Á moi, président Privert, deux mots

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Fritz Alphonse Jean, Premier ministre provisoire désigné. Aurait-il l’appui de la tilolitocratie du pays ? L’appui de la bourgeoisie tilolit, ce secteur privilégié, corrompu, malfini bèkfè ?

Á l’occasion, je peux parcourir vingt mille lieues sous les mers et aller où je veux. C’est un pwen sous-marin, jules-vernant, que j’ai hérité de ma grand-mère paternelle. C’est ainsi que je suis arrivé trempé jusqu’aux os au palais national. Dans les bureaux du président provisoire, une vieille connaissance, je me suis secrètement introduit. Nullement saisi par cette humide apparition, il m’a dit: «Content de vous revoir depuis ce 16 décembre de fierté populaire. Ti mal, quel bon vent vous amène jusqu’à moi ?» Alors, je décachetai sur lui :    Bonjour Privert. J’aurais pu vous adresser une lettre ouverte comme il est d’usage de le faire. Mais j’ai préféré vous rencontrer, vous dire deux mots, avoir avec vous un dialogue franc de façon à vous dire tout haut, les yeux dans les yeux, ce que des collaborateurs pusillanimes, poltrons, à la limite pleutres, pensent tout bas et ne vous diront pas. A travers une lettre ouverte, il me serait impossible de déceler au fond de vos prunelles le vrai du faux, la vérité du mensonge, le parler vrai du bluff, la franchise de l’imposture, la spontanéité de l’hypocrisie, le président provisoire supposé fédérateur et rassembleur du politicien retors. Bref, comme le dit notre savoureux créole que j’ai épicé à la française : kat je kontre, les manti sont kaba.

Je concéderai que je vous ai déjà dit plus que deux mots. Mais vous concéderez aussi que lorsqu’on a les pieds kout, on prend les devants de façon à avoir l’avantage et, aussi, la hauteur du discours, l’avantage des mots, le plein usage des mots, le monopole des mots (s’il le faut), la force des mots, la magie des mots, la clarté des mots justes, le signifié des mots bien choisis, la logique implacable des mots, des mots ronds comme le bas d’une boule, pourtant carrés quant à leur signification; des mots directs, des mots tranchants, des mots interrogateurs, des mots inquisiteurs, des mots scrutateurs, des mots fouineurs qui exigent des réponses claires, diaphanes, explicites, précises, intelligibles, fluides, catégoriques et sans équivoque.

Bien que vous soyez mon hôte inattendu, vous me permettrez de déroger à la bienséance, aux convenances, et de vous demander, sur un ton racinien, et d’entrée de jeu, d’observer sur toute chose la loi que je m’en viens vous imposer. Il ne s’agit pas d’une démarche marquée au coin d’un quelconque caprice, d’une quelconque fantaisie, d’une étrange bizarrerie, d’une vaine arrogance, d’une incertaine inconséquence, d’une douteuse frivolité, d’une puérile légèreté, d’une banale futilité, voire d’une quelconque vanité. Oh non ! Je m’en voudrais d’une aussi sotte fatuité.

Je viens plutôt vous entretenir, mon cher Privert, de choses sérieuses. D’abord, je tiens à vous rappeler que votre accession à cette drôle de présidence provisoire s’est faite de façon bien tortueuse, pas mal scabreuse, tout à fait cauteleuse, et, à la limite, scandaleuse. Aussi, votre situation de tortuosité et de scandalosité me procure un  certain avantage moral vis-à-vis de vous. De grâce, ne m’interrompez pas pour me dire que je donne dans une sorte de rodomontade, de gasconnade, de fanfaronnade. Pas du tout, je suis sans doute Fanfan, mais je ne gasconne ni ne fanfaronne, voire que je me mettrais à tuliper pour grand merci.

On vous prête volontiers d’être un lavalassien, ou plutôt d’être un vieil affluent de l’impétueux et grand courant lavalas. Cet état lavalassant donnerait, semble-t-il, de la chair de poule à certains qui au cours de ces cinq dernières années faisaient bonne chair à la table du prince, friand de fricassées de pintade faisandée arrosée de sauce ti mètdam. Surveillez vos os, Privert. Veye zo w.

Dans le temps, vous fûtes peut-être une belle onde lavalas, vous eûtes sans doute de ces élans fluviaux charriant d’humides bouffées de capitalisme-péché-mortel. Vous fîtes bel accueil au grand cercle de la famille selavi. Vous vîntes avec enthousiasme autour de cette table mythique des men kontre chay pa lou. Et vous donnâtes assurément le meilleur de vous-même à ce bel élan fraternel de libération des esprits qui forgea un certain 16 décembre.

Mais beaucoup d’eau coula sous les ponts. Il advint même que par moments cette eau fut trouble. De cette troublance, vous vous en sortîtes avec un certain mal dont, heureusement, vous réchappâtes, le Ciel et les circonstances aidant. Vous promenâtes votre bosse à travers divers sentiers administratifs et électifs. La chance vous sourit lorsque le 28 novembre 2010, lors des élections générales, vous devîntes sénateur, représentant le département des Nippes, et le 14 janvier 2016, vous fûtes élu président du Sénat. Du haut de cette cime parlementaire vous pûtes brasser une bouillie présidentielle. Putain de combine parlementaire ! Vous voilà aujourd’hui président provisoire de la République d’Haïti.

Privert, papa, je vous observe avec beaucoup d’attention depuis votre prestation de serment. Je me rends compte que vous prenez votre temps non pas de sénateur, mais de président provisoire, pour ne pas créer, trop tôt, une opposition trop remuante au goût de l’ambassade cinquante-étoilée. Après avoir mayimoulen votre corps, vous avez fait d’un certain Fritz Alphonse Jean votre premier ministre. On dit de lui qu’il est lavalassoïde, si vous me permettez ce qualificatif. C’est-à-dire qu’il aurait des affinités lavalassotabarriennes, sans ayant jamais manifesté de tendances transfuges malsaines à la façon d’un certain Rudy Hérivaux ou d’un Mario Dupuy, misérables adorateurs du cul de Sweet Micky.

Lavalassoïde ou tabarroïde, votre PM, cher Privert, me porte à réfléchir. J’avoue que j’ai des doutes sur sa virginité, enfin, ne me prenez pas au mot, d’autant que je suis vierge d’arrière-pensées. Susceptible comme je suis, à fleur d’épiderme, j’ai seulement des soupçons. Je soupçonne que les je vèt du Core group  ont pu voir clair dans le jeu politique des je vewon, je pichpich, je twèt, je chèch, je kale, et autres jebede qui vous entourent. Move je comme ils sont, les yeux verts ont pu vous suggérer, vous conseiller, vous guider, vous exhorter, vous instiguer, vous pressurer, vous persuader, voire même vous imposer le technicien Jean. Et si c’est le cas, si m pa fè peche, les masses vont devoir koupe fache avec Fritz, car elles ont un agenda de revendications à l’opposé des fréquencités du Core group. Et je n’aime ni ces kouperies ni ces fâcheries, elles-mêmes mauvaises conseillères.

Jusqu’ici, Privert, vous continuez d’observer la loi que sur toute chose je vous impose, ou pa pale, c’est une bonne chose. Merci. Laissez-moi donc continuer à vous remplir le bol d’importantes choses. Tout le monde sait que je ne me mêle pas de politique, c’est là mon moindre défaut. Toutefois, il ne pourrait m’être interdit de joffrer les allées et venues, les virées et dévirées de ceux et celles qui s’adonnent à la chose politicienne. Et, croyez-moi, je suis toujours sur mes gardes. Vous direz que je suis soupçonneux, méfiant, tèktèk, mais je ne suis dans aucun tèktègèdèk avec les magouilleurs.

Tenez, mes joffreries m’ont permis de soupçonner que votre Jean est appuyé par un certain secteur du pays. J’ai l’ouïe fine, et j’ai ouï dire que oui, Jean aurait l’appui de la tilolitocratie du pays, je veux dire l’appui de la bourgeoisie tilolit. Il aurait l’appui de ce secteur privilégié, corrompu, malfini bèkfè,  apôtre de l’économie de rente, de contrebande ; une économie qui ne permet pas le développement du pays. Cette frange sociale est connue pour son akrèkté, son égoïsme, son insensibilité, sa sécheresse de cœur, son autolâtrie aussi bien que son idolâtrie de l’argent mal acquis. Jean aurait-il le coeur aussi sec ? Brrrr !

Cette engeance malfinite, petite lolite, malfamée, malpolie, malapprise, mal foutue moralement, traverse la frontière, achète en gros kay vwazen, et vient écouler son butin contrebandier, en gros, sur le marché haïtien. Qui pis est, elle vend aussi au détail, et fait ainsi une concurrence tout à fait déloyale sinon criminelle aux ti machann. Jean trinquerait-il, à la petite semaine, avec cette gente tilolitarde ? Jeanjean aurait-il de mauvaises manières ? Aurait-il de mauvaises fréquentations ? Je n’ai jamais dormi dans la même chambre que Jean, de sorte que je ne sais comment il ronfle. Mais si ses ronflades rappellent celles des ti lolit, je tiens à vous dire, mon cher provisoire, que la rue et le peuple vont à nouveau se manifester. Ça va chauffer, ça va barder, et ce ne sera pas bon signe.

Cher président, l’impression qui se dégage de mes joffreries, c’est que votre Fritz Alphonse Jean fait l’effet d’un monsieur que vous laisseriez avancer en «pavillon masqué». Derrière un masque de technicien de haut calibre et d’expérience en matière d’économie, le visage pourrait être de marbre, froid, dur ; il pourrait avoir une tête cynique, machiavélique, sardonique, un facies de félon, de fripon à la solde d’intérêts «amis», intérêts de mimi, de mimimiaw, de makou chat, lesquels, depuis le parricide de 1806, n’arrêtent pas de ronronner, de miauler mawòz mawòz. Et depuis novembre 2010, ils se sont métamorphosés en vrais félins sauvages, omnivores : des revenants de léopards rappelant l’ère glaciaire jean-claudiste. Ki leyopa souple ? Yon bann fov mal maske.

Parlant de félins sauvages, il en reste pas mal du dernier quinquennat présidentiel qui plastronnent encore, flanqués de leurs gardes de corps, tel un Roro Nelson, tel un Jojo Lorquet. Le décor s’est même assombri de la présence de certains dinosaures de l’époque des grands froids francisco-duvaliéristes. Qu’est-ce qu’il fait donc en votre sein cet asòs de feu Roger Lafontant du nom de  Rony Gilot ? Il en a pris du grade, ce serviteur zélé du macoutisme pur crime. Le voilà perché aux plus hauts sommets de responsabilité de l’État : il  bombe le torse dans les bureaux du secrétariat du palais national ; même, il est de votre cabinet particulier. Que particule-t-il ? Permettez que je vous dise dans un français très châtié auquel vous n’êtes pas habitué : je suis peur et même craint.

Oui, Privert, c’est vrai que vous êtes à l’orée de votre soixantaine. Pourtant, quoique relativement jeune, il me semble que les structures de ce que l’on appelle l’oreille interne, les vôtres alors, commencent à se scléroser. Elles ne vous transmettent pas fidèlement la voix du peuple, les voix de centaines de milliers de citoyens et citoyennes frustrés, lésés, déçus, irrités, agacés, indignés, outrés, scandalisés, depuis les révoltantes, burlesques, clownesques, funambulesques, carnavalesques et bouffonnes mascarades du 9 septembre et du 25 octobre de l’année dernière. Ou simplement pa tande.

Ces voix venant de toutes parts réclament, premièrement, une vraie Commission électorale d’évaluation de la cacophonique interprétation d’une symphonie électorale en «la malheur», sous la malhabile direction du faux maestro Pierre Louis Opont. C’est une des trois conditions sine qua non pour un retour à la normale, pour que s’amorce un climat de démocratie, de justice, d’élections honnêtes, de paix au pays. Il nous faut savoir quel diable gigotait dans le bénitier de la salle des tabulations, quelle potion maléfique avaient bu les   Yolette Mengual, les Jaccéus Joseph, les Lucie Marie Carmelle Paul Austin et autres clowns de la boîte à l’enfoiré Opont lui-même.

Ces voix d’«indignés», au sens historique très récent du terme, n’ont que faire d’une reprise de la mascarade électorale «oponte», du gâchis «pierre-louisien», du chaos «cépiste», encore moins de l’arrogance «Core groupale» prétendant nous ramener à un téméraire face-à-face de deuxième tour entre nèg bannann nan et Jude Célestin. C’est du passé, un passé révolu. Vous devez être sourds, Privert, vos «amis» et les autres. Faites-vous faire un bilan auditif. Vous pourriez souffrir d’un début de sclérose cochléaire, la cochlée étant cette partie de l’oreille interne qui transforme les sons en signaux électriques pour être transmis ensuite au cerveau.

Deuxièmement, Privert, il ne s’agit pas seulement de reprendre à zéro le processus de vote. Il faut aussi démanteler le plus largement possible les 30.000 personnes impliquées dans l’appareil électoral : agents électoraux, policiers, juges, huissiers, tyoul et autres  ouistitis du rouage de corruption et du grand gâchis du 9 septembre et du 25 octobre. Car, les membres du Collège Électoral Provisoire n’ont pas été les seuls responsables de la débâcle électorale. Il y avait tout un dispositif bien organisé, bien huilé, bien lubrifié, pour assurer le chaos électoral au profit d’une seule personne, l’homme-banane du pouvoir.

Troisièmement, les indignés haïtiens réclament, exigent un audit de l’administration de Martelly. Ils veulent savoir où est passé l’argent de Petro Caribe, comment a été utilisé l’argent des taxes illégales prélevées sur les appels téléphoniques et les transferts en provenance de la diaspora au cours des cinq dernières années: soit 510 millions de dollars et 150 millions de dollars, respectivement, selon l’économiste et historien Leslie Péan.

Les contribuables ont le droit de savoir où la famille Martelly a-t-elle siphonné tant d’argent pour de somptuaires dépenses consacrées aux multiples voyages du président y compris ses per diem et ceux de son entourage ; à l’utilisation de larges sommes d’argent pour la construction de dix centres sportifs «avant la fin de l’été 2012», sous la supervision d’Olivier Martelly, fils et «conseiller» (sic) du Président de la République en matière de jeunesse et de sport (resic); à la construction d’une luxueuse maison de plage à Paillant, Miragoâne, en moins de trois ans, et  estimée à plus de 9 millions de dollars US (Tout Haïti), alors qu’en 2010 le bandit légal Sweet Micky ne pouvait même pas honorer ses obligations financières à l’égard des banques.

Privert, j’en arrive maintenant à la fin de notre entretien, enfin, de mon remplissage de bol. Ou sou, papa. En toute équité je vous donne votre chance, vous avez la parole maintenant.

– Vous avez tellement rempli mon bol que je n’ai point de bouche pour parler. Vous m’avez comme tué frèt. Je voudrais vous poser une seule question, oui, une seule : sa w panse pou m t a fè ak Martelly ? L’animal m’embarrasse.

–  Rele DEA vin pran l, il  finira ses jours en taule, pou l al reflechi.

Woy ! Ou deja te fin touye m, ou mèt tou  antere m…

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