« Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » de Gérard Aubourg !

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Lorsque j’ai reçu le livre du Pr Gérard Aubourg par courrier, comme j’en reçois souvent en tant que journaliste politique, je ne m’en doutais point que j’allais lire un fragment de l’histoire contemporaine haïtienne. Pour moi, cela devrait s’arrêter à un simple coup d’œil. Par curiosité intellectuelle. L’élégance amicale disait Voltaire. Surtout, l’épaisseur de l’ouvrage m’effraie. C’est une Bible. Jamais, je n’aurais imaginé qu’il s’agit d’une invitation à plonger dans un safari au cœur de ce que fut : « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » pour ne plus avoir envie de s’en sortir. Inimaginable ! En vérité, depuis longtemps, tous les amis de Gérard Aubourg lui réclament cet ouvrage. On était impatient. De Port-au-Prince à Montréal en passant par New York et, bien entendu, les cohortes du Quartier latin à Paris, tous, connaissent le vécu du lycéen, de l’étudiant, du militant et professeur Aubourg durant le règne de ce fascisme tropical que fut le pouvoir duvaliérien dans cette île des Caraïbes. A chaque fois, on lui pose cette question lancinante : c’est pour quand, Aubourg, ton livre ? A chacune de nos interrogations, qui finissent par l’agacer, calmement, tout de même, ce féru en histoire, botte en touche.

Finalement, on a fini par le laisser tranquille avec cette affaire de livre. On est arrivé avec cette conclusion : Aubourg n’aime pas écrire, il ne contera jamais son passé du temps de Papa Doc Duvalier. Sans ce préambule, vous ne pouvez comprendre combien ce livre était attendu non seulement de ses amis, de ses anciens camarades de lutte mais aussi de la Communauté intellectuelle et d’historiens, impatients d’avoir en main un ouvrage écrit par l’un des acteurs de cette tranche d’histoire où un dictateur de type moyenâgeux n’a eu pitié de personne même pas de son entourage immédiat. En lisant « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti », ils ne seront pas déçus. Vous ne le serez non plus. Je m’en suis régalé. Je ne peux pas présenter cet ouvrage en le dissociant de son auteur. Pour ceux qui connaissent Gérard Aubourg, c’est une évidence. Car, la facture du livre sur le plan historiographique et intellectuel résume les compétences intrinsèques de son auteur. Gérard Aubourg est un concentré de savoir. Docteur en histoire économique,  en Droit des affaires et sociologue. Par sa grande culture générale, c’est une Encyclopédie vivante.

Le Pr Aubourg fait partie intégrante de l’intelligentsia française et de la diaspora haïtienne. Mais, tout en professant durant des décennies en France, il ne vit et ne respire que pour ce qui est le plus cher pour lui, Haïti, sa terre de naissance. Un pays qu’il s’épuise à comprendre les causes historiques et fondamentales qui font que chaque chef de l’Etat se transforme en un monstre prêt à dévorer ses propres concitoyens. En tant que chercheur émérite, il nous a gratifié d’un ouvrage à la hauteur de l’attente de toute une génération assoiffée d’apprendre ce que furent réellement la dictature,  la tyrannie,  le totalitarisme,  le despotisme et l’égocentrisme d’un individu excentrique nourrissant le rêve d’égaler, sinon de dépasser ses tristes modèles que furent : Hitler, Mussolini, Franco, voire Jules César, le dictateur à vie. Pour y arriver, ce puriste de la langue française, l’élève de Pierre Vilar à la Sorbonne en a mis du temps. Le temps justement défini par Aristote comme quelque chose qui n’existe pas puisqu’il est composé du passé. Et c’est ce passé-là que Gérard Aubourg ne veut pas voir disparaitre dans l’oubli qui, inévitablement, rode le temps présent par des gadgets superficiels en oubliant le concret dont l’Homme, l’humanité sont dépositaires : la Mémoire. D’où la publication tardive, certes, d’une œuvre essentielle, sur une période charnière et précise de l’histoire d’Haïti.

Car, la présidence des Duvalier (père et fils), particulièrement celle de François, fondateur des tristement célèbres VSN (Volontaires de la Sécurité Nationale), couramment appelés les Tontons Macoutes, a été entre 1957 et 1971 l’une des plus rudes, que dis-je, horribles sur le plan politique et des droits humains qu’Haïti n’ait jamais connu. Il a fallu des années et plus de six cents pages à Gérard Aubourg pour restituer en connaisseur et en connaissance de cause ce que le Président à vie de la République, le sanguinaire François Duvalier, docteur en médecine et ethnologue reconnu a fait endurer à la population haïtienne durant ses 14 années de pouvoir tyrannique et absolu. En lisant : « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti », vous allez découvrir, plus exactement comprendre, le mécanisme qu’avait utilisé cet Hydre tropical avec la brutalité de ses croque-mitaines et le concours de l’ensemble des forces répressives : Service Détaché, Fillettes Lalo, gardes prétoriennes et les Forces armées d’Haïti pour installer son pouvoir fascisant. Méthodiquement, l’auteur conte l’histoire de manière éclairée et sans aucun sentiment de vouloir ostraciser, ni épargner non plus personne, ceux qui ont concouru à l’avènement et à la pérennisation de ce que certains appellent le « Système duvaliérien ».

Son propre oncle, Michel Aubourg, fut, durant des années, l’un des piliers de ce système répressif. Il a été ministre de l’Intérieur et de la Défense nationale du Président François Duvalier de 1962 à 1970, soit huit années consécutives. Divisé en cinq parties et un ensemble de sous-titres garantissant une lecture libre et au gré de son envie, « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » de Gérard Aubourg est un délice historique. Facile à lire, surtout que les thématiques développées sont entrainantes, accrocheuses, ce qui donne une sensation de plonger en immersion dans un romand de John le Carré. Alors que l’histoire contée ici est réelle, triste, tragique, mortelle. La réalité des faits authentiques rapportés dans « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » n’a rien d’une fiction. L’objectif de l’auteur: faire vivre la « Mémoire » afin que personne n’oublie. En effet, il y a ceux qui payèrent de leur vie dans ce combat sans pitié et sans merci face à ce prédateur de la vie afin de préserver la liberté individuelle, la liberté d’opinion, la liberté d’aller/venir.

Bref, la liberté de vivre. Gérard Aubourg fait ici un travail de bénédictin afin de mettre la « Mémoire » au cœur de nos sociétés. Ce qui, aujourd’hui, est indispensable à la jeunesse haïtienne et du monde. Mais pas seulement. Il rappelle, à travers cette somme de texte qui n’a rien de fastidieux, bien au contraire, que la liberté finit par luire quand des femmes et des hommes ne baissent point les bras face aux menaces, au danger et à la peur que peut ramener l’avènement d’un dictateur au pouvoir. Dans la première partie de son ouvrage, intitulée : La génération de 1960 face au pouvoir fasciste duvaliériste, l’auteur nous plonge au cœur de cette génération juvénile, éprise de liberté et d’épanouissement intellectuel qui, faisant face à la montée graduelle d’une dictature encore en gestation, tenait à affirmer sa foi dans l’avenir et dans la liberté. Le Pr Aubourg nous a fait grâce d’une liste de noms, dont certains nous sont familiers, venant de toutes les classes sociales du pays et particulièrement de la capitale, Port-au-Prince, bourdonnant de jeunes avides de connaissance et  de savoir.

Cette génération montante qui alla affronter les sbires de Duvalier soit par la plume à travers les journaux clandestins soit par les armes à Cazale, entre autres, jusqu’à ce que le régime ait le dessus. Pour certains, la prison, le fameux Fort-Dimanche ou Fort-la-Mort, le titre du livre de Patrick Lemoine après avoir passé sept ans dans cette géhenne. Pour d’autres assassinats, tortures et pour les plus chanceux, si l’on peut employer cette expression dans ces circonstances, l’exil. Cette première partie de l’ouvrage suffit à elle seule à inciter la poursuite de cette quête de savoir quelle était la motivation de la jeunesse haïtienne à l’arrivée du régime dictatorial du Dr François Duvalier à la fin des années 50 et au début des années 60. Je ne vous en dis pas plus. Un avertissement !

Vous aurez du mal à vous décrocher une fois que vous embrassez la lecture de « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti ». Gérard Aubourg est accrocheur. Dans la deuxième partie de l’ouvrage que le Pr Gérard Aubourg s’intitule : Le totalitarisme duvaliériste, l’auteur décrit et décortique le système de Duvalier en se basant sur le modèle de ses maitres en matière de pouvoir totalitaire. Un exemple édifiant quand Aubourg fait le parallèle entre le pouvoir duvalierien et le fascisme Mussolinien, le nazisme hitlérien, la dictature de Salazar au Portugal et celle de Franco en Espagne. Ces quatre régimes eurent en commun le règne du pouvoir absolu, le Parti unique et la dévotion au chef suprême où la barbarie est pratiquée dans la règle de l’art. Un système décrit par le professeur Maurice Diverger dans son célèbre ouvrage : « Les institutions politiques » dans lequel il dresse une liste exhaustive des institutions fascistes des pays européens. La similitude est frappante entre ces régimes de destruction humaine et mentale des années 40 et 50 et celui du dictateur tropical qui calqua son régime sur ses admirateurs européens.

A lire attentivement de la page 119 à 146. Comme je le dis, en lisant Gérard Aubourg, on apprend ce qu’on croyait connaître sur ce régime d’un autre âge. L’on est stupéfait d’apprendre que Duvalier avait tout prévu. Tout planifié. Tout calculé. Même la constitution du Corps des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN), calqué sur la milice hitlérienne, est une copie de la gestapo du Führer allemand. Duvalier ne laissa et ne faisait rien au hasard. Il n’était pas non plus un original. Il se contenta de singer jusqu’à la caricature ces idoles des pouvoirs fascistes comme il faisait avec son propagandiste attitré, Gérard de Catalogne dans le journal gouvernemental Le Nouveau Monde sur le modèle du dictateur Francisco Franco à Madrid disposant son journal La Phalange qui distilla la propagande du maitre. Dans les parties trois et quatre : Le despotisme duvaliériste (III) et la Révolution duvaliériste  (IV), l’auteur nous invite dans une descente aux enfers au cœur du système où la dictature, la répression et la corruption ne font qu’un.

Dans ces deux parties, Gérard Aubourg démontre avec maestria combien le régime du Dr François Duvalier initia ce qu’on appelle « l’Etat Duvalierien ». L’Etat d’Haïti et la personne du dictateur se confondent et entrèrent en fusion pour donner naissance à la soi-disant « Révolution duvaliériste ». A partir de cet instant, tout devient la propriété de Duvalier. Et que chaque Haïtien devient sa chose. Le mysticisme et l’autoritarisme se conjuguent en temps réel. Ils ne se dissocient point. La magie, le mystique et la peur forment un syncrétisme dont le résultat est bluffant. C’est une chape de plomb qui s’abat sur Haïti. Le pays devient un cimetière à ciel ouvert. Dr Duvalier, le croque-mort suprême à défaut d’être le « Guide ». Les « Gardiens du Temple », les fameux Tontons macoutes décrits par les écrivains Bernard Diederich et Al Burt dans leur remarquable et indémodable récit « Papa Doc et les Tontons Macoutes » ne sont plus ces personnages presque romanesques.

Encore moins ces « Comédiens » du roman de Graham Greene et campés dans un film éponyme par le journaliste Aubelin Joliceur, toujours tiré à quatre épingles façon dandy anglais, dans lequel le régime de François Duvalier est passé en dérision. Ces deux parties du livre nous ramènent à la période la plus sombre du règne de ce sanguinaire qui, avec la complicité des uns et la lâcheté des autres, arrive à « zombifier » et traumatiser tout un peuple en l’espace de quatorze années d’un pouvoir sans partage. L’Haïtien ou l’étranger qui pensait tout savoir sur cette période précise du règne de François Duvalier, ne se pardonnera pas de ne pas vite se procurer cet exceptionnel ouvrage pour découvrir ses lacunes sur ce pan de l’histoire du peuple haïtien. Ces deux parties du livre du Pr Aubourg, à n’en pas douter, mettent en exergue les moments forts de l’emprise de la famille Duvalier sur Haïti. C’est la période de la suprématie d’un pouvoir dynastique et despotique sur toute une population devenue hagard face à la répression de la police politique du régime et la cruauté des Tontons Macoutes ne reconnaissant qu’une seule autorité : celle de Papa Doc.

On parla alors de « Papadocratie ». Enfin, la cinquième partie de « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » dans laquelle, l’auteur fait une description sociologique et sociétale dans le système du pouvoir fascisant. Il démontre de façon magistrale que tous les tissus sociaux se disloquent. En même temps, Duvalier entreprit d’anéantir l’ensemble du système de « vivre ensemble » dans la Cité, celle développée par Platon dans La République. L’ « Habeas corpus » qui est la règle fondamentale de la liberté est banni par le régime en mettant un point d’honneur à réduire, presque en esclaves, ses propres concitoyens privés de leurs droits les plus élémentaires. Pour ce faire, Duvalier s’emploie à faire sienne toutes les institutions du pays. L’Etat, c’est moi.

En plaçant sous sa tutelle toutes les instances et organes régulateurs qui constituent l’Etat, selon la définition de John Locke : gouvernement, parlement, tribunaux, forces de sécurité, administration, universités, instances religieuses, institutions financières, médias, François Duvalier a parachevé son œuvre d’anéantissement politique, sociale et mentale de tout un peuple. Pour pérenniser cette politique destructrice, il a fait don à la Nation de son fils, Baby Doc (Jean-Claude), qui lui succéda le jour même de son décès au Palais national, un 14 avril 1971. Mais, ce que vous lirez certainement dans cette ultime partie de l’ouvrage, malgré cet acharnement à détruire, à diviser pour mieux conserver le pouvoir, la volonté d’un groupe d’irrésistibles pour briser cet étau de fer ne s’est jamais démentie. La résistance à l’oppression ne s’était jamais faiblie ni faillie.

Après m’être régalé avec appétit et ma curiosité d’auteur, ce vaste document pour l’Histoire, je dirais, même à cette période où les morts côtoient les survivants, l’espoir ne fut pas vain. La création, dans la clandestinité, au cours de ces années de plomb et de feu, de larme et de pleur, du fascisme duvaliériste de : L’Union des femmes d’Haïti ; l’Association Nationale des Ecoliers Démocratiques ; l’Association des Médecins Progressistes ; Ligue paysanne pour la reforme agraire ; Ligue de défense des libertés publiques ; création de plusieurs journaux dans la clandestinité ; création du PUCH suite à l’unité du PPLN et PEP ; les actions militaires de Cazale ; de Boutilliers ou de la ruelle Nazon, etc. en est la preuve irréfutable.

D’ailleurs, le Pr Gérard Aubourg l’a très bien articulé dans ce dernier chapitre en citant en forme d’hommage ces quelques faits marquant de la résistance à l’oppresseur et à ce régime qui se croyait au timon des affaires pour mille ans, comme disaient ses modèles du siècle passé sur le vieux continent. Voilà un résumé minimaliste de l’immense ouvrage que vous vous apprêtez à découvrir. « Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » de Gérard Aubourg, en dépit de son volume qui peut porter à équivoque, trop de pages, trop long, etc,  je peux vous assurer qu’il se lit comme un roman. Une fois qu’on ouvre la première page, on a plus l’idée, encore moins l’envie, de le déposer.

 

« Le Fascisme Mystique du Dr François Duvalier en Haïti » de Gérard Aubourg est publié aux Éditions CIDIHCA, France et Canada, septembre 2021

 

*Journaliste politique, auteur

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