Le pays continue de sombrer dans une tragique situation. L’équipe de Jocelerme Privert formée sans doute sur les conseils mesquins du coquin René Préval se berçait à l’idée de vouloir tenir le pouvoir provisoire pour un temps beaucoup plus long que celui indiqué dans l’accord signé au nom du Parlement avec un Exécutif en fin de mandat. La perspective pour Privert d’être l’heureux bénéficiaire d’un tel calcul politique monté de toute pièce semble avoir été mise en échec par l’empire. Voilà pourquoi, juste après l’échec planifié et programmé de Fritz Alphonse Jean au Parlement, Privert, à la vitesse de l’éclair, a rectifié le tir avec ses parlementaires complices et vite sorti de ses manches un Premier ministre. Et quel Premier ministre !
Ce n’est pas de gaieté de cœur que Privert a fait cette volte-face. Il a été mis devant un fait accompli par les vautours impériaux comme l’indique la déclaration des membres du « Core Group qui espèrent que l’esprit d’unité nationale continuera à guider la mise en œuvre de l’Accord du 5 Février. Ils appellent tous les acteurs à prendre des mesures résolues à cet égard et à procéder au rétablissement du Conseil électoral provisoire et à l’achèvement du processus électoral de 2015, pour faciliter le retour à l’ordre constitutionnel ». Pour le forcer à agir dans ce sens, le plus rapidement possible, les agresseurs de l’international ont brandi ouvertement le spectre du chantage de l’aide économique allant jusqu’à augmenter leur pression sur le gouvernement provisoire. C’est bien ce que Jake Johnston a exprimé en écrivant que: «les organisations internationales réduisent l’aide quand tout le pays en a le plus besoin».
Effectivement, la situation humanitaire se détériore. Privert avait averti que si rien ne se faisait rapidement, quelque 5 millions d’Haïtiens, environ 50 pour cent de la population, allaient devoir faire face à l’insécurité alimentaire dans les prochains mois. La réponse du Fonds monétaire international (FMI) au gouvernement provisoire ? « Les décaissements ont été retardés parce que la transition politique en Haïti a pris plus de temps que prévu. » Il est certain que la crise électorale est à la source même du raidissement des bailleurs de fonds internationaux. Ainsi, le FMI a déclaré qu’il espérait que les «conditions [de leur réengagement] peuvent être mis en place dès que possible». Le FMI «n’a pas répondu lorsqu’il lui a été demandé si les élections sont l’une de ces “conditions ». C’est la preuve palpable de la guerre que mènent l’impérialisme et ses valets locaux contre le peuple haïtien, une guerre implacable, sourde, sans pitié et violente. Selon Robert Fatton, professeur à l’Université de Virginie, (cité dans cet article) ce type d’agissement financier est une autre forme de coercition politique afin de forcer le gouvernement haïtien et ses citoyens « dans l’acceptation de tout choix politique qui pourrait leur être présenté ». La réduction de l’aide « est un signe que la communauté internationale ne veut ni de prolongation du processus électoral, ni de création d’une commission indépendante de vérification », a ajouté Fatton.
En réalité, c’est une politique de deux poids deux mesures. En effet, lors du coup d’Etat de Février 2004, le FMI avait signé un nouvel accord avec le gouvernement de transition pour aider à « stabiliser l’économie et faire face à l’impact immédiat de la[situation politique] ». Qui pis est, les acteurs internationaux ont ensuite tenu une conférence de donateurs quelques mois plus tard pour recueillir des fonds pour Haïti ; alors que maintenant, ils déclarent net « qu’ils hésitent à travailler avec un gouvernement provisoire non élu ». C’est dans ce sens que Kent Brokenshire, Coordonnateur spécial adjoint pour Haïti au Département d’Etat, a déclaré au Congrès que les États-Unis veulent rapidement des élections afin qu’il y ait à la « tête de l’état haïtien un président démocratiquement élu avec lequel ils seront en mesure de traiter de pays en pays. »
Il n’est pas nécessaire de recourir à la psychanalyse pour décoder la démarche des puissances exploiteuses. Il suffit de la situer dans son contexte résolument politique pour comprendre qu’elles ne veulent que la continuation dans le changement. Ainsi, la récente accession d’Enex Jean-Charles à la Primature, en remplacement d’Evans Paul, tend à confirmer la continuité plutôt que la rupture. Tout comme l’accord signé par Privert, Choiseul, et Martelly, cette démarche inopportune est frappée du sceau de la classe sociale que ces messieurs représentent. Une façon classique de faire par la bourgeoisie rien que pour assurer son hégémonie, reformer l’Etat à son profit et le forcer à pactiser avec l’impérialisme international, bloquant toute velléité de mobilisation pourvue qu’elle soit populaire.
Une chose est claire: l’impérialisme ne veut la démocratie que dans la forme, pas dans son essence. Elle se sert de l’arme de l’aide internationale pour renforcer des coups d’état, et, comme aujourd’hui, pour saboter et prévenir une démocratie pour laquelle lutte le peuple depuis février 86. Leur seul but est de faire jouer coûte que coûte, toujours en leur faveur, le dernier acte de la comédie électorale dans laquelle Martelly et Opont étaient leurs principaux acteurs.
Mais les masses haïtiennes ne veulent point de cette comédie. Elles veulent un nouvel énoncé basé, sur leurs aspirations et leur histoire et, par-dessus le marché, formulé par elles-mêmes. Aucune solution électorale ne résoudra le problème fondamental du pays, si nous ne brandissons pas le drapeau de la lutte anti-impérialiste qui pave la voie à une victoire des forces populaires.
Berthony Dupont Volume: 9 • No. 38 Du 30 mars au 5 avril 2016