(8ème partie)
QUI SE RESSEMBLE S’ASSEMBLE
À ce jour, Stephen Miller est le seul haut personnage à perdurer dans la Maison Blanche où la rotation d’un officiel est une moyenne de 9 mois à son poste. Comment a-t-il fait? Au-delà du manque d’empathie, là où un tel personnage excelle est dans la manipulation. Evidemment avec Trump ce n’est pas très difficile, puisque même un Kim nord-coréen a réussi à s’en faire un bon copain (jusqu’à ce deuxième sommet où les conseillers de Trump lui ont dit de laisser tomber un sujet bien trop controversé). De plus, Trump, lui-même un fameux narcissiste, a besoin de l’intelligence et des talents d’écrivain de Miller. La paire se complète à ravir, en parfaite symbiose. Trump est le showman, l’escroc, l’extraverti, prêt à charmer et flirter de sa manière fausse et lourde, et Miller, l’inadapté social, est son ventriloque. Trump est la marionnette aux joues oranges qui régurgite les mots avec lesquels Miller le nourrit, dans un “show sans fin”, comme le décrit la fameuse activiste anti-capitaliste Naomi Klein.
Le discours d’inauguration de Trump était sombre et coléreux, à l’image de son auteur, Miller, qui a choisi une citation tirée de son film préféré, The Dark Knight Rises, un film de super-héros sombre: “La cérémonie d’aujourd’hui a cependant une signification toute particulière, car aujourd’hui, nous ne transférons pas simplement le pouvoir d’une administration à une autre ou d’un parti à un autre, nous transférons le pouvoir de Washington et le rendons à vous, le peuple”.
Et Trump de continuer: “Pour trop de citoyens, une réalité différente existe: des mères et des enfants pris au piège de la pauvreté dans nos centres-villes; des usines rouillées dispersées comme des pierres tombales dans le paysage de notre pays; un système éducatif débordant d’argent, mais qui laisse nos jeunes et beaux élèves privés de connaissances; et les crimes, les gangs et les drogues qui ont volé trop de vies et ont privé notre pays de tant de potentiel non réalisé”. “Il faut arrêter le carnage américain”. “America First!”
Un autre aspect de ce film apocalyptique qui a frappé Miller et qu’il a également utilisé dans un autre discours-clé: Bane, un personnage masqué mystérieux auquel Miller s’identifie peut-être, et qui trouve “la source de sa fermeté révolutionnaire [dans] l’amour inconditionnel”. Au cours des rassemblements de la campagne électorale de Trump, Miller scandait inlassablement: “Nous allons construire ce mur, et nous allons le construire par amour!” Dixit Trump lors de son discours sur l’état de l’Union, ce 5 février: “Ce soir, je vous demande de défendre notre très dangereuse frontière méridionale, avec de l’amour et du dévouement envers nos concitoyens et notre pays”.
Ce film s’est inspiré du roman de Charles Dickens, A Tale of Two Cities (Paris et Londres), Une histoire de la révolution française, notamment avec le personnage de Madame Defarge qui tricote et tue, chaque maille correspondant au nom d’un condamné destiné à être étranglé, symbolisme du règne de la Terreur sous lequel les anti-royalistes Jacobins guillotinaient notamment les aristocrates et ceux dits coupables de crimes politiques. La vengeresse Madame Defarge, l’anti-héros, inspirant le caractère de Bane – le bon terroriste qui venge les pauvres en s’attaquant aux riches à une époque où la société est en plein désarroi – qui à son tour pourrait inspirer un jeune messie dérangé.
LOYAUTÉ INCONDITIONNELLE AU PARRAIN
Dans son tout récent livre, La menace: Comment le FBI protège l’Amérique à l’époque de la terreur et de Trump, Andrew McCabe, sous-directeur du FBI congédié par Trump en janvier 2018, accuse le président d’introduire une «souche de folie» dans la vie publique et d’“utiliser la tactique et la rhétorique des dictateurs totalitaires pour persuader des ‘troupes de choc’ loyales que toute personne en désaccord avec lui est un traître”, et il avance que le “refus de tolérer toute autre vue que la sienne ‘alimente une souche de folie dans le dialogue public’”.
Richard Painter, l’avocat d’éthique sous George W Bush, a été plus loin en disant que la déclaration d’urgence nationale de Trump était “‘manifestement illégale’ et résulte de l’état d’esprit du président. ‘Le président ne va pas bien du tout mentalement. Je pense que c’est un narcissiste extrême. Il a été privé de ce qu’il veut, de son mur, et il pique une crise de rage. Il est hors de contrôle et ne respectera pas le refus du Congrès. Et il va faire ça. Il va insister pour le faire, il va déchirer le pays. C’est inconstitutionnel, c’est illégal’. ‘Il va faire des dégâts énormes au parti républicain qui va se diviser au milieu de cela, et nous devons vraiment garder à l’esprit que c’est parce que le président ne va pas bien.’”. Et il vient d’intenter un procès contre Trump.
McCabe ajoute que “Trump agit comme un chef criminel de mafia”. Et quel est le premier commandement d’un “parrain” mafieux? La loyauté inconditionnelle. C’est la raison principale que Trump a congédié son ministre de la justice, Jeff Sessions, en novembre dernier, malgré que le type faisait un excellent travail de sabotage de l’immigration et était l’un des premiers supporters de Trump. L’homme avait commis l’erreur capitale de se récuser de l’enquête du ministère de la Justice sur l’ingérence de la Russie lors de l’élection de 2016. Soit de ne pas épauler et défendre son chef en mettant fin à l’enquête, maintenant menée par Robert Mueller sur Trump.
Un troisième officiel, Michael Cohen, ancien avocat de Trump, a dit par l’intermédiaire de son avocat que Trump «traite mal les gens. Il n’a aucun caractère moral quant à frauder des personnes dans ses entreprises, faire faillite, retirer de l’argent et mettre des personnes au chômage. Il manque de la boussole morale que nous attendons de nos présidents”.
Finalement, l’ancien gouverneur républicain du Massachusetts, Bill Weld, va se présenter comme candidat contre Trump qui, dit-il, doit humilier les gens pour montrer qu’il est le patron.
Yoni Appelbaum, rédacteur principal au magazine The Atlantic, vient d’écrire une longue analyse demandant la destitution de Trump qui, entre autres, “exige que les fonctionnaires mettent leur loyauté au-dessus de leur devoir envers le public”. “J’ai besoin de loyauté. J’attends de la loyauté”, est le motto de Trump. “Mon honneur est la loyauté”, était le motto des SS nazis déjà mentionnés.
C’est ici que Miller entre en jeu, dont la loyauté est le principal attribut et dont le rôle public est de défendre son patron contre ces nombreuses attaques de gros calibre. Au cours de la fameuse entrevue télévisée avec Jack Tapper sur CNN le 7 janvier 2018 on a pu voir comment en fait il s’adressait à Trump en le défendant sans répit contre les accusations de Michael Wolff, un journaliste primé dans le premier livre exposant le président, Fire and Fury: Inside the Trump White House. Après avoir longuement loué Trump pour être un“self made milliardaire” et un “génie politique” qui a “puisé dans quelque chose de magique qui se passe au coeur de ce pays”, Miller s’est tellement répété et évité les questions que le présentateur l’a coupé en disant: «Il y a un [seul] téléspectateur qui vous tient à cœur en ce moment et vous êtes obséquieux, vous êtes un factotum pour lui plaire”. Trump regardait l’émission puisqu’il a tweeté à la fin: “Regardez la haine et l’injustice de ce laquais de CNN!”, parlant du présentateur Jack Tapper.
DES CHIFFRES LANCÉS EN L’AIR
L’autre caractéristique majeure d’une personnalité comme Miller est le mensonge. Un exemple éloquent quand il était à la Santa Monica High School, il aimait répéter l’histoire du drapeau, notamment lors de ses 69 participations au show radiophonique de Larry Elder, un républicain. Un professeur aurait “trainé” le drapeau par-terre pour que les élèves marchent dessus dans une démonstration d’anti-américanisme de cette école libérale. C’est là qu’un auditeur a eu vent de Miller, David Horowitz un activiste conservateur décrit par le Southern Poverty Law Center comme “un moteur des mouvements antimusulmans, anti-immigrés et anti-noirs”. Invité chez lui, Miller parlait de patriotisme et de respect du drapeau.
Adrian Karimi, un avocat, et Jenness Hartley, une enseignante et amie du copain de Miller, Chris Moritz, se rappellent cet incident avec leur professeur d’histoire. “Après le 11 septembre, alors que tout le monde brandissait des drapeaux, M. Megaffin a mené une discussion sur le patriotisme et le symbolisme. Il a posé le drapeau sur le sol et nous a demandé: ‘Qu’est-ce que le drapeau signifie maintenant?’ C’était une leçon pour nous aider à comprendre nos sentiments sur le patriotisme. Stephen en a parlé à Larry Elder, disant que l’enseignant avait trainé le drapeau par-terre et avait manqué de respect. L’enseignant était en fait respectueux et n’a pas invité les élèves à marcher sur le drapeau”.
Miller a lui-même admis son flagrant mensonge à Hartley qui raconte: “Je lui ai demandé: ‘Pourquoi n’as-tu pas dit que l’incident du drapeau faisait partie du cours?» Il a répondu: ‘La vérité n’a pas d’importance. c’est ce que les gens veulent entendre’. Je m’en souviens très bien”.
Kesha Ram, une camarade de classe et ex-législatrice du Vermont élue à l’âge de 22 ans, rapporte qu’il “vivait dans un univers sans données factuelles et en sélectionnant les faits qui lui convenaient”. Un autre camarade de classe, Nick Silverman, un écrivain de Los Angeles: dans leur cours sur le gouvernement, Miller avait inondé «l’opposition avec des statistiques et des chiffres invérifiables, des déclarations sans fondement lancées avec son audace articulée. Il te matraquait avec des preuves sortant de nulle part, des chiffres de morts par arme à feu ou des statistiques d’immigration qui étaient généralement de fausses ou de grossières exagérations”. Maintenant qu’il est au gouvernement, “Ses arguments ne sont pas non plus fondés sur des éléments tels que la preuve et la raison”, rapporte Michael Paarlberg du Guardian.
Cela, ajouté à une manipulation facilitée par le chaos régnant dans la Maison Blanche et sa proximité de Trump, a eu pour résultat qu’avec l’aide d’alliés mis dans des postes-clé comme nos biens connus Gene Hamilton, Lee Cissna, Thomas Homan (ICE) ainsi que John Walk, un juriste de la Maison Blanche et beau-fils du ministre de la justice de l’époque Jeff Sessions, ils ont écarté à la fois le département d’Etat, le département de la Défense, les chefs d’état-major, le bureau du vice-président et le bureau de la gestion et du budget, et réussi à rabaisser le nombre de réfugiés à admettre en 2018 à 45.000 de 110.000 qui avait été fixé par Obama pour 2017, le plus bas de la décennie. En 2019 cela a été fixé à 30.000. Et Miller se promet de descendre à zéro. Comme nous avons vu, il avait fait la même prouesse solo avec l’interdiction de voyage ressortissants de sept pays musulmans. Alors, torpiller le TPS était d’une facilité déroutante. “Le processus n’a jamais été aussi corrompu”, a confié un officiel du département d’Etat au journaliste Jonathan Blitzer du New Yorker qui a fait beaucoup de recherches au sein de la Maison Blanche.
Dixit la journaliste Abigail Tracy de Vanity Fair qui a interviewé une dizaine d’officiels au sujet des réfugiés, parmi lesquels un haut responsable du Sénat: “Miller a trouvé des moyens de détourner l’appareil du gouvernement afin de saper la mission fondamentale de ces agences. ‘Maintenant, cela ressemble un peu à l’approche par les termites, qui consiste à placer les gens à l’intérieur et à les ronger de manière plus discrète, plus subtilement à l’intérieur’. Ce n’est pas aussi transparent pour le monde extérieur, et ils détruisent tout simplement des programmes qui ne les intéressent pas”.
«Il prétend parler pour le président tout en manipulant les informations que le président reçoit, afin que le président n’entende jamais d’autres points de vue ou arguments”. Et ainsi, Trump régurgite des faits qui n’ont aucun rapport avec la réalité, y compris pendant le discours sur l’état de l’Union du 5 février où Trump a réservé ses hyperboles pour l’immigration.
Voici quelques prétextes avancés par Trump pour construire son mur sur “notre très dangereuse frontière méridionale”, comme il l’a qualifié à quelques reprises, suivant la technique classique du ministre de la propagande sous Hitler, Joseph Goebbels: “Si vous répétez un mensonge assez souvent, les gens le croiront et vous-même pourrez finir par le croire “.
“Chaque année, d’innombrables Américains sont assassinés par des étrangers illégaux”, a dit Trump dans son discours sur l’état de l’union. Ted Hesson, reporter d’immigration rectifie: “Des études montrent que les immigrants – légaux ou sans papiers – sont moins susceptibles de commettre des crimes que les Américains nés dans le pays. Un rapport publié en juin 2018 par l’institut libertaire Cato a révélé que les immigrants sans papiers étaient deux fois moins susceptibles d’être incarcérés que les personnes nées dans le pays”.
Quant aux réfugiés battus en brèche par Miller et qualifiés de “menace pour la sécurité des Etats-Unis”: “Sur les plus de 3 millions de réfugiés admis aux États-Unis entre 1975 et 2015, seuls trois ont commis des actes terroristes, tuant au total trois personnes, tous commis par des Cubains dans les années 1970, avant la mise en place de notre processus actuel de filtrage des réfugiés. Aucune des principales fusillades ou actes terroristes commis aux États-Unis ces dernières années – San Bernardino, Boston, Orlando, Las Vegas ou le 11 septembre – n’a été perpétrée par des réfugiés”. Les réfugiés sont admis au terme d’un strict processus de contrôle qui dure près de deux ans et comprend 20 étapes par plusieurs agences gouvernementales.
Trump a demandé à son Département de la santé et des services sociaux combien coûtaient les réfugiés et il a reçu cette réponse: les réfugiés génèrent des recettes fiscales de 63 milliards de plus que ce qu’ils ont coûté aux contribuables étatsuniens. Miller s’est empressé d’escamoter ce rapport officiel.
Le National Bureau of Economic Research révèle de son côté qu’en moyenne, les réfugiés aux États-Unis paient 20.000 dollars de plus par personne en impôts qu’ils ne perçoivent en avantages sociaux. Et après s’être établis dans le pays, ils sont plus susceptibles que les citoyens nés aux États-Unis ayant le même niveau d’éducation d’occuper un emploi et moins susceptibles de recevoir de l’assistance publique.
Au cours de ce même discours sur l’état de l’union, Trump a prétendu que “des dizaines de milliers d’Américains innocents sont tués par des drogues mortelles qui traversent notre frontière”. Or, selon la propre Drug Enforcement Administration du gouvernement, la quasi-totalité de l’héroïne passe par les points d’entrée officiels, tandis que le fentanyl de haute pureté (100 fois plus puissant que la morphine) vient directement de Chine.
Trump répète souvent que les trafiquants amènent clandestinement des milliers de jeunes femmes aux États-Unis par les espaces non protégés de la frontière pour les vendre à la prostitution et à l’esclavage moderne. Et quelles sont souvent ligotées avec du ruban adhésif placé sur leur bouche. Les experts, rapporte Ted Hesson, disent que ces affirmations ressemblent davantage à un film hollywoodien qu’à la réalité. Des groupes représentant 80 organisations de lutte contre la traite des personnes ont qualifié ces déclarations de “dangereuses et destructrices” dans une lettre aux membres du Congrès avant le discours sur l’état de l’Union. Les victimes de la traite humaine arrivent principalement aux États-Unis avec un visa.
Finalement, Trump a dit que sous sa présidence, “nos braves officiers ICE ont fait 266.000 arrestations d’étrangers criminels y compris les personnes accusées ou reconnues coupables de près de 100.000 assauts, 30.000 crimes sexuels et 4.000 meurtres ou assassinats”.
Selon les rapports mêmes de ICE, ses officiers ont arrêté 3.914 immigrants accusés ou reconnus coupables d’homicide. Cependant, les infractions les plus courantes en matière d’arrestation étaient relatives au code de la route, en matière d’immigration, et à la drogue.
Terminons avec une note sur les réfugiés. Les chiffres notés ci-dessus sont le plafond déterminé chaque année par le président étatsunien. En 2018 donc, Miller l’avait fait descendre à 45.000. Mais à la fin de l’année, seuls 22.491 ont été admis, une baisse de 90% des réfugiés en provenance de pays musulmans, et de 40% d’Amérique latine… La “terre de liberté” admet un pour mille sur les 20 millions de réfugiés dans le monde.
«C’est vraiment le démantèlement de l’infrastructure du programme aux États-Unis», déclare Jennifer Quigley, stratège en défense des droits chez Human Rights First à Washington, qui ne serait pas surprise si le programme d’aide aux réfugiés était carrément dissous avant la fin de la présidence de Trump/Miller.
Nous avons vu que l’administration Trump utilise les mêmes méthodes pour teinter de dépeindre les TPS comme criminels ou bénéficiaires d’assistance publique, basées sur l’idéologie nativiste et non pas sur les faits.
(Précédent TPS 7, suivant TPS 9)
(A suivre)