Un nouveau CEP plus facile à dire qu’à faire !

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Tout le monde préfère prendre ses distances avec ce projet fou qui consiste à former un CEP sans qu’aucun accord politique ne trouve vraiment l’assentiment de la population

Par ici la sortie pour le seul et unique Conseil Electoral Provisoire mis en place par le feu Président Jovenel Moïse en plus de 4 années de mandat. Si son prédécesseur, Michel Martelly, a battu tous les records par le nombre de CEP installé durant son quinquennat, le feu Jovenel Moïse s’était contenté de former un seul : celui du 22 septembre 2020. Il avait compris qu’il ne pouvait organiser aucune joute électorale acceptable par tous les secteurs politiques et de la Société civile. Contesté, honni et banni dès sa formation, ce CEP n’a jamais obtenu la moindre considération de l’ex-opposition plurielle, aujourd’hui au pouvoir avec la formation du nouveau gouvernement la semaine dernière, jusqu’à sa brutale dissolution par le Premier ministre a.i, Ariel Henry, sous la pression constante des signataires de l’Accord du 11 septembre 2021 et particulièrement de Me André Michel, le chef de file, du SDP (Secteur Démocratique et Populaire).

D’ailleurs, ce CEP qui a été installé sans le consentement de la classe politique et de la Société civile n’a eu, à aucun moment, l’aval officiel de la Cour de cassation. Jusqu’à son renvoi par l’arrêté du 27 septembre 2021, le CEP, conduit par Mme Guylande Mésadieu, n’a pu prêter serment devant les juges de ladite Cour comme le veut la Constitution. En clair, malgré les moult démarches et activités menées par le CEP dit du 22 septembre, dans le cadre du processus électoral entamé par Président de la République, son destin était scellé. Et ce, même avec ou sans Jovenel Moïse. Car, le défunt n’a jamais caché son désir de sacrifier les neufs membres de ce CEP dans le cadre d’un Accord politique qu’il espérait, jusqu’à sa mort, avec les oppositions. Finalement, on a compris qu’il n’a jamais été question pour l’opposition plurielle d’avoir un quelconque accord avec un Président qu’elle avait condamné par avance et fini par exécuter dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021.

Bref, que ce soit avec Jovenel Moïse ou avec n’importe quelle autre autorité, d’ailleurs, du Pouvoir exécutif, le CEP n’avait pas d’avenir. Il était condamné à disparaître. Il reste maintenant l’art et la manière de le faire disparaître. Et surtout sacrifié par quelle autorité ?  On le sait, l’assassinat du Président Jovenel Moïse devait provoquer l’arrêt de tout ce qu’il avait entrepris. C’est l’objectif même du meurtre. Sinon, cela n’aurait pas de sens. Dès l’installation du Premier ministre a.i, Ariel Henry, à la tête du Pouvoir exécutif, l’on se rappelle que sa première grande décision politique lors de son tout premier Conseil des ministres avait été de suspendre le décret créant l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI) qui, elle aussi, était très contestée par l’opposition. Mais, devant l’opposition de la quasi-totalité des membres du gouvernement et principalement du Secrétaire général du Conseil des ministres, Rénald Lubérice, révoqué depuis, Ariel Henry a dû faire machine arrière et bouter en touche. Le projet est suspendu et reste pendant.

Dans la mesure où, selon l’Accord du 11 septembre, il est dit grosso modo que le Premier ministre doit suspendre certains décrets que les signataires trouvent non conformes à leurs yeux. En difficulté depuis la signature de l’Accord qu’il a du mal à mettre en application, le locataire de la Villa d’Accueil tourne en rond. Le pays n’est toujours pas gouverné. L’insécurité passe à un sommet exponentiel que personne n’aurait imaginé. La capitale haïtienne est un champ de ruine et un « No Man’s land » où seuls les gangs ont la voix au chapitre. Bref, Ariel Henry, malgré le soutien inconditionnel des radicaux de l’ex-opposition et d’André Michel en particulier, fait du surplace. La Transition est dans l’impasse. Alors, pour donner l’illusion qu’il fait quelque chose, il s’est rappelé qu’il a le soutien d’une partie de l’ex-opposition et détient une arme qui s’appelle : l’Accord de la Primature dans lequel il peut piocher en faisant semblant d’avancer. C’est ainsi qu’il a jeté son dévolu sur le maillon le plus faible de la présidence du feu Président de la République Jovenel Moïse : son Conseil Electoral Provisoire décrié, brocardé, méprisé et rejeté.

Le Premier ministre Ariel Henry

S’appuyant sur l’article 14 dudit Accord, selon lequel devrait constituer une gouvernance politique apaisée signée avec des partis politiques et des organisations de la Société civile, il s’est autorisé à mettre en place un nouveau Conseil selon l’esprit de l’article 289 de la Constitution. De ce fait, « Le gouvernement de la République a, par arrêté en date de ce lundi 27 septembre 2021, libéré les membres du CEP de leurs liens avec l’Administration publique. Ainsi, il a été décidé de rapporter l’arrêté du 18 septembre 2020 les nommant et fixant le mandat de l’institution électorale », peut-on lire dans un tweet de la Primature. Il reste la crédibilité et la légitimité de l’autorité en question pour poser un tel acte. Naturellement, il n’aurait eu aucune contestation ni débat si c’était le Président Jovenel Moïse qui avait décidé de remplacer le CEP dans le cadre d’un accord politique avec ses adversaires. D’ailleurs, les neufs membres du CEP du 22 septembre s’attendaient à cette probabilité et s’étaient préparés psychologiquement à une telle décision.

Sauf que la légitimité d’Ariel Henry fait débat dans la société. Sa crédibilité, encore pire. Car, l’affaire du fameux coup de file de Joseph Félix Badio dans la nuit de l’assassinat du Président n’a pas fini de laminer son autorité et sa crédibilité dans le pays. Il n’inspire ni confiance, ni respect de la part de certains hauts fonctionnaires de l’Etat et de la plupart des acteurs politiques. Mais, pour le coup, sur la révocation du CEP, personne, à part les jovenelistes, ne conteste la décision du Premier ministre de renvoyer les neufs membres du CEP. Personne. Pas vraiment ! Les premiers intéressés, bien évidemment, ne l’entendent pas de leurs oreilles. Ils vont vite monter au créneau et pensent se mettre en croix contre, selon eux, une décision arbitraire et illégale. Puisque, d’après la Présidente de l’institution électorale, Guylande Mésadieu, les membres du CEP ont été nommés par un arrêté présidentiel. Ils ne peuvent être révoqués que par un arrêté présidentiel.

« L’arrêté en question est un arrêté du Premier Ministre. Or, les membres du Conseil Électoral Provisoire sont nommés par arrêté du Président de la République, pris en Conseil des ministres. En cas de vacance présidentielle, les attributions du Président de la République sont exercées par le Conseil des ministres et non par le Premier Ministre » avait même prétendu le Rassemblement des Jovenelistes pour la Démocratie (RJD). Le pays pensait qu’un bras de fer allait s’installer entre les deux parties. Une crise dans la crise. Il n’en fut rien. Très vite, la bande à Mésadieu va se fissurer et se diviser sur la question et l’on n’entendra plus parler. Quant au chef de la Primature, il pense que la voie était libre pour se lancer à corps perdu dans l’exécution de la deuxième phase de l’Accord sur cette thématique. Alors même que l’Accord était coincé sur le point qui devrait être le plus simple à appliquer : la formation d’un nouveau cabinet ministériel.

Effectif, le 24 novembre dernier avec huit nouveaux titulaires. Croyant qu’il a eu raison de prendre les adversaires de l’Accord à revers en renvoyant un CEP qui, en quelque sorte, était en sursis pour avoir fait unanimité contre lui, immédiatement Ariel Henry lançait à grand coup de communication la procédure de la mise en place d’un nouveau Conseil Electoral Provisoire. Histoire, bien entendu, de conforter et de rassurer, cette fois, ses nouveaux partenaires politiques et surtout ceux du SDP qui lui mettent les bâtons dans les roues pour accélérer la concrétisation et la consolidation de la Transition à leur profit. Le Premier ministre qui est dans une situation inconfortable suite à la démission de l’Envoyé spécial américain pour Haïti, Daniel Lewis Foote, qui ne se gène guère pour le critiquer et marquer ouvertement son opposition à l’Accord de la Primature, va tenter un coup de poker en se basant sur la section V de l’article 14 du fameux Accord. Il lance donc des invitations aux différents secteurs de la Société civile organisée afin de former le nouveau CEP.

Selon cette section, « Environ une semaine après l’installation du nouveau cabinet ministériel, il est créé, suivant l’esprit de l’article 289 de la Constitution, un organe électoral  avec les représentants issus des secteurs suivants : la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) et l’Église épiscopale ; les Cultes réformés ; le Secteur vodou ; les Associations de patrons de presse (ANMH et AMI) ; les Organisations des droits humains. Sans oublier,  la Conférence des Recteurs d’université ; les Organisations paysannes et de la Diaspora. En cas de désistement ou d’incapacité de l’un des secteurs mentionnés, le gouvernement pourvoit à sa défaillance » dit l’article 14. Dans sa précipitation à mettre les charrues avant les bœufs, le Premier ministre avait totalement zappé ou faisait semblant d’oublier qu’il n’y avait encore pas de nouveau gouvernement qui est la première condition de l’application de l’Accord. De plus en plus sur la défensive et attaqué pratiquement par tout le monde y compris par les Emissaires et envoyés spéciaux de Washington qui voient d’un mauvais œil la formation d’un nouveau gouvernement sans un Accord global ou inclusif où l’on trouvera forcément tous les Secteurs, Ariel Henry peine à atterrir.

« J’espère que les États-Unis cesseront de soutenir le gouvernement Henry. Je crois que les groupes sont très proches d’un accord, tant que les États-Unis n’insistent pas sur l’implication d’Henry. Il n’est pas essentiel qu’Ariel Henry ait une voix dans ce nouveau gouvernement » avait même osé déclarer l’ex-Envoyé spécial pour Haïti, Daniel Foote, ne portant pas vraiment dans son cœur le neurochirurgien Ariel Henry, chef provisoire de la Transition. N’empêche, le Premier ministre prend la décision  d’écrire aux neufs organismes de la Société civile, ceux qui ont l’habitude d’envoyer de personnalités aux CEP précédents, pour qu’ils désignent trois personnalités parmi lesquelles, il choisira l’une d’entre elles. La correspondance est adressée aux responsables de la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH), des Cultes réformés, du Secteur vodou ; aux Associations de patrons de presse ANMH et AMIH ; aux Organisations de droits humains, à la Conférence des recteurs d’université, des Organisations féministes, à des Organisations paysannes et à la Diaspora. Ces secteurs avaient jusqu’au mercredi 13 octobre 2021 pour désigner les trois personnes en question. Tout semblait bien parti pour la Primature dans un premier temps.

Puisque, au départ, aucun de ces Secteurs n’avait vraiment d’objection à part la CORPUHA (Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes). Dès la réception de la correspondance de la Primature, en effet, le professeur Jean Robert Charles marquait son scepticisme et même son refus de désigner les trois personnes. Le professeur mettait en cause l’esprit du courrier du Premier ministre a.i estimant qu’il n’a point respecté l’Accord qui a été publié dans Le Moniteur, le journal officiel de la République. Selon le Président de la CORPUHA, « Pour avoir été publié dans Le Moniteur, l’Accord a une valeur légale. Ils sont contraints de respecter ce qui est écrit. La lettre est en contradiction avec le texte publié dans Le Moniteur. Il nous demande de faire une proposition de trois noms par poste. Mais ceci n’est pas dit dans l’Accord publié dans Le Moniteur à l’article 14 » avance le responsable de la Conférence des Recteurs, Présidents et Dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes.

Mais, en vérité, c’était déjà un prétexte pour cette organisation de se démarquer d’un projet « mort-né » tant le contexte sociopolitique du pays ne s’y prête pas. Personne, à part les radicaux qui portent le PM Ariel Henry sur leur dos, n’avait réellement adhéré au processus de nomination d’un nouveau CEP dans cette conjoncture fiévreuse où le territoire est tenu par les groupes armés semant la terreur nuit et jour comme bon leur semble. Former un nouveau CEP équivaudrait à lancer le processus pour l’organisation des élections générales dans le pays. Or, les conditions de sécurité ne sont nullement réunies. L’insécurité est à son comble. D’où le refus de la quasi-totalité des acteurs et des Secteurs de prendre part à ce qui paraît pour eux inconscient et irresponsable. Un suicide collectif, résume un tenant du non aux élections à tout prix.

Ils sont contre l’organisation des élections dans un contexte pareil où le climat sécuritaire ne permettra à personne de mener campagne. Sauf aux candidats liés aux chefs de gang qui contrôlent l’espace territorial avec leurs hommes armés jusqu’aux dents. Sécurité, l’ordre public et un climat serein sont les mots d’ordre de tous les acteurs qui ne veulent point embarquer dans un processus dont la finalité est connue d’avance. De ce fait, la missive du Premier ministre est restée « lettre » morte. Chacun des Secteurs sollicités a trouvé une bonne raison pour ne pas répondre favorablement à l’occupant de la Villa d’Arcueil. Ainsi, même avec une prolongation de la date limite passant du mercredi 13 au lundi 18 octobre 2021, personne n’a été envoyée auprès du Premier ministre pour être désignée au CEP version Ariel Henry. Un coup d’épée dans l’eau.

Chaque Secteur trouve la petite paille pour se cacher derrière la forêt afin de faire échec au projet de formation d’un nouveau Conseil Electoral Provisoire comme l’aurait voulu Ariel Henry et comme le stipule l’Accord du 11 septembre. De l’ANMH au Centre Karl Lévêque (Sant Karl Lévêque) en passant par la Conférence Episcopale d’Haïti (CEH) et les Cultes réformés, tout le monde préfère garder l’arme aux pieds et prendre ses distances avec ce projet fou qui consiste à former un CEP sans qu’aucun accord politique ne trouve vraiment l’assentiment de la population ni fait consensus au sein des acteurs eux-mêmes et surtout sans qu’un minimum ne soit fait pour sécuriser le pays. Au passage, le Centre Karl Lévêque (SKL) a donné une véritable leçon de bon sens au Premier ministre et à ceux qui le conseillent sur ce dossier d’élection et du CEP dans ce climat où l’insécurité met le pays à l’arrêt complet.  « Notre foi dans l’avenir d’Haïti et notre conviction dans les principes sacro-saints de la démocratie nous obligent à vous notifier de l’impossibilité pour la SKL d’accéder à votre demande sous le format attendu, et ceci, pour de multiples raisons: nous considérons que la conjoncture politique actuelle impose la nécessité d’avoir un large consensus entre les acteurs à travers un accord qui reflètera l’intérêt général du peuple haïtien dans sa plus grande diversité. Loin de nous ériger en de véritables conseillers du gouvernement, nous estimons que rien de sérieux, de bien et de bon ne saura se réaliser en Haïti sans un minimum de sérénité. Ainsi, nous vous suggérons d’abord et avant tout de commencer par adresser le problème d’insécurité et le kidnapping qui rongent les familles haïtiennes. L’envoi de signaux clairs en ce qui concerne le dernier point serait de nature à créer la confiance et à faciliter tout éventuel processus impliquant le peuple haïtien » tente d’expliquer aux autorités les dirigeants de cet organisme des droits humains.

Priorité donc à la sécurité avant toute autre considération. Ce sont, au moins, sept Secteurs sur neuf, sollicités par Ariel Henry qui ne souhaitent embarquer dans ce « Radeau de La Méduse » dont le capitaine est sur le point d’être mangé, le premier, par les survivants potentiels. Du coup, l’on revient au point de départ, c’est-à-dire au point où en était la crise avant l’assassinat du Président de la République. Certains diraient qu’on a reculé dans la mesure où, depuis ce meurtre politique, les acteurs politiques, la société civile et même la Communauté internationale (Core Group), personne ne sait dans quelle direction s’oriente le pays. Depuis ce cuisant échec, même avec le remaniement du gouvernement, tous les regards, une nouvelle fois, à commencer par les élites et les oligarques de ce pays, se tournent vers l’Oncle Sam qui, petit à petit, s’emploie à mettre en place un Protectorat qui finira par être inévitable. Car, les acteurs  même en faisant semblant de s’entendre sur tout ne s’accordent, en réalité, sur rien. C’est une évidence !

C.C

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