A quand le Conseil Électoral Permanent ?

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Le CEP que dirige Léopold Berlanger dont la majorité des membres, sinon tous, se sont portés candidats à leur succession puisqu’il n’existe aucune loi leur interdisant de le faire..

Depuis la fin du processus électoral de 2017 ayant conduit Jovenel Moïse à la présidence d’Haïti, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) se fait discret. La presse n’en parle qu’épisodiquement. Pour autant, Léoporld Berlanger, le Président, et les huit autres membres poursuivent leurs activités au sein de cet organisme appelé à devenir permanent depuis plus de trente ans. Oui, depuis plus de trois décennies le CEP devait sortir du provisoire afin de prendre sa vitesse de croisière pour consolider la démocratie haïtienne qui souffre de ce provisoire « permanent ». Le candidat Jovenel Moïse s’était juré que c’est l’une de ses priorités. Une fois élu, le CEP devrait vite devenir le Conseil Électoral Permanent, en clair institutionnaliser cet organisme qui est malheureusement une des sources de conflits  politico-institutionnelles dans le pays. Plus d’une année plus tard, où en est la présidence de Jovenel Moïse avec la mise en place du Conseil Électoral Permanent ?

Il est facile de répondre à cette question. Elle est au point mort ou pour être honnête, les pouvoirs publics font du surplace avec ce dossier. Il faut dire qu’en Haïti, les autorités ont le plus grand mal à rendre effectives, pérennes et fonctionnelles les institutions. Le Conseil Électoral Provisoire est le plus bel exemple de cette léthargie. Prévu dans la Constitution de mars 1987 pour organiser un unique scrutin présidentiel avant de devenir permanent, le CEP provisoire est à son énième élection. Sa constitution a même subi une modification pendant l’amendement raté de la Constitution en 2010/2011 sans jamais se voir obtenir un statut définitif à cause des conflits politiques, institutionnels et le peu d’empressement des dirigeants gouvernementaux à transformer ce provisoire en permanent. Si la majorité des chefs d’Etat qui se sont succédé au Palais national n’ont pas eu l’opportunité de finaliser ce dossier, certains ont eu tout même tous les moyens politiques et institutionnels pour le faire. Peine perdue ! Le pays court toujours après un CEP permanent.

depuis plus de trois décennies le CEP devait sortir du provisoire afin de prendre sa vitesse de croisière pour consolider la démocratie haïtienne qui souffre de ce provisoire « permanent ».

Comme on peut le constater, toujours rien. Jovenel Moïse qui fut une victime de ce système provisoire devrait être l’un de ceux à vouloir y mettre fin avec le plus d’acharnement. Car il aurait suffi d’un rien pour qu’il ne soit pas à la fonction qu’il occupe depuis plus d’une année. Fonction d’ailleurs  toujours contestée par une partie de l’opposition dont le parti Fanmi Lavalas de Jean-Bertrand Aristide et du Dr Maryse Narcisse et l’organisation politique Pitit Dessalines, branche Jean-Charles Moïse. Or, curieusement, comme tous ses prédécesseurs, le Président de la République prend son temps. C’est vrai il a encore du temps devant lui. Combien de temps ? Personne ne peut le dire avec certitude. Le chef de l’Etat oublie vite dans quel pays il vit et surtout quel pays il dirige. Il aura suffi d’une étincelle pour que tout bascule politiquement. Et ce sera la fin peut-être pas pour sa présidence mais pour la mise en place des nouvelles institutions qu’il avait promises au pays lors de la campagne électorale.

Comme sous l’Administration de feu Président René Préval qui avait bénéficié d’une accalmie politique inédite depuis la chute de la dictature des Duvalier en 1986 durant tout son second quinquennat. En plus, l’ex-chef de l’Etat disposait d’une majorité au Parlement qui aurait pu lui permettre de résoudre ce problème, certes institutionnel mais éminemment politique. Mais ayant horreur des institutions, René Préval avait préféré laisser la Cour de cassation en état de dysfonctionnement afin que le Pouvoir judiciaire, comme prévu par la Constitution amendée, ne puisse désigner leurs représentants au CEP permanent. Le Président Michel Martelly son successeur qui, le moins que l’on puisse dire, voulait constituer ce CEP permanent quitte à utiliser plusieurs formules non constitutionnelles faute de consensus politique, a dû abandonner le dossier sous les coups de boutades de l’opposition d’un groupe de sénateurs conduits à ce moment-là par Jean-Charles Moïse. Malgré des tentatives pour le moins curieuses, puisqu’à chaque fois il a tenté de monter un CEP permanent à son profit ou à son service, le projet là aussi a été abandonné. Alors même qu’il disposait de prévisions constitutionnelles pour le faire.

La résistance des sénateurs de l’opposition face à cette tentative d’accaparer le CEP permanent a eu raison de la volonté du Président Michel Martelly de finir avec ce provisoire qui dure. Finalement, la crise politique aidant, l’idée même de poursuivre ce projet aurait été un suicide pour le gouvernement et pour tous ceux qui auraient pris part à cette opération. Enfin arrive le tour de Jovenel Moïse. Ses discours laissent penser qu’il est un ardent partisan des institutions. Et qu’avec lui les jours du CEP provisoire sont comptés vu qu’il a manifesté sa volonté de reformer les administrations et de consolider les institutions. Mieux, il avait juré de mettre fin aux CEP provisoires qui, au lieu d’apporter la sérénité et la confiance au sein des partis politiques, provoquent encore plus de dégâts lors des processus électoraux non seulement au sein des organisations politiques mais aussi bien sur le plan institutionnel et politique. Mais voilà ! La fougue et la volonté de Jovenel Moïse, manifestées durant la campagne présidentielle de 2014-2016 pour que dès son arrivée à la tête du pays le CEP devienne vraiment un organisme suscitant la confiance, se sont estompées.

On ne la sent plus cette volonté de rompre avec les vieilles habitudes. Or, aujourd’hui comme sous la présidence de son ami et mentor Michel Martelly, le chef de l’Etat dispose de tous les moyens légaux pour avancer vite, très vite même sur ce dossier, si vraiment il compte clarifier la situation du CEP. Au Parlement, même avec quelques réticences d’une minorité de sénateurs et de députés, la présidence de la République dispose d’une confortable majorité dans les deux Chambres pour conclure le dossier du CEP permanent. Du côté du Pouvoir judiciaire, là non plus, il ne devrait pas avoir de difficultés pour désigner les trois membres devant représenter le CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire). Bien que cette institution soit en proie au doute et à l’incertitude. Tantôt en conflit ouvert avec le chef de l’Etat pour accusation de corruption. Tantôt ses responsables prennent langue avec le Président qui leur promet monts et merveilles. Enfin, la présidence de la République qui doit donner l’élan, l’entrain dans un dossier qu’elle est censée piloter.

Toutes les conditions sont donc réunies pour finir une fois pour toutes avec cette affaire. Contrairement à ce que pense le Président Jovenel Moïse, le temps presse. Dans la mesure où dans moins d’une année de nouvelles élections doivent avoir lieu afin de renouveler plusieurs postes à pourvoir. Le mandat d’un premier tiers des sénateurs qui a été prorogé par un accord politique est déjà arrivé à terme depuis le début de cette année. Il y a aussi ceux dont le mandat prendra fin l’année prochaine. Sans parler évidemment de la Chambre des députés qu’il va falloir renouveler en totalité. Tout ceci est porteur de crises politiques en perspective si d’ici là l’exécutif n’a pas résolu le problème du CEP permanent. Plus le temps passe plus cela risque d’être compliqué pour la formation d’un Conseil Électoral Permanent vu que la pression politique va monter d’un cran sur la présidence qui ne pourra plus être en mesure de faire des choix qui ne seront pas contestés par l’opposition. Il se trouve que le CEP que dirige Léopold Berlanger dont la majorité des membres, sinon tous, se sont portés candidats à leur succession puisqu’il n’existe aucune loi leur interdisant de le faire entreprennent déjà des démarches en vue des scrutins à venir. C’est une situation de cafouillage.

Pendant ce temps, les trois Pouvoirs – Exécutif, Judiciaire et Législatif – prennent leur aise pour désigner les neufs personnalités selon les critères de candidatures pour être membres du Conseil Électoral Permanent. Depuis bien des mois, les Pouvoirs concernés avaient fait un appel à la candidature pour le CEP permanent. Une légion de citoyens de toutes catégories avait répondu à cette ouverture de candidature. Auprès du Conseil Supérieur du Pouvoir Judicaire (CSPJ) et du Corps Législatif (Parlement), les candidatures sont arrivées en masse. Mais parmi ces personnalités dévouées à servir leur pays, plusieurs viennent du CEP sortant ce qui à première vue aurait pu poser problème sur le plan éthique et de conflit d’intérêts. Puisque ce sont ces Conseillers électoraux qui ont organisé les scrutins ayant permis à ces élus d’être au Sénat ou à la Chambre des députés.

Dans ce cas de figure, rien ne dit qu’il n’y aura pas une sorte de renvoie d’ascenseur ce qui, il faut le dire, n’est interdit par aucune loi ni décret portant à l’ouverture des candidatures. En tout cas, parmi les membres ou responsables du CEP ayant fait acte de candidature auprès de l’Assemblée Nationale, on trouve le pilier de cet organisme électoral provisoire, Uder Antoine qui en est le Secrétaire Exécutif donc le véritable patron. Celui-ci est accompagné de deux Conseillers électoraux qui souhaitent continuer leur travail au sein du CEP permanent au cas où ils seront choisis. Ce sont les Conseillers Jean Simon Saint-Hubert et Frinel Joseph. Ils font partie d’une cohorte d’autres candidats plus ou moins connus de la capitale. Selon nos informations auprès du Parlement, ce serait une surprise que Uder Antoine ne soit pas désigné. Il est l’un des rares à faire consensus au Parlement. Pour les deux autres, la bataille est serrée, aucun nom n’est favori. En attendant les parlementaires continuent de jouer avec les nerfs des postulants. En revanche chez les juges de la Cour de cassation, c’est silence radio. Tout est quasiment au point mort. Le CSPJ, englué dans ses conflits internes, ne porte guère attention à l’urgence qu’il y a à former un CEP permanent.

Pourtant, pas moins de 36 personnalités ont fait acte de candidature auprès du CSPJ. Parmi lesquelles les trois patrons du CEP provisoire à savoir : le Président, le Vice-Président et le Secrétaire général. Ces trois Conseillers qui ont travaillé ensemble et réalisé les dernières joutes électorales croient en leur chance auprès du CSPJ. Léopold Berlanger qui est le Président sortant croit qu’il dispose assez d’atout pour remporter la timbale. Surtout avec la réussite presque sans faille des derniers scrutins. Selon ses amis, il a la cote parmi certains juges du CSPJ. Aussi bien que Marie Frantz Joachim, le Secrétaire général, qui croit dans sa bonne étoile pour pouvoir poursuivre l’œuvre déjà commencée au sein d’un organisme qu’il est censé bien connaître. Enfin, il y a le Vice-Président, Me Carlos Hercule, une sommité du tout Port-au-Prince. Durant le processus électoral, il n’a pas pu se donner pleinement. Coincé entre un Léopold Berlanger, vieux routier de la politique haïtienne et maitrisant parfaitement l’appareil électoral et un Uder Antoine connu pour sa rigueur du temps qu’il était à la tête de l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), Me Carlos Hercule sait que la bataille sera rude.

Mais il a un avantage non négligeable au sein de la CSPJ et de la corporation, il compte beaucoup d’amis influents. Une chose est sûre, il sera difficile pour le CSPJ de choisir ces trois responsables du CEP sortant en même temps. Un ou deux d’entre eux resteront sur le carreau. Surtout sur ces 36 candidats, il y a aussi d’autres poids lourds, dit-on au CSPJ. Enfin, la présidence de la République qui devrait être à l’avant garde de ce dossier, mais qui se trouve en queue de peloton. Toujours la même histoire, des retards dus aux problèmes techniques. En effet, la Primature qui est chargée de recevoir les dossiers de candidatures avait demandé aux citoyens intéressés de se manifester fin février 2018. Sauf que depuis, personne n’entend plus parler du CEP permanent au Bicentenaire. La raison? Trop d’erreurs matérielles et de fautes dans la note. Du coup la présidence reprend en main le dossier et attend le bon moment pour publier une nouvelle note. Quelle histoire !

Quand on voit la liste des documents et autres papiers à fournir pour pouvoir faire acte de candidature, on se demande si vraiment le Président Jovenel Moïse et les autorités haïtiennes en général veulent vraiment mettre en place cette institution. Comme toujours, les pays du Tiers monde, Haïti en particulier, pèchent par excès sans pour autant atteindre le but recherché. En tout cas, le processus semble bloqué quelque part entre la Primature et le Palais national. Alors que les jours passent. Même Washington s’intéresse au CEP permanent et aux prochaines élections de 2019. Puisque il y a quelques jours l’ambassadrice des Etats-Unis en Haïti a eu une première réunion de travail avec l’équipe du CEP de Léopold Berlanger en prévision des échéances à venir. Le Conseil Électoral Permanent ne concerne pas seulement les Haïtiens. La fin de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) dépend en grande partie de la mise en place du CEP permanent.

C’est l’une des conditions ou critères qu’a émis en avril dernier l’ONU pour une sortie définitive de sa mission en Haïti. Or, les autorités haïtiennes ne semblent pas si pressées de satisfaire cette exigence. Comme si la présence sur le territoire national des soldats étrangers était un gage de sécurité pour le pays sans se rendre compte que cette présence, quelle que soit sa dénomination, cause préjudice à la souveraineté nationale. Elle envoie aussi un message négatif à celles et ceux qui auraient envie de venir faire du tourisme dans le pays. La présence des forces étrangères dans un pays, c’est le sentiment que la sécurité dans le pays en question n’est pas assurée, en clair l’insécurité y règne. Bien entendu il existe des secteurs politiques en Haïti qui ne voient pas la nécessité d’avoir un CEP permanent sous cette Administration. Pour ces secteurs le moment n’est pas opportun, ce serait même faire un cadeau à Jovenel Moïse. Sauf que le moment ne sera jamais propice même cinquante ans après. Car ils sont dans une logique politique non institutionnelle.

C’est un combat d’arrière garde de toujours s’opposer à la mise en place d’une institution dont l’utilité est plus qu’évidente pour tout le monde. Dans la mesure où elle est en théorie une garantie supplémentaire pour la stabilité politique du pays. Le Parlement, le Palais national, le Pouvoir Judiciaire et la classe politique dans son ensemble doivent se rendre compte que le Conseil Électoral Permanent (CEP) n’est pas une affaire du Président de la République ou d’un clan. C’est une institution dont l’utilité est primordiale pour la stabilité politique et la démocratie du pays. Si les Constituants l’avaient prévu, c’est justement pour pouvoir servir de socle et de garde-fous afin de préserver l’unité de la Nation au moment où le peuple désigne ses représentantes et représentants dans les différentes assemblées du pays et non pour servir de bombe à retardement. La formation de ce Conseil Électoral Permanent doit devenir un des impératifs du Président Jovenel Moïse qui n’aura rien comme excuse pour expliquer d’éventuelles crises politiques et institutionnelles au cas où les nouvelles élections devraient tourner en crise pré/post-électorales en 2019. L’année prochaine sera celle de l’ouverture de la saison des élections en Haïti.

C.C.

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