
Malgré un très long article sur le mercenaire Erik Prince, citoyen américain, ancien membre des forces spéciales de l’US Navy (SEAL), fondateur de la très controversée Firme de mercenaires dénommée : Blackwater Worldwide publié par Haïti Liberté dans son édition du 11 au 17 juin 2025, certains de nos lecteurs nous ont interpellés sur un soi-disant silence de notre part après la confirmation des autorités haïtiennes d’avoir effectivement signé un contrat avec ce groupe de mercenaires pour combattre les groupes armés en Haïti. Ces lecteurs attentifs soulignent qu’on devait donner suite à notre chronique N° 6 intitulée : « Des mercenaires étrangers contre les groupes armés, une vraie guerre en perspective » publiée dans l’édition du 7 au 13 mai 2025. Nous prenons acte de leurs intérêts pour cette chronique. Bien sûr, on comptait revenir sur cette affaire! Mais, il est important pour nous de souligner que la présence de quelques mercenaires étrangers en Haïti ne résoudra rien à la problématique de l’insécurité dans le pays. Etant convaincu qu’aucune force venue de l’extérieur, qu’elle soit publique ou privée, ne pourra ramener la paix dans le pays. La sécurité publique et la paix intérieure sont une affaire nationale.
Maintenant, voyons de quoi retourne cette histoire de mercenaires qui opèrent en Haïti bien avant l’annonce officielle des autorités haïtiennes. Notre première chronique sur la présence des mercenaires était précédée d’un article dans lequel on avait fait un diagnostic de la politique du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et du gouvernement dirigé par Alix Didier Fils-Aimé. Dans cette chronique, on avait démontré qu’il serait superflu de penser que le CPT et son gouvernement pourraient gagner la guerre qu’ils prétendent mener contre les groupes armés, plus d’une année après leur installation. Certes, ils peuvent gagner du temps. Obtenir, grâce à des négociations secrètes avec « l’ennemi », une accalmie. Mais, imaginer un instant que les groupes armés vont baisser définitivement les armes face à ce pouvoir corrompu, décrié et illégitime serait une utopie.
On avait écrit qu’il fallait arrêter l’hypocrisie ! Encore aujourd’hui, c’est-à-dire, au moment où nous écrivons cette énième chronique, nous persistons et signons à dire que, jusqu’à l’installation d’un nouveau pouvoir en Haïti, cette fois avec des dirigeants issus d’élections, donc légitimes, les groupes armés ne cesseront pas de harceler les Conseiller-Présidentiels, pour la plupart inculpés pour corruption et d’autres accusés publiquement de détournement de fonds publics et de trafic d’influence. Pire, vu le comportement de ces 9 membres de ce Collège présidentiel qui, depuis des mois, sont incapables de tenir le moindre Conseil des ministres, selon les dires même de son Coordonnateur, un ou deux depuis la présidence de Fritz Alphonse Jean, à cause justement de chamaillerie, de conflits internes et d’ambition personnelle qui sont étalés sur la place publique, nous ne sommes pas certains que cet Exécutif-là peut avoir une certaine ascendance sur quoi que ce soit, voire pouvoir coordonner une vraie politique sécuritaire, fût-elle menée par des mercenaires étrangers payés avec l’argent des contribuables.
Cette affaire de mercenaires étrangers, comme pratiquement tout en Haïti depuis qu’il n’existe plus d’État et que la nation est à la dérive, n’est qu’une vaste plaisanterie et du gaspillage des deniers publics, dans la mesure où ce ne sont pas les 150 soldats de fortune, des pieds Nickelés, venus principalement des Etats-Unis, qui vont changer la face de la « guerre » en Haïti. Alors que des centaines de militaires et des policiers aguerris formant la force de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) complétés par des milliers de policiers et de militaires locaux se cassent les dents face à des adolescents ne sachant même pas manipuler correctement une arme à feu ou butent sur les obstacles tendus par les gangs armés qui tiennent des « territoires-perdus » de la République depuis des années déjà.
De la présidence d’Edgard Leblanc Fils à Fritz Alphonse Jean, en passant par celle de Leslie Voltaire, qu’est-ce qui a changé en matière de sécurité depuis cette autre Transition ? C’est à cette question que le CPT et le gouvernement doivent répondre avant de prétendre combattre l’insécurité avec les bras armés des mercenaires étrangers qui, en vérité, ne sont pas vraiment nouveaux sous le ciel d’Haïti, depuis la fin de la République, c’est-à-dire, depuis cette Transition qui n’en finit point. D’ailleurs, bien avant l’assassinat du Président Jovenel Moïse, les mercenaires étrangers colonisaient déjà le territoire haïtien. Les assassins étaient déjà parmi nous. Cette troisième colonne infiltrait déjà les forces de l’ordre et les institutions jusqu’à la résidence même du chef de l’Etat. Une pénétration du pays qui leur a permis de commettre leur forfait sans réveiller des soupçons.

L’histoire des mercenaires étrangers n’est pas nouvelle dans cette Haïti contemporaine où, malheureusement, l’État, ou du moins les dirigeants, font davantage confiance aux éléments étrangers qu’à leurs propres forces de sécurité. Le recours de Fritz Alphonse Jean à des mercenaires étrangers pour venir combattre ses propres compatriotes ne doit surprendre personne, en tout cas, pas les vrais patriotes haïtiens. L’utilisation de l’argent des contribuables pour payer grassement et en dollar US des individus qui, pour prouver qu’ils font le « sale boulot », vont semer la mort ou sèment déjà la mort aveuglement au sein de la population prétextant qu’ils font le travail pour lequel ils sont rémunérés, n’est pas à proprement parler une découverte. On se souvient, encore sous l’Administration Moïse/Céant, de la traversée de la ville de Port-au-Prince d’une cohorte de mercenaires étrangers de diverses nationalités, mais principalement américains dont on n’a jamais su pour quelle mission ils étaient venus et qui se faisaient bêtement appréhender par la police haïtienne à la rue des Casernes avant de passer à l’acte.
Des mercenaires étrangers qui auraient dû être jugés et lourdement condamnés pour entrée illégale sur le territoire haïtien et atteinte à la sécurité de l’Etat. Mais, on connaît l’épilogue malheureux, honteux de cette abracadabrantesque équipée. Tous les mercenaires lourdement armés, à la demande de l’ambassadeur américain à Port-au-Prince, ont été libérés et embarqués avec armes et bagages, s’il vous plait, dans un avion à destination de la Floride et aussitôt arrivés, aussitôt remis en liberté. Et aujourd’hui, certains nous parlent encore de « Pays », de « Nation », de « République ». Ces irresponsables politiques, Fritz Alphonse Jean et ses collègues du Conseil Présidentiel de Transition, liés à leur chef de gouvernement Alix Didier Fils-Aimé, en signant officiellement un contrat avec le chef mercenaire Erik Prince de la Société militaire privée Blackwater Worldwide, bien que le nom de la Firme demeure officiellement secret afin que celle-ci envoie des hommes pour mener la bataille des bidonvilles et des ghettos dans la capitale haïtienne et pourquoi pas celle des champs dans la commune de Petite-Rivière-de l’Artibonite, ne font que poursuivre la politique néfaste qui caractérise la gestion de ces antipatriotes depuis ces quarante dernières années.
Si ces gens avaient un minimum de patriotisme, de dignité, du respect pour la population et un peu de morale en politique, ils auraient eu honte d’engager officiellement des mercenaires étrangers au moment où croupisse encore au Pénitencier National de Port-au-Prince, un quarteron de mercenaires colombiens pour s’être introduits dans le pays, certes à la solde des politiciens haïtiens, avec pour mission de perpétrer le magnicide du 6, 7 juillet 2021. Mais, sans mémoire, inculte à l’histoire politique et complice certainement de la tragédie qui frappe le pays et les Haïtiens en particulier, les dirigeants de la Transition préfèrent s’enfoncer davantage dans la boue et enfin dans les poubelles de l’histoire de ce pays. En appelant à la rescousse une firme de mercenaires dont le dirigeant est un proche du Président américain Donald Trump, les membres du CPT pensent, à travers ce geste antinational, attirer les bonnes grâces de l’occupant de la Maison Blanche. Ils se trompent. Dans cette histoire, ils ne gagneront rien. Ils se déshonorent et perdront la face.

Puisque les hommes de Erik Prince n’apporteront rien de nouveau dans cette guerre perdue d’avance et l’imprévisible Donald Trump ne les considérera pas plus que ce qu’il pense d’eux et de Haïti pour qui, c’est un pays de M… C’est le journal The New York Times qui, le premier, a alerté sur la présence des mercenaires de Blackwater Worldwide qui sont déjà opérationnels en Haïti depuis le mois de mars 2025. « Erik Prince, un entrepreneur militaire privé et éminent partisan du Président Trump, collabore avec le gouvernement haïtien pour mener des opérations meurtrières contre les gangs qui terrorisent la nation et menacent de s’emparer de sa capitale. M. Prince, fondateur de Blackwater Worldwide, a signé un contrat pour s’attaquer aux groupes criminels qui tuent des civils et prennent le contrôle de vastes territoires, selon de hauts responsables des gouvernements haïtien et américain et plusieurs autres experts en sécurité connaissant bien le travail de M. Prince en Haïti » écrivait The New York Times dans son édition du 28 mars 2025.
C’est intéressant de le noter puisque, depuis ce mois de mars, il ne s’est rien passé à part larguer quelques drones kamikazes ou drones tueurs sur les quartiers populaires. Pas grand-chose non plus n’a changé dans le drame haïtien et le pire, la présence de ces mercenaires n’a modifié ni le comportement ni le mode opératoire des groupes armés qui campent sur leur position. Mêmes les deux principales routes du pays – RN 1 et RN 2 – demeurent sous leur contrôle. Qui osera prétendre aujourd’hui qu’il y a une évolution allant dans le sens d’un changement de cap des gangs armés ? D’ailleurs, il y a si peu de changement qu’il aura fallu la révélation du quotidien new-yorkais pour qu’enfin les autorités reconnaissent publiquement qu’il existe bien un contrat avec une Firme de Sécurité privée qui, selon Fritz Jean, ne serait pas Blackwater Worldwide. Elle est chargée de fournir des hommes, des matériels militaires pour aider la police nationale dans sa lutte contre les groupes armés.
Avant cette confirmation de Fritz Jean, tous les officiels du gouvernement et de l’État s’envoyaient la balle à chaque fois qu’on tentait d’en savoir davantage sur cette histoire de mercenaires étrangers. Même le ministre de la Communication, Patrick Delatour, avait refusé de dire le moindre mot. Le ministre orientait tout le monde vers son chef hiérarchique, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aime ou auprès de ses collègues de la Défense et de la Justice pour en savoir plus. C’est lors d’un point de presse avec un groupe de journalistes, le vendredi 20 juin 2025, que le Président du CPT fut obligé d’apporter quelques explications sur cette affaire de mercenaires qui sont déjà à l’œuvre en Haïti.
Coincé de toutes parts par des questions sur le sujet, le Président du CPT a donné quelques explications soit pour confirmer soit pour rester dans le flou compte tenu, selon lui, de la sensibilité du sujet s’agissant de la stratégie sécuritaire. « Avec ce niveau de violence greffé à la criminalité transnationale, ce n’est pas vrai que nos forces de l’ordre pouvaient faire face à ces défis toutes seules. C’est pourquoi, nous et le gouvernement, nous nous sommes assurés de chercher le soutien au niveau national et au niveau international pour soutenir les forces de l’ordre pour qu’elles aillent de l’avant. Sur la question du montant du contrat, ça, je ne peux pas répondre à cette question. Ce ne sont pas tous les contrats qui passent en Conseil des ministres. Cela relève de la stratégie pour les forces de l’ordre. Il y a des dispositions qui sont prises par le CSPN, le Premier ministre. Nous avions dit quand il y a des faiblesses, nous chercherions des gens pour supporter la PNH.
Nous disons à la population que c’est son argent, l’argent issu du trésor public qui est dépensé en renfort technologique, en ressources humaines pour aider la PNH. Ce n’est pas l’argent d’une personne. Donc, ce sont des outils qui appartiennent à l’Etat pour aider la PNH. Si toutefois il y a des préoccupations en ce sens, nous disons au gouvernement de faire attention, les ressources dépensées sont celles de la population pas celles d’une personne » a déclaré aux journalistes Fritz Alphonse Jean au cours de cette interview réunissant un très grand nombre de médias. Le Président du CPT n’a pas voulu confirmer le chiffre de 44 millions de dollars qui circule à propos du montant du contrat avec la Société de sécurité dont il terre l’identité.
Le plus curieux dans cette affaire de mercenaires, c’est le silence de la plupart des grandes organisations des droits humains, notamment la RNDDH de Pierre Espérance, toujours prompt à dénoncer les décisions des autorités d’avant la Transition. En revanche, des organismes de défense des droits de l’homme comme la Fondasyon Je Klere (FJKL) étaient parmi les premières à réagir et à dire ses préoccupations bien qu’elle soutienne les autorités dans leur démarche auprès d’une firme étrangère de mercenaires. Dès l’apparition de l’article du The New York Times, du 28 mars 2025, les responsables de FJKL ont donné la voix : « La FJKL estime que les atrocités commises par les gangs armés contre la population civile, avec les crimes de masse, les viols, les vols, les incendies criminels, les enlèvements et séquestrations contre rançon, les déplacements forcés, les démolitions des infrastructures publiques et privées, sont de nature à justifier le recours temporaire de l’État à une telle formule pour épauler les forces de l’ordre dans leur mission de garantir l’ordre public et la tranquillité des rues. Cependant, la FJKL se questionne sur les modalités de cette entente qui demeurent un peu floues.
Le gouvernement se doit d’informer la population sur la durée et le montant du contrat, les règles d’engagement des mercenaires par rapport au respect des Droits Humains, aux fins de renseigner les citoyens sur leurs droits en cas d’abus ou d’usage abusif de la force armée, et de faciliter le travail de monitoring des organisations de défense des Droits Humains » écrivaient-ils. Enfin, après la confirmation par les autorités elles-mêmes qu’une Société de sécurité privée travaille bien avec le gouvernement et les forces de l’ordre dans le cadre d’un contrat passé entre les deux parties, certaines organisations de la Société civile et entités des droits humains, entre autres, celle dirigée par Darbensky Gilbert, dénommée l’Ordre des Défenseurs des Droits Humains (ORDEDH) laisse entendre que : « L’arrivée des mercenaires en Haïti, c’est une solution à double tranchant et un risque inacceptable.
Cette perspective, bien que présentée par certains comme un moyen rapide de rétablir l’ordre, est perçue par l’ORDEDH avec beaucoup de circonspection et suscite de l’inquiétude. » En tout cas, depuis cette rencontre du Président du CPT, Fritz Alphonse Jean, ce vendredi 20 juin 2025 avec ce pool de médias à la Villa d’Accueil, au moins tout le pays sait à quoi s’attendre. Les autorités de la Transition rentrent dans une nouvelle dynamique sécuritaire : pour la première fois de son histoire, des mercenaires étrangers opèrent officiellement sur la terre d’Haïti dans le cadre d’un contrat avec le gouvernement pour combattre, selon lui, les groupes armés. La population quant à elle attend de voir !
C.C