Washington et Ottawa font le ménage politique en Haïti!

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L’ex- ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Berto Dorcé et celui de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, Liszt Quitel.

(3e partie)

Si la plupart des mises en cause n’ont fait aucun commentaire sur les graves accusations portées contre eux par la Communauté internationale, particulièrement les Etats-Unis et le Canada, certains parmi le premier groupe d’accusés ont protesté avec véhémence et conviction. C’est le cas de l’ancien député de Delmas, Gary Bodeau, qui ne cesse de clamer son innocence par tous les moyens. Sur les Réseaux sociaux, dans la presse et par Communiqué de presse. Dans un long texte publié dans le quotidien Le Nouvelliste en date du 22 novembre 2022, l’ancien Président de la Chambre des députés a déclaré entre autres « (…) Moi, Gary BODEAU, je condamne sans équivoque le récent Communiqué de presse du gouvernement canadien, qui m’a étiqueté comme un individu impliqué dans le financement et la prolifération de gangs et d’autres groupes violents en Haïti.

 Le gouvernement canadien m’a accusé de participer à des violations des droits de l’homme contre mon propre peuple, le peuple haïtien. (…) À aucun moment de ma vie, je n’ai participé à des activités liées à des gangs, à des violations des droits de la personne, au trafic d’armes ou à toute autre trafic illicite dans mon pays ou ailleurs dans le monde. Je n’ai jamais pris part à aucune activité qui pourrait conduire à la déstabilisation de mon pays et nuire à la sécurité de mes compatriotes. (…) In fine, je demande à mes compatriotes haïtiens de continuer à croire en moi et à se tenir à mes côtés pendant que je continue à me battre pour la démocratie en Haïti. Je demande à toutes celles et ceux qui me connaissent que ce que soit dans la communauté nationale ou internationale de continuer à me soutenir au cours de cette longue traversée. En tant que fier fils d’Haïti, je prendrai toutes les mesures légales nécessaires pour laver mon NOM et regagner la confiance du public. Je suis certain que la vérité m’acquittera et qu’elle éclairera notre chemin vers la liberté. (…) ».

Quelques jours auparavant, ce sont deux ministres du gouvernement de Transition qui ont été eux aussi poussés vers la sortie par le Premier ministre de facto Ariel Henry sous la pression des Etats-Unis et du Canada voulant démontrer à la population haïtienne leur détermination, cette fois-ci, à prendre les rênes de l’« Opération Mains Propres » avant qu’ils n’interviennent effectivement et physiquement sur le terrain en Haïti. Les deux membres du gouvernement qui ont fait les frais de ce début de nettoyage politique préoccupation sont le Titulaire du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Berto Dorcé et celui de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, Liszt Quitel. Deux ministres qui, dès leur nomination au gouvernement, avaient été contestés par une partie de l’opinion publique, de la classe politique et de la Société civile. Ils sont suspectés  d’avoir des liens avec des trafics de drogues pour l’un et des gangs armés pour l’autre. Le cas de l’ex-ministre Liszt Quitel avait occupé l’actualité durant des semaines suite à l’affaire du kidnapping d’un Pasteur dont il aurait commandité l’enlèvement pour une affaire familiale.

Romel Bell, ancien Directeur général de l’Administration générale des Douanes haïtiennes

Ces deux ex-ministres ont été remplacés provisoirement en attendant qu’un consensus puisse être trouvé entre les différents Accords sur la Transition pour la formation d’une nouveau Cabinet ministériel, par Ariel Henry lui-même occupant par intérim le poste de ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales et par son ministre de la Culture, Emmelie Prophète Milcé, qui prend, elle, la tête du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique en attendant que les américains donnent l’ordre de combler définitivement ces deux postes par des personnalités qu’ils cautionnent dans le cadre de leur « Opération Mains Propres » en vue de reprendre le contrôle total des institutions publiques haïtiennes suite à la demande officielle des autorités haïtiennes qui avouent leur impuissance et leur incapacité à juguler l’insécurité et stabiliser politiquement le pays.

Comment oublier ou passer sous silence le coup de tonnerre qui s’est abattu sur la République avec le classement sur cette fameuse « liste noire » de deux anciens chefs de gouvernement et, en prime, un ex-chef de l’Etat d’Haïti ? Tous les observateurs guettaient la suite des évènements, c’est-à-dire qui allaient être impactés dans le torrent politico-diplomatique qu’ont déclenché les Etats-Unis et son fidèle allié le Canada. Comme toujours, les rumeurs courraient bon train à Port-au-Prince, voire dans tout le pays que des grosses pointures allaient faire l’objet de sanctions de la part de la Communauté internationale dans le cadre de cette opération engagée par Washington et Ottawa sur Haïti. Ces deux pays cherchent désespérément un consensus politique entre les différents Acteurs, Secteurs et Entités impliqués dans la Transition afin de faciliter l’intervention de troupes militaires étrangers à la demande du Premier ministre de facto, Ariel Henry, il y a déjà plus de deux mois. Malgré une réponse favorable de Washington à cette sollicitation, le dossier traine.

Une Résolution a même été votée par le Conseil de sécurité de l’ONU (Résolution 2653) donnant mandat aux Etats-Unis de trouver des partenaires pour les accompagner dans cette entreprise, non pas périlleuse, mais à haut risque politique tant dans le pays le projet ou la demande du chef du gouvernement de la Transition ne fait pas consensus, encore moins, l’unanimité ni parmi la population ni dans la classe politique. Alors, pour essayer de trouver le soutien de la population ou plutôt porter les citoyens à accepter l’arrivée des futurs soldats étrangers sur le sol haïtien, Washington demeure convaincu qu’une telle opération pourra le rendre populaire. Ainsi, outre des ex-parlementaires ou ceux encore en exercice, des ministres accusés de complicité de malversation, des oligarques économiques, il fallait frapper plus haut et plus fort dans la hiérarchie de la classe politique quitte à toucher même les vrais amis, des alliés d’hier, peut-être aussi des ressortissants américains.

Le but, c’est de donner des exemples. Les américains semblent dire comme le Pape Jean Paul II en 1983 sur le tarmac de l’aéroport Dr François Duvalier, à Port-au-Prince, aujourd’hui Toussaint Louverture, « Il faut que quelque chose change ici ». Ainsi, des figures de proue vont être mises en avant sur le tableau de chasse. Et quelle prise ! Deux anciens Premiers ministres, Laurent Salvador Lamothe et Jean Henry Céant. Enfin, un ancien Président de la République, Michel Joseph Martelly. A ce compte, personne ne peut dire que ce sont seulement les menus fretins qui broient la tasse. C’est le dimanche 20 novembre 2022 qu’on a appris par un Communiqué diplomatique que Laurent Salvador Lamothe, ancien ministre des Affaires étrangères et ex-Premier ministre de Michel Joseph Martelly et Me Jean Henry Céant, le Notaire du tout Port-au-Prince politique, les VIP du pays et surtout l’ancien Premier ministre de feu Président Jovenel Moïse, sont sous les sanctions des gouvernements canadien et américain.

Depuis la Tunisie, où se déroulait le Sommet de la Francophonie, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, faisant office de porte-parole des américains dans cette croisade pour trouver des alliés et des Etats voulant s’engager militairement en Haïti, a annoncé, lors d’une Conférence de presse aux côtés de sa ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly « (…) Qu’un ancien Président haïtien et deux anciens Premiers ministres haïtiens vont être sanctionnés dans les prochains jours (…) » « (…) Le Canada a des raisons de croire que ces personnes utilisent leur statut d’anciens ou d’actuels titulaires d’une charge publique pour protéger et permettre les activités illégales de gangs criminels armés, notamment par le blanchiment d’argent et d’autres actes de corruption (…) » a pour sa part renchéri Mélanie Joly. En fait, quelques instant après, le monde entier prenait connaissance des noms de ces deux anciens Premiers ministres se trouvant être Laurent Salvador Lamothe et Jean Henry Céant et celui de l’ex-chef de l’Etat, Michel Joseph Martelly, qui étaient effectivement sous le coup de sanctions de la Communauté internationale pour leur supposé lien avec des chefs de gangs et qui contribuent, de ce fait, à rendre Haïti ingouvernable en affaiblissant son autorité sur les institutions régaliennes.

on a constaté que c’est le gouvernement canadien qui fait le sale boulot à la place des Etats-Unis.

« Le Canada continue de faire pression sur les gangs armés et leurs partisans pour aider le peuple haïtien à sortir de cette crise et à rétablir la paix et la sécurité dans son pays. Nous envisagerons l’imposition de nouvelles sanctions contre des personnes et entités en Haïti ainsi que d’autres mesures pour mettre fin à la violence persistante. Le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti interdit aux personnes au Canada et aux Canadiens à l’étranger de s’engager dans toute activité liée à tout bien détenu par les personnes inscrites sur la liste ou de fournir à ces personnes des services financiers ou connexes. Ces mesures interdisent aux personnes au Canada et aux Canadiens à l’étranger de s’engager dans toute activité liée à tout bien détenu par les personnes désignées ou de fournir à ces personnes des services financiers ou connexes » a martelé la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. Une ministre sur qui son homologue haïtien, Jean Généus, continue de mettre la pression afin de trouver d’autres partenaires dans l’« Opération Mains Propres » avant de passer à la seconde phase du programme qui demeure l’occupation étrangère.

« Il faut mettre fin au cauchemar que vit le peuple haïtien. Nous comptons sur la solidarité du Canada » implore le ministre haïtien des Affaires étrangères. Le moins que l’on puisse dire, les deux ex-Premiers ministres n’ont pas tardé à réagir à l’annonce des sanctions. Me Jean Henry Céant a été le premier sur son compte Twitter à crier à l’infamie tout en annonçant qu’il a déjà constitué un cabinet d’avocat en Haïti et au Canada pour se défendre. Il se disait être surpris d’une telle accusation de la part du gouvernement canadien. « Je suis désagréablement surpris d’apprendre que j’ai été sanctionné par le Canada. Une énième tentative d’assassinat de mon caractère ! De l’Inde, en Conférence sur la Paix et la non-Violence, j’ai constitué des avocats en Haïti et au Canada pour avoir accès au dossier », a écrit le Notaire. Quelques jours plus tard, le 24 novembre 2022, c’est la Société générale des banques S.A (SOGEBANK) qui annonçait la fermeture de ses comptes bancaires et l’annulation de ses Cartes de crédit appartenant à l’établissement.

Son avocat, Me Camille Leblanc, ne tardera pas à répliquer : « Nous ne comprenons pas la réaction de la banque et sa précipitation. Les clients étrangers ne comprendront jamais que vous avez un Vice-Président dont le nom est cité sans aucune réaction de votre part. Lorsque vous le faites pour une personne, lorsque vous avez plusieurs personnes y compris des banquiers qui sont sur la liste des sanctions, vous devez réagir de la même façon. C’est le principe d’égalité. Globalement, il faut qu’il y ait de l’égalité dans le traitement », tempête l’avocat de l’ex-Premier ministre. Le Vice-Président auquel fait allusion Me Camille Leblanc est Sherif Abdallah, l’un des Vice-Présidents du Conseil d’Administration de la SOGEBANK, qui est épinglé par le Canada en compagnie de Gilbert Bigio et de Reynold Deeb.

Quant à l’ancien chef du gouvernement de la présidence de Michel Martelly, Laurent Lamothe, sa défense est précise et claire. Il exige des clarifications de la part des autorités canadiennes et des explications sur le comment et quand lui, Laurent Lamothe, a eu des contacts ou a financé des gangs armés dans le pays. Il veut que la vérité soit rétablie. Sinon, il exige que les autorités du pays d’Erable fassent le retrait de toutes les mesures prises à son encontre. Dans un Communiqué qu’il a fait parvenir à la presse, Laurent Lamothe estime que « Le gouvernement canadien a deux choix : (1) Fournir des preuves que moi, Laurent Lamothe, finance les gangs haïtiens. Et ceci avec des preuves concrètes. À savoir : quels gangs ? Combien d’argent j’ai versé à date ? Comment se font ces versements ?

Audio d’une quelconque communication ou échange de textes avec des gangs. (2) Faire retrait formel et officiel de ses accusations mensongères. Nous insistons pour que la vérité soit rétablie dans le plus bref délai » a-t-il exigé. D’autre part, dans un long entretien qu’il a accordé à la VOA (Voix de l’Amérique) après l’annonce des sanctions, il a laissé entendre que « Le Canada a été induit en erreur. C’est une blague de mauvais goût. J’ai mené quelques investigations. Il s’agit d’un lynchage politique, une sorte de revanche politique. Le Canada n’a pas de preuves et n’a mené aucune enquête. Le Canada doit rendre publiques ses preuves. Moi, j’estime qu’il n’y a pas de dossiers. Il n’y a pas eu d’investigations. C’est un petit noyau de gens au Canada qui sont dérangés par mes prises de position qui ont induit le Premier ministre Trudeau en erreur. J’ai constitué une batterie d’avocats qui devront clarifier cette question. Tout le monde sait que je ne suis de connivence avec aucun gang, durant mon administration et jusqu’à date. Au contraire, j’ai démantelé les gangs. Le Canada a indexé la mauvaise personne. Ces gens doivent vérifier leurs sources. S’ils avaient mené des investigations, ils auraient dû savoir que j’avais équipé la PNH afin de mettre fin à la supériorité des gangs en termes d’arsenal. J’ai fourni des moyens à la police » conclut Laurent Lamothe. Officiellement, il n’y a que l’ex-sénateur du Sud, Hervé Fourcand, celui du Plateau Central (Centre), Rony Célestin, et l’ancien Président Michel Martelly qui n’ont pas réagi aux accusations portées contre eux par le Canada et les Etats-Unis.

L’ex-chef de l’Etat qui se trouvait en Floride, aux Etats-Unis, après avoir donné des sueurs froides à ses partisans en rentrant précipitamment à Port-au-Prince quelques heures après les annonces, a repris, comme bon lui semble, ses Allers/Retours à travers le pays de l’Oncle Sam, tantôt en passant par la République dominicaine tantôt par des vols directs. Pour le moment, il semble que les sanctions canadiennes ne l’empêchent de vivre sur les deux rives de la mer des Caraïbes. Peut-être qu’il existe des passe-droits aux Etats-Unis pour les ressortissants de ce pays. Pour conclure, on a constaté que c’est le gouvernement canadien qui fait le sale boulot à la place des Etats-Unis. Les Premières sanctions sont toujours annoncées par Ottawa et confirmées après par Washington qui y ajoute son grain de sel en les amplifiant et en annonçant que d’autres noms sont en cours de traitement et seront bientôt rendus publics.

Les autorités américaines l’ont fait quelques jours après, précisément le vendredi 9 décembre 2022, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la corruption en ajoutant sur la liste des sanctions le nom de Romel Bell, ancien Directeur général de l’Administration générale des Douanes haïtiennes révoqué pour corruption quelques mois auparavant. Enfin, l’on constatera aussi que jamais ni le Canada ni les Etats-Unis ne demandent aux autorités haïtiennes de diligenter la justice haïtienne contre ces personnalités politiques et hommes d’affaires accusés de complicité avec les dealers de drogue et qui sont aussi les cerveaux intellectuels des groupes ou gangs armés qui prennent en otage tout un pays. Preuve pour ces deux pays que le gouvernement de Transition, à leurs yeux, ne représente rien. Au moment d’écrire ces lignes, seul l’ancien sénateur du Sud, Hervé Fourcand fait l’objet d’une sommation de comparution le mardi 20 décembre 2022 par devant le Tribunal de Première instance des Cayes à la demande du Commissaire du gouvernement (Procureur) des Cayes, Ronald Richemond.

« Suite au Rapport de l’Office Of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du Trésor des États-Unis publié le 2 décembre par Le Nouvelliste, lequel Rapport est tiré du Gouvernement du Canada relatif aux activités de trafic illicite de la drogue, le Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance des Cayes vous invite à vous présenter en son office, sis à la rue du Quai de cette ville, le mardi 20 décembre 2022 » peut-on lire dans le courrier adressé à l’ancien sénateur Hervé Fourcand par le chef du Parquet de la ville des Cayes. Une décision qui est, sans doute, l’initiative personnelle de Me Ronald Richemond non à la demande du Ministère de la justice. Sinon, ce serait fait dans toutes les juridictions du pays où d’autres personnalités sont accusées et sanctionnées par le Canada et les Etats-Unis dans le cadre de leur « Opération Manu Pulite »  (Opération Mains Propres) en Haïti.

(Fin)

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