De l’Accord de Musseau à l’Accord Karibe, Ariel Henry consolide son pouvoir (4)

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Charles Tardieu

(Dernière partie)

Selon l’un des instigateurs de l’Accord du 21 décembre, Charles Tardieu, toute la Communauté internationale serait réjouie de ce « consensus entre les haïtiens ». Or, lors de la conférence de presse du 29 décembre donnée par les dirigeants de l’Accord de Montana voulant se positionner par rapport à la création du Haut Conseil de la Transition, c’est toute l’équipe qui entendait s’exprimer pour dire leur refus de tomber dans ce piège. Mais, la vraie charge contre l’Accord Karibe et Ariel Henry allait venir du Président élu de l’Accord de Montana lors de cette conférence de presse.

Fritz Alphonse Jean qui semble avoir confiance de plus en plus en lui et s’installe comme le véritable patron de Montana avait, honnêtement, impressionné l’assistance et même ses petits camarades. Dans une diatribe d’une rare violence, il s’en prenait à tous les secteurs qui ont cautionné le document du « Consensus pour une transition inclusive et des élections transparentes », sans oublier évidemment le Premier ministre de facto. « Face à l’ampleur de la crise qui sévit dans le pays où la population attend un consensus pouvant sortir le pays de l’impasse, les entités de Montana ont été sidérées d’apprendre que les responsables en place, certains membres du Secteur privé des affaires, certains partis politiques, certaines organisations de la Société civile ont décidé de se mettre ensemble pour confirmer, endosser le bilan catastrophique du Premier ministre en poste et de son gouvernement. Pour le féliciter, ils ont prolongé le service de son gouvernement monocéphale pour au moins 14 mois. Cette manœuvre vise à organiser des élections bidon pour mettre à la tête de l’État des marionnettes afin de pouvoir continuer à jouir de certains privilèges dans des institutions comme la Douane, la Direction générale des impôts, l’Office national d’assurance-vieillesse, entre autres. On a été stupéfaits de voir certaines organisations qui ont leurs membres sanctionnés par la Communauté internationale parapher le consensus du 21 décembre. Des personnes, probablement, qui ont peur des sanctions ou qui prétendent que des sanctions vont arriver, ont signé pour demander grâce de façon anticipée » lâchait l’ancien Gouverneur de la BRH.

Tandis que, pour Patrick Joseph, le porte-parole du Conseil National de Transition (CNT), un organe de l’Accord de Montana, « L’Accord signé par le Gouvernement ne contribuera pas à la résolution de la crise, puisque c’est une entente trouvée entre des alliés pour un partage de pouvoir au détriment de la masse défavorisée. Montana ne cautionnerait pas un tel simulacre, qui n’est que l’Accord du 11 septembre 2021 modifié. Le document n’a aucun rapport avec un compromis national et il est voué à l’échec, car des partis politiques qui sont incontournables dans le cadre d’une telle démarche n’ont pas pris part aux discussions » a-t-il confirmé. Si d’un côté les dirigeants de l’Accord de Montana crient à hue et à dia sur celui de Karibe, indépendamment de Montana, des organisations politiques et de la Société civile liées à l’Accord du 30 août critiquent, elles aussi, le document du 21 décembre.

L’ancien sénateur de l’Ouest, Jean Renel Sénatus

Le 3 janvier 2023, le Parti politique OPL n’a pas pris de gant pour tacler de manière sévère les signataires de ce nouvel Accord et le Premier ministre de facto Ariel Henry. L’un des porte-paroles de l’Organisation du Peuple en Lutte, Danio Syriac, n’a pas mâché ses mots pour se démarquer de ce consensus très limité. « L’OPL, comme parti politique qui témoigne du respect pour les acteurs, ne saurait être signataire de l’Accord du 21 décembre qui est l’expression du cynisme du chef du gouvernement et de son équipe. Nous ne nous reconnaissons pas dans l’Accord du 21 décembre. Officiellement, le Premier ministre a reconnu que la crise haïtienne est multidimensionnelle.

Une telle crise ne peut être résolue avec un consensus de façade. Pour résoudre une crise politique, le premier réflexe est d’impliquer les partis politiques représentatifs. L’équipe au pouvoir priorise une approche politique basée sur la discussion bilatérale. Cette approche, malheureusement, ne permet pas d’aborder la crise multidimensionnelle qui sévit dans le pays. Le consensus pour une Transition inclusive et des élections transparentes est un exercice de manipulation politique qui vise à conforter Ariel Henry pour qu’il puisse rester au pouvoir advienne que pourra. L’Accord du 21 décembre est une tentative de résurrection de celui du 11 septembre, jugé insuffisant par certains politiques » croit Danio Syriac, le porte-parole de l’OPL. D’autres structures sociopolitiques qui ne sont membres d’aucun Accord existant rejettent elles aussi sans équivoque l’Accord du 21 décembre.

Elles estiment qu’il s’agissait là d’une manœuvre politique d’Ariel Henry et ses alliés pour confisquer le pouvoir. C’est le cas d’un groupuscule dénommé : Kri Nasyonal dirigé par Léonard Jean-Renal-Nau. Dans une prise de parole faite à l’occasion de la nouvelle année,-ci appelle la population à une prise de conscience collective pour chasser Ariel Henry du pouvoir, dans la mesure où il ne fait aucune confiance à tout ce qui se trame avec ce nouvel Accord. Léonard Jean-Renal-Nau appelle donc à une mobilisation populaire et générale contre le chef du gouvernement en soulignant que le document dit « Consensus pour une transition inclusive et des élections transparentes » signé entre différents secteurs de la société civile et Ariel Henry ne vise qu’à protéger le pouvoir et ses partisans ». Ainsi, le Coordonnateur de l’organisation Kri Nasyonal s’oppose à tout organisme qu’on crée juste pour faire obstacle à toute solution de sortie de crise. Outre les formations politiques, des anciens parlementaires se sont eux aussi exprimés. Pour la plupart, ils ne croient pas non plus que les organismes qui ont été créés vont pouvoir faire mieux pour sortir de la crise.

Le Président élu de l’Accord de Montana, Fritz Alphonse Jean

D’autres estiment que le Haut Conseil de la Transition n’aura aucune marge de manœuvre face à la toute puissante Primature, là où tout se décide. C’est le cas de l’ancien sénateur de l’Ouest, Jean Renel Sénatus, qui craint des conflits d’autorité entre le HCT et le Premier ministre, puisque, selon lui, il n’y aura pas de subordination entre le pouvoir et les membres du Haut Conseil de la Transition. « Le HCT aura pour mission de réfléchir sur les axes stratégiques de développement et donnera des directives. Pour moi, il y aura un conflit entre le HCT et le gouvernement. Il n’y aura aucune relation de subordination entre les deux parties mais, de l’avis du PM, les décisions du HCT doivent être validées par le Conseil des ministres. Au cas où une décision n’est pas entérinée, il n’y a aucune structure qui pourra trancher. Cela dit, le HCT n’aura aucun pouvoir réel. Le HCT ne pourra prendre aucune décision. Le Premier ministre a peur de se faire remplacer par le HCT.», soulignait Jean Renel Sénatus. On ne peut non plus oublier le parti que dirige l’ancien journaliste Clarens Renois, UNIR/INI AYITI.

La Direction de ce parti, pourtant très modéré, s’est fendue d’une note de presse dans laquelle elle dit vouloir clarifier sa position par rapport au cafouillage et à la manipulation politique laissant croire que cette formation politique avait signé l’Accord du 21 décembre. « UNIR estime que cet Accord ne rencontre pas ce qui est indispensable pour stabiliser le pays : un compromis inclusif et un consensus large, en faveur desquels UNIR a œuvré ces quatre derniers mois durant de longues séances de discussions avec des groupes politiques de toutes les tendances. Le Haut Conseil de la Transition (HCT) est confié en majorité à la Société civile et au Secteur privé en laissant volontairement de côté les partis politiques. Face à la crise aigüe que connaît Haïti dans laquelle l’ont maintenu des acteurs politiques et économiques malhonnêtes et corrompus, UNIR continue de plaider pour un Consensus qui puisse rassembler la majorité des forces vives du pays. Telle est la faiblesse de l’Accord du 21 décembre 2022. En plus, UNIR juge que la signature d’un Accord doit être favorable au pays et non à des signataires à qui il est promis des postes dans le gouvernement et dans l’Administration. Encore une fois, le peuple haïtien ne va rien bénéficier d’un tel Accord.

Haïti est oublié », a précisé la Direction du parti UNIR/INI AYITI. Enfin, terminons avec la prise de position radicale de certains acteurs très influents du Secteur privé ou des affaires après la nomination de Laurent Saint-Cyr en tant que représentant de ce Secteur au HCT. En effet, plusieurs Chambres de commerce et d’Industrie du pays, au moins quatre (4), se sont prononcés contre l’Accord du 21 décembre 2022. Dans une note publiée le 28 décembre, les Présidents des Chambres de commerce et d’Industrie du Nord-Ouest, Jordan Hérard Verdule ; du Nord-Est, Albert Pierre Paul ; du Sud, Jean Nathan Letang et celui du Nord, Steve A. Mathieu, déclarent ne pas vouloir donner leur appui à l’Accord dit « Consensus pour une transition inclusive et des élections transparentes » signé entre certaines Associations du Secteur privé des affaires et le Premier ministre Ariel Henry. Ces quatre Présidents des Chambres régionales de Commerce et d’Industrie avancent qu’ils ne veulent apporter aucun soutien à des démarches qui, selon eux: « (…) Encouragent les mauvaises pratiques des signataires qui les confortent par l’exclusion une fois de plus des Associations patronales régionales renforçant de surcroit cette prétention d’imposer une certaine suprématie des décideurs et investisseurs de la capitale sur ceux des provinces (…).»

D’une certaine manière, ces hommes d’affaires provinciaux reprochent à leurs homologues de Port-au-Prince de décider à leur place sans demander leur avis, et ce, par rapport à leur influence économique et politique dans la capitale. Cette sortie des quatre dirigeants d’Association patronale de province vise directement Laurent Saint-Cyr, Président de la Chambre de commerce et d’Industrie de l’Ouest, l’un des trois membres du Haut Conseil de la Transition se présentant au nom du Secteur des affaires peut-être sans même les avoir consultés. Voilà un descriptif complet de ce nouvel Accord dit du 21 décembre qui paraissait pour les uns comme une sorte de porte de sortie de crise, un schéma Directeur donnant la trajectoire aux acteurs sociopolitiques, spécialement au régime en place de pouvoir conclure à bien cette Transition qui n’en finit pas et dont les haïtiens attendent impatiemment la fin ; tandis que pour les autres, les oppositions, c’est une sorte de bouclier politique créé autour du Premier ministre de facto afin de prolonger d’une part son mandat à la tête du pays et de l’autre créer les infrastructures politiques nécessaires pour permettre la réalisation des élections au profit de ses partisans.

Bref, la création de ce Haut Conseil de la Transition (HCT) et de l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG) paraît entrer dans le lot des institutions dont la durée de vie dépend de la conjoncture politique dans laquelle elles ont été créées et non pour leurs utilités. En un mot, l’avenir de cet Accord semble compromis comme tous les autres avant lui.

Après l’officialisation de l’Accord du 21 décembre par la publication du texte dit « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » dans Le Moniteur, le journal officiel de la République en date du 3 janvier 2023 et l’installation du HCT dans ses fonctions le lundi 6 février 2023, les trois membres de cet organisme, Mirlande H. Manigat, Laurent Saint-Cyr et le pasteur Calixte Fleuridor, ont eu l’honneur de participer ou d’assister à leur premier Conseil des ministres sous la présidence de Ariel Henry au Palais national le mercredi 8 février 2023. Une présence qui leur donne le sentiment d’appartenir au régime ou au pouvoir de Transition.

(Fin)

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