Ariel Henry en campagne pour un CEP introuvable

(Première partie)

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Emmanuel Ménard du parti Force Louverturienne Réformiste (FLR)

Le Premier ministre de facto, Ariel Henry, dit le « Roi Henry » et ses alliés politiques du SDP sont les seuls à croire vraiment pouvoir organiser, dans ce contexte d’insécurité, des élections libres et inclusives, comme on dit en Haïti, au cours de cette année. Après avoir enfumé tout le monde avec cette question de formation d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) au début de sa prise du pouvoir en 2021, un long et un très long silence sur ce dossier a été observé compte tenu, justement, du climat délétère régnant dans le pays. Certes, cette affaire de CEP demeure, pour le chef de la Transition, une sorte de sauf-conduit qu’il sort à chaque fois que la situation politique semble lui échapper. Mais, la réalité, à aucun moment il n’a cru vraiment pouvoir y arriver. Pour Ariel Henry, le dossier de la formation du CEP est un bon filon, comme on dit dans le jargon de ceux pratiquant le commerce en gros. A chaque fois, il tente de capitaliser là-dessus alors même qu’il est persuadé que ce n’est pas le bon moment de vendre.

Cela faisait des mois que lui et son meilleur allié dans cette transition, Me André Michel, essaient de mettre en place un CEP en vue de lancer un hypothétique processus  électoral que personne ne veut dans cette conjoncture où l’État perd le contrôle d’une bonne partie du territoire. Après des mois passés à tourner en rond, la Primature avait fini, sous le conseil de Mme. Helen La Lime, par trouver ce qu’elle croyait être le bon filon pour relancer le processus de la mise en place du CEP avec la création d’une entité politique inédite pour la Transition : un Haut Conseil de la Transition (HCT) dont la présidence a été confiée, par le Core Group, à une personnalité du cru, Mme Mirlande H. Manigat. En effet, selon l’Accord du 21 décembre 2022 qui a institué ce nouvel organisme public, parmi les multiples missions de celui-ci, il est chargé de faire des propositions au Premier ministre suivant une liste de personnalités que celui-ci lui a transmise en vue de constituer les membres du CEP.

Trois mois après, le HCT n’a toujours pas reçu de liste et se plaint même du retard de l’Exécutif dans l’application dudit Accord. Dans un premier temps, les Services du Premier ministre avaient fait courir le bruit laissant croire que Ariel Henry avait déjà reçu discrètement les noms des 9 membres devant former le CEP. C’était une fausse rumeur. En réalité, il s’agissait d’un test pour voir comment l’opinion publique et les oppositions en particulier allaient réagir face à cette annonce. Devant l’indifférence générale de cette annonce, très vite le gouvernement avait compris que ce n’était pas le bon timing et avait tout de suite rentré le dossier. En vérité, selon diverses sources, Ariel Henry n’avait aucune liste car tous les notables et personnalités pouvant offrir un certain crédit, contactés par les émissaires de la  Primature et de ses alliés pour intégrer le CEP, ont sagement décliné l’offre.

Jean Robert Argant, du « Collectif 4 décembre »

Ils soulignent la conjoncture sécuritaire chaotique du pays ne permettant pas l’organisation du moindre scrutin. Mais, face à la paralysie totale du pays et les pressions des organisations internationales, notamment, l’Organisation des Etats Américains (OEA) sur la problématique électorale en Haïti, le gouvernement a dû prendre son courage à deux mains pour tenter de revenir au premier plan avec le dossier des élections et en premier lieu le CEP qui constitue le passage obligé de tout processus électoral. Ainsi, le mercredi 15 mars 2023, lors d’une réunion du Groupe de travail de l’OEA sur Haïti, le Chancelier haïtien, Jean Victor Généus, avait tenté de convaincre les diplomates en annonçant que le processus de normalisation des institutions en Haïti est en cours. Selon lui : « La normalisation du fonctionnement de la Cour de cassation est une étape importante dans la mise en place des institutions pour une saine distribution de la justice et pour la réalisation des élections (…) À la suite de la signature de l’Accord du 21 décembre entre le Premier ministre et les Secteurs concernés, les pourparlers se poursuivent pour la désignation des membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP) devant organiser les prochaines élections.

Je rappelle que  la Cour de cassation est indispensable à la mise en place du Conseil Electoral Provisoire devant lequel les membres du CEP doivent prêter serment » avait laissé entendre le ministre haïtien des Affaires Etrangères à ses homologues le 15 mars dernier, soit une semaine après l’installation des 8 juges à la Cour de cassation. Or, en dépit de cette annonce pleine d’assurance du ministre, à Port-au-Prince, les acteurs ne partagent point cet enthousiasme et se montrent peu convaincus de la parole de ce membre du gouvernement de la Transition qui ne parle, en fait, que pour satisfaire les vœux ou le souhait de la Communauté internationale. Comme une réponse du berger à la bergère, quelques jours après la déclaration de Jean Victor Généus, c’est un leader politique influent et pourtant signataire de l’Accord de Karibe, Emmanuel Ménard, Président du parti Force Louverturienne Réformiste (FLR), qui a mis les points sur les « i » et calmé un peu l’ardeur du ministre en déclarant sur son compte Facebook « Il n’y aura aucune élection en 2023.

Je refuse de garder le silence pour ne pas être complice de ce vol politique. Depuis 2016, je me suis libéré du devoir de réserves pour mon autonomie de parole et d’actions. Bientôt 21 mois de gouvernance : accords non appliqués, insécurité généralisée, viols, assassinats et les gangs font la loi. À qui profite cette cauchemardesque situation ? La coalition au pouvoir a un allié objectif : les terroristes. La jouissance du chaos leur est commune. J’ai fini par comprendre avec grand effroi que l’Accord du 21 décembre est un leurre, un bateau ivre qui n’atteindra aucun port. Vouloir maintenir le statu quo en Haïti est une prime à la violence » avait-il déclaré au quotidien Le National quelques jours après. Mais, le leader de ce Parti n’en est pas resté là. Après que la Primature eut commencé à contacter les leaders politiques et les autres secteurs pour leur faire part de son intention d’ouvrir le processus électoral en ce mois d’avril 2023, Emmanuel Ménard a été encore plus virulent dans sa critique vis-à-vis du Premier ministre de facto.

En effet, dans un entretien accordé à Le Nouvelliste du 13 avril 2023, il s’est montré intraitable en lançant même une mise en garde aux autres responsables des organisations politiques qui seraient tentés de répondre favorablement aux démarches du pouvoir. « C’est un gouvernement qui ne répond que de lui-même. Il n’y a aucun organe de contrôle, comme c’était prévu dans l’Accord du 21 décembre. Il n’y a pas non plus de remaniement ministériel. Ce sont des préalables avant de passer à l’étape CEP. Nous dénonçons cette tentative de former le CEP. Nous lançons une mise en garde aux secteurs contactés par le gouvernement afin qu’ils ne s’associent pas à une telle démarche », a avancé le chef du parti Force Louverturienne Réformiste. Si Emmanuel Ménard exprime ainsi sa crainte de ne pas pouvoir cautionner un scrutin organisé dans ce contexte de faillite totale et d’incapacité du pouvoir de reprendre la main sur les groupes armés, la Société civile dont une bonne partie a signé elle aussi l’Accord du 21 décembre n’est pas en reste.

Camille Chalmers de la PAPDA

C’est plutôt le Haut Conseil de la Transition (HCT) qui est dans sa ligne de mire en rappelant Mirlande H. Manigat et ses collègues à leurs responsabilités. Dans un entretien daté du 30 mars 2023 au quotidien Le National, un des membres de cette Société civile dite organisée, Jean Robert Argant, dirigeant du fameux « Collectif 4 décembre », on se souvient, qui avait pris position contre la commémoration en 2004 du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti par opposition à la présidence de Jean-Bertrand Aristide, croit aujourd’hui qu’aucune élection n’est possible cette année et appelle même les dirigeants du HCT à jeter l’éponge s’ils constatent qu’ils ne peuvent faire avancer les choses. « Je veux croire que les membres du Haut Conseil de Transition ce sont des adultes qui ont accepté de rendre service au pays, toutefois s’ils ne se sentent pas capables, il est impératif qu’ils se démettent de leur fonction. On s’est moqué suffisamment de nous, aujourd’hui cela doit cesser. Il faudrait un an et demi pour pouvoir penser à la réalisation des élections dans le pays. Le phénomène de l’insécurité doit être résolu sur le terroir avant de penser aux élections. 

Haïti est un pays, les étrangers peuvent collaborer avec nous, mais aucun changement n’est possible sans la volonté haïtienne » disait Jean Robert Argant. C’est aussi l’avis d’un autre allié du gouvernement, le Mouvement National pour la Transparence (MNT) qui, même en soutenant l’initiative de la formation du CEP qui rentre dans le cadre de l’Accord du 21 décembre, soulève quand même certains points qu’il faut préalablement exécuter. « La mission d’un gouvernement de Transition est la réalisation des élections. A priori, c’est une bonne nouvelle que le gouvernement essaie de former le CEP. En plus, cette démarche est en ligne droite avec les prescrits de l’Accord du 21 décembre.

Dans les correspondances envoyées aux différents secteurs, il y a une volonté de respecter les procédures édictées dans l’Accord. Cet Accord est un tout cohérent. Cela dit, il doit être respecté et exécuté en tout et non en partie. Sur cette base, il faut cette même volonté pour opérer le remaniement ministériel. Car les indicateurs sont au rouge et les résultats ne sont pas au rendez-vous en ce qui concerne la gouvernance » argumentait l’un des responsables du MTN, Pascal Adrien, dans la presse le jeudi 13 avril. Mais, au sein de la Société civile, il y a des organisations qui ont toujours été opposées au pouvoir de Transition conduit par Ariel Henry. C’est le cas de la PAPDA (Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour le Développement Alternatif) dirigée par le professeur Camille Chalmers. La PAPDA qui a toujours eu une position très réservée en ce qui concerne les élections en Haïti, n’a pas mâché ses mots pour critiquer l’attitude du gouvernement de Transition qui, dans une conjoncture pareille, prétend instituer un CEP en vue d’organiser des scrutins.

Selon Camille Chalmers, aucune condition n’est réunie pour un tel processus, surtout que, d’après le Coordonnateur de la PAPDA, les membres du CEP doivent être crédibles et honnêtes. Or, le pouvoir n’a aucune crédibilité ni légitimité pour se lancer dans une telle entreprise. C’est scandaleux et pas sérieux à la fois de penser à des joutes électorales en ce moment, selon le dirigeant de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour le Développement Alternatif. « La conjoncture politique est extrêmement polarisée, et, pire encore, on nous oblige d’être sous l’empire d’un Premier ministre qui n’est ni légitime, ni représentatif, ni légal. C’est évident que l’organisation des élections pendant ces moments de troubles va donc aggraver la crise multidimensionnelle dans laquelle le pays est plongé.

Organiser les élections ce sera un coup de poignard qui prolongera la crise actuelle » croit le professeur Chalmers. S’il ne s’agissait que de la Société civile qui, dans un élan quasi-unanime, demande au gouvernement de prendre en compte « l’état de la Nation » avant de s’embarquer sur ce « Radeau de la Méduse », on aurait pu croire qu’il avait une chance, si minime soit-elle, de réussir son pari. C’est en réalité, à part les alliés indéfectibles du pouvoir tel le SDP d’André Michel et de Marjorie Michel, quasiment tous les partis politiques, petits et grands, qui supplient Ariel Henry et ses amis de réfléchir à deux fois avant de partir dans une aventure qui pourrait être fatale pour leur avenir politique.

(A suivre)

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