36 ans après, la Transition continue !

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Cette situation d’une « Transition à l’autre » ne peut plus durer. C’est le pays, la population, ce sont les éternels oubliés du système qui en paient le prix.

C’est une évidence pour tous les Haïtiens y compris les acteurs politiques et de la Société civile, artisans de cette nouvelle Transition politique en Haïti, que l’année 2022 commence sur de mauvaises bases. Si depuis 36 ans ce pays a déjà traversé sans arrêt  plus de trois cycles de Transition, malgré des tentatives laborieuses et désespérées pour s’en sortir avec des élections et des gouvernements intérimaires, le moins que l’on puisse dire en ce début d’année, c’est que la fin n’est pas pour demain. Sans vouloir jouer au prophète de malheur, ni interpréter dans une boule de cristal, on peut dire, sans risque de se tromper, que les Haïtiens vont simplement passer d’une Transition à une autre. En clair, l’on va rejouer la même pièce de théâtre, avec les mêmes acteurs, le même décor et surtout la même narration. Rien ou presque ne devrait changer au cours de cette nouvelle édition. Sauf, peut-être, quelques figurants qui vont tenter de remplir les places laissées vacantes durant l’année dernière pour cause de départ naturel ou provoqué. La transition politique en Haïti est une histoire récente.

À ne pas confondre avec les gouvernements éphémères qui peuvent se produire même durant une période transitoire.  Paradoxalement, depuis la fin de la dictature de 1986 et l’avènement des régimes issus de la Constitution de 1987 ou dit constitutionnels, il n’y a pas vraiment eu de gouvernements éphémères comme ce fut jadis du temps des baïonnettes. Mêmes les régimes militaires post-Duvalier, conduits successivement par les trois généraux des anciennes Forces Armées d’Haïti (FADH), Henry Namphy, René Prospère et Raoul Cédras, ne peuvent être classés parmi des gouvernements éphémères type Michel Oreste, Oreste Zamor. Et pour cause. Même si ces militaires n’ont pas bouclé un mandat complet de cinq années, ils n’ont jamais prétendu être légitimes. Les trois généraux putschistes de l’ère démocratique s’aventuraient assez curieusement dans le cadre de la Constitution de 1987 et dans le premier cycle de la transition post-dictatoriale.

Tandis que les Joseph Davilmar Théodore et compagnie évoluèrent eux avec la ferme intention de garder définitivement le pouvoir par la force jusqu’à ce qu’un autre militaire ou un autre groupe armé vienne les déloger du Palais national. En fait, on ne commence vraiment à parler de régime de Transition politique en Haïti qu’à partir de la chute du régime des Duvalier. Ce qui signifie qu’en théorie l’on passe d’un régime politique à un autre ou d’un système politique à un autre. Depuis la promulgation de la Constitution de 1987 qui, d’ailleurs, est appelée à disparaître dans la cadre de la réforme constitutionnelle initiée par le défunt Président Jovenel Moïse et repris par les tenants de cette nouvelle Transition, aucun gouvernement, disons aucun chef de l’Etat n’a jamais cherché à garder vraiment le pouvoir de manière évidente. Certes, certains ont tenté d’installer des Présidents de doublure, exemple Jean-Bertrand Aristide et René Préval, d’autres sont mêmes parvenus à avoir le successeur qu’il voulait genre Michel Martelly et Jovenel Moïse.

Mais, aller jusqu’à dire que l’un d’entre eux avait voulu rester au Palais national après son mandat de 5 ans serait injustifié pour ne pas dire serait une contre-vérité. Tous, absolument tous, ont toujours œuvré pour une Haïti démocratique avec comme boussole, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Constitution. De fait, l’on n’est jamais sorti de l’idéal démocratique entamé en 1986 même quand ce sont les militaires qui avaient les commandes de l’Etat puisqu’ils parlaient tous de correction démocratique en organisant leur coup d’Etat, quand bien même la plupart avait mis en veilleuse certains articles de la Constitution durant leur passage à la tête du pays. Ainsi, si l’on part du principe qu’un cycle dure une décennie, c’est-à-dire 10 ans, on peut en conclure que depuis la fin du régime dictatorial de la famille Duvalier, qui lui-même avait duré 30 ans, la Transition politique post-Duvalier vient d’entamer son quatrième cycle dans la mesure où cette année 2022 lui fera trente six ans.

Une pauvre femme et ses deux enfants à Cité l’Éternel

C’est un record. Il est rare, en effet, qu’une période transitoire, qu’elle soit politique ou économique, soit aussi longue. L’objectif même d’une Transition politique qui est une période à cheval sur plusieurs thématiques avec un agenda précis et clair consiste d’abord à apaiser les tensions entre les protagonistes et ensuite sortir rapidement de cette conjoncture mouvementée. Surtout une période transitoire ou de transition est logiquement très instable sur le plan politique et peu productrice en ce qui concerne la création des richesses. Depuis 1986, les élites haïtiennes ont toujours été à l’exact opposé. C’est une grave anomalie ! Dans une transition  on ne cherche pas à consolider les choses mais seulement à les corriger, les mettre en place et les faire fonctionner tout en évitant la pagaille et le désordre. Un temps nécessaire pour replacer chaque élément, chaque acteur pour un fonctionnement normal des institutions ou de l’entité défaillante. D’où son appellation de « Transition » qui est différente de l’« Intérim » qui consiste à continuer le travail commencé sans pour autant avoir le droit de changer quoi que ce soit, le temps qu’on nomme un titulaire.

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Or, en Haïti, c’est un vrai problème depuis ces 36 dernières années. Non seulement les acteurs confondent tout, mais ils font exactement le contraire avec les deux options – Transition et intérimaire – qui ont chacun son champ d’action. Autant dans une période de Transition, on cherche surtout à stabiliser les choses pour que ceux qui viennent après puissent les consolider, les rendre pérennes, autant quand on assume l’intérim l’on poursuit le travail de son prédécesseur. En Haïti, depuis 1986, les choses se passent différemment. Les acteurs politiques, voire ceux de la Société civile, font exactement le contraire. Les deux entités se marchent dessus et continuent à pratiquer la politique des régimes ou pouvoirs précédents sans jamais chercher à gouverner et évoluer autrement afin de stabiliser au moins la Transition dont ils ont la charge. Une Transition dont on ne sait pas avec certitude si depuis 1987 elle évolue dans un Etat de droit, ou au contraire si c’est une « bamboche démocratique » dans la mesure où personne, même l’Etat, ne contrôle rien.

D’où toutes les difficultés pour ceux qui, année après année, élection après élection,  prennent la succession de pouvoir consolider le système démocratique et stabiliser le pays sur le plan politique et institutionnel. Le rôle de tous régimes de transition est de poser la base pour l’avènement d’un régime politique stable, définitif et solide afin de sortir du système transitoire qui est une sorte de passerelle entre l’instabilité en la stabilité. Justement, depuis 1991, l’année de la première élection démocratique qui devrait logiquement sortir le pays de la première transition, les gouvernements se suivent et se ressemblent. Les acteurs se complaisent dans une posture à recopier la politique du pire. Les gouvernements, comme les oppositions, n’arrivent pas à sortir de cette logique de destruction. De 1991 à aujourd’hui, jamais un Président n’est parvenu avec son équipe à reprendre la barre du pays en posant les bases solides devant marquer la fin de la Transition.

De scrutins présidentiels en élections générales, ce sont toujours les mêmes ingrédients et les mêmes méthodes issus du passé qui façonnent le paysage politique du pays. Chaque nouveau gouvernement ou nouvelle équipe arrivant au pouvoir s’emploie à reproduire les erreurs de ses prédécesseurs. Fonctionnant tous à la manière des régimes intérimaires, ils ne font que poursuivre la politique néfaste qui était en cours durant les années précédentes comme s‘ils avaient eu ou ont pour mission de garder le statu quo ante. D’où cette sempiternelle Transition qui se renouvelle quasiment à l’identique tous les 5 ans ou chaque fois qu’un régime part de gré ou de force. Du premier Président élu de la République, sous l’empire de la Constitution de 1987, Jean-Bertrand Aristide, au dernier chef de l’Etat élu, Jovenel Moïse, en passant par tous les autres, c’est quand même étonnant et inquiétant de constater que pendant ces 36 ans de transition politique pas un seul n’a pu donner une autre orientation à ce mode de régime. Certes, on ne va pas les accabler ici, ni les rendre tous, dans une démarche purement démagogique, responsables de la longévité de cette tragique transition qui n’en finit pas.

Ils ne pouvaient seuls réussir une politique nécessitant l’acceptation, la participation et la collaboration de tous les acteurs, en d’autre terme, les élites du pays. Surtout, aucun Président de la République, qu’il soit élu ou provisoire, aucune équipe gouvernementale, qu’elle soit légitime ou intérimaire, n’a jamais pu présider et gouverner ce pays de manière sereine. Du premier au dernier jour de leur mandat, pourtant constitutionnel, ils se préoccupaient à défendre bec et ongles ce pouvoir comme du temps des généraux de la période post-coloniale. Les obstacles se multiplient dès les premiers jours et ce jusqu’à leur chute ou leur départ. Sur le plan politique, Haïti vit depuis 1987 comme s’il est dans une sorte de guerre civile avec pour conséquence la dislocation et le dysfonctionnement de tous ses appareils étatiques et régaliens. Les pouvoirs politiques, les oppositions et le reste des élites haïtiennes qui sont, en réalité, interchangeables, fonctionnent, en vérité, en tandem réciproque.

Ils partagent donc les responsabilités de cette Transition sans fin. Considérons aujourd’hui le rôle et le comportement d’un Me André Michel du SDP, radical parmi les radicaux, demandant sans vergogne le départ du dernier Tiers des sénateurs, parce que hier, les autorités qu’il avait combattues avaient procédé de la sorte. Il tient à ce que son nouvel allié, le Premier ministre a.i Ariel Henry, d’ailleurs épinglé une nouvelle fois dans le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, poursuive la même politique de ses prédécesseurs. Trop de contradictions ! On ne sortira jamais de la Transition en Haïti. Les Présidents qui ont eu la chance de sortir vivants du Palais national et terminer en catastrophe leur mandat n’ont rien d’un « héros », mais ils ne sont pas non plus les seuls responsables de la poursuite de cette Transition de la discorde.

Puisque, une pléthore de mandarins sans vision, ni principe, ni positionnement idéologique, motivés seulement par leur ambition personnelle se bousculaient pour se barricader au Palais national en inventant moult raisons. Résultat : à chaque fois une nouvelle équipe arrive au pouvoir, le pays se transforme immédiatement en champ de bataille politique et du coup, tout le monde y compris ses opposants oublient l’essentiel qui est avant tout de sortir de ce régime de Transition devenu source d’instabilité politique et de blocage à tout avènement à un régime politique normal, consensuel et démocratique. Cette situation d’une « Transition à l’autre » ne peut plus durer. C’est le pays, la population, ce sont les éternels oubliés du système qui en paient le prix. Certainement pas ceux qui, hier étaient au pouvoir ni les nouveaux caciques et cadors qui sont aujourd’hui aux commandes de l’Etat. Ils feront tout pour qu’une autre remplace celle-là dans un ou deux ans même avec de nouvelles élections. Malheureusement, c’est bien parti pour eux. Car, au vu de la façon dont les choses s’annoncent pour cette année 2022, on peut dire que ceux qui vivent depuis ces 36 dernières années de la Transition ont encore de beaux jours devant eux.

C.C

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