Les douze derniers mois resteront dans l’Histoire comme l’année qui a mis fin au prétendu « processus de paix » parrainé par les États-Unis.
Bien que 2021 ne verra pas de changement notable de la politique des États-Unis en Palestine, en Israël et au Moyen-Orient, elle offre aux Palestiniens l’occasion de penser en dehors du cadre étasunien.
L’année 2020 avait commencé par une incontestable offensive américaine pour traduire son discours politique en actions décisives. Le 28 janvier, le ainsi-nommé « Accord du Siècle » est devenu une véritable doctrine politique et un nouveau lexique s’est très vite imposé. Le prétendu « processus de paix » qui avait dominé le discours de Washington sur plusieurs décennies, semblait jeté aux oubliettes.
Comme l’Autorité palestinienne avait tout ce temps façonné sa propre stratégie pour répondre aux desiderata et exigences des États-Unis, le changement de cap de Washington lui laissait très peu de choix.
Le 1er février passé, le « président » de l’AP, Mahmoud Abbas, déclarait qu’il coupait tous les liens diplomatiques avec Israël et les États-Unis. Le mois de mai qui suivait, il annonçait que les dirigeants palestiniens annulaient tous les accords entre eux et Israël, y compris les liens de collaboration répressive.
Toutefois, si cette décision a pu calmer le ressentiment des Palestiniens, elle n’a été d’aucun effet pratique et n’a été maintenue que sur une courte durée [pour autant qu’elle ait été appliquée – NdT]. Le 17 novembre, l’AP a annoncé qu’elle avait repris tous les liens policiers et civils avec Israël, sabordant ainsi de fait ainsi la reprise de pourparlers entre le Fatah et le Hamas.
Ces pourparlers avaient débuté en juillet et, au contraire des réunions qui avaient précédé, les deux principales organisations palestiniennes semblaient en accord autour d’un ensemble d’axes politiques, parmi lesquels figurait leur rejet de « l’accord du siècle » et des plans israéliens d’annexer de larges parts des territoires palestiniens sous occupation.
même les alliés européens de l’AP ne considèrent guère Abbas et son administration comme une priorité.
En dernière analyse, l’AP, largement déconsidérée aux yeux des Palestiniens, a perdu le peu de crédibilité dont elle disposait encore aux yeux de ses rivaux. Abbas semblait se servir des pourparlers sur l’unité comme d’un moyen d’avertir Washington et Tel-Aviv qu’il avait encore à sa disposition quelques cartes politiques.
Mais si les dirigeants palestiniens ont réussi par le passé, et depuis sa création en 1994, à « jouer la montre » en garantissant ainsi le flux d’argent extérieur, cette stratégie arrive maintenant à ses limites. Les priorités des États-Unis au Moyen-Orient ont incontestablement changé et même les alliés européens de l’AP ne considèrent guère Abbas et son administration comme une priorité.
Une Union européenne affaiblie par le départ de la Grande-Bretagne et le brutal impact économique de la pandémie de la Covid-19, a repoussé la Palestine au pied de l’échelle des priorités occidentales.
Si 2021 doit apporter un changement positif dans la lutte palestinienne pour la liberté, de nouvelles stratégies doivent être définies et adoptées. La réflexion devrait s’orienter complètement vers de toutes nouvelles perspectives politiques.
Pour débuter, l’unité palestinienne doit être redéfinie de façon à ne pas se limiter à un simple contrat politique entre les organisations rivales du Hamas et du Fatah, chacun étant motivé par son propre programme et son propre souci de préservation.
L’unité doit être élargie pour s’étendre jusqu’à un dialogue national impliquant tous les Palestiniens – en Israël [Palestine de 48] et dans les territoires occupés ainsi que dans la diaspora – lesquels devraient avoir un rôle dans la formation d’une nouvelle vision palestinienne pour leur pays, en dépassant l’esprit factionnel.
Cette nouvelle vision devrait être développée et formulée en remplaçant les clichés éculés, les dogmes et les vœux pieux. Une solution à deux États, par exemple, est tout simplement irréalisable, non seulement parce qu’Israël et les États-Unis ont fait tout leur possible pour l’enterrer, mais parce que, même si elle était mise en œuvre, elle ne répondrait pas aux attentes minimales des Palestiniens en termes de droits légitimes. Dans un scénario à deux États, les Palestiniens resteraient géographiquement et politiquement éclatés, et aucune mise en œuvre réaliste et juste du Droit au retour ne pourrait voir le jour.
Un « État démocratique unique » en Palestine et en Israël ne peut pas remédier à toutes les injustices du passé, mais c’est le seuil le plus porteur de sens pour imaginer un avenir possible, et certainement meilleur, pour tous les peuples vivant entre le fleuve Jourdain et la mer [Méditerranée].
De plus, la dépendance obsessionnelle à l’égard de Washington comme seule protagoniste capable d’assurer la médiation entre Israël et les Palestiniens doit cesser. Non seulement les États-Unis ont démontré leur manque total de crédibilité par leur soutien militaire et politique sans limites à Israël, mais ils se sont également positionnés comme un des premiers obstacles sur la voie de la liberté et de la libération des Palestiniens.
Il incombe aux dirigeants palestiniens de comprendre que l’équilibre des forces au niveau mondial est en train de changer fondamentalement et que les États-Unis et Israël ne sont plus les seules puissances dominantes au Moyen-Orient.
Il est temps pour les Palestiniens de diversifier leurs options, de renforcer leurs liens avec les puissances asiatiques montantes et de tendre la main aux pays d’Amérique du Sud et d’Afrique pour inverser leur dépendance politique et économique totale à l’égard des États-Unis et de leurs alliés.
De plus, bien que la résistance populaire en Palestine se soit constamment exprimée sous diverses formes, elle doit encore se transformer en plateforme de résistance durable pouvant se traduire en capital politique. L’année dernière a débuté avec le gel des manifestations de la Grande Marche du Retour de Gaza, qui a rassemblé des dizaines de milliers de Palestiniens dans une démonstration historique d’unité.
Cependant, les Palestiniens de Cisjordanie occupée tentent désespérément de naviguer entre deux systèmes de contrôle qui se chevauchent : l’occupation israélienne et l’Autorité d’Abbas. Cette situation a pour effet de marginaliser le peuple palestinien et de l’empêcher de jouer un rôle clé dans l’élaboration de sa propre lutte.
La résistance populaire doit servir d’épine dorsale à toute véritable vision palestinienne pour la libération. Enfin, pour que le nouveau discours politique palestinien ait un écho international, il doit être soutenu par un mouvement de solidarité à l’échelle mondiale qui se mobilise derrière un programme palestinien unitaire, tout en défendant les droits des Palestiniens aux niveaux de la ville, de l’État et du pays.
L’attaque à grande échelle des États-Unis et d’Israël contre le Mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est l’illustration du succès de cette tactique pour imposer un changement de discours sur la Palestine et Israël.
ce mouvement ne devrait pas se concentrer uniquement sur les campus universitaires et les cercles intellectuels.
Cependant, bien qu’il existe déjà dans le monde entier une base solide de solidarité à l’égard des Palestiniens, ce mouvement ne devrait pas se concentrer uniquement sur les campus universitaires et les cercles intellectuels. Il devrait s’efforcer d’atteindre tout un chacun, où qu’il se trouve.
Il est vrai que 2020 a été une année dévastatrice pour la Palestine, mais une analyse plus poussée nous permettrait de comprendre qu’elle offre un champ de possibilités pour qu’un tout nouveau discours politique palestinien soit construit.
Chronique de la Palestine 8 janvier 2021