Haïti, impasse électorale depuis 2017 !

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Le dernier processus électoral en Haïti remonte à 2016. Bientôt une décennie !

Si l’on devait choisir une chose, une seule symbolisant les péripéties de la transition politique en Haïti depuis la chute de la dernière grande dictature, ce serait sans conteste l’irrégularité des élections. Le dernier processus électoral en Haïti remonte à 2016. Bientôt une décennie ! Depuis 1987, l’année de la ratification de la nouvelle Constitution haïtienne prévoyant la création d’un organisme électoral indépendant, ce qui est inédit dans ce pays, jamais la classe politique, notamment le pouvoir public, n’a eu la vision et la clairvoyance de faire de cette nouvelle institution un outil de simplification pour les processus électoraux. Bien au contraire ! Les élites dirigeantes dans leur globalité vont s’employer à utiliser ce matériel étatique pour détruire tout ce qui reste de l’État régalien et par la même occasion briser le rêve de tout un peuple : celui de vivre dans la stabilité politique, la paix sociale, le progrès et la démocratie. Comment y sont-ils parvenus ? La réponse est simple comme bonjour.

Le Conseil Électoral Permanent (CEP) (Art. 191), prévu depuis ces quarante dernières années par les Constituants de 1987, n’a jamais été formé. Pire, et c’est le paradoxe le plus troublant, voire inquiétant pour la survie même de ce pays en tant qu’État démontrant à la fois l’incapacité et l’incompétence de ses élites dirigeantes, nous sommes toujours dans le provisoire. En effet, même un Conseil Électoral Provisoire (art. 289), selon des dispositions transitoires de la Constitution, qui devait organiser un unique scrutin afin de doter le pays de dirigeants élus, rétablir et instituer toute une série d’institutions régaliennes n’a jamais pu être constitué comme il a été énoncé 40 ans plus tôt. Cette insouciance de leur part a permis un délitement petit à petit du pays jusqu’à son effondrement avec pour conséquence la perte totale de toute autorité sur l’appareil de l’État. Résultat, depuis plus d’une décennie, la classe politique et les autorités haïtiennes se battent comme des diables dans un bénitier pour former un CEP provisoire de consensus, elles n’y arrivent toujours pas. Et pour cause!

Tout organisme électoral formé par un exécutif quelconque est récusé par le camp d’en face suivant le pouvoir en place. Avant le CEP provisoire de Leslie Voltaire sur lequel nous reviendrons certainement dans une prochaine chronique, le dernier vraiment constitué, mais immédiatement contesté, est celui du feu Président Jovenel Moïse. Il date du 22 septembre 2020. En fait, si les dirigeants haïtiens étaient cohérents et conscients de leurs responsabilités devant l’histoire et devant la nation en tant que politiques, notamment Jovenel Moïse arrivé à la présidence d’Haïti dans les conditions que tout le monde saît, – après plus de trois ans de campagne électorale- jamais il n’aurait dû reconstituer un nouveau Conseil Électoral Provisoire. Certains, à juste titre, ont déjà souligné cette faute et ce manque de vision politiques de Jovenel sur la question. Faisons un peu d’histoire.

Nous sommes le 7 février 2016, le Président Michel Martelly vient de quitter le pouvoir après une période plus que mouvementée avec une opposition vent debout en permanence durant tout son quinquennat. Durant les cinq années de sa présidence, jamais il ne parvint à former un CEP qui soit accepté par les oppositions. En fin de compte, il a dû, ce jour-là, céder l’écharpe présidentielle au Président de l’Assemblée Nationale, un certain Jocelerme Privert. C’est celui-ci qui lui succéda une semaine plus tard, soit le 14 février 2016. Faisant quasiment l’unanimité politique sur sa personne au sein de la classe politique à ce moment, cet ancien lavalassien va très vite, histoire de trouver un peu de sérénité politique et satisfaire du même coup toutes les oppositions qui croyaient en finir avec le candidat PHTK et du clan de Martelly, dissoudre le CEP contesté de Sweet Micky qui avait donné, dès le premier tour de la présidentielle de 2015, la victoire à Jovenel Moïse. Là encore, avec un semblant de consensus, il a eu le feu vert de tous pour nommer un nouvel organisme électoral. Tout le monde au sein la classe politique y compris d’ailleurs les phtkistes, paraissaient satisfaits et ravis d’un CEP, disait-on non partisan.

Sans plus tarder, les femmes et les hommes de ce nouveau CEP  allaient se mettre à l’ouvrage et allaient livrer une élection presque parfaite dans le cas d’Haïti. L’opposition anti-Martelly nourrit l’espoir que c’est elle qui sortira gagnante de ce scrutin par le seul fait que ce soit un membre de l’opposition, en l’occurrence Jocelerme Privert, qui est au Palais national. La déception fut grande. Non seulement le chef de l’État ne s’est point immiscé dans le processus, mais il n’a donné aucune consigne aux 9 membres du CEP présidé par le très consensuel Léopold Berlanger, un notable du monde des médias. Résultat, une fois encore, Jovenel Moïse fut le grand vainqueur du scrutin de novembre 2016 dès le premier tour.

Le Conseil Électoral Permanent (CEP) (Art. 191), prévu depuis ces quarante dernières années par les Constituants de 1987, n’a jamais été formé.

Pour la première fois dans l’histoire du CEP provisoire, si les élections ont été contestées comme toujours depuis 1987, en aucun cas, en revanche, l’intégrité de l’institution en elle-même n’a été mise en doute. Mieux, aucun des membres de ce CEP n’a été accusé de corrompu ou de partisan.  Signe que Jovenel Moïse obtenait là une occasion en or, s’il avait naturellement la capacité de comprendre que c’était le moment d’en finir avec le provisoire et même la Transition. Effectivement, celui-ci va rapidement rentrer dans le tourbillon de la contestation mené par le SPD de André Michel et les mêmes qui l’avaient combattu durant toute la saga électorale et vont finir par parasiter sa présidence et ensuite favoriser son assassinat plus de 4 ans plus tard.

Dans sa tentative de sauver son Administration, il allait se lancer dans des décisions assez périlleuses et hasardeuses à commencer par son projet de nouvelle Constitution et son ambition d’appeler le peuple en ses comices pour ratifier par référendum, cette nouvelle Charte fondamentale. Un cadeau offert à ses opposants dans la mesure où la seule chance qu’il avait pour réussir un seul de ces projets était celle d’utiliser le CEP provisoire de Léopold Berlanger pour leur réalisation. Sans doute mal conseillé, au lieu de confirmer dans ses fonctions l’équipe nommée par son prédécesseur, Jocelerme Privert, dont personne n’avait trouvé rien à dire et qui était disposée à travailler avec lui en tant que membres d’un CEP Permanent, ce d’autant plus qu’il disposait dans les deux Chambres du Parlement d’une majorité, certes relative, il n’avait trouvé rien de mieux à faire que de renvoyer dans son intégralité les 9 Conseillers électoraux. C’était la faute politique à ne pas commettre.

L’erreur monumentale d’un Président de la République qui n’avait aucune expertise dans la gestion politique. Le renvoi du CEP de Léopold Berlanger l’avait condamné à échouer et a en même temps placé le pays sur une trajectoire dangereuse. En cinq années de présidence, l’Administration Moïse n’a pu organiser le moindre scrutin. Pire que son mentor Martelly, puisque celui-ci, en dépit des manifestations et contestations quasi sans arrêt, avait réussi non seulement à former un CEP, certes contesté, mais à organiser le premier tour des élections générales dans le pays, bien entendu boycottées par certains et contestées par d’autres. Jovenel Moïse a mis deux ans à former un CEP provisoire qui n’a servi finalement à rien puisque personne ne le voulait surtout pour la mission qu’il lui avait confiée.

Ainsi, en tant que Président élu en fonction, il a battu son propre record d’immobilisme électoral. Evidemment, son CEP monté sans le consensus politique nécessaire était mort-né puisqu’on a affaire à des femmes et des hommes politiques qui ne se servent pas des erreurs des autres pour grandir. Ils préfèrent tous suivre la trajectoire de leurs devanciers qui les conduisent droit à l’échec et le pays au chaos. Le Premier ministre, Ariel Henry, qui a pris la suite du pouvoir en 2021 va commettre la même erreur politique et stratégique. Une lecture du passé qui le conduira droit dans une impasse politique et institutionnelle dans la mesure où, plus de deux ans après s’être installé à la tête du pays, et malgré le plein pouvoir qu’il avait, lui non plus n’a réussi à échapper à la malédiction que traine un Conseil Électoral en Haïti. Certainement, sans réfléchir sur les conséquences politiques que cela allait avoir sur le pouvoir dont il a hérité, il s’attaqua de plein fouet au CEP provisoire qui était en place.

En expédiant brutalement l’équipe qui, bon gré mal gré, faisait le paravent entre le vide et le néant, il finit par tomber dans le déni, puisque jusqu’au bout il y croyait ou faisait semblant d’y croire. Comme Jovenel Moïse, jamais il n’arriva à combler le trou avec un nouveau CEP de consensus. Comme un mauvais sort, depuis le jour où il a limogé les 9 membres du CEP du 22 novembre 2020, une pluie de contraintes politiques et sociales s’est abattue sur lui et son gouvernement malgré le soutien inconditionnel de ses alliés politiques intérieurs et extérieurs. Annoncé avec conviction à chaque détour d’une rencontre avec la CARICOM, le Haut Conseil de Transition (HCT), le BINHU et les autres entités politiques du pays, comme une arlésienne, le CEP d’Ariel Henry n’a jamais vu le jour.

Or, s’il n’avait pas procédé de la sorte, il aurait pu commencer à travailler avec le CEP de Jovenel tout en donnant des gages à ses alliés en faisant savoir qu’il s’agissait de l’intérêt d’Haïti et pour sauver la Transition. En se privant d’un organisme électoral même contesté, il a pris le risque de jouer à la roulette Russe : soit il parvenait à constituer son propre CEP, ce qui n’est pas arrivé, soit il tombait sous les critiques de ses opposants qui l’accusaient de vouloir garder le pouvoir en ne prenant aucune mesure susceptible de stopper l’insécurité pour pouvoir organiser des élections, ce qui a été le cas. En clair, il a perdu son pari. Résultat, lui et son gouvernement apparaissaient comme des profiteurs et des incapables. Finalement, l’on est retourné à la case départ.

Jusqu’à l’arrivée du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en avril 2024, le pays a recherché en vain un CEP afin de lancer un processus que tout le monde réclame mais, en vérité, que tout le monde redoute compte tenu de la conjoncture sécuritaire du pays. Dès la formation et l’installation du CPT comme organe politique exécutif sous l’impulsion de la Communauté internationale via la CARICOM après maintes rencontres à travers les États de la Caraïbe, l’élection redevient un leitmotiv qu’on entend dans toutes les discussions. D’ailleurs, l’Accord signé par l’ensemble des acteurs haïtiens sous l’hospice de la CARICOM le 3 avril 2024 en fait une priorité et une condition sine qua non pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Sauf que, pour arriver jusqu’à la passation du pouvoir à un Président élu et le rétablissement de toutes les institutions dysfonctionnelles, il y a un préalable : un Conseil Électoral crédible. Or, c’est là où le bât blesse ! Dans le cas haïtien, il ne peut avoir des élections quelles qu’elles soient sans passer par ce fameux organisme électoral qui aurait dû être depuis bien longtemps « Permanent » justement pour simplifier le processus jusqu’à l’installation des nouveaux élus. Problème, gouvernement n’arrive à trouver ni le bon chemin ni le bon procédé pour éviter non seulement les contestations des membres du CEP provisoire, mais surtout le scrutin lui-même, voire  la légitimité de celles et ceux qui sortiront des urnes. Une impasse !

 

C.C

 

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