Je ne sais pourquoi, cette semaine, je suis porté à des akratudes alors que la «Caravane du changement» du mal élu Jovenel aurait pu faire l’objet de cette rubrique. Il arrive tout simplement que l’inspiration a ses raisons que la raison ne connaît pas. Surtout, n’allez pas penser que je voulais forcément emprunter à Pascal. La sentence pascalienne “Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point” reflète la théorie de ce grand philosophe du XVIIème siècle sur la croyance religieuse, théorie selon laquelle le coeur est une meilleure voie d’accès à Dieu que la raison, elle-même limitée.
Alors que l’ami Blaise évoluait sur les longueurs d’onde à haute fréquence de la croyance, moi je m’intéresse plutôt à la croustillance, à la dégustance, à la savourance de nos akra qui faisaient rêver ce gourmand de la bonne chère, si ce n’est de la chair, qu’était Émile Roumer. Du même coup, je dois en venir au rapport existant entre les akra et ce personnage du nom de Petroni avec qui vous ferez connaissance sous peu.
Il faut avoir vécu dans le nord d’Haïti aux temps benbo de Tonton Nò pour savoir de quoi il revient. Dans une vie première, grâce à ma grand-mère paternelle, j’ai connu l’époque pétronine ; je suis alors en mesure de vous parler de certaines de ses réalités akrates. Tous les Haïtiens ont l’habitude de déguster des akra, savent qu’ils sont à base de malanga. Aussi, je n’entrerai pas dans le détail de ces fritailles malangates. Je m’empresse plutôt de vous faire lier connaissance avec Petroni.
Commençons par dire que Petroni n’est pas un lwa de la famille des Petro. Ce n’est pas non plus le pluriel d’un mot italien qui serait petrono. Petroni était un brave gars, un cordonnier d’origine italienne, qui fabricait lui-même de bonnes chaussures dans son petit atelier et les vendait à des prix très abordables. Je ne me souviens plus s’il habitait le Cap ou la Grande Rivière du Nord ou Ouanaminthe, peut-être le Cap. En vain ai-je interpellé ma grand-mère et en vain ai-je imploré Sainte Pétronille, patronne des bliyadò, pour qu’elles viennent au secours de ma défaillante mémoire. À ma plus grande déconvenue, les deux ont fait la sourde oreille.
Je voudrais ici, avec votre permission, ouvrir une courte parenthèse pour mentionner que c’est Ste Pétronille qui me couvre de sa protection et de ses grâces. Du coup, j’en profite pour injecter un peu de sang historique frais dans vos veines. Manmzèl Pétronille, vierge et martyre romaine, est aussi connue sous les noms de Aurelia Petronilla, Petronelle, Perronelle, Pernelle ou même Perrine. Quoiqu’il en soit, il paraît qu’elle aurait été la fille spirituelle, ou (selon les mauvaises langues encyclopédiques) la fille biologique de St Pierre. Une affaire pas du tout petite et aussi dure que la pierre elle-même.
Dans la Légende dorée rédigée, entre 1261 et 1266, par Jacques de Voragine, prêtre dominicain et archevêque de Gênes, il est écrit que Flaccus, noble romain, séduit par la beauté de Aurelia, la demanda en mariage, mais la jeune fille voulait consacrer sa virginité à Dieu (un choix comme un autre), et elle refusa de l’épouser. Choix divin, s’il en fut. Flaccus la menaça, et lui accorda seulement trois jours pour lui donner une réponse favorable. Pétronille pria, jeûna et à sa prière, Dieu la rappela à lui. Le délai passé, Flaccus, ne put qu’assister aux funérailles d’une dulcinée qui lui échappa pour une raison tout à fait virginale. Avant Jacques Stephen Alexis et Alejo Carpentier il y avait bien le ”réel merveilleux” romain…
La sainte passait pour guérir de la fièvre (bien sûr une information à prendre avec une graine de quinine). Au 4è siècle, une chapelle lui a été dédiée dans la basilique Saint-Pierre. Cette chapelle fut concédée en 750 à Pépin le Bref, mari de Berthe «aux grands pieds» (une histoire à vous mettre les deux pieds dans le même soulier), et la Pétronille devint alors la patronne des rois de France. C’est ainsi que la France prit (d’assaut presque) le titre de fille aînée de l’Eglise, puisque Pétronille était «la fille» de St Pierre. En 1499 Michel-Ange sculpta la Pietà, commandée par un cardinal français, pour la chapelle dédiée à la sainte dans la nouvelle basilique Saint-Pierre.
Petroni fabriquait donc des chaussures, mais il connaissait aussi le goût de sa bouche, li te konn gou bouch li. Un jour qu’il battait le cuir d’un soulier, il vit en face de son atelier une marchande fritaillante qui malaxait la pâte malangate de ses akra. Il faut vous dire aussi que malerèz la battait un soleil à vous frire un akra. Elle avait la chaudière bien entre ses deux cuisses bien pleines. Chaque fois que la marchande laissait tomber la pâte malangate dans l’huile bouillante, le truc faisait tchwèèè ! Ce qui eut la vertu d’émerveiller Petroni. Ce dernier qui voulait faire aussi son tchwè (à moins qu’il ne fût attiré par la plénitude des cuisses de la fritailleuse, car gason se bèt ki frekan) s’approcha de la vendeuse et voulut s’essayer à la man?uvre génératrice de tchwèèè.
Bon Dieu papa! Ce fut une catastrophe. Luil cho vole babò tribò, Petroni se brûla, kuis fanm lan boule, malerèz la mande anraje, les autres fritailleuses et fritaillettes du coin accoururent qui saisirent le cordonnier au collet, lui passèrent des sabords à bâbord et à tribord. Vite, on prêta des intentions concupiscentes à Petroni qui fut bousculé, bourradé, bref, ce fut une eskonbrit proprement akra-pétronine. Depuis, de cette situation d’esconbritude marquée au coin d’un danger certain, la malice populaire fritaillarde du Nord a créé la brûlante expression: ou pral wè kote Petroni fè akra.
L’eau revient à sa source comme mon histoire pétronine me ramène à Grand-mère, une autre étape du processus de vous prendre loin pou m mennen nou pre. À la maison, les six enfants, nous avions grandi sous la férule de cette bonne vieille. Au foyer, elle était l’équivalent d’un premier ministre de facto et pendant longtemps elle avait les moyens de sa répression, retranchée derrière la Constitution (impopulaire dans le camp du peuple des six enfants) adoptée à l’unanimité par Papa (preyidan) et Manman (madan preyidan). Donc, quand le petit peuple, fort de l’avalasse de sa grande turbulence adolescente, menaçait de faire le siège du Palais législatif de Grand-mère, la granmoun décrochait son martinet, disait d’un air narquois et à peine menaçant: talè konsa, nou pral wè kote Petroni fè akra.» On savait qu’on était en danger d’arrestation et on battait bas rapido presto.
Venons-en maintenant à la réalité politique du moment. Je me rends compte que la bourgeoisie tilolitarde est aux anges avec Jovenel qui lui-même est aux démons avec le peuple. Secret de polichinelle? Après avoir investi des millions pour assurer l’élection de leur doublure, les ti lolit s’attendent à ce que leur plan soit respecté, à commencer par le déploiement d’une campagne démagogique, chimérique, fantasmagorique tenant du fabuleux, du faramineux, de la poudre aux yeux. Campagne pompeusement baptisée de ”Caravane du changement”. En fait, il s’agit de bluffer, de bidonner, d’embobiner, d’emberlificoter, d’épater la galerie, les naïfs, les simples d’esprit, les godiches, les gogos, les nigauds, les pigeons, les gobe-mouches, les gobe-promesses, les gobe-tout.
Alors, le 1er mai écoulé, à La Grange, 5ème section communale de Saint-Marc, le président mal élu, le président inculpé, marchant pye pou pye sur les traces de son mentor Martelly pavoisait lors de l’inauguration de sa controversée ”Caravane du changement” : « Nous allons remettre en valeur 32 000 hectares. Je donne la garantie qu’avant la fin de mon mandat, 60 000 hectares seront mis en valeur dans la vallée de l’Artibonite». Immodeste, arrogant, outrecuidant, suffisant, orgueilleux, prétentieux, audacieux, vaniteux, dyòlè, et même dyòlalèlè, il affirmait: « Ce qui n’a jamais été fait depuis 40 ans, je vais le faire en 45 jours. Voilà ce qu’on appelle de la volonté politique ». Insolent, il s’est même fendu d’un avertissement menaçant: « Pa kanpe anfas mwen, parce que c’est moi qui suis le président».
Sur un ton francisco-duvaliériste, très suffisant, l’inculpé n’hésitait pas à affirmer : « Lorsque je dis quelque chose, je le fais!» Est-ce à dire que s’il lui prenait l’envie saugrenue, incongrue, biscornue, tordue de nous ramener au noir et rouge franciscain assorti de pintade, il le ferait? «Je viens me battre contre la misère, le sous-développement, la division et la médisance», entendez tripotay et koutlang, a expliqué Jovenel Moïse. Mais, qu’est-ce que, diantre, la division et la médisance ont à voir avec une vraie lutte, une vraie campagne contre la misère et le sous-développement?
Habitué aux clichés éculés, aux poncifs usés et ressassés, aux lieux communs fades, passe-partout et insipides, l’inculpé s’est dit prêt à travailler avec tout le monde, pwason kraze nan bouyon, pour le bien du pays. Mais c’est quoi le bien du pays? Le voici: « Je veux un pays où cohabitent les Noirs et les Blancs (sic); les pauvres et les riches ; les paysans et les citadins ; la diaspora et ceux qui vivent en Haïti». Une vision idyllique, romantique, lyrique, bucolique, édénique, d’une société où sera exclue toute notion de lutte de classes, où les gagne-misère vont fraterniser avec les gagne-dollars, les gavroches avec les fils de la haute. Fort de ses billevesées, l’inculpé n’a pu s’empêcher de marteler, à la François Duvalier : « C’est ce pays que je veux construire et c’est ce pays que je construis ! Personne ne peut m’en empêcher». Ah bon!
Pour les besoins de la propagande mystificatrice, le think tank, le laboratoire d’idées qui pense pour l’inculpé Jovenel lui a concocté une ” Cellule d’Appui Stratégique au Développement de l’Agriculture (CASDA) formée de cadres haïtiens de haut niveau”. Du boulshitage tout pur pareil au Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire de Martelly, ce fameux PSUGO ”à l’oral”. Une autre boulshitude dont on sait qu’il n’en était rien, que c’était une machiavélique et maléfique manœuvre pour détourner les fonds en provenance de la diaspora, à travers les envois d’argent et les appels téléphoniques. La Psugo-folie s’est révélée une déconfiture, un bidon, un flop, un fiasco, un échec, un désastre, une faillite, quasiment un naufrage.
En effet, ”le temps où le président de la République claironnait faire de l’éducation son cheval de bataille est révolu. Le compte à rebours a commencé. Son Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) fait l’objet de nombreux scandales de corruption ou de fraudes, notamment le détournement de 10 millions de gourdes en 2012 qui impliquait des cadres du MENFP, un directeur de banque, des directeurs d’écoles dans le Nord-Ouest, et la liste des écoles qui reçoivent deux sources de financement pour les élèves subventionnés, publiée récemment”, rapportait Le Nouvelliste, en avril 2015. Il s’agissait purement et simplement d’une démarche propagandiste visant à jeter la poudre aux yeux des observateurs. Selon Léo Litholu, secrétaire général de l’Union des parents d’élèves progressistes haïtiens (UPEPH), les conclusions d’une enquête de l’UPEPH indiquaient que seulement 863 467 élèves, soit 580 251 élèves des écoles publiques, et 283 216 élèves des établissements privés avaient été subventionnés par le Programme pour l’année 2013-2014, alors que la propagande mickiste laissait croire qu’il y en avait eu un million trois cent quatre-vingt-dix-neuf mille cent soixante-treize (1 399 173). Selon lui, le PSUGO était un échec, car il n’y avait pas eu une étude sérieuse réalisée avec la participation des techniciens du MENFP. « Le Programme s’est beaucoup plus basé sur la propagande politique afin de permettre à des parlementaires proches du gouvernement (sic) et des partisans du régime de s’enrichir », avait-il expliqué.
Jovenel, le mal élu, l’inculpé, est le digne héritier et fils politique légitime de Martelly. On doit donc s’attendre à ce que la ”Caravane du changement” finisse en queue de poisson, en konkonm zonbi, comme les fameux ”Cinq E” de Martelly. Éducation, Environnement, Emploi, Énergie et État de droit n’étaient que des mots ronflants quoique creux pour faire marcher le discours électoral mickyste préparé à Washington, au Département d’État, et délivré par Hillary Rodman Clinton pour servir d’écran de fumée à la population et de barrage politique à Mme Manigat, personnage de belle facture intellectuelle et politique qui, soit dit en passant, avait accepté naïvement sinon sottement d’avoir un «débat» (sic) électoral avec un abruti, un mufle, un goujat, un rustre, un maraud, un maroufle, un mal appris, un mal embouché du nom de Martelly.
La vérité ne sort pas toujours forcément de la bouche des enfants. Elle sort aussi, et très souvent, de la bouche d’un adulte, qu’il soit un ami, un adversaire ou même un ennemi. Alors, on peut se faire une idée de la grandiloquence propagandiste de Jovenel et de sa ”Caravane” en lisant des propos tout à fait percutants que l’ancien président dominicain Leonel Fernández a eus à l’endroit de notre mal élu encore sous le coup d’une inculpation. Venant d’un vieux rat dokale de la politique dominicaine, voisin combinard de politiciens véreux comme le sénateur Felix Bautista dont il doit sûrement connaître les dessous des pots-de-vin du parlementaire à Martelly, on doit bien prêter une oreille attentive aux commentaires de M. Fernández.
Selon le site The 509 Zone, en date du 5 mai 2017, l’ancien président dominicain, Leonel Fernandez, lors du lancement de la collection de ses discours à l’Union Club dans Manhattan, a fait savoir que l’inculpé Jovenel Moïse est un farceur qui gaspille les fonds de son pays dans une prétendue relance de l’agriculture pendant que les Haïtiens en République dominicaine vivent dans une situation douloureuse, inacceptable [à laquelle Fernández n’est pas tout à fait étranger]. Toujours selon le site, l’ancien président dominicain aurait ajouté que la Caravane de changement est une mascarade qui va coûter des millions de gourdes à la nation.
Gageons que l’inculpé ne poursuivra pas Fernandez en diffamation, de même que Martelly n’a jamais poursuivi la journaliste dominicaine Nunia Piera pour l’opération Bautistagate dont il aurait bénéficié. En passant, ne nous méprenons pas sur les propos de Fernández même s’il dit vrai. En traitant Jovenel de farceur avec sa prétendue relance de l’agriculture, Leonel en son for intérieur doit rire sous cape, car ce n’est sûrement pas lui qui encouragerait le développement rationnel et efficace de notre agriculture, puisque une grande partie de ce que nous consommons provient de la République dominicaine, ce qui convient bien à l’économie de son pays.
Voilà que nous nous sommes passablement éloignés de Petroni et des akra. Pour y revenir, nous disons ceci: la Caravane de Jovenel le met dans une position pareille à celle de Petroni qui voulait s’essayer à la cuisson de malanga. Jovenel est en train de faire la même chose par rapport à une grande opération de séduction, de bluff et de propagande pour tromper le public, à la manière de Martelly avec ses “Cinq E” et son PSUGO. Il va s’y brûler, politiquement, comme Martelly. Il va s’y brûler, comme Petroni s’était brûlé physiquement, à s’essayer aux akra. Il n’est que d’attendre, d’ici deux ou trois ans. Quand les masques seront tombés, quand l’essieu de la ”Caravane”, la réalité du grand bluff va se disloquer au fur et à mesure, alors Jovenel pral konnen kote Petroni fè akra.
6 mai 2017