Unissons-nous, camarades, et marchons : ensemble, nous vaincrons !

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Ariel Henri et sa meute d’amphibiens conduisent le peuple haïtien à une situation de catastrophe flagrante, ostensible.
« Peuples de l’univers, si par malheur vous devriez perdre, arrangez-vous pour que ce soit toujours en luttant… On ne meurt pas les bras croisés devant ses bourreaux. »
Robert Lodimus,
Pauvreté en Haïti et dans le reste du monde : Harakiri ou Révolution,
454 pages, 2019

Tous les grands essayistes et romanciers haïtiens du 19 ème siècle, Fernand Hibbert, Frédéric Marcelin, Louis-Joseph Janvier… ont utilisé le même vocabulaire pour baptiser, déplorer et dénoncer les maux dont souffre l’État haïtien depuis sa fondation, et qui causent jusqu’à présent les mêmes déceptions, provoquent les mêmes souffrances, occasionnent les mêmes privations aux couches  marginalisées de la population.

Comment restituer aux innombrables victimes de l’hégémonie impérialiste et de la domination oligarchique la jouissance légitime de leurs droits de citoyenneté ? St-Exupéry disait : «Être homme, c’est sentir en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. » La culture de ce que la sagesse socratique qualifiait de « fausse universalité démocratique », – comme celle qui se pratique encore de nos jours en Occident –, n’amènera certainement pas la République d’Haïti sur le chemin de la paix sociale. Cette semaine, comme par magie, l’insécurité publique a repris son bâton de terreur, et elle frappe avec plus cruauté, de sadicité et de cynisme. La capitale d’Ariel Henri n’est plus assiégée par les gangs armés et drogués. Elle est occupée. Séquestrée.

Malgré la présence des bateaux de guerre canadiens qui sillonnent la rade de Port-au- Prince, les riverains continuent de fuir dans toutes les directions comme les animaux de la forêt qui brûle. Pas même un colibri pour verser une goutte d’eau sur le brasier !

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) vient de publier un rapport accablant sur le commerce des armes de calibre de plus en plus sophistiqué qui rapporte des bénéfices faramineux à l’économie mafieuse des États-Unis. Des pistolets et des mitrailleuses importés clandestinement en Haïti sont vendus au prix fort sur le marché noir aux gangs des quartiers défavorisés qui les utilisent, comme nous le constatons, contre les citoyens paisibles et sans défense. Le nombre de civils assassinés dans ce climat de violences aveugles est passé de 1141 en 2019 à 2183 en 2022, selon les chiffres disponibles dans le nouveau rapport de l’ONUDC. Les cas d’enlèvements suivent toujours une courbe exponentielle : de 78 à 1359 pour les mêmes périodes. Angela Me, responsable du service d’analyse de la branche d’ONUDC basée à Vienne, identifie clairement le pays de Joe Biden comme le lieu de provenance principal des fusils AK47, AR15, des fusils d’assaut Galil et des munitions qui détruisent la vie des Haïtiens quotidiennement.

Des luttes intestines, des querelles de clan ont vrillé la sensibilité patriotique des bénéficiaires de l’espace politique post-duvaliérien.

La République d’Haïti explose. Les portes des écoles et des commerces sont restées fermées. La vie quotidienne est rythmée par les crépitements des mitraillettes automatiques qui proviennent surtout, comme nous le mentionnons, des États-Unis d’Amérique. Nous croyons entendre la voix de Jacques Roumain [1] : « Avant on ne faisait qu’une seule famille. C’est fini maintenant. Chacun garde sa rancune et fourbit sa colère. Il y a nous et il y a les autres. Et entre les deux : le sang. On ne peut enjamber le sang ! »

Ceux-là qui parlent de se réunir avec tout le monde autour d’une table de concertation dans le cadre de cette « conférence nationale » tellement chère au défunt Turneb Delpé doit se souvenir de ces paroles du fondateur du Parti communiste haïtien écrites dans « Gouverneurs de la Rosée ». Nous croyons nous-mêmes qu’il ne doit pas y avoir de Gervilien Gervilus dans les débats politiques qui visent à redonner à la République d’Haïti son titre de noblesse. Les « Manuel » seront tous assassinés. Purement et simplement.

Tous les politiciens qui vendent leurs services à l’équipe du PHTK qui occupent actuellement les avenues décisionnelles de l’État sont des « Gervilien Gervilus », l’assassin crapuleux de « Manuel ».En observant ce pays qui périclite et qui a donné naissance à une somme considérable d’intellectuels éminents, reconnus et respectés dans les milieux universitaires étrangers, nous ne pouvons nous empêcher de conclure comme François Rabelais, médecin et philosophe français: «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.» Haïti est en train de crever comme un rat dans les bras de son passé glorieux et héroïque.

Thomas Mann [2] écrit : « Le génie est une punition de Dieu. Le mal est une nécessité, c’est lui qui attise le feu du génie. » Du fléau de l’esclavagisme, – ce mal absolu –, ont émergé effectivement des femmes et des hommes géniaux qui ont confectionné et hissé à la face du monde le drapeau d’un État souverain et indépendant au mât rectiligne de la Liberté et de la Justice. Les Haïtiens ont passé plus de deux cents ans à amignonner leurs exploits historiques. Sans remarquer le temps qui filait devant eux. Pourront-ils le rattraper ? C’est en quelque sorte la morale de la fable du Lièvre et de la Tortue. L’État dessalinien, agrafé de toutes parts dans les complots des puissances ténébreuses de l’Occident, n’a pas pu partir à temps. Il faut le reconnaître également.

Le statut actuel d’Haïti déprise la somme des velléités de changement investie dans le mouvement de février 1986 pour éradiquer le césarisme. Après avoir tourné comme des derviches pour exorciser le démon de la dictature politique, le peuple haïtien ne soupire-t-il pas encore après la panacée qui doit être utilisée comme cautère pour aseptiser les plaies sociales, politiques et économiques, qui paraissent d’une profondeur abyssale? Des luttes intestines, des querelles de clan ont vrillé la sensibilité patriotique des bénéficiaires de l’espace politique post-duvaliérien. Les uns et les autres se sont révélés finalement incapables de tracer les voies d’un avenir salutaire pour les collectivités territoriales. Depuis le départ des Duvalier, aucun chef de groupement politique ne parvient à détourner la marche titubante du pays vers le vide néantisé. La République a perdu pied. Elle se noie dans la violence gangstérisée. Le climat sociétal se détériore vertigineusement. Ariel Henri et sa meute d’amphibiens conduisent le peuple haïtien à une situation de catastrophe flagrante, ostensible. Le sociologue tchèque, Karl Wolfgang Deutsch décédé le 1ᵉʳ novembre 1992 à Cambridge, nous apprend que «  gouverner, c’est prévoir … » Ces deux actions englobent pour nous le patriotisme gréco-romain, la raison Kantienne et le cogito cartésien.

Le vicomte Louis de Bonald, rappelle que la « fonction propre du pouvoir est d’ordonner et de décider. » Dans son ouvrage intitulé « Politique systématique », Althusius explique le sens de la souveraineté et de la légitimité : « La politique est l’art d’associer les hommes pour l’établissement, la direction et la conservation de la vie sociale.» Les mandataires sont liés par contrats à leurs mandants. Cette thèse implique aussi le droit à la rébellion, à la révolte, à l’insurrection lorsque le « prince » viole la Charte constitutionnelle. Dans le sens des philosophes politiques du 15 ème siècle, particulièrement de Thomas Hobbes, l’auteur de « Le Léviathan », les couches encore saines de la population doivent apprendre à se protéger et à se défendre contre les germes pathogènes qui alimentent en souffrances et en désespoirs les cellules les plus vulnérables de la société haïtienne. L’autorité de l’État vient de chaque citoyen en particulier. C’est un acte volontaire résultant de la recherche des intérêts individuels et collectifs qui a donné naissance à l’État. Selon Thomas Hobbes, le souverain a la responsabilité politique et morale «  d’assurer à tous ses sujets (citoyens) la sécurité, l’égalité devant la loi et la prospérité matérielle. »

Quelques-uns d’entre vous ont probablement lu la dernière lettre que le poète martyr David Diop [3] a écrite à son beau-frère au moment de rejoindre la Guinée en 1958: « Il est des cas, dit-il, où celui qui se prétend intellectuel ne doit pas se contenter de vœux pieux et de déclaration d’intention. Il faut qu’il donne à ses écrits un prolongement concret. » Dans les interlignes de cette citation, l’écran de notre imagination tente de reconstituer les images des nombreuses personnalités mythiques qui portent l’emblème de l’immortalité pour avoir posé en face de l’horreur des actes de bravoure inestimables.

Elles ont participé délibérément aux durs et valeureux combats menés sur tous les fronts pour extirper de l’univers les démons des inégalités sociales et de l’oppression raciale. Fort souvent, il nous arrive de réfléchir sur les principaux événements qui ont su à travers l’histoire de l’humanité élever l’homme au faîte de la gloire ou le jucher sur le sommet de la honte perpétuelle. Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, les puissances occidentales se livrent à un jeu méchant et subtil: détruire petit à petit les figures mythiques qui symbolisent le passé glorieux de certains peuples et qui leur servent de modèle de résistance ou de lutte dans les moments difficiles de leur existence. Chaque 21 janvier ramène l’anniversaire de la mort de Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, celui qui disait : « La Russie reste un pays retardataire à un point incroyable, un pays misérable et à demi sauvage.» Depuis des années, nous reprenons ces mêmes mots pour qualifier l’état de la République d’Haïti. Que reste-il aujourd’hui de Lénine en termes de souvenirs et de valeurs historiques? La période de l’après-guerre froide a bien fait son travail d’aliénation et d’ « amnésiation ».

On ne naît pas forcément héros ! On le devient par la force des choses. Avant le 28 novembre 1985, date de l’assassinat des trois élèves gonaïviens, personne ne soupçonnait qu’il y avait quelque part, dans un coin reculé d’un bidonville qui s’appelle Raboteau, un pêcheur ignorant, illettré, analphabète, un certain Jean Tatoune par le sobriquet, qui allait forcer la République d’Haïti à amorcer un virage historico-politique stupéfiant. Le monde avait pu aussi entendre parler d’un Paulux Saint-Jean – un ancien camarade de classe chez les Frères de l’Instruction Chrétienne – brave, hardi et téméraire. Le « rebelle » antiduvaliériste, qui était un lieutenant du « mouvement de guérilla » de Lionel Lainé, décéda mystérieusement sur la route nationale numéro 1, quelques jours après le départ forcé des Duvalier et des Bennett. Il avait laissé Gonaïves pour se rendre à Port-au- Prince, dans le but de répondre à une convocation du général président Henri Namphy. Les freins du véhicule à bord duquel il se trouvait, selon des témoignages concordants, auraient lâché.

La plupart des camarades qui marchent dans les bois denses du Brésil jusqu’au Mexique ont abandonné l’université, l’école secondaire, les jardins brûlés sous les rayons ardents du soleil, dans l’espoir de parvenir à respirer un peu d’air frais…

C’est l’exécution d’Alexandre Oulianov, le frère aîné de Lénine en 1887 qui va indiquer à ce dernier la voie à suivre afin d’aider le prolétariat russe à se libérer de la dictature monarchique. Lénine disait : « Chaque force sociale se pose des objectifs politiques qui correspondent à ses intérêts objectifs. » L’anniversaire du décès de Lénine ne retient presque plus l’attention de la planète. Les temps ont changé. Cependant, les réalités contondantes des sociétés mondiales ont empiré. Empirent. « Le prolétariat n’a d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation », soutenait encore l’artisan principal du communisme en Union Soviétique. En Haïti, les Héros de la guerre de l’indépendance sont enfermés dans les placards du mépris et de l’oubli. Aucun sentiment de Respect et d’Honneur de la part des dirigeants politiques ignares et délinquants à l’égard des aïeux !

Depuis l’invention du féodalisme, la germination du colonialisme, l’engendrement du capitalisme, l’extension de l’impérialisme et l’arrivée du néolibéralisme, l’homme ne naît plus généralement « libre ». Déjà au stade fœtal, les enfants des « esclaves et des salariés du capital » ont appris à respirer l’odeur de la souffrance dans les plantations de canne à sucre, de café, de cacao, de coton, d’indigo, dans les usines d’assemblage et dans les industries de sous-traitance. Et même la senteur de l’humiliation causée par les situations de domesticité dans les résidences bourgeoises.

Avec la fuite massive de nos compatriotes, les persécutions politiques, les tribulations sociales, les humiliations économiques et financières de la Nation ne se mesurent qu’à l’aune de l’« indigence désespérante ». Des étudiants, des jeunes paysans se sont avoués vaincus en face de l’armée imposante du chômage, de la misère, de la prostitution, de la corruption et de l’incompétence gouvernementale. N’ayant plus la force de lutter, des « combattants » ont choisi d’abandonner le « combat ». Et peut-être même la lutte. Ils déposent les armes. Ils partent. Seulement, le « rêve de l’exode » finit – dans bien des cas – par être bousculé, éclipsé par les « réalités de l’exil ». Ceux qui choisissent de s’en aller, une fois arrivés là-bas, seront à leur tour pris au piège de la désillusion. Revenir est encore plus difficile que partir. On peut partir les mains vides. Mais il est quasi impossible de revenir dans les mêmes conditions. Et l’individu attend d’avoir les moyens de faire le chemin en sens inverse. Les années passent. Le phénomène du vieillissement s’accélère. Petit à petit, il se résigne à l’idée de renoncer au « rêve du retour ». Il vit des journées de faibles lumières et d’ombres épaisses. Partagées entre les secousses de la nostalgie, de la résignation et de l’insomnie.

L’existence de l’« exilé politique ou économique » est exposée aux failles du tremblement de terre psychologique qui cause des dégâts irréparables dans les organes vitaux. La route de l’expatrié est toujours longue, car il ne sait jamais où il va. Après trente ans, il marche encore… En fait, il est devenu pareil à un train qui ne répond plus aux manœuvres de l’aiguillage. Et cette « aventure injuste » se termine parfois dans un asile psychiatrique. Comme c’en était le cas pour notre défunt ami, Alix Gornail, décédé dans la solitude à Montréal à la fin du mois de septembre 2013.

La plupart des camarades qui marchent dans les bois denses du Brésil jusqu’au Mexique ont abandonné l’université, l’école secondaire, les jardins brûlés sous les rayons ardents du soleil, dans l’espoir de parvenir à respirer un peu d’air frais… Loin de ce pays séquestré par des « enculés » sans âme. Sans conscience. Sans vergogne.

La République d’Haïti s’est transformée rapidement en un cirque de pauvreté, de barbarie et de violence

Marc Paillet, dans « Gauche, année zéro », nous a aidés à appréhender le sens véritable de la « démocratie ». Pour cet historien français, elle se caractérise par des manifestations de rue, des échauffourées, des émeutes populaires… Bref, des revendications de toutes sortes…! De manière à expliquer l’injustice sociale, Albert Jacquard [4] paraphrasait Winston Churchill et il ajoutait « qu’il suffit de partager de bon matin le désarroi de ces familles expulsées, abandonnées à la rue avec leurs enfants encore endormis, pour comprendre qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume qui est le nôtre. »

Les puissances impériales proesclavagistes ont juré de détruire le peuple haïtien. Elles veulent l’annihiler, le rayer de la carte géographique mondiale, parce que, tant qu’il vivra, il symbolisera le paroxysme de l’ « acivilisation » des États esclavagistes, il demeurera le témoignage irrécusable de la cruauté de la France, de l’Angleterre, de l’Espagne à l’égard des Amérindiens et des Noirs déportés d’Afrique. Il ne faut pas non plus oublier que les États-Unis ont financé les réseaux d’exfiltration des nazis à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ainsi que le Vatican. Gerald Steinacher, historien et professeur d’université, en a parlé dans son ouvrage « Les nazis en fuite ». Nous vous référons aussi au livre de Jean-Claude Bauer « Klaus Barbie, la route du rat ». Actuellement, le paysage haïtien est peint avec une palette riche en couleurs sombres des malheurs les plus inimaginables : kidnapping, décapitation, migration, prostitution, rapatriement, famine, viol, épidémie, hystérie, itinérance, psychose, névrose, suicide… C’est dans cette atmosphère d’effondrement social, d’improvisation politique et d’incertitude économique que Le chef du Core Group, Helen Ruth Meagher La Lime, l’autre dame de fer de l’Organisation des nations unies (ONU), plie bagages. La diablesse va laisser derrière elle un peuple déguenillé, humilié dans sa dignité et sa grandeur.

Haïti, tout compte fait, semble incapable de penser, de s’organiser et d’offrir un meilleur avenir à ses habitants qui espèrent toujours voir le soleil se lever à l’Ouest. Ce sont les esprits de la mort qui rôdent dans les quartiers où les individus dessèchent dans la misère et dans la peur. Au cours des six dernières décennies, La République d’Haïti s’est transformée rapidement en un cirque de pauvreté, de barbarie et de violence, dans lequel évoluent des trapézistes fatigués, à bout de force. Cependant, nous restons confiants et convaincus que le soleil d’une « Révolution planétaire » viendra percer tôt ou tard les nuages de l’exploitation des prolétaires. Et les larmes de souffrances des populations opprimées d’un « Sud triomphant » pourront finalement couler sur les joues d’un « Occident vaincu et humilié ».


Notes et références

[1] Jacques Roumain, Gouverneurs de la Rosée.

[2] Thomas Mann, Mort à Venise, adapté au cinéma en 1971 par Luchino Visconti.

[3] David Diop, poète sénégalais.

[4] Albert Jacquard, Mon utopie, Éditions Stock, 2006.

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