Il est temps de réallumer l’espoir. L’obsolescence de la domination du système de la double oligarchie, c’est-à-dire l’ « élite politique » et l’ « élite économique », sur la société haïtienne, a historiquement démontré, et suffisamment prouvé, son incapacité à endiguer la faillite du pays, sa lente descente en enfer. Depuis l’arrivée au pouvoir de la droite, du Parti Haïtien des Tèt Kale (Crânes rasés) ou PHTK, la situation générale s’est considérablement aggravée.
Si les gouvernements antérieurs et actuels sont incapables de résoudre les problèmes majeurs qui accablent le pays, il s’avère, jusqu’à présent, que les partis politiques n’ont souhaité que des changements de régime ou le remplacement de gouvernements. En fait, ces partis rabâchent les mêmes idées qui ont dominé la scène politique depuis ces dernières décennies, à savoir celles qui ont conduit le pays à la banqueroute. Ils représentent, dans la pratique, le système politique qui offre aux oligarques, tant nationaux qu’internationaux, toute la latitude pour contrôler et orienter l’économie et les politiques publiques.
Au niveau du discours destiné à la population, ce système apparait comme une démocratie, mais en ce qui a trait à la forme et au contenu, il est une oligarchie, une dictature du marché. Les appareils et les acteurs de ce système étatique, pourris de la base au sommet et viscéralement improductifs, se reproduisent selon les intérêts historiques des classes dominantes ainsi que des luttes hégémoniques en leur sein.
Le système politique est soumis à l’oligarchie politique et économique en raison premièrement du déplacement de certaines décisions stratégiques de l’État vers des individus ou des groupes puissants de l’oligarchie économique, des ambassades étrangères et du Core group. Deuxièmement, en raison de la corruption au sein du parlement haut lieu et repère de bandits, de trafiquants d’armes et de drogues. Ce système oligarchique correspond exactement aux intérêts des mafias, à la généralisation de la corruption et de l’incompétence.
Au fond, le système politique actuel, en continuité avec les régimes précédents, se caractérise par une mainmise du pouvoir exécutif par les présidents Martelly et Moïse qui ont été imposés au peuple au travers d’élections frauduleuses sous la houlette des impérialistes traditionnels, à savoir les États-Unis, la France, le Canada. Dans le cadre de ce système de tractation politicienne, de marchandage de postes par les parlementaires et autres personnalités de l’oligarchie, les premiers ministres, ne semblent jouer qu’un rôle de valet de service, éjectable au gré des évènements.
Ce système politique cadavre ne saurait apporter rien de tangible, de déterminant au peuple haïtien, aux revendications populaires, malgré la somme de privilèges octroyés aux parlementaires, aux membres du pouvoir exécutif, à leurs familles et à leurs ami.e.s. Selon un article du nouvelliste en ligne : https://lenouvelliste.com/article/144208/la-nature-du-dilemme-haitien, au cours des vingt-cinq dernières années « pas moins de 30 milliards de dollars auraient été dépensés pour résoudre une crise récurrente. » Mais, les tenant.e.s de la bureaucratie d’État grugent l’argent des fonds publics et accélèrent la débâcle du pays. Exemple récent, « avec des frais journaliers (perdiem) de vingt mille (20 000) dollars américains […] 40 voyages à l’étranger ont permis au président Martelly d’encaisser personnellement la rondelette somme de trois millions huit cent vingt mille (3 820 000) dollars américains. Nos estimations conservatrices concernent uniquement les frais journaliers (perdiem) collectés. ». Source : https://canada-haiti.ca/content/3-820000-us-diem-pour-les-fabuleux-40-voyages-de-michel-martelly-aux-frais-de-la-princesse
Ainsi, toute personne observatrice et analyste, tant soit peu vigilante, pourrait constater, globalement, en Haïti, l’existence de trois groupes de gens dans ce système politique. D’une part, les hommes et les femmes au pouvoir qui pillent les caisses de l’État. D’autre part, les hommes et les femmes de l’opposition qui n’ont pas accès aux caisses de l’État, mais tentent par tous les moyens de s’en accaparer. Enfin, les travailleurs, les travailleuses et le peuple qui ne peuvent pas avoir accès aux caisses de l’État, n’en aspirent pas, mais les remplissent, tant bien que mal, avec la force de leur courage.
Afin de maintenir le système politique oligarchique, le régime Tèt Kale de Moïse/Céant ordonne non seulement à la Police nationale d’Haïti (PNH) d’étendre la répression dans les quartiers populaires, mais utilise aussi des escadrons de la mort, dont l’un connu sous le nom « solution PHTK », pour assassiner le peuple. Parallèlement, il instrumentalise les gangs armés. Tout le monde sait dans le pays que les armes et les munitions sont acheminées dans les quartiers populaires par des voitures officielles.
les partis politiques représentent, dans la pratique, le système politique qui offre aux oligarques, tant nationaux qu’internationaux, toute la latitude pour contrôler et orienter l’économie et les politiques publiques.
Cependant, de nombreuses organisations progressistes s’élèvent pour dire que la crise haïtienne relève de facteurs structurels et qu’à défaut de s’y attaquer, une explosion sociale est inévitable. Il est venu le temps de nettoyer le système politique de ces politiciens corrompus et incapables, de nous débarrasser des partis politiques alliés au PHTK ou toute autre formation politique du même acabit, de la corruption et de l’inaptitude du système politique oligarchique. Il est, donc, venu le temps de changer de système politique. Ainsi, la transformation de ce système est devenue une question de vie ou de mort pour le peuple haïtien. Le mouvement citoyen, populaire et la vraie gauche ont donc intérêt, à court terme, à continuer la mobilisation contre la corruption et à exiger :
1-Des justificatifs fiscaux de tous les biens des dirigeant.e.s de la bureaucratie d’État ;
2-L’examen des comptes bancaires haïtiens et étrangers des membres de l’oligarchie politique, des tenant.e.s du pouvoir d’État, par des commissions, indépendantes des structures étatiques, composées de personnes intègres provenant de diverses organisations populaires, féministes, syndicales, paysannes, universitaires et des droits humains etc. Ces commissions devront également mener un contrôle judiciaire rigoureux du dossier de chaque membre des futurs gouvernements ainsi que des dirigeant.e.s et gestionnaires de l’argent public.
3-L’arrestation, le jugement et la condamnation des corrompu.e.s : Présidents, premiers ministres, ministres, secrétaires d’État, directeurs/directrices généraux, sénateurs/sénatrices, député.e.s, dirigeant.e.s d’organismes publics et d’entreprises privées qui ont participé au cours des trois dernières décennies aux dilapidations des fonds publics et à la généralisation de la corruption au sein de l’État. Tout cela en confisquant leurs biens et en les emprisonnant.
Parallèlement, le mouvement citoyen et populaire ainsi que les organisations véritablement « progressistes », crédibles, pourraient concevoir des cahiers de charge visant la transformation du système politique oligarchique. Ainsi, avec leurs cahiers de charge le mouvement populaire et les organisations progressistes entameront une dynamique de changement du système politique oligarchique et créeront les modalités d’un vrai contre-pouvoir afin de participer directement à la prise de décisions et la divulgation des lois.
Des transformations institutionnelles pourront se décliner de la manière suivante :
1-La mise pied d’une assemblée constituante avec pour tâche la rédaction d’une nouvelle constitution ;
2-La promulgation d’une loi sur le recours au referendum en ce qui a trait aux grands projets économiques, politiques et sociaux afin que les citoyens, citoyennes soient toujours informé.e.s dans la transparence ;
3-La création d’assemblées populaires auto-administrées dans les villes et campagnes en lien avec les assemblées des villes et des assemblées des Sections Communales (ASEC) investies d’un pouvoir décisionnaire et de contrôle.
Ces transformations pourront s’accompagner régulièrement de pétitions selon les rapports de force entre les classes populaires, l’oligarchie et l’État. À cette ligne tactique, au sein du système politique oligarchique, s’ajouterait une nouvelle ligne d’action collective sous la forme concrète de mobilisation et de doléances issues directement des jeunes, des femmes, des travailleurs/travailleuses, des ouvriers/ouvrières, des classes moyennes pauvres, des paysans/paysannes, etc.
Ce chemin de la démocratisation s’articulerait, d’un côté par la remise en question des lois injustes existantes, car elles ne correspondent plus à l’étape de lutte historique du peuple haïtien. De l’autre, il permettrait d’imaginer de nouvelles lois réalistes, soutenant la quête de liberté, de participation collective et d’égalité.
Cette visée d’une rupture avec le système de la double oligarchie (économique et politique) pose d’emblée la question de la « révolution », c’est-à-dire d’un changement global, fondamental et radical. Ces transformations globales, fondamentales ne peuvent provenir que du mouvement social citoyen revendicatif qui s’auto-organise, s’auto-constitue, en cherchant à comprendre, à expliquer à la population, tout en démêlant, à travers des débats publics, les contradictions qui traversent cette dynamique de transformation révolutionnaire.
Ces axes de lutte encourageront le peuple, dans son ensemble, à agir collectivement, à développer une pensée collective et à générer des institutions qui permettront, aux femmes et hommes en lutte, de participer aux débats et aux codécisions concernant la mise en pratique de lois garantissant la liberté et l’égalité.
Cela dit, il est nécessaire de construire maintenant dans la lutte une convergence des progressistes autour d’un programme minimum. Sans une analyse lucide, compte tenu, des expériences latino-américaines, la gauche unifiée ne pourra pas transformer le système de la double oligarchie. Plusieurs précautions sont à méditer dont principalement la tentation de mettre sur pied une gauche électoraliste.
Première précaution, le danger de la conquête du pouvoir qui installe dans un certain confort les cadres et les militant.e.s qui penseraient que l’État serait une grosse vache qui devrait avoir une mamelle pour chaque bouche. Situation qui pousserait ces dernier.ère.s à abandonner le mouvement social et populaire.
Deuxième précaution, les écueils des rapports de force politique au sein du système politique oligarchique, des structures de l’État en tant que telles. C’est-à-dire espace de pouvoir où les prises de décisions sont détenues par des acteurs/actrices socio-économiques de l’oligarchie et de la classe politique traditionnelle. Acteurs/actrices qui ont dans leurs mains les vrais leviers du pouvoir puisqu’ils sont mandataires des banques, des entreprises (nationales et transnationales) et des narcotrafiques.
Troisième précaution, les risques objectifs de confrontation à la mécanique du pouvoir. Sachant, à travers les différentes expériences historiques du peuple haïtien, les capacités des tenant.e.s du système politique oligarchique à détruire, à manipuler, à anéantir toute velléité de progrès et d’indépendance dans la mise en place de politiques publiques nationales en faveur des défavorisés.es.
la question est de savoir comment le mouvement social et la question politique se constitueraient en des lieux de contre-pouvoirs ou en capacité politique autonome.
Pour les progressistes, la véritable gauche, pas celle du capital, les tâches sont immenses. Oser changer le système politique oligarchique amène à penser, en même temps, la construction des alternatives. Pour ce faire les progressistes, la gauche sincère, doivent mettre de côté les chicanes interpersonnelles, de « chapelle » et réfléchir sur des questions d’ordre tactiques et stratégiques.
Dans la culture traditionnelle des gauches, réduire l’État à cette instance unique où les problèmes se règleraient, conduit, avec certaines nuances, selon les forces en présence, à négliger la construction, la refondation et la dissémination d’alternatives concrètes existantes au sein même du peuple. La lutte pour renforcer l’agriculture paysanne, la production nationale, la refondation des lakous, la construction de l’autonomie et des contre-pouvoirs populaires, des coopératives repensées à la lumière des connaissances d’aujourd’hui, etc., permettront de constituer un rapport de forces réelles face au système oligarchique.
Dans cette perspective, la question est de savoir comment le mouvement social et la question politique se constitueraient en des lieux de contre-pouvoirs ou en capacité politique autonome. Il s’agit, également, de comprendre comment les individu.e.s peuvent changer leur subjectivité, au fur et à mesure de leur engagement dans la dynamique de transformation de leur pays et de la libération du monde.
Vue sous cet angle, cette modification, en une force politique unifiée, passe par l’aptitude à produire les connaissances indispensables au dépassement des limites de chacun/chacune de nous, à la compréhension du capitalisme globalisé, financiarisé et cybernétique en vue de le transformer. En d’autres mots, mettre en mouvement sa capacité à se projeter dans un avenir qui déboucherait sur du commun. Les progressistes haïtiens doivent maintenant et sans relâche mener un travail fondamental, efficace, au sens de l’organisation politique, socio-économique et idéologique du peuple soumis, et donc vulnérable, à toute la propagande des appareils idéologiques bourgeois qui continuent de dominer notre peuple.