il est indispensable de mettre autour de la table les partis politiques, mais aussi les principaux acteurs économiques et sociaux pour construire ensemble un projet national pour l’Haïti que nous voulons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants » a-t-il estimé. Sans une réelle opposition politique, il ne s’est jamais inquiété de quoi que ce soit et surtout de l’action d’aucun groupe qui aurait pu le mettre en difficulté ou le contraindre à démissionner comme les régimes précédents. Depuis le 20 juillet 2021, Ariel Henry s’appuie sur son Contrat de travail à Durée Indéterminée (CDI) qu’il a obtenu du Core Group, l’organisme diplomatique regroupant les principaux ambassadeurs accrédités à Port-au-Prince pour jouer avec l’avenir de 12 millions d’Haïtiens et Haïti lui-même.
C’est irresponsable, voire dangereux. Ce monsieur qui s’enferme dans sa résidence officielle à Bourdon n’a toujours pas pris conscience de l’état de l’insécurité à Port-au-Prince et de ses environnements sans oublier la situation déplorable du reste du territoire coupé de la capitale à cause de l’occupation armée par les gangs contrôlant les principales entrées et sorties du centre économique du pays qu’est Port-au-Prince. Le plus navrant de cette histoire de fou, jamais, depuis la chute des Duvalier un pouvoir en Haïti n’a eu autant de liberté et d’autonomie pour agir, décider et prendre des mesures politiques et institutionnelles concrètes qui auraient pu changer l’image du gouvernement et consolider la Transition afin de parvenir à un consensus politique avec les autres secteurs en vue de l’organisation de vraies élections générales. Mais, s’entourant de gens n’ayant aucun sens de l’Etat, encore moins la volonté de secourir la population malgré la pauvreté endémique qui frappe de plus en plus les haïtiens, le Premier ministre a.i demeure sourd aux sollicitations de ses protagonistes.
Seuls les leaders de l’ex-opposition qui acceptent de couvrir ce déni de démocratie et donc de marcher dans cette forfaiture tirent leurs marrons du feu. En cautionnant cette politique du pire, ils seront eux aussi comptables de cet échec monumental de la nouvelle Transition. Un an après, Ariel Henry et ses alliés de l’Accord du 11 septembre demeurent dans le domaine des vœux pieux.