Dans les rues dévalent les mémoires rougies des martyrs oubliés. Seuls les conservaient encore d’opiniâtres œillets dans la touffe de leurs pétales sanglants.
Les guerres conduisent aux guerres, du plus lointain que l’olivier se souvienne. Les mouettes sur le môle jacassent et les racontent. Hier, un drone a changé en poussière fine le fileyeur d’un pêcheur parti du port de Rimal, des vagues en colère se sont écartées puis se sont repliées pour accueillir l’homme disloqué.
Des déchirures fugaces dans le temps donnent parfois naissance à des printemps lumineux où s’accordent les astres pour danser sur une musique composée dans un langage neuf.
Dans peu de jours, le deux avril, les papillons hébétés de lumière défroisseront leurs ailes à Kobeyat pour rappeler aux collines boisées que tu y as vu le jour il y a soixante-dix ans. Les jardins se sont agrandis, l’enfance s’est élevée à la cime des cèdres. Le lieu, ses peupliers enveloppés d’un vert rajeuni, les chevaux au cœur bondissant soupirent sans comprendre ton exil et attendent ton retour.
La terre de ton pays, le Liban, enivrée du parfum du lilas, risque de se pétrifier si dure encore ton absence. Les jeunes épis se dresseront pour te réclamer.
Les principes de justice sociale que tu as défendus et que tu incarnes ne souffrent pas de ton enfermement.
Une jeune femme est venue te le confier.
Là où te garde l’ennemi.
Le dragon que tu as combattu projette ses tentacules jusqu’au pied des montagnes des Pyrénées. Lannemezan abrite une hétérotopie. Une anfractuosité dans l’espace-temps où tu es retenu pour n’avoir pas convenu que le plus fort en armes sophistiquées peut dominer, asservir, exploiter voire néantiser sans que le plus faible ne lui rétorque qu’il n’est pas invincible. Que sa fragilité est proportionnelle à l’inverse du carré de son extension spatiale et de sa démesure technocratique.
On se souviendra de la France, éphémère patrie des Droits de l’homme, comme ayant été le pays qui aura accordé la libération de Papon, insigne criminel collaborateur des nazis, et continue de la refuser à Georges Ibrahim Abdallah, un Résistant arabe, le plus ancien prisonnier politique en Europe.
Ton pays, création mal intentionnée de l’ancien occupant français, vient à toi !
Il a dépêché une ministre de la Justice te visiter et tenter de réparer l’injustice commise par tes geôliers. Les gardiens à ta porte ont inventé à ton propos la catégorie des Prisonniers Longue
Durée car pour eux l’insolente résistance à une armée d’envahisseurs est inexpiable et doit être punie par une incarcération à vie.
Inhumaine et piètre mesure à la fois.
Les principes de justice sociale que tu as défendus et que tu incarnes ne souffrent pas de ton enfermement. Ils se sont fortifiés dans le limon de tes années en prison, se sont élevés dans l’azur, voyagent sur le vent des révoltes et fertilisent la conscience que l’humanité résulte du déploiement de la solidarité et de la compassion. Ils nous nourrissent.
Tes geôliers, enrôlés comme supplétifs de l’armée des envahisseurs au Proche-Orient, ne répandent que ruines et désolations. En obéissant aux ordres explicites de la puissance autrefois hégémonique étasuno-israélienne de te garder en dépit des règles de leur système juridique qui te rendent libérable depuis maintenant vingt-deux ans, ils confirment leur position subalterne. Leur impéritie révélée en toute occasion et particulièrement dans leur incapacité à juguler la diffusion d’une maladie virale est en voie de devenir légendaire.
Seront-ils capables d’entendre le sens de la demande ‘Qu’ils signent l’arrêté de ton expulsion’ ? Malgré les 37 ans passés derrière les barreaux de leur prison, tu es un étranger qui revendique simplement que lui soit appliquée une décision d’interdiction de séjour sur le territoire français.
Il est hors de propos de marchander ta libération en échange d’un quelconque reniement.
Les cyprès se rompraient, les gazelles se consumeraient de détresse si par mésaventure, on se risquait à troquer la force des coquelicots nourris aux nuits de tes refus contre un rêve brisé.
Mars fut un mois funeste. L’Irak a été envahi le 19 en 2003, la campagne de destruction aérienne de la Libye a été entamée le 19 en 2011. Le 15 mars 2011 ont débuté à Damas les manifestations contre la répression à Daraa, prélude à une guerre internationale menée contre la Syrie. L’Occident vénère à la suite des Romains le dieu Mars. D’abord divinité de la végétation et de l’agriculture, il fut élu comme celui de la guerre. Cette évolution suit de près l’activité principale des citoyens qui va devenir un empire étendu à tout l’espace méditerranéen. L’Occident depuis son développement de l’industrielle capitaliste a institué un état de guerre permanent.
Liban renoue avec son passé d’un pays fier de la mosaïque de sa population et défenseur farouche de toutes ses composantes.
C’est aussi le mois où dans notre hémisphère la vie décide de se réveiller d’une longue hibernation. Nous lutterons avec plus de vigueur encore contre l’impérialisme et l’un de ses avatars, le sionisme implanté comme forme de régression politique dans l’Orient arabe même s’il n’y limite pas ses effets puisque l’Afrique et l’Amériques latine en pâtissent.
Ce 19 mars, en se rendant officiellement auprès de toi, le Liban renoue avec son passé d’un pays fier de la mosaïque de sa population et défenseur farouche de toutes ses composantes.
Tu en es, Georges, communiste révolutionnaire antisioniste, l’un des fils les plus valeureux.
Kobeyat dissimule sa langueur à t’attendre et s’active à préparer le Lebné frais et goûteux pour le repas de ton anniversaire.
Bien à toi,
En fidélité à nos peuples meurtris
Dans notre ambition partagée pour l’émancipation de tous les peuples.
Badia Benjelloun
Le 21 mars 2021