Ariel Henry en campagne pour un CEP introuvable (3)

(3ème partie)

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Tout le paysage politique du pays est en effervescence contre son projet de former un Conseil Electoral Provisoire (CEP).

En pleine confusion sur la participation ou non à la réunion de la CARICOM sur Haïti en Jamaïque, les 11, 12 et 13 juin 2023,  le BINUH (Bureau Intégré  des Nations Unies en Haïti) par le soin de sa cheffe à Port-au-Prince, Mme Maria Isabel Salvador, a apporté son soutien indéfectible au chef de la Transition lors de sa première Conférence de presse depuis sa prise de fonction en Haïti il y a quelques mois.

En effet, le vendredi 9 juin dernier à l’occasion de cette fameuse rencontre avec les journalistes, la Représente spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti a tout simplement adoubé Ariel Henry dans sa quête à la recherche d’un CEP introuvable en déclarant « Ariel Henry dirige un gouvernement de transition vers la réalisation des élections. Il a été nommé par le Président Moïse avant sa mort. Cela lui confère une certaine légitimité. Il est important pour les Nations-Unies de supporter cette « petite institutionnalité ». C’est pourquoi nous tenons à continuer notre travail sur la base de l’Accord du 21 décembre. C’est le plus légitime possible en ce moment. Nous supportons et accompagnons le gouvernement dans le processus pour arriver aux élections afin de rétablir une démocratie pleine en Haïti » en clair celui-ci est notre homme.

Or, c’est  tout le paysage politique du pays qui est en effervescence contre son projet de former un Conseil Electoral Provisoire (CEP) afin de mettre en branle le processus électoral dans ce climat de peur. On se souvient que le Premier ministre, Ariel Henry, dit « Roi Henry » avait annoncé l’organisation d’une grande assise nationale avec tous ceux qui le souhaitaient.

Le Premier ministre Ariel Henry dans sa quête à la recherche d’un CEP introuvable

« Nous profitons de l’occasion pour vous dire que le gouvernement et le HCT travaillent à la tenue d’une grande assisse avec tous ceux qui le veulent : les citoyens signataires de l’Accord du 21 décembre et ceux qui ne l’ont pas signé. Nous aurons à parler de sécurité, de politique, de modification de la Constitution et aller au plus vite aux élections générales » avait donc proclamé tout naturellement un Ariel Henry très confiant et serein. En attendant l’organisation de cette fameuse assise nationale, les oppositions au processus électoral dans ce contexte se multiplient.

Deux anciens Premiers ministres sont montés aux créneaux pour expliquer les raisons pour lesquelles il serait impossible que les échéances électorales aient lieu au cours de cette année 2023. En effet, d’après Jean Michel Lapin qui a dirigé le gouvernement entre 2019 et 2020 sous la présidence de Jovenel Moïse, il est enfantin de penser former un Conseil Electoral Provisoire (CEP) dans les conditions sécuritaires actuelles. Alors, voire penser avoir des dirigeants élus l’année prochaine. Pour l’ex-Premier ministre, la passation du pouvoir à des dirigeants légitimement élus ne pourra pas se faire avant février 2025. C’est une question de bon sens. Il qualifie même d’« enfantillage politique » la Résolution qu’avaient prise les acteurs de l’Accord du 21 décembre dit l’Accord Karibe selon lequel le pouvoir doit être transmis à des élus en février 2024. Jean Michel Lapin est catégorique sur ce plan.

D’après son expérience, il explique qu’il faut au moins 18 mois en temps normal pour organiser des élections.  Or, il se trouve que cette conjoncture est loin, très loin de ce qu’on peut appeler un « temps normal ». Cette approche, Jean Michel Lapin n’est pas le seul ancien haut responsable de l’Etat à l’avoir. Son lointain prédécesseur, et de surcroit l’ami du pouvoir, Evans Paul dit KP, abonde dans le même sens. L’ancien chef de gouvernement sous la présidence de Michel Martelly est tout aussi alarmiste à l’idée que Ariel Henry croit pouvoir lancer un processus électoral dans ce contexte. Le jeudi 20 avril 2023, sur radio Magik9, Evans Paul avance que : « Même s’il n’y avait pas l’insécurité, ce serait impossible parce qu’il y a tout un calendrier, des délais incompressibles pour organiser les scrutins. Nous n’aurons pas seulement à organiser les élections pour élire des Présidents, sénateurs, députés et autres maires… Nous devons régler le problème de la Constitution parce que si l’on ne résout pas ce problème la confusion persistera ».

Le journaliste sénior Jacques Sampeur, président de l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH)

L’ancien Premier ministre ne se contente pas d’évoquer la problématique de la mise en place du CEP. Il aborde un point capital dans ce processus qu’est la nouvelle ou l’amendement de la Constitution et le Référendum devant statuer sur la Chatre fondamentale. Cette approche, en effet, est loin d’être anodine dans la mesure où il est primordial de clarifier une fois pour toute ce qui est une source de crise politique quasi-permanent dans ce pays : la Constitution. Là où Evans Paul a été perspicace dans cette interview, c’est quand il a fait une analyse pertinente démontrant qu’un scrutin présidentiel ayant eu lieu sous l’empire de la Constitution de 1987 ne servirait à rien dans la résolution des crises politiques post-présidentielles. L’ex-chef du gouvernement est revenu sur le débat passionné qui a eu lieu sur la fin du mandat du feu Président Jovenel Moïse au cours de l’année 2020 et 2021. D’ailleurs, certains sont persuadés que ces débats stériles ont motivé en parti l’assassinat du chef de l’Etat quelques six mois avant son départ du pouvoir. Pour Evans Paul, Haïti ne peut se payer le luxe de s’engager dans cette voie tant qu’on ne résolve point cette histoire.

« Nous nous souvenons du tollé autour du mandat du Président Jovenel Moïse, certains acteurs disaient que son mandat est arrivé à terme le 7 février 2021. Sur cette même base, on a dit que le mandat du Président avait commencé un an avant sa prise de fonction, si on garde cette Constitution, il y a des personnes qui peuvent dire que le prochain Président aura déjà perdu deux ans de son mandat parce qu’il a débuté le 7 février 2021. Est-ce qu’on peut gérer un pays d’une telle manière? Si  nous ne résolvons pas ces problèmes, on va enchaîner des crises sans aller nulle part. Le problème de la Constitution doit être résolu et ça prendra du temps. Il faut du temps pour organiser un référendum; le mécanisme pour organiser un référendum prendra au moins six mois », détaille l’ancien Premier ministre qui croit qu’il faut mettre un terme à ce débat qui revient après l’investiture de chaque nouveau Président de la République. Alors que, pour faire adopter une nouvelle Constitution, il y a un ensemble de démarches à effectuer auprès de la population, en somme, il faut vendre le projet.

D’où, d’après Evans Paul, « ll faudrait l’appréhender, se l’approprier, faire campagne autour du document. Et c’est à partir de cette Constitution qu’on allait faire une loi électorale parce qu’il peut y avoir des changements dans le mode d’organisation du pouvoir. Alors qu’il y a trois aspects à prendre en considération : la sécurité, la politique et le problème économique. »

Bref, réussir un tel pari demande du temps, beaucoup de temps surtout en Haïti où l’organisation du moindre scrutin est un vrai parcours de combattants pour le gouvernement et les autorités électorales, puisque ce ne sont jamais les mêmes équipes qui sont aux commandes. Ce qui laisse Evans Paul dubitatif devant ce processus compliqué et même contesté par une grande partie des acteurs. Ainsi, pour conclure, il lance : « Moi je dis que nous sommes en avril, il n’y a aucun moyen entre maintenant et 7 février 2024 pour qu’il y ait des élections dans le pays pour passer le pouvoir à des élus ». Dans ce carnaval du refus, pour ne pas intégrer ce processus hors contexte, on trouve la voix du Secteur paysan qui se démarque de la position des autorités de la Transition.

Contactée par le Bureau du Premier ministre Ariel Henry pour désigner deux personnalités dont l’une devrait être choisie par le chef du gouvernement pour compléter la liste des 20 personnalités parmi lesquelles le HCT choisira les 9 membres du CEP, l’organisation Koze Pep que dirige le personnage haut en couleur Charles Suffrard, constate, elle aussi, que le timing n’est pas le bon pour lancer un processus électoral. Koze Pèp, après consultation de ses membres, a décliné la sollicitation de la Primature. Selon son leader Charles Suffrard, le moment est mal choisi, toute l’économie du pays est en berne due justement à l’insécurité qui règne partout sur le territoire. La population, notamment les paysans, est aux abois, les élections ne sont pas une priorité.

« Le problème du pays n’est pas un problème d’élections mais de sécurité. Personne ne peut laisser sa maison avec quiétude. Nous vivons dans la peur. L’économie informelle, l’économie de la paysannerie, est bloquée. L’économie paysanne est déjà morte. Vous voulez me faire comprendre que la démocratie se limite seulement à des élections dans l’état actuel du pays ? Un pays normal qui fonctionne ne peut pas être réduit seulement à des élections », estime le leader de ce mouvement paysan approché par le pouvoir dans le cadre de la composition du CEP.

Si le Secteur paysan prend ses distances, comme on l’a souligné plus haut, l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) que préside le journaliste sénior, Jacques Sampeur, compte tenu du climat délétère dans lequel vit la société, particulièrement les employés de la presse qui se mettent tous les jours en danger pour informer la population, a, sans surprise, donné un refus à la demande des autorités de la Transition. La réponse des dirigeants de l’ANMH c’est non. Non, l’association ne désignera pas de personnalités pour intégrer le CEP. Le Président Jacques Sampeur explique les raisons du refus de son organisation de participer à ce processus.

Selon lui, cette décision est motivée par l’insécurité qui recouvre le pays tout entier et dont tout le monde a peur. Le directeur de la radiotélévision Antilles Internationales met en avant l’enlèvement du Vice-Président de l’ANMH et les attaques contre d’autres journalistes, entre autres, Roberson Alphonse du quotidien Le Nouvelliste et de radio Magik9 qui a failli mourir sous les balles assassines des bandits qui contrôlent la capitale.

« Le gouvernement devrait faire un effort pour se rapprocher de la Constitution dans sa démarche pour former le CEP. Traditionnellement, chaque secteur désigne un membre pour former ledit Conseil et dans ce contexte, même si on peut se tromper, on a un minimum de certitude sur l’intégrité et la crédibilité de la personnalité désignée. Mais, quand c’est le gouvernement qui choisit, ce dernier peut décider de ne pas faire le choix des personnalités crédibles désignées par certains secteurs. Nous sommes dépassés par l’insécurité et l’enlèvement de Boby Denis n’est pas la dernière goutte d’eau qui fait déborder le vase. Des journalistes comme Roberson Alphonse ont failli laisser leur peau, des journalistes ont été tués, des citoyens quittent leurs maisons à cause de la violence des gangs; hier encore des membres de l’ANMH qui habitent à Debussy ont été obligés de fuir leurs demeures à cause des bandits qui ont envahi la zone.  C’est impossible de normaliser un gouvernement qui ne peut même pas sécuriser le pays, ce qui est basique. Nous sommes livrés à nous-mêmes. En tant qu’institution nous demandons au gouvernement de rétablir d’abord la sécurité dans le pays et après il pourra penser à la mise en place d’un CEP, pour permettre un retour à l’ordre constitutionnel », argumente Jacques Sampeur, Président de l’ANMH sur Magik9 le mercredi 27 avril 2023.

Sur la même lancée, l’autre association des patrons de presse, AMIH (Association des Médias Indépendants d’Haïti) présidée par le journaliste Jean Venel Remarais a pris la même direction pour se mettre dans le camp du refus. L’AMIH a aussi dit non à Ariel Henry et s’explique ainsi par la bouche de son Président : «  L’AMIH n’est malheureusement pas branché présentement sur cette question. Je ne vois pas comment je présiderais une rencontre avec des membres de notre association pour le choix de nouveaux candidats pour un éventuel CEP, pendant qu’un haut dirigeant d’une autre association de directeurs de médias est en captivité. De plus, l’AMIH a déjà fait un exercice similaire » a déclaré Jean Venel Remarais, Directeur de la radio Solidarité et  de l’Agence Haïtienne de Presse (AHP).

(A suivre)

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