Trumpade, enfarinade, bredouillade, nadmarinad: Mourir de honte

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Les Cinq de Central Park» condamnés, à tort, à des peines allant de cinq à quinze ans d'emprisonnement. Libérés en 2002 la veille de Noël. «Les Cinq» devant une salle de cinéma avant la première du film «The Five of Central Park».

Ce n’est pas seulement la mort qui a “des rigueurs à nulle autre pareilles”. Si M. De Malherbe me permet bien de piquer un fruit à l’arbre de son immense savoir, j’avance que la vie aussi a des rigueurs à nulle autres pareilles. Ce sont des cruautés terribles qui peuvent avoir le goût de l’humiliation, l’effet de l’impact d’un camouflet, d’une gifle, d’un pataswèl en plein visage, de l’avilissement, d’une morbide pulsion à vouloir creuser un trou pour s’y réfugier à tout jamais, à faire n’importe quoi pour se soustraire au regard de son entourage, à vouloir même s’enlever la vie. Un exemple suffira à illustrer mon propos.

Je pense à Gabrielle Russier, cette professeure agrégée de lettres qui avait eu une liaison amoureuse avec un de ses élèves, Christian Rossi alors âgé de seize ans. Mais la société, lafanmi, les amis conservateurs, l’Église, les gardiens enragés de la morale, les vieilles filles ternies par l’aigritude de n’avoir pas suscité d’intérêt dans les cercles masculins, les vieux garçons près de leurs sous et rabougris de timidité n’aiment pas les expériences humaines parées, à leurs yeux, d’une originalité douteuse sinon condamnables, sans appel.

Or il advint que le couvercle de la marmite de la société sauta de réprobation pour tant d’amour “illicite”. Le juge d’instruction Bernard Palanque l’attrapa au vol. Sans doute un envieux anbachal, sous le châle, il inculpa Gabrielle Russier pour détournement de mineur et ordonna son incarcération, une première fois en décembre 1968. Christian, lui, sera interné dans une clinique psychiatrique à la demande de ses parents où il subira une cure de sommeil, comme si le fait de dormir dans les bras de Morphée même dans un but « curatif » n’avait jamais détourné quelqu’un de l’amour. Mais les deux amants finirent par se retrouver au grand désespoir des bonnes gens.

Mais la justice des mœurs et des à-rien-à faire veillait au grain moral. Gabrielle dut subir deux autres incarcérations. Une quatrième fois, la pauvre Russier comparut devant un tribunal correctionnel   siégeant à huis clos. Le procureur général, je me l’imagine vieux, gâteux, décrépit, gaga, semi-impotent,  jaloux de n’avoir pas eu, durant son adolescence, la verdeur, l’entreprenante et amoureuse précocité de Christian, requit un an de prison ferme pour Russier, peine assortie de 500 francs d’amende.

Le parquet fit appel a minima, considérant la peine … trop légère. Ainsi, il soutint la position de l’Université d’Aix qui rejetait la candidature de Russier à un poste d’assistant de linguistique.  L’amoureuse d’ardeur juvénile  sombra dans une dépression.  De Charybde dépressive, elle tomba en Scylla suicidaire. Après deux tentatives de suicide, elle mit fin à sa vie le 1er septembre 1969 en s’intoxiquant au gaz dans son appartement marseillais. Mourir d’aimer fut la fin tragique de Gabrielle Russier à qui la société refusa le secret bonheur d’aimer son gosse, lui qui aimait passionnément sa môme.

Bernard Sansaricq: «combattant de longue date», barbe en collier avant de se faire enfariner par Donald Trump.

Venons-en à d’autres rigueurs. Le vendredi 16 septembre 2016, dans la soirée, le candidat républicain à la Maison Blanche, Donald Trump, en route vers un rassemblement au centre-ville de Miami, fait un détour rapide, peut-être ennuyé, mais remarqué, par Little Haïti pour y rencontrer, au Little Haiti Cultural Center, d’imprudents membres de la communauté haïtienne séduits par les yeux bleus, le verbe rose martelly du businessman-politicien, ses cheveux jaunasses hyperfins et surlaqués qu’il persiste à conserver plutôt longs, avec une mèche qui, au moindre coup de vent, lui donne l’allure d’un psychopathe. Le maître de cérémonie, le maître des lieux, n’est autre que l’homme d’affaires Georges Sami Saati, de nationalité haïtiano-américaine et de descendance libanaise. Celui-ci note le fait que c’est la première fois qu’un candidat à la présidence américaine honore la communauté par sa présence. Big deal! Grosse affaire. Et quel candidat!

La salle d’accueil du candidat, clairsemée, brillait de la ferveur d’une petite vingtaine de “fanatiques” venus se faire embobiner, emberlificoter, duper, berner, bétizer par un milliardaire raciste, xénophobe, misogyne, arrogant, intolérant, sexiste multirécidiviste, égocentrique, animal impulsif, menteur compulsif. Selon Haïti Connexion Network : “Les participants comprenaient des médecins haïtiens, des avocats et d’anciens ministres du gouvernement d’Haïti” (Jeremy Gilbert,  9/17/2016). En clair, des gens qui à quelques exceptions près devaient être républicanotropes. Il y avait aussi un pasteur du nom d’Onil Dauzier (Dozié ? Dozier?), l’un de ces prêcheurs de résignation armés de leur «lasent bwochi anba zesèl».           Il y avait aussi un certain Bernard Sansaricq, aventurier politique à l’origine de prétendus débarquements, avortés toutefois, contre le régime de Baby Doc.

De bonne guerre, Trump et ses “fanatiques” sont tombé à bras raccourcis sur Hillary Clinton, les Haïtiens ne se rendant pas compte que Trump et sa rivale se 50 kòb ak de gouden. L’un est allé au mariage de l’autre. L’un ira sûrement aux funérailles de l’autre.  Ce sont des profiteurs sur le dos des gagne-petits, des seize-heures-d’affilée, des malere. Un des fans (dont le nom m’échappe), délirant d’admiration pour le connard laqué, offrit, gauchement, au demi-dieu-bouffon une petite broche représentant le drapeau haïtien. Le mec ne savait même pas que c’était à lui de l’épingler à la boutonnière du xénophobe. Une scène plutôt cocasse juste avant l’intervention de Jean-Bernard Sansaricq.

Georges Sami Saati a présenté Sansaricq comme un «combattant de longue date» (sic). Hélas! Le mec lui-même s’est présenté comme un «ancien président du sénat» haïtien. À profusion, il a déblatéré sur les Clinton, femme et mari, deux vòlè selon lui. Il souhaitait ardemment que Trump devenu président fasse rendre gorge aux deux dépouilleurs du peuple haïtien. Même, il pouvait renseigner le pouilleux Trump sur les trafics de drogue en provenance d’Haïti à destination des États-Unis; ce à quoi Trump, vieux renard, ansyen Fòd twa pedal de la politique politicienne des couloirs de Wall Street, n’a répondu ni oui ni non. Li te kab ladan tou.

Personne dans cette audience collet monté n’a posé de questions relatives au sort des 46 000 Haïtiens bénéficiaires de «TPS» qui ne peuvent retourner dans leur pays vu la situation économique catastrophique. Tous ont préféré montrer Hillary à poil, au lieu de s’inquiéter du sort de compatriotes au bord du désespoir. De toute façon, à quelle solidarité de classe devrait-on s’attendre de ces “médecins haïtiens, avocats et anciens ministres du gouvernement d’Haïti”, des byen chita avec leur «pain au four, leur morue sur le gril» ? Personne qui ait évoqué les violences policières contre les Noirs. Personne qui ait eu suffisamment de couille pour rappeler au raciste invétéré un devoir de reconnaissance envers les Haïtiens dont les ancêtres avaient versé leur sang à Savannah.

Personne n’avait voulu contrarier le «héros», d’autant que Trump aurait promis de nommer un américano-haitien comme ambassadeur en Haïti, s’il était élu. Autant d’hommes (et de femmes) présents à cette agape trumpiste, autant d’ambassadeurs haïtiano-américains en puissance. Trump n’a ni voum ni pwèt. Il a seulement dit merci aux flatteurs « fiers» de sa présence : « le premier candidat américain à s’asseoir avec des Haïtiens » (sic), ont trompetté Saati et Sansaricq.

Trump était venu «pour écouter et apprendre», «construire de nouvelles relations avec la communauté» (haïtienne, on suppose). Il n’a pas manqué de caresser son audience dans le sens du poil anti-clintonien en lui rappelant que « tout l’argent des contribuables [américains] destiné aux victimes du tremblement de terre est allé dans les poches des copains des Clinton». L’assistance a exulté quand Trump leur a sussurré, assuré et rassuré: « Que vous votiez pour moi ou pas, je tiens vraiment à être votre plus grand champion ». Tout le monde est parti bien gonflé des tromperies, trumpades, bluffades, enfarinades, gesticulades, bouffonades du candidat.

On s’explique difficilement cet engouement, de la part d’Haïtiens, pour un candidat puant le racisme. Est-ce ignorance crasse de la réalité trumpiste? Est-ce débilité mentale? Est-ce fausse ingénuité? Est-ce innocence feinte? Est-ce le plaisir de jouer à l’autruche? Est-ce persistance dans un fanatisme béat?  Il est bien étrange que les Haïtiens byenchita, byenmennen présents à cette rencontre entre bouffons n’aient pas été au courant des nombreux démêlés de Trump et de son père Fred avec la Justice américaine, en 1973, pour avoir violé le  Fair Housing Act de 1968 en discriminant les locataires et les locataires potentiels en fonction de leur race. Donald Trump, alors âgé seulement de 27 ans, était président de la société immobilière de son père, Trump Management et était en charge de l’administration courante de l’entreprise. Il était bien au courant des pratiques racistes en cours.

Les fans de Trump n’étaient-ils pas au courant de la hargne raciste du mec lorsqu’en 1989  il avait réclamé la réinstauration de la peine de mort, suite à une horrible affaire de viol au Central Park de New York. La victime était une blanche de 28 ans, spécialisée en investissement bancaire. Lors, cinq adolescents, «Les Cinq de Central Park», dont quatre Noirs et un Portoricain avaient été condamnés, à tort, à des peines allant de cinq à quinze ans d’emprisonnement.

En 2002, Matias Reyes un violeur en série avoua être l’auteur du crime. La culpabilité fut établie après un examen des différents ADN en cause. Les «Cinq de Central Park» furent libérés la veille de Noël. Après une bataille judiciaire de14 ans, ils ont eu gain de cause  et ont réclamé de la ville de New York 41 millions de dollars, à titre de dédommagement. Au lieu de s’excuser pour sa fracassante bévue en 1989, Trump, dans un article d’opinion paru dans le New York Daily News,  décrivit le règlement comme le “cambriolage du siècle” (sic). Quel toupet! Et quelle inhumanité!

Trump «le plus grand champion» des haïtiens? N’y a-t-il pas cette note du ministère de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security) [qui] a annoncé, le lundi 20 novembre passé, qu’il prévoyait mettre fin au “statut de protection temporaire” pour les Haïtiens qui avaient été autorisés à entrer aux États-Unis à la suite du tremblement de terre dévastateur en 2010. La secrétaire par intérim dudit ministère, Elaine Duke, a spécifié que les protections prendraient fin le 22 juillet 2019. Une déclaration à s’indigner à mourir. Réaction du côté des trumpophiles? Aucune.

C’était le “troquet”, la “charge” était à venir. En effet, le 24 décembre écoulé, le New York Times a rapporté des propos insultants envers les migrants d’Haïti et du Nigéria qu’aurait tenus le président des Etats-Unis, Donald Trump, en juin dernier, lors d’une réunion à la Maison blanche.  Les immigrés haïtiens arrivés aux Etats-Unis «ont tous le sida», tandis que les nigérians devraient «retourner dans leurs huttes», aurait lancé M. Trump, alors qu’il discutait des dernières statistiques de l’immigration dans le Bureau ovale, entouré de ses plus proches conseillers. Le quotidien new-yorkais cite deux sources anonymes pour appuyer ses dires, l’une ayant assisté à la réunion, l’autre qui en a reçu un compte-rendu par une deuxième personne présente à cette réunion (Sudinfo. 24 décembre 2017).

La Maison Blanche a sans doute réfuté, mais ce sépulcre blanchi n’en est pas à son premier mensonge-cacher-les-feuilles-et-couvrir-ça, sans même mentionner les “mensonges-sans-cacher-les-feuilles-et-couvrir-ça”. Un relevé du New York Times a constaté 103 mensonges proférés par Trump pendant les 10 mois de son mandat, comparé à 18 mensonges pour Obama pendant ses huit années au pouvoir (David Leonhardt, Ian Prasard Philbrick,  Stuart A. Thompson, Trump’s Lies vs. Obama’s, New York Time, 14 décembre 2017). On n’est absolument pas bien loin de la vulgarité de l’homme et nous le croyons capable d’avoir proféré pareilles insanités racistes. C’est à mourir de honte.

Où sont ces «médecins haïtiens, avocats et anciens ministres du gouvernement d’Haïti» et les autres gogos qui trépignaient d’attente à faire bel accueil au conard laqué, gloussaient de joie à se savoir «honorés» par le premier couillon des États-Unis, caquetaient de plaisir à accueillir cet égoïste- machiste-récidiviste-sexiste-phallocentriste-raciste-capitaliste? On ne les a encore ni entendus ni lus dénonçant la violence des propos aussi insultants de Trump. N’ont-ils pas eu honte à mourir ?

Pourtant, dans un article fort bien tourné, intitulé «Non, président Trump ce ne sont pas tous les Haïtiens qui ont le SIDA», paru le 28 décembre écoulé, dans le Washington Post, Joel Dreyfus, un journaliste haïtiano-américain conséquent, digne, a remis les pendules à l’heure. Il a sans doute raison de penser  qu’«une perception aussi négative [des Haïtiens] explique pourquoi cette administration a décidé le mois dernier  d’expulser 59 000 Haïtiens vivant aux États-Unis, couverts par le “statut de protection temporaire” (TPS)».

Quand on manque de principes, quand on n’a aucune solide formation politique qui vaille, quand on passe son temps à courir après des ombres, des madigra mal masqués, des caricatures d’hommes ou de femmes, on se fait couillonner par des marchands de bobards et de mensonges, on tombe dans le pétrin comme Alexandre, on se fait enfariner, on en sort bredouille, on n’en récolte rien. Bilan de cette visite de Trump à ce groupuscule d’Haïtiens egare anba ban?  Tromperies, trumpades, enfarinade, bredouillade, nadmarinad.

Oui, la vie aussi a des rigueurs à nulle autre pareilles. Celle suscitée par le comportement raciste, haineux, haitianophobe, africanophobe de Trump, par ses tromperies, ses trumpades, exhale un parfum d’humiliation. On penserait que les fans de Trump auraient honte à mourir, hélas! Leur petitesse qui est le fait de leur classe, de leur façon étriquée, ratatinée, rachitique, débile de penser, les fera toujours  applaudir les pires ennemis des catégories sociales s’éreintant à joindre les deux bouts.

Gabrielle Russier est morte d’aimer, Les admirateurs bornés de Trump ne mourront même pas de honte. Quel malheur!

1er janvier 2018

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