Si le Premier ministre de facto, Ariel Henry, fait de la résistance à la tête du pouvoir de Transition, les entités qui constituent l’opposition à son gouvernement ne chôment pas. Par tous les moyens, elles cherchent à créer l’opportunité pouvant faciliter la démission du locataire de la Villa d’Accueil. Quelques jours après le « triomphe » d’Ariel Henry et ses alliés en créant un Haut Conseil de Transition (HCT) après la construction d’un nouvel Accord dit du 21 décembre, sans naturellement la participation des principaux acteurs des oppositions, les lignes continuent de bouger de part et d’autre des protagonistes.
D’une part, Ariel Henry, fort du soutien du « Core Group » et du reste de la Communauté internationale, continue d’avancer à reculons, puisque, s’il arrive à installer son HCT avec Mme. Mirlande Manigat à sa tête, l’horizon ne semble pas pour autant s’éclaircir devant lui sur la problématique de l’insécurité qui s’aggrave dans le pays, avec une force de police nationale au bout du rouleau.
D’autre part, les oppositions non plus ne semblent pas prêtes à lui donner un chèque en blanc, encore moins de capituler devant ses forcings politiques tendant à faire croire qu’il contrôlerait réellement la situation. Bien au contraire ! Outre les critiques acerbes des oppositions à l’encontre de l’Accord Karibe dit « Consensus pour une transition inclusive et des élections transparentes », des initiatives sont aussi prises afin de mettre en difficulté les travaux du HCT et surtout de créer des ouvertures pour une éventuelle démission du chef de la Primature. Comme toujours, c’est le groupe de Montana qui donne le change. Voulant démontrer que l’Accord du 30 août est incontournable dans le processus de la recherche des solutions à la crise, les membres du groupe de Montana changent de tactique. Afin de forcer la main à Ariel Henry, ils ont décidé d’ouvrir une brèche dans leur propre camp sans pour autant renier leur engagement et leur philosophie sur l’organigramme du Pouvoir exécutif.
Ainsi, la Direction de l’Accord a décidé de jouer la carte d’ouverture en mettant le poste de Premier ministre sur la table. Pour ce faire, le Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), a libéré ce poste qui était occupé depuis une année par Steven Benoît suite à l’élection organisée par les signataires de l’Accord de Montana et leurs alliés. En effet, le 30 janvier 2023, le pays avait appris que le PM élu de Montana, l’ancien sénateur Steven Benoît, avait présenté sa démission au CNT (Conseil National de Transition), une entité de l’Accord du 30 août 2021 ; à ne pas confondre avec l’organisme que dirigent Mirlande H. Manigat avec ses deux collègues, le pasteur Calixte Fleuridor et l’homme d’affaires Laurent Saint-Cyr, le Haut Conseil de la Transition (HCT). C’est par un courrier en date du 30 janvier 2023 que l’ancien élu de Pétion-Ville avait officialisé sa démission auprès du Président du CNT, James Beltis, en vue de faciliter les négociations devant aboutir au départ de la Primature d’Ariel Henry.
Dans cette lettre, l’ancien PM élu de Montana note : « Monsieur le Président du Bureau, une année après mon élection, je vous écris pour vous informer de ma démission comme Premier ministre élu en vue de faciliter toute éventuelle négociation du groupe Montana avec d’autres secteurs vitaux de la société pour la recherche d’un consensus national et pour faire face aux multiples crises qui affectent la population haïtienne. Aujourd’hui, 30 janvier, ramène l’anniversaire de mon élection, au sein de l’Accord, par une grande majorité des représentants des secteurs organisés de la nation. Je les remercie de la confiance placée en moi. Un an de combat, de privation, de résistance et d’indignation devant l’inacceptable, mais aussi un an de réflexions autour de thèmes vitaux qui concernent notre nation et son devenir; de recherche de consensus et de ce « tèt ansanm » visant la résolution de la crise sans précédent que nous vivons aujourd’hui et la construction de cet État-nation, l’habilitant à répondre aux aspirations profondes de notre peuple.
Ma démission ne signifie pas que j’abandonne le groupe de Montana, ni que je renonce aux idéaux exprimés dans ses différents documents et qui rejoignent, dans leur essence, mes convictions profondes sur des sujets qui me tiennent à cœur et que je tiens à partager avec vous dans le document en annexe. Haïti avant tout, mais l’Accord politique de Montana restera debout et nous avançons en rangs serrés vers la nouvelle Haïti » a écrit l’ancien sénateur.
A l’annonce de la nouvelle, il y a eu beaucoup de rumeurs selon lesquelles il y aurait eu des désaccords entre le PM élu de Montana et le reste du groupe sur la marche à tenir vis- à-vis du pouvoir de facto compte tenu de ses nouvelles initiatives politiques surtout avec la création du HCT. Plus de peur que mal pour les partisans de l’Accord du 30 août, dans la mesure où c’est en parfait accord avec le BSA qu’il a remis son tablier au CNT.
D’ailleurs, l’un des porte-paroles du BSA, Jacques Ted Saint-Dic, se veut rassurant. Contacté par le journal Le Nouvelliste, ce responsable a expliqué qu’il s’agissait d’une décision réfléchie rentrant dans une stratégie. D’après Ted Saint-Dic : « Cette action est concertée. Steven Benoît estime que la situation doit être débloquée et qu’il ne doit pas constituer un élément de blocage. Cette décision donne une ouverture sur la question des négociations qui devraient se faire notamment au sujet de la démission d’Ariel Henry. Fritz Alphonse Jean demeure un élu de Montana. La fonction qu’il est appelé à occuper diffère de celle de Steven Benoit. Nous avons toujours priorisé un Exécutif bicéphal. Pour Montana, le champ de la Primature est libéré pour permettre d’autres ouvertures. On ne va plus dire que Montana s’accroche à ses deux choix », voilà ce qui est clair.
Mais, pour le porte-parole du Bureau de Suivi de l’Accord, si Montana est disposé à négocier avec les autres acteurs et secteurs de la Société après la démission de Steven Benoît, Ariel Henry reste néanmoins le vrai obstacle. Persuadé que le Premier ministre de facto doit être écarté du pouvoir, puisque, selon lui il ne doit pas être une partie de la solution. « (…) Nous sommes partie prenante des négociations avec les forces vives et les forces organisées du pays. Ce, afin de construire un nouveau pouvoir d’Etat. On verra quelle sera la situation d’Ariel Henry par rapport aux négociations (…) De plus en plus de voix appellent à la concrétisation de sa démission. Il reviendra à ses tuteurs américains de décider de son avenir dans une négociation politique sérieuse et importante avec Montana (…) » fait-il savoir. Pour sa part, Steven Benoît qui était invité sur radio Magik9 ce même lundi 30 janvier quelques heures avant d’envoyer sa lettre de démission à James Beltis, s’est montré très offensif à l’égard du chef de la Transition tout en avouant son incompréhension vis-à-vis de l’attitude de l’Internationale et de son soutien au PM de facto. « Je comprends mal que la Communauté internationale persiste à exiger un consensus large autour d’Ariel Henry. Je ne comprends pas pourquoi l’International se range derrière un Premier ministre sans compassion, sans les compétences requises, sans amour pour Haïti et demande à la classe politique, la Société civile de faire un consensus autour de lui» disait ce membre éminent du groupe Montana.
Par la même occasion, il le supplie de démissionner : « On vous demande de faire ce geste symbolique. Démissionnez pour que les Haïtiens trouvent un consensus large et suffisant pour une transition de rupture» a lâché le signataire de l’Accord de Montana. Ce même lundi 30 janvier 2023, dans la foulée de la démission du PM élu de l’Accord de Montana, le pays avait appris que huit Partis politiques, dans une déclaration commune en créole, disaient constater le « vide au sommet de l’Etat » depuis quasiment le début de la Transition post-Jovenel Moïse en 2021. Soulignant qu’un ensemble d’évènements malheureux sont survenus dans le pays durant ce laps de temps, les huit formations politiques : OPL, Unir-Haïti, LAPEH, KONTRA-PÈP-LA, PHTK, MOPOD, GREH, et Pitit Dessalines, indiquent avoir formé un cadre de discussion interpartis.
De fait, ils : « informent l’opinion publique nationale et internationale de leurs préoccupations face au vide constaté au sommet de l’Etat en ces moments difficiles et de leur décision de se concerter avec toutes les forces vives du pays en vue de décider de toute urgence de chercher une solution consensuelle, durable, susceptible de redresser la barque de la nation, rétablir la paix, la sécurité pour que la vie reprenne. C’est ce chemin qui peut permettre de tenir des élections équitables, conduire le pays sur le chemin de la justice et du progrès pour tous ses enfants. Ces partis demandent à la population de poursuivre la mobilisation pour retirer, ensemble, le pays dans cette situation chaotique ». L’ancien Président de l’Assemblée Nationale et ex-sénateur des Nippes, Edgard Leblanc-Fils, faisant office de porte-parole du groupe, a laissé entendre que ces discussions sont ouvertes à tous.
« À partir de la déclaration, on envisage d’élargir le cadre et d’aller vers un « chita pale jeneral ». Certains parlent de Conférence, de Sommet avec des acteurs de la Société civile pour voir quelles décisions seront prises. Les évènements du 26 janvier ont poussé à ces discussions. Ces partis politiques ne forment pas encore une entité. On va essayer d’élargir pour discuter avec d’autres acteurs politiques, avec l’International qui constitue le support principal du pouvoir du Premier ministre Ariel Henry » a annoncé l’ancien Président du Sénat au journal Le Nouvelliste du 30 janvier 2023. Comme on peut le constater, malgré l’Accord du 21 décembre et l’intégration de quelques personnalités politiques, de la Société et du Secteur des affaires, au sein du Haut Conseil de la Transition, le moins que l’on puisse dire, le Premier ministre de facto, Ariel Henry et ses alliés du SDP d’André Michel ne sont pas encore sûrs de sortir d’affaires ; tandis que les oppositions espèrent toujours démontrer au « Core Group » et au reste du monde que le pays n’est pas gouverné et que leur protégé n’est pas à la hauteur de la mission qui lui est confiée.