C’est en quelque sorte la réponse du berger à la bergère. Après les deux rencontres « surprises » entre Ariel Henry, Premier ministre a.i, et initiateur de l’Accord du 11 septembre et la très influente membre du Bureau de Suivi de l’Accord du 30 août (BSA), Magali Comeau Denis, certains s’attendaient à un dénouement du blocage des pourparlers entre les deux parties. En vérité, il n’en est rien. C’est plutôt un dialogue de sourds qui s’est instauré entre les protagonistes de la Transition. Pourtant, les choses allaient très vite. Entre le mercredi 11 et le dimanche 15 mai 2022, malgré le scepticisme de beaucoup de gens, les deux entités, à travers ces deux personnalités, sans savoir comment, avaient rétabli les contacts interrompus depuis des mois. Une sorte d’emballement médiatique avait même laissé entrevoir un dénouement rapide de la situation.
Mais, c’était sans compter sur les points de la discorde que sont les modalités de la gouvernance de la Transition à défaut du pays. Lors de la première rencontre inattendue qui avait pris tout le monde de court, certains points avaient été abordés entre les deux parties sans pour autant entrer dans les détails, selon l’une des parties. En réalité, il était convenu d’une nouvelle rencontre afin de marquer sérieusement la reprise du contact et d’établir une confiance réciproque entre le chef de la Primature et les dirigeants du Bureau de Suivi de l’Accord du Montana (BSA). Les deux parties s’étaient mises d’accord sur une sorte de « Cahier des charges » relevant les propositions susceptibles de permettre l’ouverture effective des négociations. Comme convenu, après le deuxième tête-à-tête qui s’était bien déroulé, l’équipe de Magali Comeau Denis, au nom de l’Accord de Montana, a expédié comme il a été question, les points sur lesquels il est possible de discuter.
Outre la composition des deux délégations devant se mettre autour de la table, il y a aussi un point qui parait non négociable pour les signataires de l’Accord du 30 août : celui que Ariel Henry doit clarifier devant un juge, sa position dans le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse. Toutefois, le Bureau de Suivi de l’Accord avait pris soin de laisser libre cours au Premier ministre a.i de modifier à sa guise les points qu’il juge non essentiels. Sauf que, non seulement le locataire de la Villa d’Accueil n’a fait cas d’aucune des propositions de Montana, il a pris le contre-pied des points qui lui ont été soumis. Ainsi, dans sa contreproposition aux membres du Bureau de Suivi de l’Accord, Ariel Henry a soumis quatre autres propositions qui n’ont rien à voir, tout au moins, ne sont pas les préoccupations de l’heure pour les signataires de Montana. Les quatre points en question du Premier ministre s’articulent autour de : l’insécurité et la corruption ; le changement de la Constitution ; la formation du Conseil électoral pour l’organisation des élections et des programmes d’apaisement sociaux. Un pis-aller en somme. Autant dire que le chef du gouvernement prend le chemin inverse de ce qu’a proposé l’équipe du Montana.
Bien que le BSA ne rejette pas d’un revers de main la totalité des propositions de l’exécutif. Dans les médias de la capitale, un membre justement du BSA, Ernst Mathurin, a vivement réagi sur les contre-propositions soumises par Ariel Henry. Selon lui, si le Premier ministre n’a pas pris en compte les propositions de Montana, c’est qu’il a besoin de conseil. Bonjour l’ambiance. Ce membre du BSA a aussi révélé sur radio Magig9 que dès : « Le samedi 21 mai, nous avons répondu au Premier ministre pour lui dire qu’il y a un problème de gouvernance grave qui ne date pas de son administration mais qui s’est aggravé avec lui. » Sans oublier de rajouter : « Dans les propositions du PM, il n’y a pas de discussions sur la gouvernance, même s’il y a matière à débattre, mais ce n’est pas suffisant car elle ne prend pas en compte la question de la gouvernance. » Une petite phrase interprétée à la Primature comme une demande de partage de postes dans l’administration publique.
Faux, rétorque de son côté Danio Siriac, membre de l’Accord du 30 août à travers son parti OPL (Organisation du Peuple en Lutte) qui voit plutôt une manœuvre de l’Accord de Musseau pour écarter le fond du problème. D’après lui, la gouvernance du pays est très importante dans ce contexte dans la mesure où il existe une différence de taille avec Ariel Henry sur la modalité de la gestion de la Transition. Selon Siriac, les propositions de la Primature cherchent à cacher la vraie nature du profond désaccord qui existe entre les deux parties. L’idée de donner priorité à un ensemble de sujets, certes majeurs, ne pouvant se résoudre sans une clarification de la gestion du pouvoir. Cela ne peut que retarder la résolution de la crise selon lui. En effet, pour Ariel Henry et son gouvernement : « La priorité actuelle est le rétablissement de la sécurité, la lutte contre la corruption, le fonctionnement de la Cour de cassation, la formation d’un Conseil Electoral Provisoire (CEP) et l’organisation des élections, etc » selon un membre de l’entourage du Premier ministre.
Sauf qu’un tel objectif demeure très difficile à atteindre sans une réelle participation de l’ensemble des acteurs. C’est un vœu pieux en réalité. Penser résoudre ces problématiques sans un consensus entre toutes les entités concernées par la Transition est illusoire. D’ailleurs, pour la plupart des acteurs de la Transition, en mettant en avant ces problèmes bien concrets, Ariel Henry ne cherche rien de moins qu’à escamoter ou court-circuiter le débat afin de garder l’ensemble du pouvoir jusqu’à une hypothétique élection dont personne aujourd’hui n’est en mesure de dire avec certitude quand elle aura lieu. Or, selon certains acteurs de la Transition, ce qui fait peur aujourd’hui à Ariel Henry ce n’est pas tant de dialoguer avec les parties adverses. La preuve, il l’a fait instantanément en tête-à-tête avec un membre du BSA, en l’occurrence, Magali Comeau Denis sans que cela ne le dérange.
La vraie peur du Premier ministre a.i, c’est justement le partage du pouvoir exécutif avec l’Accord du 30 août. Alors que, tout processus conduisant à l’ouverture des négociations entre les deux parties inclurait forcément que le Premier ministre accepte qu’on ouvre le débat sur la question d’un exécutif bicéphale ce que, on le sait, le chef de l’Accord du 11 septembre a toujours considéré comme un point non négociable. Depuis le début de la Transition, Ariel Henry a toujours mis un veto sur cette affaire d’exécutif à deux têtes. Dans la recherche de ce dialogue introuvable, c’est sur ce point qu’à chaque fois, le désaccord apparaît. C’est ce qu’a rappelé Danio Siriac qui croit que Ariel Henry fait de la dilatoire pour retarder le plus longtemps les négociations, voire de ne jamais créer le cadre propice pour la reprise du dialogue. Selon lui : « Les signataires de l’Accord du 11 septembre sont pour un exécutif monocéphale, alors que ceux de Montana sont favorables à un exécutif bicéphale.
Suivant l’expérience faite avec Ariel Henry, l’exécutif à une seule tête n’a pas donné de résultat et de ce fait, il n’est pas envisageable que le pays continue à être dirigé ainsi » martèle ce membre du BSA. Malin, en effet, les points proposés à la discussion en lieu et place de ceux de l’Accord du Montana suite aux deux rencontres privées entre Magali Comeau Denis et Ariel Henry, il n’y a pas une ligne sur le pouvoir exécutif. D’entrée de jeu, Ariel Henry se place comme étant le chef unique du pouvoir exécutif qui va distribuer les postes gouvernementaux aux nouveaux venus. Il est au-dessus de la mêlée, son statut ne rentre pas dans le processus des négociations. Sans faire allusion à sa propre situation qui, pourtant depuis le premier jour de sa prise de fonction, est contestée par ces adversaires ou concurrents politiques, Ariel Henry pose les bases pour les pourparlers.
Une manœuvre politique habile qui n’a pas échappé pour autant aux membres du Bureau de Suivi de l’Accord. D’où le problème de la « gouvernance » évoqué dès la réception du document par les membres du BSA. Les interlocuteurs du Premier ministre refusant d’entrer dans un marché des dupes avec le risque de se faire piéger. Ainsi, le Bureau de Suivi de l’Accord estime que : « Le document n’aborde pas les questions de fonds mais plutôt tourne autour de la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale. La question de la gouvernance n’a pas été prise en considération, surtout en ce qui a trait à la constitution de l’exécutif. » En clair, le Premier ministre a.i, Ariel Henry, botte en touche et continue de faire du marronnage en tentant de garder seul la main sur le pouvoir exécutif tout en distribuant quelques postes ministériels aux autres acteurs de la Transition afin d’apaiser leurs visées politiques sur l’appareil de l’Etat. Selon un membre du Protocole d’Entente National (PEN), la Primature espère que les débats se focalisent sur la confusion qui règne entre les activités du Comité de médiation et les démarches des autres acteurs pour faire oublier les parenthèses des deux rencontres avec Magali Comeau Denis qui n’avaient, selon lui, qu’un objectif : brouiller les pistes.
C.C