Une interminable méchanceté

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Léon Charles, le représentant permanent d’Haïti à l’OEA, celui qui après dilatoires, charabias et blablabla a finalement trahi le Venezuela et voté contre la légitimité du second mandat du président Maduro.

Les nébulosités, les nuageosités de la philosophie m’ont toujours porté à garder une distance précautionneuse par rapport à ce que disent les penseurs, les philosophes, les save, surtout quand il s’agit de philosopher sur la méchanceté. Par exemple, d’après Socrate nul n’est méchant volontairement. Il n’admet pas le libre-arbitre qui consisterait à choisir ce qu’on sait être moins bon, car un tel choix serait, selon lui, sans raison, sans explication. Platon, pour sa part, dans son Protagoras, nous dit que « les sages savent parfaitement que tous ceux qui font des choses laides et mauvaises les font malgré eux. »

Selon Confucius : « L’homme, dès sa naissance, est constitué dans la droiture. » Par nature, l’homme est donc bon. Voilà que Siun-tseu (Xun Zi) du iiie siècle av. J.-C., plus jeune que Confucius, a voulu dire aussi son mot, en fait le contraire de son aîné : « La nature humaine est mauvaise… Les hommes sont faits du bois d’un arbre tordu, ils inclinent constamment vers les mauvais penchants… Dans l’inné se trouvent l’égoïsme, la jalousie, la paresse, la licence ainsi que la violence. »                                                                                                                                    Bien longtemps après Jésus Christ, il y a eu Kant aux yeux de qui la méchanceté n’est pas un “instinct naturel” mais une volonté. L’homme est auteur du mal. On sait que Jean Jacques Rousseau a été de l’avis que l’homme naît bon, mais que c’est la société qui le pervertit. Pour Thomas Hobbes, à l’état de nature, « l’homme est un loup pour l’homme ». Il s’empresse d’ajouter, sur un mode louvoyant : « Il ne fait aucun doute que les deux formules [bonté/méchanceté naturelles] sont vraies : l’homme est un dieu pour l’homme, et l’homme est un loup pour l’homme. La première, si nous comparons les citoyens entre eux, la seconde, si nous comparons les États entre eux. » Suit toute une philosopherie pour illustrer le propos.

Toutes ces philosophades alimentent assurément des querellades, des discussionnades, des parlades en pile. Mais moi je ouette mon corps, non pas pour ne pas prendre position mais parce que la méchanceté de l’homme, peu importe son mécanisme, son origine, sa nature, sa philosophiture, je la vois, la connais et la vis à travers l’histoire de mon pays. Je voudrais la saisir à tout moment pour l’étrangler, pou m toufonen l, mais elle me fuit ; elle semble insaisissable, comme la fumée.

Oui, de la méchanceté, de la perversité de l’homme, dans le cas particulier d’Haïti, parlons-en pou m pa toufe. Le 18 novembre 1803, la masse des esclaves a réglé ses comptes avec le colonialisme français en infligeant une impitoyable et humiliante défaite aux soldats de Napoléon. On est donc devenu un pays souverain qui a conquis de haute lutte, dans la souffrance, dans le sang, dans le deuil, le droit à la liberté, le droit à être reconnu egalego, nasyonalnasyono, égal à tous les pays. Du reste, la couleur de notre race, noire ou isabelle, devrait-elle nuire à notre honneur et à notre dignité ?

De façon étonnante, elle avait nui aux anciens colons. Calés dans leur dodine de rancœur,  de frustration, de haine, de vengeance, encore en proie à leur cauchemar, à leur défaite cauchemardesque face à la négraille aux pieds nus, les anciens bourreaux, bouffis de méchanceté, de morgue et de morve, allaient manigancer une monstrueuse perversité :  étourdis, gaga, la tête encore pleine des fracas de mitraille de Vertières, ils avaient fantasmé que c’étaient eux les «victimes» de leurs monstruosités esclavagistes. Alors, il fallait faire payer aux négrailleux, aux miséreux, leur impertinence.

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Et ce fut, posé par le roi Charles X, le premier jalon d’une interminable méchanceté. Le 11 juillet 1825, sous la menace d’une escadre de 14 vaisseaux et 500 canons, le président haïtien Jean-Pierre Boyer incapable de renouveler les efforts de guerre qui avaient mené à l’indépendance se résigne à signer un traité avec le roi de France. Celui-ci reconnaît l’indépendance de l’ancienne colonie en échange d’une indemnité de 150 millions de francs or qui sera plus tard ramenée à 90 millions. Cette indemnité est officiellement destinée à dédommager les planteurs dépossédés de leurs terres. Elle est doublée d’une remise de 50 % sur les droits de douane tout navire battant pavillon français. Pour un pays ruiné par la guerre de l’indépendance et un blocus, de fait, si ce n’est pas une sinistre méchanceté, c’est quoi alors ?

Cette méchanceté d’origine externe va se compliquer d’une autre, celle-ci interne. En effet, au Havre, le cours du café, la principale source de revenus du pays, ne cesse de chuter. Le président Boyer aux abois, fait de l’indemnité une « dette nationale ». Pour la payer, il institue à cet effet un impôt, un fardeau de méchanceté pour les masses paysannes, l’arrière-pays exploité qui allaient en supporter le poids et payer les lourdes conséquences. Entre-temps les membres des élites continuaient d’aller étudier en France, d’aller se pavaner à Paris, la France isit, la France lòt bò.                                                                                                                                               En 1838, le roi Louis-Philippe Ier, moins intransigeant que Charles X « reconnaît » l’indépendance pleine et entière d’Haïti. Le solde dû de l’indemnité est revu à la baisse et passe ainsi à 60 millions. Au total, l’indemnité aura été de 90 millions de francs, les Haïtiens finiront de la payer en 1883. Non sans peine, puisqu’il a fallu établir des opérations bancaires complexes grâce auxquelles la « doulce France » aura contrôlé les finances du pays jusqu’à l’occupation étasunienne de 1915-1934.

Entre-temps encore, divers emprunts et intérêts auprès des banques françaises, puis étasuniennes, auront été nécessaires pour régler une ironique « dette de l’indépendance ». Ils ne seront définitivement soldés qu’en 1952. Manifestement, l’économie d’Haïti, qui s’est saignée durant cent vingt-cinq ans pour honorer la soi-disant « dette », ne s’en est jamais relevée. En fait, ce fut une « double dette de l’indépendance » : celle envers l’Etat français pour indemniser les anciens colons et celle auprès des banquiers parisiens. Largement, elle aura pesé très lourd sur la situation catastrophique du pays.

Mais du côté haïtien, il y avait aussi des méchants. Ainsi, Madiou rapporte que « l’administration générale de l’État d’Haïti était centralisée aux Gonaïves dans les bureaux du général André Vernet, ministre des Finances, un vieillard plein de zèle, mais d’une profonde ignorance. Il ne savait ni lire ni écrire ; il ne signait que son nom.

Vastey, le chef de ses bureaux, homme de talent, mais profondément corrompu et méchant, avait toute sa confiance et faisait tout le travail de son département. Il profitait le plus souvent de l’ignorance du ministre des Finances pour lui faire signer des actes contraires aux intérêts du fisc, mais avantageux à ceux qui traitaient avec l’État. Il en retirait d’énormes bénéfices par les nombreuses gratifications qu’il recevait. » (Thomas Madiou, Histoire d’Haïti, t. III,).

Les États-Unis et les jeunes États latino-américains vont se mettre à la remorque de la méchanceté de l’État français.  Prenant prétexte de cette indemnité dans laquelle ils voient une forme de protectorat de la France sur Haïti, ils refusent de reconnaître la république noire. Dès 1822, les États-Unis avaient reconnu formellement l’indépendance des pays latino-américains.   En janvier 1825, le Conseil des ministres britannique décida de reconnaître officiellement les États de l’Amérique hispanique. En 1860 le Vatican finit par reconnaître l’État haïtien, par la signature d’un concordat entre les deux gouvernements. La reconnaissance américaine ne vint qu’en 1862. Un peu plus, ils auraient pu étouffer de honte.

En 1890, « L’affaire Luders » allait être une nouvelle et ignominieuse méchanceté de l’Occident ligué contre la geste du 18 novembre 1803. La justice haïtienne avait réglé selon la loi une grave impertinence contre des policiers haïtiens par un sujet allemand du nom de Luders, directeur des écuries centrales de Port-­au-­Prince qui était venu réclamer la libération de son cocher. Appréhendé lui aussi pour délit de rébellion, il fut toutefois libéré et quitta le pays.

Mais parce que ni le juge ni les policiers n’avaient été « sanctionnés », la Légation allemande, impertinemment, fit au gouvernement haïtien plusieurs exigences dont le retour de Luders, une rançon de vingt mille dollars et vingt et un coups de canon pour saluer le drapeau allemand, ce dans un délai de quatre heures. Le gouvernement de Tirésias Simon Sam alarmé par la menace d’un éventuel bombardement des grandes villes côtières capitula. Les navires de guerre allemands partis, les Haïtiens découvrirent avec horreur et stupeur, le lendemain, l’ignominieuse, l’horrible méchanceté : notre drapeau piétiné, souillé par des matières fécales.

Mai 1902. Un bras de fer politique s’engage entre Anténor Firmin et Nord Alexis qui tous deux briguent la présidence à la chute de Tirésias Simon Sam. L’intrigant pakapala Boisrond Canal, président du gouvernement provisoire, favorable à Alexis, permet à ce dernier de prendre possession d’une grosse cargaison d’armes alors que celle de Firmin est saisie. L’amiral Killick, du camp firministe et commandant de l’aviso la Crête à Pierrot réquisitionne alors un navire allemand, le Markomania, porteur d’une cargaison de munitions destinées à Nord Alexis.

Ploplop, Canal requiert des Allemands l’intervention d’un navire de guerre, le Panther, pour faire échec à Killick et à Firmin. Les États-Unis approuvent la démarche de cette canaille de Canal. Un affrontement entre les deux vaisseaux était inévitable. Refusant de se rendre éventuellement aux Allemands, Killick se saborde en faisant sauter son navire avec lui. La méchanceté de Canal allait ainsi faciliter la présidence à un Tonton Nò, patriote certes, mais obscurantiste, au détriment de Firmin, homme d’État, intellectuel, brillant sociologue, homme de progrès, appartenant au camp des « plus capables » à diriger le pays.

Juillet 1915. Tumultes militaires et populacières, assassinats d’opposants emprisonnés, menace d’interférence allemande lorgnant le Môle Saint-Nicolas et nécessité, du point de vue du voisin du Nord, de passer la camisole à un peuple trop turbulent et bruyant vont porter les États-Unis à nous imposer une très lourde méchanceté : l’occupation du pays, synonyme de négation absolue de notre souveraineté.

Inutile d’épiloguer sur les retombées funestes de cette occupation. Elles furent multiples, douloureuses, inhumaines : « les cinq mille Cacos / en vain donnèrent leur sang/ par toutes leurs blessures /Et tout fut à recommencer / selon le rythme de leur vie / selon leurs lois, leurs préjugés », selon leur violence d’occupants. L’humiliation et le cauchemar prirent fin avec le départ des Blancs qui laissèrent derrière eux une méchante Gendarmerie d’Haïti préposée essentiellement à veiller aux intérêts de l’impérialisme et à museler toute velléité revendicatrice de la population.

Le « petit médecin de campagne » François Duvalier, ‘’élu’’ président d’Haïti, recevant des mains du général Antonio ‘’Thomson’’ Kébreau, sinistre créature d l’occupant yankee, l’écharpe présidentielle.

Vingt-trois ans plus tard, en 1957, la méchanceté continuait son chemin. Les hommes vêtus de jaune laissés en place par l’occupant devaient préférer pour président le « petit médecin de campagne » François Duvalier, sournois comme lui seul, au politiquement turbulent Daniel Fignolé et au grand naïf Louis Déjoie qui, la veille encore des élections, ânonnait : « Votre seule arme est votre bulletin de vote ». Une recommandation en principe correcte, démocratique, mais qui était en fait une ânonnerie dont le général ‘‘Thomson’’Kébreau et les nombreux militaires pro-Duvalier devaient se moquer éperdument. On n’eut point de bouche pour parler, pour décrire cette paix des cimetières que furent les 29 ans de la satrapie duvaliériste.

De turbulence en turbulence, après le 7 février 1986, de coup d’État en coup d’État, de saltimbanqueries concoctées en Floride pour trouver un Premier ministre « indépendant » en grennnanboundaterie, pour renverser un président légitime, on en vint à un mode étrange de méchanceté sous forme de tètkalétude. Une sorcière états-unienne rompue aux chanpwelleries washingtoniennes s’amena une nuit, ivre de méchanceté. D’un rictus glauque et strident, elle ordonna qu’on écartât du scrutin une candidate aux tendances nationalistes, aux bonnes moeurs (devan, devan nèt par ailleurs) au profit d’un voyou spécialiste des « mots sales » et dont le niveau intellectuel se reconnaissait à ses fesseries et gwouyaderies carnavalesques.

La dernière méchanceté en date a pour visage et pour nom un certain Jovenel Moïse, un paysan mal dégrossi qui est pourtant arrivé à être le chouchou ou, mieux, le toutou de la bourgeoisie. Nageant dans le mensonge et la corruption, il a réussi le tour de force de la plus grande lâcheté doublée de méchanceté qu’un président en exercice ait jamais commise : mordre la main d’un ami, la main de l’ami vénézuélien qui nous avait fait des conditions exceptionnelles, quant à l’acquisition de son pétrole.

La morsure s’accompagna – lâcheté suprême – d’un inattendu coup de poignard dans le dos. Le représentant du gouvernement corrompu de Jovenel Moïse vota pour chasser le Venezuela de L’OEA. L’Histoire n’acquittera jamais Jovenel Moïse, lui que le peuple d’Haïti a déjà condamné à être jugé pour crime de haute trahison du peuple frère vénézuélien. Au pays, la faim, la misère atroce, l’absence de repères moraux, l’insécurité, le kidnapping n’ont jamais été aussi présents, troublants et menaçants. Personne ne sait qui gouverne le pays, encore moins comment il est gouverné. Jamais la pagaille n’a été aussi envahissante et le désespoir des citoyens aussi profond.

Jusques à quand devrons-nous subir cette cascade de méchancetés dévalant les collines de l’histoire du pays ? Baryè ladwann te di pi mal, poutan l pete. Attention chasseur Jovenel ! Attention chasseur impérialiste ! Vous avez la part encore belle, mais le jour va et le jour vient. Il n’y a pas de lait qui monte et qui ne descend pas. Au tribunal populaire, nous vous donnons rendez-vous : fò n wè kanmèm

Et telefòn ne lâchez pas. Á la revoyure.

9 mars 2020

 

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