Sans une Révolution universalisée, point de salut pour les pauvres !

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Sans un mouvement de Révolution universalisée, il n’y aura point de salut pour les appauvris et les déshérités du système néocolonialiste.

L’année 2023 s’ouvre sur les funérailles du pontife émérite Benoît XVI et du footballeur prodigieux, Edson Arantes do Nascimento, surnommé Pelé. Les deux illustres personnages, – et nous l’avouons sans ressentir aucun sentiment d’embarras –, ne constituent pas pour nous des sources d’inspiration élogieuse. Benoît XVI appartient à une vieille institution corrompue qui engendra la traite négrière en Amérique. Et je suis fils de descendants d’esclaves dans la Caraïbe. Je n’aime pas le Vatican. Mon avis, sans nul doute, est aussi partagé par les progénitures des Amérindiens exterminés, violés et dépouillés de leurs biens matériels et culturels. Aucun descendant des esclaves noirs ne pardonnera à la Curie romaine d’avoir aidé le féodalisme capitaliste à construire la plus grande machine de l’exploitation humaine en Amérique et en Afrique. Les dicastères du Vatican, comme l’Espagne, la France, l’Angleterre, la Hollande, le Portugal… se sont rendus coupables du plus grand crime que l’humanité ait porté en son sein.

L’esclavage suggéré et appuyé par l’Église de Rome, la ville de Rémus et de Romulus, est une barbarie irrémissible. « Inabsolutionnelle ». Accordez-nous, s’il vous plaît, ce néologisme. Dans quelle mesure les tortionnaires qui l’eurent inventée et pratiquée pour s’enrichir improprement avaient-ils conservé la prétention que l’histoire les eût absous d’une pareille monstruosité?

Quant à Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, cet homme est inscrit tout simplement – à nos yeux, bien entendu – à l’historiographie universelle comme un génie de la discipline sportive dont la paternité est attribuée à Ebenezer Morley. Alors que l’Argentin, Diego Maradona, est reconnu lui-même comme un footballeur intrépide et un militant politique engagé dans la cause révolutionnaire des populations oppressées par les forces impérialistes. Diego Maradona fut le bon ami de Fidel Castro, d’Hugo Chavez et de Daniel Ortega. N’est-ce pas cela, le profil d’un personnage inspirant?

Diego Maradona fut le bon ami de Fidel Castro, d’Hugo Chavez et de Daniel Ortega. N’est-ce pas cela, le profil d’un personnage inspirant?

Pour tourner la page 

Raymond Queneau nous apprend : « L’histoire est la science du malheur des hommes. » L’humanité est construite sur des arpents de douleurs et de souffrances qui, pour une infime minorité, peuvent être ponctuées par de courts instants de joie et de bonheur. Il faut des savants pour pérenniser le passage tumultueux des générations dans les couloirs de l’existence humaine. Et c’est le rôle des historiens. Ne serait-ce peut-être pas l’occasion de dépoussiérer à la surface l’attitude un peu molle d’un confrère octogénaire, – écrivain lui-même à ses heures perdues –, qui nous a déclaré péremptoirement : « Mon cher ami, écrire ne sert pas à grand-chose…! » Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jean Ricardou, Georges Semprun, Jean-Pierre Faye, Yves Berger étaient déjà préoccupés par les questions relatives à l’utilité de l’acte d’écrire. Ils ont conjointement publié en 1965 « Que peut la littérature ? » En tentant de cerner la problématique, Yves Berger en a conclu : « La littérature n’est rien que ce que j’en ai dit, qui ne fait pas les révolutions, qui n’empêche pas l’injustice. Qui ne dresse aucune barricade. C’est quand les barricades ont été dressées, longtemps après, que l’on découvre les livres qui auraient pu les faire. Il ne leur manque rien que ce pouvoir. »

Nous n’écrivons pas nous-mêmes pour sauver la planète. Nos textes condamnent de préférence l’immobilisme et le « conzéisme » des élites haïtiennes qui ont creusé la fosse de la patrie fondée par Jean-Jacques Dessalines le 1er janvier 1804. L’écrivain haïtien, Franck Étienne, – l’éternel et l’infatigable rêveur du prix Nobel de littérature –, nous a dit un jour au téléphone : « Mon cher Lodimus, je ne parle plus dans les affaires de ce pays. Je reste chez moi et j’écris tranquillement mes livres… » Nous avons répondu sagement au « Maître » : « Fidel, Guevara, Lénine et les autres, que je sache, n’ont pas réalisé leur révolution en écrivant des bouquins ou des pièces de théâtre…» Les mots, dans certains cas, peuvent être porteurs d’une philosophie de changement. Néanmoins, détiennent-ils un pouvoir de matérialisation des idées individuelles et des rêves collectifs? La concrétisation résulte de l’action. Les héros demeurent toujours ceux qui ont eu le courage de passer du discours, oral ou écrit, aux actes. 

En 1955, le président Paul Eugène Magloire, invité avec son épouse à passer une nuit à la Maison Blanche, déclare au cours d’une conférence de presse : « En Haïti, les richesses sont équitablement partagées. » Cela a déclenché l’hilarité générale. Et comme pour punir le président de son indécence, de l’à-propos de ses déclarations, les Haïtiens déclenchent dans la même année une grève générale. Le 14 décembre, dans la soirée, sur l’insistance du directeur de l’école militaire, le major Paul Corvington, Paul Eugène Magloire démissionne et s’embarque pour l’exil avec sa famille. Quand le peuple agit avec méthode et rationalité, les piliers du pouvoir gouvernemental ne résistent pas longtemps. Ils s’effondrent comme les colonnes du temple des Philistins sous  la  fureur vengeresse du nazir.

Nous avons passé des décennies à rédiger des phrases déprimées, des textes pessimistes sur un État atteint d’hypocondrie. Sans obtenir des résultats dignes et satisfaisants! Car le « Mal » persiste. Que faudrait-il encore écrire ou dire pour dénoncer les Esaü, vendeurs du droit d’aînesse de la République d’Haïti? Ensorcelés par le pouvoir, l’argent et le sexe, ces énergumènes diaboliques, alliés aujourd’hui d’Ariel Henri, une sorte de Josef Rudolf Mengele de l’impérialisme, ont livré la République aux néocolons qui ont juré sur la tombe de leurs ancêtres négriers de détruire la Nation  haïtienne. « Haiti must disappear ». Haïti doit disparaître pour permettre à la France impériale d’enlever des pages de l’histoire universelle l’outrage de la défaite accablante qu’elle subit sur la terre de Saint-Domingue.  Une bande d’esclaves incultes, certes, mais géniaux,  kidnappés de l’Afrique,  osèrent apprendre aux empires kleptocrates européens, maîtres absolus des vols et des rapines en Amérique et en Afrique, le sens équitable et plénier du concept de « Liberté ». Heureusement pour le monde progressiste, les farouches défenseurs du  napoléonisme, quoiqu’ils aient fait, ne sont pas parvenus à enlever les dates du 18 novembre 1803 et du 1er janvier 1804 de la mémoire blessée  et orgueilleuse d’un passé colonial qui porte les brassards de la cruauté, de la « hautainerie », du dédain, de l’arrogance, de la condescendance… Le chêne apprit à ses dépens cette nuit-là, à Vertières, qu’il ne pouvait éternellement continuer à « braver l’effort de la tempête ». Alors que  le roseau plia, mais, comme toujours, ne rompit pas.

Aucun document officiel ne relate les tribulations, les souffrances de Paris, ni ne souligne le comble de ses désespoirs à Vertières ou à la Crête-à-Pierrot. Ses cris de détresse mêlés aux grondements des tonnerres de la victoire monumentale d’Henri Christophe et de ses frères d’armes ont traversé l’océan Atlantique. Bonaparte – comme il le fit sans remords et sans souci dans ses campagnes d’Italie, d’Égypte, d’Allemagne, de Russie – sacrifia 40 000 français environ sur le sol de Saint-Domingue. Il sera donc difficile pour la République d’Haïti d’échapper à la haine des « blancs » négrophobes.

En cette triste époque où la déchéance sociale  et la trahison politique trônent à leur plus haut sommet, nous nous courbons devant les esprits errants des martyrs et héros de la guerre de l’indépendance qui ont légué à leurs descendants une patrie inachevée,  forgée dans le sang, mais qui représente, malgré tout, une grande fierté nationale. Ce peuple résilient, courageux, combatif finira certainement par triompher des forces occultes qui l’ensorcellent. Il éliminera les tares morales, intellectuelles et physiques, sources de toutes les déconvenues qui l’assaillent et  reprendra son périple vers son « Canaan ». Nous avons écrit dans l’ouvrage Les Tigres sont encore lâchés : « Haïti s’éveillera. Comme le Cuba castriste. La Chine maoïste. La Russie léniniste. Le Burkina Faso sankaraiste.  Et une fois de plus,  elle étonnera le monde. » 

     Hérode, roi de Judée, demanda à son conseiller : « Qui est ce Messie qu’ils attendent? » Le subalterne répondit de manière désinvolte : « Quelqu’un qui ne viendra jamais! » Cependant, comme le révèlent les Écritures, l’homme se trompa. Car le Messie vint. Parce que Jérusalem détruisait ses « Prophètes ». La société haïtienne guette l’émergence d’un cerveau intelligent, génial qui viendra – au sens où le rapporte Herbert Marcuse [1] – la « forcer à être Libre ».  L’essayiste s’aligne sur les approches théoriques rousseauistes pour expliquer : « La contrainte est rendue nécessaire par les conditions immorales et répressives dans lesquelles vivent les hommes. Son idée fondamentale est la suivante : comment des esclaves, qui ne savent même pas qu’ils sont esclaves, peuvent-ils se libérer? Comment peuvent-ils obtenir spontanément leur émancipation? Il faut les éduquer et les guider, leur apprendre à être libres et ce d’autant plus que la société dans laquelle ils vivent a recours à des moyens plus variés pour modeler et préformer leur conscience et pour les immuniser contre tout choix possible. [2] »

Les puissances impérialistes se mêlent des affaires internes de l’État haïtien pour le dérouter de tous les objectifs sociopolitiques salutaires

Dans le langage de la philosophie révolutionnaire, cette forme de contrainte que Rousseau a justifiée dans le cadre de la réflexivité portant sur les principes fondamentaux des libertés politiques et des droits collectifs et individuels s’inscrit dans la logique de ce qu’Hébert Marcuse qualifie de « dictature éducatrice ». On ne peut pas compter sur des citoyens dont certains – très orgueilleux et inconscients –  paraissent mal-éduquées, mal-instruits, et d’autres – la grande majorité –  complètement illettrés, analphabètes et ignorants, pour changer les vieilles structures sociétales héritées du mouvement anti-esclavagiste de la fin du 17ème et du commencement du 18ème siècle à Saint-Domingue, qui permit de fonder de peine et de misère un État embryonnaire, présentant tous les symptômes fatals de la malformation congénitale. Aurions-nous besoin de remonter à chaque instant, comme le font les sociologues et les politologues, – et ce qui est bien pour perpétuer la mémoire historique –  le lit des périples suivis par la République d’Haïti depuis sa fondation héroïque et épopéenne pour faire admettre l’idée irréfutable que cette vielle bourgade de 27 750 kilomètres carrés  avec ses frontières poreuses a toujours cheminé dans la direction opposée à son bien-être ? Les résultats de cette errance néfaste crèvent les yeux. En utilisant un raisonnement de causalité pour déterminer les effets destructeurs à la base de la situation accélérée de débâcle sociale et de détérioration économique que nous observons dans les rues de Port-au-Prince, nous pouvons postuler librement qu’il existe des menaces de disparition, presque irréversibles, qui planent sur l’existence des habitants. Les cratères de la récession permanente formés par le phénomène de la corruption institutionnalisée  et de la coercition ruineuse finiront par harper les dernières ressources intellectuelles et matérielles encore disponibles. Les individus qui n’auront pas la possibilité  de grimper à bord d’un canot de sauvetage, comme Jack et Rose dans le film Titanic de James Cameron,  couleront dans les eaux hivernales de l’Atlantique.

S’il existe véritablement un rapport étroit entre la  morale et la politique, faut-il abandonner ces citoyens trompés, opprimés, oppressés, exploités à leur triste sort, ou adopter,  au contraire, les grands moyens qui permettront de les sauver, même contre leur gré, d’une catastrophe démocidaire? La réflexion sur la « liberté contraignante » devrait occuper un grand espace dans les fora sur l’avenir socio-économique et politique de la Nation haïtienne.  Forcer les pauvres du monde à se « libérer » de la  dictature  oligarchique  devient  une « nécessité absolue ». Platon insiste : « Seuls le savoir et l’honnêteté doivent gouverner. » En ce sens, l’un et l’autre se complètent. Nous parlions à la doyenne d’une Faculté de gestion et d’administration dans une université québécoise qui a organisé à Port-au-Prince plusieurs conférences sur l’évolution du rôle de la haute fonction publique. Elle nous a avoué que le retard considérable que connaît Haïti par rapport aux autres pays de la région viendrait du fait que les rares citoyens qui sont allés à l’université souffrent d’un déficit de méthodologie qui les empêche de faire des choix de développement appropriés et viables, dans le but d’aider leur pays à avancer. Ils se montrent étonnamment incapables de se servir de la théorie pour compléter le trajet de systématisation de l’objet par la phase finale qui est  sa concrétisation ou sa  matérialisation.

Les puissances impérialistes se mêlent des affaires internes de l’État haïtien pour le dérouter de tous les objectifs sociopolitiques salutaires! Il faut que la République d’Haïti arrête cette marche mortelle qu’elle entreprend vers le Nord. Le soleil levant se trouve à l’Est. L’Ouest symbolise la noirceur, la peur, la désolation, la paupérisation, l’appauvrissement, le choléra, le sida, l’exode interne et externe…

Les élections, de la façon dont elles sont conçues et organisées, ne contribuent pas à promouvoir la démocratie dans les pays truffés d’analphabètes comme Haïti. Elles demeurent une source intarissable de division, de corruption, de coquinerie, de fraude, de malhonnêteté… Quand elles ne permettent tout simplement pas à la médiocrité d’être investie en lieu et place de l’intelligence. À bas  Jésus !  Vive Barabbas ! À bas Anténor  Firmin !  Vive Nord Alexis !

Depuis le 1er janvier 1804, les Haïtiens errent à l’aveuglette dans la nébulosité de l’incapabilité. Seraient-ils sortis de l’enfer du féodalisme esclavagiste pour se voir finalement engloutis sous les flots de la misère et de l’ingouvernabilité ?  Dessalines, Pétion, Christophe les ont extirpés des flammes brûlantes du colonialisme. Mais qui leur permettra d’échapper à l’autodestruction? Qui les éloignera des pentes escarpées qui ralentissent considérablement leur déplacement vers les lieux édéniques où est supposée les attendre leur petite tranche de bonheur terrestre?

De 1804 à 2022, rien n’a changé pour les masses populaires haïtiennes. Un climat d’exploitation révoltante au profit des grands dons, à l’avantage de la bourgeoisie compradore qui achète au prix faible et revend au prix fort. Un marché de libre concurrence. Ou plutôt de concurrence déloyale. Avec des résultats catastrophiques. Oppressants pour les pères et mères de famille qui pataugent dans les eaux marécageuses d’une vie terne, décourageante, truffée d’incertitude, débordée de maladie, saturée de chômage et empoisonnée de banditisme. Les années passent. La République d’Haïti est encore plongée dans l’exode et la mendicité abjecte. C’est comme s’il n’y avait plus rien à tenter pour freiner la corrosion des organes principaux de notre fierté nationale.

Sans un mouvement de Révolution universalisée, il n’y aura point de salut pour les appauvris et les déshérités du système néocolonialiste.


Références

[1] Herbert Marcuse, Culture et Société, les Éditions de Minuit, 1970.
[2] Herbert Marcuse, Culture et Société, les Éditions de Minuit, 1970.

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