Notre crayon n’a pas de gomme!

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Rien, rien ne pourrait être pire que la sauvagerie duvaliériste

Par Junold Saint-Cyr

 

Hier, une entrevue avec un journaliste de la Voix de l’Amérique largement diffusée sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, une adresse à la nation dans la foulée du  «dechoukaj» qui a fait tomber la tête du très inefficace Premier ministre Jack Guy Lafontant suite à l’augmentation déraisonnée  des coûts du carburant sur le marcher national. À regarder aller François Nicolas Duvalier, il semblerait bien que les duvaliéristes aient déjà trouvé en lui leur candidat pour les prochaines élections présidentielles, même quand le principal concerné n’a encore fait aucune annonce formelle en ce sens. Ce n’est qu’une question de temps.

En effet, on peut justement se demander quel serait l’objectif de cette adresse à la nation si ce n’était pas dans l’optique de se positionner comme acteur sur l’échiquier politique national ? Ce qui nous interpelle dans la démarche de l’individu, c’est cette posture de jeune leader moderne et rassembleur qu’il semble vouloir se donner pour plaire et  conséquemment nous amener à oublier les exactions et les multiples violations des droits humains dont son grand-père et son père se sont rendus coupables. À cela, nous souhaiterions lui dire d’ores et déjà que le peuple haïtien n’acceptera que personne vienne réécrire l’histoire pour lui faire croire que la situation du pays était meilleure avant. Ni faire passer des assassins monstrueux pour des grands nationalistes défenseurs du peuple. Car rien, mais rien, ne pourrait être pire que la sauvagerie duvaliériste. Dans ce sens, notre crayon n’a pas de gomme et aucune concession ne pourrait être accordée à un système marqué par l’obscurantisme poussé à l’extrême, la terreur, les assassinats politiques et le vol caractérisé des fonds publics.

Si aujourd’hui Haïti patauge dans le «trou à merde» de la misère abjecte, le duvaliérisme est en grande partie responsable. Car même après sa chute, et digérant fort mal la gifle populaire de 1986, le secteur macouto-duvaliériste a toujours manœuvré pour torpiller le processus démocratique en perpétrant nombre de massacres et en soutenant des coups d’État. Un nazi reste un nazi. Un esclavagiste reste un esclavagiste. Cela ne saurait être différent pour un duvaliériste, peu importe la portée de son discours. Le duvaliérisme ne gouverne que par l’autoritarisme. Jeunesse de mon pays, prenez donc garde au discours mielleux et faussement rassembleur de ce rejeton balancé au devant de la scène et qui tente une rédemption pour un régime démoniaque, responsable des pires atrocités.

Essayons d’imaginer ensemble que les ouvrages, entre autres, « Radiographie d’une dictature » de Gérard Pierre-Charles et « Fort-Dimanche, fort la mort » de Patrick Lemoine étaient étudiés et commentés dans nos écoles dès le secondaire. Imaginons que la prison de Fort-Dimanche, ce lieu sinistre de tortures et d’exterminations n’avait pas été rasée mais qu’on l’avait plutôt transformée en lieu de mémoire pour que les générations futures se souviennent de l’horreur. Imaginons un instant que la justice haïtienne avait été en mesure, par des procès retentissants, de condamner les bourreaux et leurs complices pour crime contre l’humanité, et aussi permettre de dédommager les victimes. Si tout ce travail avait été fait, le petit-fils du tyran se terrerait dans la honte de porter un patronyme entaché de sang d’un psychopathe sanguinaire, agent de la CIA, traître à sa patrie et initiateur d’une dynastie dictatoriale massacreuse de près de 50 000 de nos compatriotes, hommes, femmes, enfants, vieillards…

« Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves », disait Martin Luther King. Ce qui se profile lentement mais sûrement à l’horizon c’est la projection de cette idéologie déshumanisante comme une alternative politique au PHTK et à la mal nommée «opposition démocratique et populaire». « Pitit tig se tig », dit le dicton. Nous ne croyons guère au renouvellement démocratique de l’idéologie duvaliériste qui n’a jamais manifesté de compassion pour le peuple haïtien. Aussi, sommes-nous consternés de voir avec quelle légèreté les nostalgiques du régime « peze souse » tentent de comparer l’incomparable dans leurs démarches de séduction : « sou Duvalier peyi a te pi bon ».

La vérité est prise en otage. L’histoire est tronquée. Falsifiée. On confond allègrement la paix de cimetière à la sécurité, ne comprenant pas que sous cette apparence de paix sociale se lamentait une société tyrannisée, étranglée par un régime totalitaire. Certains appellent même au retour du terrorisme d’État pour mater l’homme haïtien devenu trop revendicateur. Il faut vite remettre le « baboukèt » à la parole libérée. Il faut de nouveau instaurer la terreur en créant une nouvelle milice répressive. Il faut un chef suprême ayant droit de vie et de mort sur chaque haïtien.

La démocratie. Les droits de l’homme. La liberté. Ce n’est pas pour nous. Il faut revenir à l’état de la bête. Le seul état qui nous sied parfaitement bien. Nous estimons très dangereux ce discours que l’haïtien ne peut fonctionner correctement que sous un régime dictatorial. Les acquis démocratiques sont des trésors que nous devons préserver à tout prix. Notre envolée sur le chemin du développement, si on s’en donne les moyens, passe inévitablement par le renforcement de ces acquis.

L’école haïtienne, malheureusement, n’a jamais joué pleinement son rôle de gardien de la mémoire collective. La preuve, des étudiants de l’école de droit des Gonaïves, sans aucune gêne, avaient choisi en 2011 l’ex-dictateur et président à vie Jean-Claude Duvalier comme parrain de leur promotion. Les jeunes générations sont sans repères historiques. Donc facilement manipulables par des duvaliéristes aguerris. Cette tranche d’histoire n’étant pas enseignée, ce qui était hier intolérable devient aujourd’hui souhaitable.  Le duvaliérisme qui, pendant 29 ans de règne, a étouffé dans le sang avec une barbarie sans nom la voix des progressistes porteurs d’espoir et de changement est définitivement en mode come back.  Après l’aventure « Sweet-Micky », le scandale Petro caribe et la venue de « Nèg Bannan Nan » qui s’avère être un bonimenteur, il nous faut un réveil citoyen dès aujourd’hui et s’armer de vigilance pour éviter que nous-mêmes et la génération post 86 qui n’a pas vécu cette période horrible de notre histoire nationale ne soyons pas plus… bananés.

 

Junold Saint-Cyr.

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