Pour que Total cesse de financer le régime militaire en Birmanie, plusieurs militants ont organisé une action devant le siège du géant pétrolier. Ils réclament la mise sous séquestre des taxes et autres impôts que reverse Total à la junte birmane.
Un homme au crâne explosé. Un enfant allongé sur un lit d’hôpital, l’abdomen transpercé. Des funérailles, des gens en pleurs ou ensanglantés. Jeudi 25 mars, devant l’entrée de la tour du groupe Total à La Défense, une vingtaine de militants d’Extinction Rebellion et de l’ONG Info Birmanie ont affiché des dizaines de photos des violences commises contre des manifestants en Birmanie.
Leur but : demander au géant pétrolier de stopper le versement des taxes et impôts issus de son activité gazière à la junte birmane, responsable d’un coup d’État le 1er février dernier. Depuis ce jour, les Birmans se sont engagés dans un vaste mouvement de désobéissance civile violemment réprimé. Près de 275 personnes ont été tuées, 2.800 interpellées et 1.500 croupissent encore dans les geôles du régime militaire. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la Birmanie, Thomas Andrews, parle de « crimes contre l’humanité » et demande un sommet international d’urgence sur la situation dans ce pays.
Total : un important financeur de la junte birmane
Total, lui, avoue du bout des lèvres être « préoccupé » par la situation sans pour autant y restreindre ses activités. Le groupe, présent en Birmanie depuis 1992, exploite principalement les champs de gaz en mer Yadana et Sein, qui assurent la moitié de la consommation de gaz du pays. La compagnie avait eu recours au travail forcé dans les années 1990 pour construire le gazoduc permettant de transporter ce gaz. Pour éviter d’être condamnée, elle avait indemnisé les sept Birmans qui l’accusaient.
Depuis, la compagnie poursuit ses activités. Selon l’ONG Justice for Myanmar, Total a versé plus de 229 millions de dollars de taxes à l’État birman en 2019, dont 51 millions au ministère des Finances et 178,6 millions au Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE) contrôlé par les militaires.
En août 2020, sa filiale Moattama Gas Transportation Co, enregistrée aux Bermudes, a reçu le « prix du plus gros contribuable » dans la catégorie « entreprises étrangères ».
Les manifestants ainsi que le gouvernement démocratiquement élu demandent aujourd’hui à Total de placer l’argent de ces taxes dans un compte séquestre, en attendant le retour à la normale. Un communiqué signé par Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, la Ligue des droits de l’Homme, Info Birmanie, Notre Affaire à Tous, Sherpa et 350.org soutient cette revendication. Les organisations réclament également au gouvernement français de prendre des sanctions contre les dirigeants de la junte et contre les entreprises, notamment la MOGE, dont les revenus financent la répression. « Ne pas agir en ce sens revient à renforcer la junte dans sa volonté de se maintenir au pouvoir par la force des armes et au prix d’une répression sanglante », écrivent-ils.
Mais au-delà des considérations morales, Total pourrait être accusée de complicité de crimes contre l’humanité, dit à Reporterre Vincent Brossel, membre d’Info Birmanie. « L’Union européenne a pris des sanctions contre une liste de plusieurs généraux birmans. Dans son texte, il est précisé qu’il “interdit aux citoyens et entreprises de l’UE de mettre des fonds à disposition des personnes et entités inscrites sur cette liste”. On sent que Total est fébrile et se rend compte que les accusations de crime contre l’humanité sont sérieuses et pourraient avoir des répercussions pénales. »
D’autres entreprises françaises travaillent encore avec la junte
Total n’est pas la seule entreprise à poursuivre son activité en Birmanie. L’ONG Justice for Myanmar a démontré les liens entre le Crédit Agricole et la société sud-coréenne Posco, qui collabore avec la junte birmane pour des projets gaziers dotés d’une garantie de cinquante millions de dollars américains (42 millions d’euros). Le groupe Accor continue d’exploiter des hôtels dans le pays, notamment par l’intermédiaire de Max Myanmar Group. Cette entreprise locale est accusée par des experts de l’ONU d’avoir aidé l’armée à construire des infrastructures empêchant le retour des Rohingyas sur leurs terres de l’État de Rakhine après les persécutions de 2017.
Reporterre 25 mars 2021