D’un processus électoral à l’autre, la saga continue (9)

(9ème partie)

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La Vice-Présidente du CEP, Mme Schnaïda Adely

Un mois après la révocation brutale du Premier ministre, Conille, le « roi est mort vive le roi » semblent dire les membres du Conseil Électoral Provisoire ! Le mardi 3 décembre 2024, nous voici dans la deuxième ville d’Haïti, le Cap-Haïtien, pour une « retraite » de trois (3) jours sous la houlette du CEP en partenariat avec la Fondation Internationale pour le Système Électoral (IFES).

Dans la Cité du Roi Henry Christophe, le CEP a mis les petits plats dans les grands dans un hôtel de luxe afin  de pousser les plus incrédules ou sceptiques à s’intéresser à ses activités. Pas moins de six (6) Conseillers électoraux sur 7 et un nombre considérable de cadres de l’institution électorale avaient fait le déplacement dans le Grand-Nord pour apporter leur concours et contribuer à la réussite de ces trois journées de débats dont l’objectif principal était de préparer le lancement du référendum sur la Constitution et l’organisation des élections générales.

La Vice-Présidente du CEP, Mme Schnaïda Adely, sous la présidence de qui s’est déroulé ce séminaire, souhaitait que cette activité soit le début du commencement d’une première étape d’évaluation des capacités et de ce que peut faire ce nouveau CEP. D’entrée de jeu, elle a annoncé que : « Cette activité du CEP revêt une importance capitale dans le contexte actuel du pays, où l’urgence d’un processus électoral crédible et inclusif se fait sentir. En cette période charnière de notre histoire, il est essentiel de réaliser un état des lieux approfondi des structures déconcentrées du CEP.

Nous devons engager un dialogue franc et ouvert avec tous les acteurs de la société civile et les partis politiques dont les apports sont indispensables à la réussite de ce processus. Nous travaillons sans relâche sur des axes fondamentaux tels que la proposition d’un décret pour le référendum et l’élaboration d’un calendrier référendaire. Ces travaux s’inscrivent dans une dynamique de collaboration étroite avec l’exécutif dont nous saluons la disponibilité et le soutien constant pour la réalisation d’élections crédibles, contribuant ainsi à la refondation d’Haïti. »

Par ailleurs, Inza Diamonde, le patron de l’IFES en Haïti, qui faisait lui aussi le déplacement dans la Cité Christophienne ce 3 décembre 2024 soulignait que son organisation était disposée à « Collaborer avec l’institution électorale haïtienne pour la réalisation du référendum et l’organisation des élections. » En outre, profitant de la présence de quelques journalistes présents et d’observateurs de la vie politique haïtienne déplacés pour l’occasion, le Trésorier du CEP, l’ex-journaliste Jacques Desrosiers, se félicitait de l’intérêt qu’aurait montré la population pour ce processus et annonçait qu’outre le Cap-Haïtien et sa périphérie, une délégation du CEP devait séjourner dans tout le Grand-Nord ( Nord, Nord-Ouest, Nord-Est, Centre et Haut-Artibonite) jusqu’au 11 décembre 2024 inclus afin de faire l’inventaire des infrastructures décentralisées de l’organisme électoral et aussi rencontrer les organisations politiques et la Société civile dans ces départements.

Mais, face aux travailleurs de la presse qui l’interrogeaient sur le climat d’insécurité qui règne dans le pays et particulièrement dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite et lui demandait comment le CEP entendait faire pour convaincre la population à participer aux différents scrutins qu’il projette de réaliser, l’ancien Président du l’AJH (Association des Journalistes Haïtiens), devenu Conseiller électoral et trésorier de l’institution, renvoie cette responsabilité aux autorités étatiques : « La mission du CEP est d’organiser les élections dans le pays. C’est aux institutions responsables de créer un climat propice à la tenue de ces joutes électorales, où tous les citoyens peuvent librement exprimer leur choix » fait-il remarquer. Enfin, durant ces trois jours de débats dans la fière Cité des gens du Nord, le CEP, par l’intermédiaire de Schnaïda Adély, devait annoncer tout un calendrier d’activités pour le mois de décembre 2024 relatif au référendum et aux élections générales.

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D’après la vice-Présidente, à la mi-décembre, cette initiative devait se poursuivre à travers les autres régions du pays en déclarant : « Une rencontre avec les partis politiques et la société civile est prévue à Pétion-Ville, avant une évaluation des bases opérationnelles du Bureau électoral départemental (BED) et du Bureau électoral communal (BEC), dans la Grand’Anse, Nippes, Sud, Sud-Est, Petit-Goâve, Grand-Goâve, Léogâne. Une rencontre avec les partis politiques et la Société civile est prévue dans la péninsule du Sud également pour la fin d’année. »

A l’issue de cette retraite au Cap-Haïtien, le Président du CEP, Patrick Saint-Hilaire, devait accorder un entretien au quotidien de la rue du Centre, Le Nouvelliste, le mercredi 7 décembre 2024. Dans ce long entretien, il a abordé plusieurs points qui font débat et suscitent des interrogations auprès des acteurs sociopolitiques mais aussi au sein de la population, la première concernée. La question de la sécurité, le financement des élections, la Carte électorale, le décret pour le référendum, etc ont été au menu de cette interview. Voici un large résumé de cet entretien de Patrick Saint-Hilaire accordé au Le Nouvelliste le 7 décembre 2024 : « (…) La question de la sécurité est une question centrale pour le CEP parce qu’elle est liée à la participation électorale. Outre la sécurité électorale et la sécurité générale dans le pays, le financement électoral et la participation citoyenne aux élections s’inscrivent dans la liste des priorités du CEP. On s’est rendu compte que la participation électorale était autour de 20%. Ce qui crée des problèmes de crises post-électorales. Nous allons travailler pour promouvoir la participation électorale, en particulier la participation des femmes et surtout des jeunes. Ce qui va déboucher sur des élections crédibles dans le pays. Les directions techniques du CEP ont accès à la base de données de l’ONI et y travaillent en étroite collaboration. Nous ne pourrons pas utiliser d’emblée les données de l’ONI car les données disent qu’il y a 6 millions de personnes en âge de voter alors qu’on ne sait pas où sont ces personnes et qui elles sont. Il y a beaucoup de déplacés internes et vers l’étranger. Il y a des gens qui ont perdu leur carte d’identification nationale. Il y a tous ces paramètres à prendre en considération.

Les déplacements internes sont des déplacements circulaires. Des gens ont laissé leurs quartiers pour se rendre à un autre et il y a ceux qui retournent systématiquement dans leur ville de province. Il faut pouvoir atteindre l’électeur là où il est. Il y a beaucoup de changements d’adresse dans le pays. Il y a un gros travail à faire. On est en train de voir comment mieux faire car l’important c’est que tous les citoyens qui le souhaitent puissent voter. À propos du financement ? Des rencontres sont planifiées avec tous les secteurs concernés en Haïti, à savoir le Conseil Présidentiel de Transition et le gouvernement haïtien. On n’a pas encore établi un budget définitif. Jusque-là on est en train de préparer un budget pour le processus référendaire. Décret référendaire ? Dès que nous aurons le texte, le travail du CEP sera de faire connaître le texte et d’organiser le référendum. Nous avons déjà un projet de décret référendaire et on doit continuer à discuter pour que ce texte réponde aux aspirations de la population. Révision constitutionnelle ? Concernant la révision constitutionnelle, on ne peut pas préjuger de ce qui va se passer. On ne sait pas si on va avoir des élections pour les députés, les sénateurs ou pour une chambre unique.

Comme nous travaillons dans le continuum du Comité de pilotage, nous sommes toujours en étroite collaboration avec ledit comité pour voir comment ils sont en train d’avancer parce que le comité doit remettre un projet à l’exécutif qui doit prendre le temps d’examiner ce texte pour ensuite porter ce texte à notre connaissance. Le CEP sera saisi de ce texte et initié le travail de référendum. (…) ».

Malgré ce décryptage réalisé par le Président du CEP, mêlant la réalité et le pessimisme, compte tenu de la conjoncture qui prévaut, la Société civile et tant d’autres demeurent très sceptiques, voire ne croient pas du tout à la possibilité des autorités de la Transition de pouvoir atteindre leur objectif et ce, malgré la bonne volonté des femmes et des hommes qu’elles ont placés à la tête du CEP.

Durant la même semaine, le 3 décembre 2024, Abdonel Dudou, un dirigeant de JURIMEDIA, un organisme des droits humains, devait s’exprimer sur un média de la capitale, Panel Magik. Lors de son intervention ce mardi 3 décembre, cet activiste laissait entendre qu’il ne croyait pas du tout à la tenue d’élections au cours de l’année 2025. Abdonel Doudou a énuméré un ensemble d’obstacles parmi lesquels, le CEP lui-même provoquant « contestation » des uns et le mépris des autres qui, selon lui, rendant impossible les opérations électorales dans le pays. Mais, d’après le leader de JURIMEDIA, il n’y a pas que cela. Il estime, en effet, que : « La tenue des élections en 2025 est extrêmement difficile, sinon impossible. Aucune des conditions préalables n’est réunie pour aller vers les élections. D’autant plus que le processus électoral est complexe. À lui seul, techniquement il peut nécessiter un an. De l’installation du CPT à nos jours, aucun signal clair n’a été donné pour montrer une volonté d’aller vers des élections en 2025. Si la situation sécuritaire est souvent présentée comme un obstacle à la réalisation des élections, le problème est d’abord politique. Le bras de fer entre le CPT et le PM ainsi que le scandale de corruption impliquant des Conseillers Présidentiels sont parmi les situations qui ont fragilisé l’exécutif. »

Entretemps, le CPT, près de trois mois après l’ouverture du processus, finit par compléter la liste des membres du CEP en faisant publier au journal officiel Le Moniteur les noms des deux retardataires. Le mercredi 4 décembre 2024, lors d’un Conseil des ministres, les Conseillers Présidentiels avaient validé la désignation des deux autres membres manquants du CEP. Il s’agit de Mme Rose Thérèse Magalie Georges, pour le Secteur des droits humains en remplacement définitif de Me Gédéon Jean en dépit des protestations et contestations de diverses entités de ce secteur très hétérogène et de Mme Yves-Marie Édouard qui, elle, finit par s’imposer pour le Secteur Femmes après une lutte incroyable et acharnée entre des dizaines d’organisations féminines et de défense des droits des Femmes.

Leur installation a été faite le vendredi 13 décembre au cours d’une petite cérémonie ayant eu lieu à l’École de la Magistrature (EMH) en présence du Président du CPT Leslie Voltaire et du nouveau chef de gouvernement, Alix Didier Fils-Aimé. Ces désignations et installations, comme vous pouvez en douter, ont suscité de nouvelles contestations de la part des opposants des deux secteurs en question qui criaient au scandale et de coup d’État du CPT. Ils ont même écrit au Président de la Cour de cassation et de la Cour Supérieure du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Jean Joseph Lebrun, pour signifier leur opposition aux choix qui ont été faits par les Conseillers-Présidentiel. « Ces désignations constituent un coup de force et une violation flagrante des articles 289 et 33.1 respectivement de la Constitution haïtienne et de l’Accord du 03 avril 2024 relatif à la transition démocratique » notent-ils. Mieux, ne voulant rien céder, les partisans de Me Gédéon Jean vont jusqu’à écrire aux Éminentes Personnalités de la Communauté Caribéenne (CARICOM) en demandant aux dirigeants de cette organisation régionale de prendre des sanctions contre les membres du CPT, notamment une personnalité influente du Groupe Montana qu’ils n’ont pas citée nommément.

Dans leur courrier à la CARICOM, les signataires soulignent que : « Cela a été fait sous la pression d’une personnalité de l’équipe de Montana, agissant sous couvert de défense des droits humains. À chaque fois que le CPT s’apprête à publier le nom de l’élu du secteur des droits humains, cette personne menace certains Conseillers Présidentiels de révéler leurs dossiers de corruption, de vols et de détournement de biens publics » écrivent-ils. Mais, rien n’y fait ! Leslie Voltaire et ses huit camarades ont réussi à compléter leur CEP dans des circonstances assez troubles, il est vrai. Qu’importe, le CEP est enfin au complet. Les 9 secteurs prévus à l’origine pour désigner les personnalités devant constituer le nouvel organisme électoral version Conseil Présidentiel de Transition sont représentés. Il reste maintenant à poursuivre la mission pour laquelle ces Conseillers électoraux ont été nommés. Pendant ce temps, l’institution électorale poursuivait ses activités et déployait son programme comme prévu.

Les Conseillers électoraux et les cadres techniques du l’institution ont fait une évaluation complète des biens, infrastructures et patrimoine de l’organisme dans les départements du Grand-Nord. Dans un communiqué, ils annoncent : « Avoir procédé à l’inventaire des Bureaux électoraux départementaux (BED) et des Bureaux électoraux communaux (BEC). Une évaluation de l’état physique des bâtiments ainsi que des équipements disponibles et des besoins pour faire fonctionner ces structures a été également réalisée. Les données recueillies devront guider le Conseil dans les prévisions budgétaires et la prise de décision visant à renforcer les structures déconcentrées, pour les rendre plus aptes à remplir leurs missions dans les différentes régions du pays. » Le dimanche 15 décembre 2024, c’est la réforme constitutionnelle qui était à l’ordre du jour à l’hôtel Montana. Le ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, (MCFDF), avait organisé un atelier de travail à ce sujet. De nombreuses organisations féministes du pays et particulièrement celles de la région métropolitaine de Port-au-Prince avaient répondu présentes.

Celles qui ne pouvaient pas faire le déplacement compte tenu du climat d’insécurité empêchant la libre circulation et les routes totalement contrôlées par les groupes armés, ont participé par vidéoconférence à cette journée sur la réforme de la Constitution. Mme Pedrica Saint-Jean en charge de dudit Ministère devait rappeler que les femmes représentent plus de la moitié de la population du pays, une annonce qui n’apprend rien à personne puisque, à chaque occasion, tout le monde avance ce chiffre que personne ne conteste. « Les femmes ont un rôle central à jouer dans la construction démocratique du pays, dans la lutte pour la justice sociale et l’égalité en Haïti. Cette réforme est l’occasion de garantir les droits des femmes dans le cadre de cette révision constitutionnelle. Ensemble, nous devons nous assurer que cette révision constitutionnelle ne soit pas une occasion manquée pour inscrire dans la loi fondamentale les bases d’une société plus juste, plus équitable et plus respectueuse des droits des femmes. J’encourage les organisations à mobiliser leurs membres et partenaires pour mener un plaidoyer auprès du Groupe de Travail sur la Constitution (GTC) afin de tenir compte de leurs recommandations » disait-elle.

En tout cas, pour Mme Pedrica Saint-Jean, la réforme constitutionnelle doit forcément passer par : L’intégration explicite de l’égalité des genres dans la Constitution ; garantie des droits économiques, sociaux et politiques des femmes. Sur ce point, la révision doit inclure des dispositions claires pour assurer aux femmes un accès équitable aux ressources, aux opportunités et aux postes de pouvoir ; la lutte contre toutes les formes de violence. La Constitution doit reconnaitre l’importance de protéger les femmes contre les violences, qu’elles soient physiques, économiques ou institutionnelles. Un plaidoyer qui attirait l’attention de toutes les associations de femmes présentes ce dimanche 15 décembre dans le cadre très huppé de l’hôtel Montana dans les parages de Bourdon non loin du siège provisoire de la présidence de la République et de la Primature.

(A suivre)

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