Une fois au pouvoir, François Duvalier s’attela à la tâche de rendre ce pouvoir absolu. Ce qui pour lui voulait simplement dire réduire à l’impuissance tous les autres centres de pouvoir de la société, tous les contre-pouvoirs. La Presse, l’Armée, ses adversaires politiques, l’Eglise Catholique, la “bourgeoisie mulâtre” – la puissance dominante de l’économie du pays – les pouvoirs régionaux et locaux, mais aussi (surtout ?) tous ceux qui lui avaient servi de marchepied dans sa montée au fauteuil présidentiel. Dont le tristement connu général Antonio Thompson Kébreau, mais aussi le premier chef de sa propre milice, Clément Barbot.
Nous assistons actuellement à une croissance sans développement, ou développement du sous-développement si l’on veut, dans notre pays.
La “bourgeoisie”, traditionnellement gâtée-choyée, fit aussi, à son horreur, l’expérience, pour elle nouvelle et cruelle, de la sauvagerie des forces de répression, jusque-là résevée aux sans-nom, au peuple et aux couches les plus démunies des classes intermédiaires.
Quant à la gauche révolutionnaire, on l’exila ou la massacra, avec la bénédiction du State Department, l’appui matériel de l’Agence des Coups Tordus (alias C.I.A.) et l’aval ouvert ou clandestin de l’Occident Chrétien.
Les principaux centres de contre-pouvoir étaient urbains et traditionnellement contrôlés par la “bourgeoisie”. Duvalier s’attaqua donc en priorité à celle-ci et aux classes moyennes urbaines, ses traditionnels serviteurs. Ceci en exceptant “la classe”, la soi-disant “petite-bourgeoisie noire”, catégorie sociale politicienne et fonctionnariste par excellence qu’il tenait par son noirisme. Il sut aussi s’assurer l’appui ou au moins la neutralité des structures de pouvoir rurales, des influents Houngans, et donc de la religion nationale traditionnelle, le Vodou.
Il arriva ainsi à stabiliser autour de sa personne un pouvoir essentiellement instable, car assis sur une base économique inadéquate et en plein processus de destruction, du fait, pour l’essentiel, de la double domination impériale – étrangère – et oligarchique – “nationale…Lorsque les Etats-Unis avaient envahi et occupé notre pays en 1915, ils avaient choisi, en fait de laquais locaux, la “bourgeoisie mulâtre.” S’était donc développé un apartheid atténué qui avait préexisté à l’Occupation, mais que celle-ci vint renforcer du fait du choix par les Blancs de l’oligarchie claire comme laquais privilégié et voie de transmission du grand capital états-unien (moyennant Phynance naturellement). Il s’opéra donc entre l’oligarchie “haïtienne” et le capital Blanc une symbiose de plus en plus étroite basée sur des intérêts économiques communs, en fait l’américanisation de la “bourgeoisie mulâtre” haïtienne. De proto-nationale et attachée à nos valeurs traditionnelles, elle se changea en simple appendice de la grande bourgeoisie Impériale.
En classe-relais anti-nationale
Au début, cette oligarchie eut bien du mal à accepter le racisme moyennâgeux et la totale absence de civilité de Marines recrutés à dessein dans les anciens états esclavagistes, particulièrement racistes et on ne peut plus obscurantistes, du géant du Nord. Mais l’atroce répression des indépendantistes Cacos, à laquelle bon nombre de ses fils participèrent à titre de mercenaires (gendarmes) jointe à son traditionnel mépris et à sa peur panique de son propre peuple (le son d’un seul lambi suffisait à causer la fermeture de toutes les portes d’une ville; je l’ai vu à Jérémie dans les années 1950), plus les business opportunes qu’apportait la soumission au Pouvoir Pâle, finirent par la convaincre. Il y eut certes des exceptions. Beaucoup de nos plus grands patriotes (nous disons “nationalistes”) furent des membres à part entière de l’”élite”. Nul homme, nulle femme ayant quelque dignité ne devient valet aisément. Mais pour la majorité, Dieu a le visage pâle et l’Amérique du Nord est son Prophète.
Dollar aidant
M gen yon panye Mizè ki sou tèt mwen
Yon Kwa Malere ki nan do mwen…
(chanson Vodou)
Moments forts de la destruction de la Nanchon
- Elimination de la résistance armée des Cacos, avec le soutien de mercenaires locaux
- Recrutement de l’oligarchie traditionnelle comme valet privilégié du Pouvoir Pâle, et répression des patriotes
- Imposition de dictatures successives de l’oligarchie (boujwa milat) aux ordres du P.P.
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- Formation d’une police militaire domestique de mercenaires locaux aux ordres du P.P.
- Abandon de nos compatriotes exilés en R.D. après l’atroce massacre perpétré par le Chacal des Caraïbes Rafael Leonidas Trujillo y Molina
- Sous la dictature d’Elie Lescot, début de la destruction de la paysannerie et de l’agriculture Haïtiennes par les dépossessions de la SHADA et l’exode rural massif qui en fut la principale conséquence; la seconde fut le début de la famine généralisée. Le gouvernement laquais de Lescot est celui qui a fait le plus de mal à notre Nanchon, avant la catastrophe duvaliérienne bien sûr
- Liquidation de la culture et de l’exportation de la banane (figue-banane chez nous) par une clique de flibustiers sans conscience voulant amasser le maximum de dollars verts le plus vite possible
- Ecrasement de toutes les tentatives de création d’une industrie nationale, pour laisser la place libre aux importations étrangères dont s’engraissaient l’oligarchie et les politiciens (fort provisoirement) au pouvoir
- Liquidation d’une ébauche de mouvement démocratique par l’installation par le P.P. et la soi-disant armée d’Haïti du pire dictateur que notre pays ait connu
- Répression féroce de ce dernier contre l’oligarchie traditionnelle (boujwazi milat) pour arracher à celle-ci une part du gâteau
- Répression totale et destruction de toutes les institutions pour asseoir l’Etat-macoute et son chef, l’autocrate François Duvalier
- Macoutisation de la Nanchon
- A la mort de l’autocrate, installation par l’Etat-macoute et le représentant local du Pouvoir Pâle, le Noir Clinton Knox, de son fils de 19 ans, Jean-Claude, au pouvoir, dans l’illégalité la plus totale et sous la Haute Surveillance de navires de guerre de l’US Navy ancrés dans le Golfe de la Gonâve, en vue de notre capitale Port-au-Prince
- Poursuite du développement d’un “capital” laquais, qui avait commencé sous l’abomination précédente
- Remise en selle de l’oligarchie claire par le mariage de Bébé Doc et de la lumpen-oligarque Michèle Bennett, pour la modique somme de 5 000 000 de dollars verts extorqués au Trésor Public, pendant que notre Peuple crevait la faim comme toujours. Remise en selle en tant que partenaire de la néo-oligarchie macoute, et non plus comme maîtresse absolue du pouvoir, naturellement
- La soi-disant “révolution duvaliérienne” n’est que la conquête, par les moyens les plus cruels qui soient, d’une place aux côtés de l’oligarchie en majorité claire par la classe intermédiaire en majorité noire, ce dans le cadre de la répression la plus barbare qui soit des masses populaires, et de la domination incontestée du Pouvoir Pâle.
- Rien d’autre.
Je ne vais pas m’étendre sur la période prétendument post-duvaliériste, dans cet article déjà trop long. Je vais simplement énoncer, sans le démontrer, ce qui me semble le plus important du point de vue de la domination impériale et oligarchique que subit notre peuple en cette fin de mai 2021 (les mathématiciens, qui sont toujours, et à raison, d’avis qu’on ne peut affirmer sans démontrer, voudront bien, pour une fois, m’épargner l’Enfer Mathématique):
Nous assistons actuellement à une croissance sans développement, ou développement du sous-développement si l’on veut, dans notre pays. C’est la croissance d’un lumpen-capital financier (lumpenfinanzkapital) vendu au méga-capital mondialisé, et courroie de transmission locale de celui-ci, au moyen d’une lumpen-oligarchie exploiteuse et oppressive maintenant de force notre Nanchon et notre Peuple à la limite de la survie.
André Charlier
Virginie, 22 Mai 2021